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Date: 19990929

Dossier: 98-1830-IT-I

ENTRE :

GUY BISSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Montréal (Québec) le 26 août 1999)

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels de cotisations pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 de l'appelant.

[2] Par ces cotisations, dont les avis sont en date du 20 mai 1997, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a refusé la déduction de pertes de location et de frais financiers en rapport avec un condominium situé au 2330 Ward, #501, à Ville St-Laurent (Québec).

[3] Le condominium a été acquis par l'appelant en 1991. Pour les années en litige, les pertes de location et les frais financiers réclamés sont les suivants :

Année

Pertes de location

Frais financiers

Total

1993

8 239 $

9 545 $

17 784 $

1994

7 938 $

9 533 $

17 471 $

1995

7 854 $

10 335 $

18 189 $

[4] Pour établir les cotisations, le Ministre a tenu pour acquis les faits énoncés aux alinéas a) à k) du paragraphe 4. de la Réponse à l'avis d'appel. Ces alinéas se lisent :

a) le promoteur Cousineau et Associés Inc. a entrepris de vendre l'immeuble situé au 2330 rue Ward St-Laurent en parts indivises sous forme de condo;

b) selon le contrat d'acquisition, l'appelant a acheté le condo le 9 août 1991 au prix de 175 000 $ dont 36 000 $ comptant dont la majeure partie proviendrait de sa marge de crédit;

c) ledit promoteur a mentionné, entre autres, pour convaincre les éventuels acheteurs, dont l'appelant, les principaux points suivants :

i) que la valeur des immeubles croît depuis quarante ans et que cela permet d'envisager des gains potentiels importants, lors de la revente;

ii) en réduisant et en différant votre impôt sur le revenu, vous pouvez accumuler du capital;

iii) en plus de réduire les impôts sur le revenu, les immeubles permettent de posséder un bien dont la valeur augmentera au fil des ans;

iv) les coûts des frais accessoires peuvent être déduits si le condo est placé en location;

v) un individu se situant à un niveau d'imposition de 50% économisera presque l'équivalent de ce qui aura été requis de payer relativement à l'achat de sa propriété;

vi) de plus sa propriété continuera de lui procurer les mêmes avantages fiscaux dans les années subséquentes;

vii) le privilège d'acheter avec très peu ou aucune mise de fonds réels devient évidente;

viii) en effectuant l'achat du condo avec les facilités disponibles sur le marché, ceci vous permettra de devenir propriétaire d'un immeuble qui se paiera par le biais des loyers perçus et des différentes déductions fiscales obtenues;

ix) il a ajouté que certains coûts font partie intégrante du prix d'achat et que si l'acheteur décidait de louer le condo ces dits coûts seraient transférés de l'entrepreneur à l'acheteur;

x) il a également indiqué, à titre d'exemple, que pour une acquisition de 125 000 $, le financement s'effectue sans aucune mise de fonds basé sur le calcul suivant :

Prêt hypothécaire 78 000 $

Balance de vente 7 000

Hypothèque du promoteur 15 000

Marge de crédit 25 000

125 000 $

d) les revenus et dépenses de location du condo, déclarés par l'appelant, pour les années sous appel se détaillent comme suit :

1993 1994 1995

Revenus bruts 6 079 $ 6 787 $ 7 817 $

Dépenses :

Impôts fonciers 2 150 $ 2 135 $ 2 135 $

Honoraires profes. 1 884 2 925 3 210

Intérêts 10 284 9 665 10 326

14 318 14 725 15 671

Pertes (8 239)$ (7 938)$ (7 854)$

Frais financiers réclamés pour ce condo :

9 545 $ 9 533 $ 10 335 $

e) depuis l'année de son acquisition, tel que prévu par le promoteur l'appelant a subi des pertes de location pour le condo;

f) les revenus bruts ne couvrent même pas les frais de financement et ce malgré les autres frais fixes importants et ce avant d'allouer une allocation du coût en capital;

g) l'appelant n'a fait aucune étude de marché avant d'acheter le condo;

h) l'appelant savait que l'acquisition du condo n'était pas rentable de son exploitation et les projections du promoteur le démontraient clairement;

i) l'appelant n'a pas pris les moyens nécessaires pour corriger la situation de façon à rentabiliser le loyer de son condo;

j) l'appelant n'avait aucune expectative raisonnable de tirer un profit de l'activité de location d'immeubles au cours de l'une ou l'autre des années d'imposition 1993, 1994 et 1995;

k) les dépenses réclamées par l'appelant ne l'ont pas été en vue de tirer un revenu d'un bien ou d'une entreprise ou de faire produire un revenu à un bien ou une entreprise, mais constituaient plutôt des frais personnels ou des frais de subsistance pour l'appelant.

