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Date: 19971028

Dossier: 94-2056-IT-I

ENTRE :

JAGDAT VINCENT TOOLSIE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Watson, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance a été entendu à Kitchener (Ontario) le 20 octobre 1997.

[2] Le 18 octobre 1985, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une cotisation d'impôt à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1984. Le 4 mars 1993, conformément à l'alinéa 152(4)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”), le ministre a établi à l'égard de l'appelant, pour l'année d'imposition 1984, une nouvelle cotisation dans laquelle il a inclus un revenu de 35 500 $ à titre de gain imposable tiré de la disposition d'un bien composé d'une partie du lot no 36, dans la concession du comté allemand, dans le canton de Woolwich (Ontario) (le “ bien ”).

[3] Pour établir ainsi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

a) en 1988, l'appelant a acheté le bien, qu'il a payé 6 000 $;

b) la valeur du bien au 31 décembre 1971 aux fins du calcul du gain en capital tiré de la disposition du bien était égale ou inférieure à 24 000 $;

c) en 1984, l'appelant a disposé du bien et a reçu un produit de disposition de 95 000 $;

d) au cours de l'année d'imposition 1984, le gain en capital imposable que l'appelant a tiré de la disposition du bien est de 35 500 $, établi comme suit :

Produit 95 000 $

Évaluation au 31 décembre 1971 24 000 $

Gain en capital 71 000 $

Gain en capital imposable (50 %) 35 500 $

e) dans sa déclaration de revenus de 1984, l'appelant a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis une fraude en produisant la déclaration ou en fournissant des renseignements sous le régime de la Loi;

f) dans l'année d'imposition 1984, le revenu de l'appelant provenant d'autres sources s'élevait à 25 390 $;

g) dans l'exécution d'une fonction ou d'une obligation imposée par la Loi, l'appelant a fait sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1984, ou a participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou à cette omission, de sorte que l'impôt fédéral qu'il aurait dû payer pour l'année en question, si celui-ci avait été établi sur la foi des renseignements fournis dans sa déclaration, était inférieur de 8 013,20 $ à l'impôt en fait payable.

[4] À l'audition de l'appel, l'appelant, qui a été la seule personne à témoigner, a admis qu'il avait acheté le bien en 1968, qu'il l'avait payé 6 000 $ et que sa valeur au 31 décembre 1971, aux fins du calcul des gains en capital, était égale ou inférieure à 24 000 $ (“ valeur au jour de l'évaluation ”). Dans son témoignage, il a déclaré qu'en 1984, il avait convenu de vendre le bien 90 000 $ à M. Thomas Jutzi; toutefois, lorsque l'acheteur a omis d'effectuer le paiement et que lui-même a conclu que le prix convenu de 90 000 $ était inférieur à la valeur du bien, l'appelant a refusé de conclure l’opération. M. Jutzi a intenté une action contre l'appelant et, bien que ce dernier répugnât à procéder à la vente, il prévoyait que le litige serait long et qu'il lui coûterait cher en temps et en argent. En novembre 1984, l'appelant a donné son accord au procès-verbal de la transaction aux termes duquel il devait “ remettre sans délai au demandeur l'acte signé dans une forme enregistrable” relativement au bien, en contrepartie de quoi le demandeur paierait “ sans délai des dommages-intérêts de 95 000 $ ”; le titre a été transféré le 6 novembre 1984 par acte stipulant que la contrepartie totale était de 95 000 $. L'appelant était convaincu qu'il n'y avait pas eu de “ disposition d'un bien ” puisque la mesure lui avait été imposée du fait de l'action en justice.

[5] En contre-interrogatoire, l'appelant a admis qu'avant d'être atteint de la sclérose en plaques en 1989, il avait pratiqué le droit comme membre du barreau de l'Ontario, il avait agi comme avocat pour des clients devant la Cour de l'impôt dans des affaires mettant en cause des situations similaires à la sienne et il avait également agi pour des clients à l'étape de l'opposition dans des affaires mettant en cause Revenu Canada.

[6] Les questions à trancher sont les suivantes :

1. Le ministre a-t-il eu raison d'inclure le gain en capital imposable de l'appelant dans le calcul du revenu de ce dernier pour l'année d'imposition 1984?

2. Est-il interdit au ministre de tenter de revoir le cas de l'appelant et d'établir une nouvelle cotisation à l'égard de ce dernier pour l'année d'imposition parce que le délai pour le faire a expiré et, plus particulièrement, conformément à l'alinéa 152(4)a) de la Loi, l'appelant a-t-il fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a-t-il commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la Loi en ne déclarant pas un gain en capital imposable qu'il aurait tiré de la disposition d'un bien dans l'année d'imposition 1984?

3. le ministre a-t-il eu raison d'imposer une pénalité conformément au paragraphe 163(2) de la Loi et, plus particulièrement, l'appelant a-t-il, dans l'exécution d'une fonction ou d'une obligation imposée par la Loi, sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde fait un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenus de 1984 ou participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou à cette omission, lorsqu'il a omis de déclarer un gain en capital imposable?

