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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20001213

Dossiers: 1999-3997(IT)I

1999-4004(IT)I

ENTRE :

 

JENNY XU et

GEORGE Q.W. YE

 

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

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Avocats des appelants : Me Stephen Du et Me Howard Markowitz

Avocat de l'intimée : Me Jocelyn Espejo-Clarke

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MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l'audience à

Toronto (Ontario), le 6 octobre 2000.)

 

Le juge McArthur

 

[1]  Les présents appels sont interjetés à l'encontre de cotisations d'impôt pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996. La question en litige, pour chacune des années, est celle de savoir si les appelants exploitaient une entreprise sous la raison sociale officielle « Yes International » et si les pertes découlant de cette entreprise étaient déductibles de leur revenu imposable. Les pertes découlaient principalement de frais de déplacement. Selon le ministre du Revenu national, les appelants n'avaient pas d'attente raisonnable de profit. Les appelants sont conjoints, et leur appel a été entendu ensemble sur preuve commune. Bien que Jenny Xu n'ait pas comparu à l'audience, elle était représentée par un avocat, et George Ye a témoigné pour le compte des deux appelants. Deborah Chapman, une agente locale de Revenu Canada, a témoigné pour le compte de l'intimée. 

 

[2]  Le Dr Ye a obtenu un Ph.D. en microbiologie de la University of Illinois en 1984. Après avoir travaillé à New York, il s'est installé à Toronto en 1989, où il a fondé « Yes Biotech Laboratories Ltd. » (la « compagnie »). La compagnie fabriquait des anticorps, et le Dr Ye était à la tête du département de recherche et avait de cinq à quinze employés, selon l'année. Jusqu'en 1996, le décideur et actionnaire important était M. Wu, qui était également le principal bailleur de fonds. Le Dr Ye s'est sérieusement querellé avec M. Wu, principalement en raison de son refus de financer les voyages d'affaires du Dr Ye, particulièrement en Chine. En conséquence, le Dr Ye et sa conjointe, Jenny Xu, ont enregistré la société de personnes « Yes International » en mars 1993. Jenny Xu est une technicienne qualifiée qui travaillait dans un autre laboratoire avant d'être employée par la compagnie.

 

[3]  Au cours des trois années en litige, les appelants se sont rendus plusieurs fois par année en Chine. L'objet précis de ces voyages n'est pas tout à fait clair. Le DYe a déclaré qu'il croyait que la Chine représentait un marché important, sans doute pour les anticorps de Biotech. Il avait en quelque sorte une idée fixe, soit de réaliser des affaires en Chine, mais il a trouvé cela très difficile. En 1994, en 1995 et en 1996, ses efforts n'ont pratiquement pas porté fruit. Un certain succès est survenu, non pas pour Yes International, mais pour Biotech, lorsqu'il a obtenu un financement de 300 000 $ par année d'une source chinoise, en 1998 et au cours des années ultérieures. À la fin de 1996, après un règlement à l'amiable, M. Wu ne faisait plus partie de Biotech, et le Dr Ye a pris le contrôle. Il n'avait plus besoin de Yes International, et il semble qu'il ait cessé d'exploiter l'entreprise après 1996.

 

[4]  Le Dr Ye a cherché à déduire des pertes de 7 787 $, de 6 876 $ et de 5 203 $ ayant découlé de Yes International en 1994, en 1995 et en 1996 respectivement. Mme Xu a déclaré des pertes de 2 000 $, de 2 292 $ et de 1 387 $ en 1994, en 1995 et en 1996 respectivement. Le revenu et les dépenses de Yes International étaient les suivants : en 1994, un revenu de 3 070 $ et des dépenses de 11 077 $; en 1995, un revenu de 4 010 $ et des dépenses de 10 383 $; en 1996, un revenu de 5 700 $ et des dépenses de 10 650 $. Les frais de déplacement seuls s'élevaient à environ 8 000 $ par année, et c'est principalement sur les frais de déplacement en Chine que portent les présents appels.

 

[5]  Les appelants ont établi qu'ils avaient personnellement consacré le montant déclaré aux voyages et que ces derniers ne visaient que des fins commerciales et non personnelles. Ils avaient un fils âgé de quatre ans à Toronto, en 1994, qu'ils laissaient avec la mère du Dr Ye lorsqu'ils voyageaient. Le Dr Ye se rendait souvent seul en Chine. J'accepte son témoignage selon lequel, lorsqu'il se trouvait en Chine, il vendait ses connaissances et son expertise tout en vendant des produits pharmaceutiques fabriqués par des tierces parties, pour lesquels il recevait une commission. Il a établi qu'il avait communiqué avec ses personnes-ressources chinoises avec lesquelles il avait échangé plus de 50 télécopies. Il a admis qu'il y avait un certain chevauchement et un certain mélange des efforts entre Biotech et Yes International pendant qu'il voyageait aux États-Unis et en Chine. Il n'y avait apparemment aucune répartition reflétant le travail effectué pour Biotech pendant qu'il voyageait pour Yes International. Je n'ai aucun doute qu'il exploitait une entreprise. Bien que Biotech en ait finalement bénéficié, le Dr Ye et Mme Xu ont, à leur risque, consacré leur argent à la promotion des produits de Yes International. Si le Dr Ye n'avait pas obtenu gain de cause dans le cadre du conflit au sein de Biotech, il aurait été prêt à poursuivre ses efforts technologiques sous le nom de « Yes International ».