[5] L'alinéa c) est ignoré. Les alinéas d), f) et h) à k) sont niés. Les alinéas a), b), e) et g) sont admis.

[6] L'appelant est employé de la société Bombardier. En 1986, il a acquis un immeuble de six logements à Valcourt (Québec). En 1991, il a décidé d'acheter à nouveau mais cette fois à Ville St-Laurent vu le potentiel que la société Canadair représentait pour un investissement immobilier dans cette municipalité.

[7] Le condominium a été acheté le 9 août 1991 au prix de 175 000 $. L'appelant admet que le prix d'achat a été financé à 100 % dont une partie grâce à une marge de crédit auprès d'une Caisse populaire à Valcourt. Les documents soumis en preuve, dont les déclarations de revenu de l'appelant de 1993 à 1998, démontrent que pour les années en litige des intérêts ont été payés à l'égard de deux emprunts hypothécaires, d'une balance de prix de vente du promoteur et de la marge de crédit. Ainsi, le total des intérêts payés a été de 12 629 $, 11 998 $ et 13 461 $ pour les années 1993, 1994 et 1995 respectivement.

[8] Selon les documents soumis par l'appelant et préparés par le promoteur pour la société de gestion qui administrait l'immeuble, le loyer brut prévu pour le condominium était de 1 100 $ par mois ou de 13 200 $ par année. On constate ainsi que les seuls frais d'intérêt représentent 95,3 %, 90,6 % et 101,6 % du revenu brut annuel prévu pour les années 1993, 1994 et 1995 respectivement.

[9] En réalité, dans ses déclarations de revenu pour ces années, l'appelant ne fait aucunement état du revenu brut mais uniquement d'un bénéfice d'exploitation de 6 079 $, 6 787 $ et 7 817 $ pour chacune des années respectivement. De ce bénéfice annuel sont ensuite soustraits les impôt fonciers, les honoraires professionnels, les intérêts sur l'emprunt en première hypothèque, ceux sur l'emprunt en deuxième hypothèque ainsi que les intérêts payés au promoteur. On en arrive ainsi à une perte de 8 239 $, 7 938 $ et 7 854 $ pour les trois années en litige. Les intérêts payés sur la marge de crédit et les frais financiers payables au promoteur ont été réclamés séparément à l'annexe de la déclaration concernant les revenus de placements.

[10] L'appelant a affirmé que cette présentation avait été faite selon les documents et les informations obtenues du promoteur ou de la société de gestion. Je dirai simplement ici qu'une telle façon de présenter les choses est tout à fait inacceptable et manifestement destinée à camoufler une partie de la réalité. D'une part, il est impossible de connaître la nature et le montant des dépenses déduites du revenu brut pour en arriver au bénéfice d'exploitation annuel indiqué. D'autre part, la déduction des intérêts payés sur la marge de crédit et des frais financiers payés au promoteur réclamée dans une annexe distincte et sous une rubrique complètement indépendante des dépenses d'intérêts et des autres dépenses réclamées à l'encontre du bénéfice d'exploitation indiqué à l'égard du condominium a pour effet de présenter, de façon factice, une perte beaucoup moins importante que celle réalisée à chaque année à l'égard du condominium.

[11] Pour compléter sur cette question, j'ajouterai simplement qu'un état des revenus et dépenses de location pour les années 1993 à 1998 ainsi que l'état des résultats estimés pour 1999 et 2000 soumis en preuve (pièce A-3) n'indiquent aussi pour les années en litige (soit 1993, 1994 et 1995) sous le poste revenu que le bénéfice d'exploitation et non le revenu brut comme c'est le cas pour les années subséquentes. D'une part, ce document donne l'impression qu'il y a une augmentation substantielle du revenu brut à chaque année alors qu'en réalité le revenu brut de 1996 se situe à 11 553 $ soit un montant inférieur à celui du revenu brut prévu pour les années en litige de 13 200 $ par année. Évidemment, tel que signalé plus haut, on ne connaît par le revenu brut réel pour ces années. D'autre part, on ne peut manquer de remarquer un document semblable annexé présumément à la déclaration de revenu 1996 de l'appelant mais dont la photocopie se retrouve avec la déclaration 1995 (voir pièce I-1) dans lequel est indiqué un revenu réel de nil pour 1993 et 1994. Comme dans le même document on établit les déboursés à 8 239 $ et à 7 938 $ pour ces deux années la perte indiquée est donc égale au même montant pour chacune des années respectivement. Donc, deux façons complètement différentes pour en arriver au montant de la perte réclamée pour chacune de ces années. Cette façon de faire est pour le moins suspecte. Comme quoi on peut toujours « faire arriver » les chiffres.