[7] Compte tenu de toutes les circonstances, dont le témoignage de l'appelant, les admissions et la preuve documentaire, je suis convaincu que l'appelant a transféré le bien en 1984 en contrepartie d'un dédommagement de 95 000 $ et, si l'on donne au libellé son sens ordinaire, qu'il y a eu “ disposition d'un bien quelconque ” au sens des articles 38, 39 et 40 de la Loi qui étaient en vigueur en 1984, et que le ministre a inclus à juste titre dans le revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1984 le gain en capital imposable tiré de la disposition.

[8] En ce qui concerne la prétention de l'appelant suivant laquelle la nouvelle cotisation est frappée de prescription parce qu'elle a été établie après l'expiration de la période normale d'établissement d'une nouvelle cotisation, je me fonde sur les propos du juge Bowman, de la Cour, dans l'affaire Hadi Sarraf, 94 DTC 1506 :

M. Sarraf soutient toutefois que la nouvelle cotisation est “frappée de prescription”, c'est-à-dire qu'elle a été établie après la période normale de nouvelle cotisation. Un bref examen des règles régissant l'établissement de nouvelles cotisations après la période normale peut être utile :

a) lorsqu'un contribuable souhaite contester une cotisation comme ayant été établie après la période normale de nouvelle cotisation -- définie au paragraphe 152(3.1), soit généralement, dans le cas d'un particulier, trois ans (ou quatre ans pour les années d'imposition antérieures à 1983) suivant le jour de mise à la poste d'un avis de première cotisation pour l'année ou d'une notification portant qu'aucun impôt n'est payable --, le fondement de la contestation devrait être invoqué, et il incombe au contribuable d'établir prima facie que la nouvelle cotisation a effectivement été faite après cette période, à moins que la date de la première cotisation ne soit évidente d'après les documents présentés au tribunal;

b) si un contribuable a, dans une déclaration de revenu, fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration, le ministre peut, en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, fixer des impôts après la période normale de nouvelle cotisation. Le droit qu'a le ministre d'établir de nouvelles cotisations après la période normale de nouvelle cotisation doit être établi en prouvant l'existence de l'un quelconque des éléments visés au sous-alinéa 152(4)a)(i). C'est au ministre que cette tâche incombe;

c) si ces éléments sont établis, le fardeau de la preuve se déplace et il incombe alors au contribuable, en vertu de l'alinéa 152(5)b), d'établir que l'omission d'inclure dans la déclaration un montant qui a été inclus dans une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation ne résultait pas d'une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire.

Dans chaque cas, le fardeau de la preuve qui s'est ainsi déplacé vers le contribuable correspond à un fardeau en matière civile, et l'on peut s'en acquitter en présentant une preuve prima facie qui, si elle n'est pas réfutée par la partie adverse, est considérée comme étant valable.

[9] Compte tenu des faits de la présente affaire, je suis convaincu qu'il n'y a manifestement pas eu de fraude en l'occurence; cependant, je suis convaincu que l'appelant n'a pas agi avec le soin dont aurait fait preuve une personne raisonnable en produisant sa déclaration de revenus de 1984 et que le ministre avait le droit d'établir une nouvelle cotisation à son égard en incluant dans son revenu de 1984 le gain en capital applicable tiré de la disposition du bien, et ce, conformément à l'alinéa 152(4)a) de la Loi.

[10] En ce qui concerne la pénalité, je suis convaincu que le ministre n'a pas réussi, conformément au paragraphe 163(2) de la Loi, à établir selon la prépondérance des probabilités que l'appelant avait fait sciemment ou dans des circonstances qui justifiaient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de 1984; je ne suis pas convaincu que l'appelant avait l'intention requise de faire un faux énoncé ou que son défaut d’agir avec le soin dont aurait fait preuve une personne raisonnable équivalait à une faute lourde.

[11] Dans l'affaire Lucien Venne v. Her Majesty the Queen, 84 DTC 6247, le juge Strayer (tel était alors son titre) a déclaré ce qui suit :

La “faute lourde” doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.

[12] Cette décision a également été suivie par le juge Teskey, de la Cour, dans l'affaire Lloyd V. Johnson v. M.N.R., 90 DTC 1930, à la page 1934 :

Compte tenu de ces observations judiciaires, je ne puis déterminer que M. Johnson a commis une grave faute. Certes, l'appelant n'a pas agi avec le soin dont fait preuve une personne raisonnable et il aurait dû demander des éclaircissements au comptable avant de signer la déclaration.

L'intimé n'est pas parvenu à prouver que l'appelant a “sciemment” transféré le prêt de l'actionnaire à une valeur inexacte. À la date alléguée du transfert, le prêt valait probablement sa valeur nominale. L'appelant n'est pas parvenu à prouver la date à laquelle, prétend-il, le transfert a eu lieu à cause de documents incomplets et mal tenus. Sa conduite toute entière justifie l'imposition d'une faute, mais pas d'une faute lourde.

[13] L'appel est admis uniquement en ce qui concerne la pénalité, et l'affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation sur ce fondement.

“ D. R. Watson ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de mars 1998.

Benoît Charron, réviseur

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