 

[6]  Je ne peux accepter le thèse selon laquelle les nombreux voyages en Chine du Dr Ye au cours d'une année, alors que son enfant et très souvent sa conjointe restaient à Toronto, n'avaient rien à voir avec les activités commerciales de Yes International ni, accessoirement, avec celles de Biotech. Les activités du Dr Ye et de Mme Xu entrent dans le cadre de la définition d'« entreprise » de l'article 248 en tant qu'activité de quelque genre que ce soit. La citation suivante du juge Bowman dans l'affaire Keery c. Canada [1] s'applique en l'espèce. Aux pages 4 et 5, le juge Bowman a déclaré :

 


[…] L'intimée soutient cependant que, en dépit de son intention commerciale, l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit. Il est plus exact de dire qu'il n'a réalisé aucun profit et que, par conséquent, l'intimée a-t-elle conclu, il n'avait aucune attente raisonnable d'en réaliser. Les deux ne sont pas synonymes. Dans l'affaire Kaye v. R., [1998] 3 C.T.C. 2248, me prononçant sur le concept d'absence d'attente raisonnable de profit, j'ai déclaré :

 

  On ne peut considérer le caractère raisonnable de l'attente de profit de façon isolée. Il faut se demander : « Est‑ce qu'une personne raisonnable qui examine une activité en particulier et applique des normes courantes de gestion d'entreprise affirmerait qu'il s'agit bien d'une entreprise? » Pour répondre à la question, la personne raisonnable fictive examinerait entre autres choses la structure du capital, les connaissances du participant et le temps consacré à l'activité. Elle évaluerait également si la personne qui prétend exploiter une entreprise a procédé de façon ordonnée et méthodique, de la manière dont une personne en affaires procéderait normalement.

 

  Cela mène à une autre considération —, soit la question du caractère raisonnable. L'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu traite en particulier du caractère raisonnable des dépenses, mais la notion n'est pas coulée dans le béton. L'article 67 s'applique dans le contexte d'une entreprise et suppose l'existence d'une entreprise. C'est également un des volets de la question visant à déterminer si une activité particulière est une entreprise. Par exemple, on ne peut dire, en l'absence de raisons contraignantes, qu'une personne dépenserait 1 000 000 $ si tout ce dont elle pouvait raisonnablement s'attendre de tirer est un revenu de 1 000 $.

 

  En fin de compte, les choses se résument à évaluer, en faisant preuve de sens pratique, l'ensemble des facteurs, en accordant à chacun l'importance qui convient dans le contexte global. Bien entendu, on ne doit pas faire fi de la vision et de l'imagination de l'entrepreneur, mais ce sont là deux aspects qui sont difficiles à évaluer à prime abord. En d'autres termes, si vous voulez qu'on vous traite comme un homme d'affaires, agissez en homme d'affaires.

 

  En l'espèce, tous les éléments d'une entreprise — une intention commerciale, un objectif absolu de réaliser un profit, un type d'entreprise exploitée par un grand nombre de personnes dans cette région et un investissement important de capital et d'énergies dans l'entreprise — sont présents.

 

  On ne peut dire que l'attente de l'appelant était déraisonnable en ce sens qu'elle était « irrationnelle, absurde ou ridicule », pour reprendre les termes que la Cour d'appel fédérale a utilisés dans l'arrêt Kuhlmann et al. v. The Queen, 98 DTC 6652, lorsqu'elle a défini le terme « déraisonnable » dans le contexte du concept d'absence d'attente raisonnable de profit.

 

  La difficulté tient au fait que M. Keery n'a pas réalisé de profit […]

 

[9]  Les journaux et documents comptables des appelants étaient incomplets, et je dois donc extraire certaines dépenses significatives. Il y avait deux problèmes : (a) le chevauchement du travail de Biotech sans quelconque preuve que les appelants aient reçu des paiements d'une dépense de Biotech et (b) les appelants ont déclaré certaines dépenses qui semblaient plus personnelles que commerciales et qui semblent avoir un caractère de capital. Par exemple, les dépenses comprennent The Disney Store, des restaurants Harvey's et Burger King, une table de salon, des meubles d'appui et des chaises. Mes déductions des dépenses sont quelque peu sommaires et faciles. Au cours de chacune des années, les dépenses du Dr Ye sont réduites de 1 200 $ afin de refléter des montants de 1 000 $, pour la partie des dépenses de Biotech pendant qu'il voyageait, et de 200 $ par année, pour refléter des dépenses personnelles et en capital.

 

[10]  Pour ce qui est de Mme Xu, elle n'était pas présente pour défendre ses appels et ses dépenses. Je ne peux que me fonder sur le témoignage du Dr Ye. Bien que je sois convaincu qu'elle ait dû participer à certains des voyages, je ne suis pas prêt à estimer ses dépenses personnelles incluses dans la déclaration de ses pertes. Les appels de Jenny Xu sont donc rejetés.

 


[11]  Les appels du Dr Ye sont admis et déférés au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations afin d'admettre des pertes de 6 587 $ en 1994, de 5 676 $ en 1995 et de 3 005 $ en 1996. J'ai déduit un montant de 1 200 $, pour chacune des trois années, des pertes déclarées par le Dr Ye. Des frais, s'il y en a, sont adjugés au Dr Ye étant donné qu'il a en bonne partie eu gain de cause.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de décembre 2000.

 

 

 

« C.H. McArthur »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2001.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur



[1]   Décision datée du 22 septembre 1999 – Numéro du dossier de la Cour 98-1271(IT)I.

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