[12] En terminant sur ce point, j'ajouterai simplement que ce n'est que dans la déclaration produite pour l'année 1996 et les années subséquentes que l'état de revenus et dépenses est présenté de façon claire et non équivoque.

[13] Dans son témoignage, l'appelant a affirmé qu'il avait également financé l'acquisition de l'immeuble à logements de Valcourt en 1986 tout en reconnaissant qu'il ne s'agissait pas alors d'un financement à 100 %. Il aurait alors payé 13 000 $ comptant et emprunté sur la garantie d'une première ainsi que d'une deuxième hypothèques. Ce deuxième emprunt aurait toutefois été remboursé une année et demie plus tard lorsque des dépôts à terme que l'appelant possédait sont arrivés à échéance.

[14] Quant au condominium de Ville St-Laurent, l'appelant a affirmé qu'il avait aussi les fonds requis pour faire un paiement comptant mais qu'on lui aurait conseillé d'emprunter quand même sur sa marge de crédit. Par ailleurs, il reconnaît avoir pris connaissance des documents de promotion avant d'acquérir le condominium (pièce I-2). Ces documents font largement état des avantages d'un financement à 100 %, des pertes fiscales anticipées et des économies d'impôts plus importantes qui peuvent être réalisées grâce à un tel type de financement. L'appelant admet également avoir été influencé dans sa décision d'acquérir le condominium par le gain en capital potentiel de l'ordre de 35 000 $ présenté dans les prévisions établies par le promoteur.

[15] Les documents de promotion font effectivement état d'un résultat net cumulatif des opérations selon une valeur marchande d'un condominium type établie en fonction d'un taux d'inflation variant de 3 % à 8 % de 1992 à 1995 (pièce I-2). Le même document présente également ce qui est désigné comme un « état prévisionnel des pertes pour fins d'impôts » de 1990 à 1995 inclusivement soit sur une période de six ans. Un document semblable applicable à un condominium de 5½ pièces, c'est-à-dire de la dimension de celui acquis par l'appelant, indique des pertes prévues de 17 222 $, 16 725 $ et 14 853 $ pour la quatrième, la cinquième et sixième année d'opération soit pour les années 1993, 1994 et 1995 respectivement (pièce I-1). En fonction de ces prévision de pertes, l'appelant a demandé pour les trois années en cause une réduction des retenues d'impôt sur le revenu à la source (pièce I-3, pages 2, 3 et 4). Une semblable réduction a également été demandée pour l'année 1996 en fonction d'une déduction autorisée prévue de 7 938 $ (pièce I-3, page 5). Le niveau et l'importance des pertes étaient donc prévues par le promoteur dès le départ et sont effectivement du même ordre de grandeur que celles réclamées par l'appelant pour les années en litige et même pour l'année 1996.

[16] Concernant cette année 1996, il est utile d'ajouter que les intérêts payés ont été de 10 526 $ soit 91 % du revenu brut du loyer déclaré de 11 553 $.

[17] Lors de son témoignage l'appelant a plusieurs fois affirmé qu'il avait été insatisfait de l'administration de son condominium par la société de gestion et qu'il avait été également insatisfait des services de son conseiller financier de l'époque, notamment à cause de la difficulté à obtenir des réponses adéquates à ses questions.

[18] Ainsi, dès 1994 il aurait tenté mais sans succès de reprendre l'administration de son condominium. Il a fait état d'un certain nombre de démarches qui n'auraient cependant abouti qu'en 1997 alors qu'avec l'aide d'un notaire il aurait pu finalement évincer tant la société de gestion que son conseiller financier de l'administration du condominium. D'ailleurs, une première lettre de révocation de mandat a été envoyée à monsieur Michel Guilbert de Planiservice Estrie Inc. en date du 27 mai 1997 (pièce I-4). Une seconde révocation de la procuration donnée au même individu a été faite devant notaire en date du 16 septembre 1997.

[19] Sur ce point, l'avocate de l'intimée note que l'appelant semble n'avoir réagi à la situation qu'après avoir reçu les avis de cotisation en date du 20 mai 1997. Toutefois, l'appelant affirme qu'il ne s'agit là que d'une coïncidence et qu'il avait déjà entrepris des démarches bien avant ce moment.

[20] Pour ma part, je note que l'appelant n'a pas fait état lors de son témoignage d'un plan précis ou même d'une intention quelconque de réduire son niveau d'endettement en rapport avec le condominium dans un temps relativement court après son acquisition en août 1991. Il n'a pas démontré non plus qu'il avait un tel plan ou une telle intention au cours des années en litige. De fait, les intérêts payés sur les nombreux emprunts contractés pour faire l'acquisition du condominium sont demeurés extrêmement élevés, soit plus de 90 % du revenu brut, tout au long des années en litige et même au cours de l'année suivante en 1996, soit sur une période de six ans comprenant l'année de l'acquisition.

[21] En réalité, au cours des années en litige l'appelant n'a que continué à se conformer au plan et aux prévisions établies par le promoteur à partir d'une hypothèse de financement à 100 % et l'utilisation maximale des pertes fiscales générées dans la perspective d'un gain en capital éventuel et ainsi d'un « résultat net cumulatif » positif pouvant s'établir jusqu'à plusieurs dizaines de milliers de dollars selon les prévisions établies dans les documents de promotion (pièce I-2).

[22] Le représentant de l'appelant soutient que l'appelant avait un espoir raisonnable de profit concernant le condominium de Ville St-Laurent mais que des problèmes sont survenus particulièrement en ce qui concerne la gestion de ce condominium qui avait été confiée à des tiers. L'appelant a fait des démarches pour reprendre en main cette gestion dès 1996 et on peut s'attendre à un profit en 1999 et en 2000. Le représentant de l'appelant souligne également que le condominium a bénéficié d'une « plus value » et que l'appelant a l'intention de le conserver. Le représentant de l'appelant fait également état de la question de la déduction pour amortissement qui n'a pu être réclamée à l'égard de la propriété de Valcourt vu les pertes réclamées à l'égard du condominium de Ville St-Laurent et se réfère aux dispositions du paragraphe 1100(11) du Règlement de l'impôt sur le revenu.

[23] Le représentant de l'appelant insiste finalement sur le fait que l'on peut financer l'acquisition d'un immeuble à 100 %. Il soutient que cela n'est pas grave dans la mesure où on se réorganise par la suite pour rembourser les emprunts, tout comme l'appelant l'a fait d'ailleurs à l'égard de la propriété de Valcourt.

[24] L'avocate de l'intimée affirme d'abord que les frais d'intérêts ne sont pas déductibles puisque le contribuable avait en vue un gain en capital et non un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien (Ludco Enterprises Limited et al. v. The Queen, 98 DTC 6045, C.F. 1re inst.).

[25] L'avocate de l'intimée soutient ensuite que l'appelant n'avait aucun espoir raisonnable de profit au cours des années en litige principalement à cause du niveau de financement pour l'acquisition du condominium. Selon elle, l'acquisition a été planifiée en fonction de la réalisation d'un gain en capital et la réalisation des pertes était prévue dès le départ dans les documents de promotion.

[26] Au soutien de l'argument selon lequel l'appelant n'avait aucun espoir raisonnable de profit au cours des années en litige, l'avocate de l'intimée se réfère aux principes établis dans les affaires Moldowan c. La Reine ([1978] 1 R.C.S. 480, 77 DTC 5213, C.S.C.), Tonn c. Canada ([1996] 2 C.F. 73, 96 DTC 6001, C.A.F.), Mastri c. Canada ([1998] 1 C.F. 66, 97 DTC 5420, C.A.F.) et Mohammad c. La Reine ([1998] 1 C.F. 165, 97 DTC 5503, C.A.F.) tels qu'énoncés dans la décision que j'ai rendue dans l'affaire Jean-Paul Audet et Sa Majesté La Reine, (décision non rapportée du 4 février 1999, motifs révisés le 26 février 1999, dossier 97-2417(IT)G).

[27] D'abord, je signale que la décision dans l'affaire Jean-Paul Audet est actuellement en appel devant la Cour d'appel fédérale.

[28] En deuxième lieu, j'estime effectivement que les principes et critères énoncés dans les affaires Moldowan, Tonn, Mastri et Mohammad tels que je les ai résumés dans l'affaire Jean-Paul Audet sont également applicables aux circonstances du présent dossier. Je crois qu'il n'est pas nécessaire de reprendre in extenso les propos du juge Robertson dans l'affaire Mohammad auxquels je m'étais abondamment référé. Il est clair que le présent dossier correspond au cas dont il traite aux paragraphes 7 à 12 de sa décision. J'estime suffisant de me référer ici au paragraphe 11 de sa décision qui se lit ainsi :

[11] L'analyse précitée a pour but de démontrer qu'il ne peut y avoir d'expectative raisonnable de profit tant et aussi longtemps que des paiements importants ne sont pas faits sur le principal de la dette. Cela mène inévitablement à la question de savoir si une perte locative peut être réclamée même si aucun paiement de ce genre n'a été fait au cours des années d'imposition en question. Je répondrais par l'affirmative, mais en ajoutant cependant quelques réserves. Le contribuable doit établir à la satisfaction de la Cour de l'impôt qu'il ou elle avait un plan réaliste en vue de réduire le principal de l'emprunt. Comme tout propriétaire l'apprend tôt ou tard, presque toutes les mensualités hypothécaires sont imputées au paiement des intérêts pendant les cinq premières années d'un prêt hypothécaire amorti sur vingt à vingt cinq ans. Il est tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que le système fiscal canadien subventionne l'acquisition d'un immeuble de rapport pour ces périodes indéfinies. Les contribuables qui ont l'intention de financer l'acquisition d'un immeuble à usage locatif de façon qu'aucun bénéfice ne soit déclaré malgré qu'il ait touché la totalité des revenus locatifs prévus, ne doivent pas s'attendre à bénéficier d'un traitement fiscal favorable en l'absence d'une preuve objective et convaincante de leur intention et de leur capacité financière de rembourser une part importante de l'emprunt ayant servi à l'achat dans les quelques années qui suivent l'acquisition du bien. Si, en raison du niveau de financement, l'immeuble ne peut générer suffisamment de bénéfices pouvant servir à réduire l'emprunt en cours, alors le contribuable doit trouver d'autres sources de revenu pour parvenir à ce résultat. Si les autres sources de revenu d'un contribuable, par exemple, le revenu tiré d'un emploi, sont insuffisantes pour lui permettre de réduire le montant de l'emprunt qui a servi à l'acquisition, alors il se peut que le contribuable ait à supporter le plein coût de la perte locative. Certainement, de vagues attentes indiquant qu'un apport de capital est attendu de tante Béatrice ou d'oncle Bernard ne sera pas suffisant pour conclure que le contribuable s'est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait. En pratique, le contribuable s'acquittera de ce fardeau en démontrant que des paiements importants ont été faits sur le principal dans les années d'imposition suivant de près l'année de l'acquisition.

[29] J'estime que cette preuve n'a pas été faite dans le présent dossier. Au contraire. Les frais d'intérêts sont demeurés extrêmement élevés et à peu près stables tout au long de la période de 1991 à 1996 inclusivement soit une période de six ans dont la dernière année est après la période en litige. Le financement à 100 % a été maintenu au cours de toutes ces années même si l'appelant affirme qu'il avait au départ les fonds nécessaires permettant d'éviter l'utilisation de la marge de crédit. La preuve n'établit aucunement que l'appelant avait un empêchement quelconque de rembourser au moins sa marge de crédit au cours des années en litige et ce malgré les problèmes qu'il dit avoir rencontrés quant à la gestion du condominium.

[30] Le constat évident est que l'appelant s'est conformé en tout point au plan et aux prévisions du promoteur. Ce plan avait pour objectif de maximiser les pertes d'exploitation pour les compenser ensuite par une augmentation de valeur de sorte que l'investisseur puisse obtenir un résultat net cumulatif positif important après un certain nombre d'années. Au cours des cinq ou six premières années l'objectif premier n'était pas de faire un profit mais plutôt d'augmenter la perte par un financement à 100 % pour profiter au maximum des économies d'impôt à l'égard du revenu tiré d'une autre source. Une telle façon de faire ne répond en aucune façon aux exigences formulées par le juge Robertson dans l'affaire Mohammad. Même si on faisait abstraction des frais financiers importants payables sur une période de cinq ans, les intérêts payables et payés par l'appelant au cours des années en litige étaient si élevés par rapport au revenu brut qu'ils empêchaient de façon absolue la réalisation d'un profit quelconque au cours de ces années. En effet, on ne peut ignorer l'obligation d'acquitter les autres frais fixes importants que sont les impôts fonciers, les frais de condominium et les assurances.

[31] Dans les circonstances, j'estime que l'appelant n'a pas démontré qu'il avait un espoir raisonnable de profit en ce qui concerne le condominium de Ville St-Laurent au cours des années en litige.

[32] En conséquence de ce qui précède, les appels pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de septembre 1999.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.

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