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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-3060(GST)I, 2001-3062(IT)I

 

ENTRE :

 

RONALD HORACE FREMLIN,

appelant,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

Appels entendus avec les appels de John Corbet Fremlin (2001-3061(GST)I et 2001‑3063(IT)I) les 6 et 7 mai 2002 à Vancouver (Colombie-Britannique) par

 

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

 

Comparutions

 

Pour l'appelant :                        L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                  Me Michael Taylor

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 24 novembre 2000 et porte le numéro 65421, est accueilli et la cotisation est annulée.

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont l’avis est daté du 24 novembre 2000 et porte le numéro 14052, est admis et la cotisation est annulée.

 


          Il ne sera pas adjugé de dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mai 2002.

 

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de décembre 2003.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-3061(GST)I, 2001-3063(IT)I

 

ENTRE :

 

JOHN CORBET FREMLIN,

appelant,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

Appels entendus avec les appels de Ronald Horace Fremlin (2001-3060(GST)I et 2001‑3062(IT)I) les 6 et 7 mai 2002 à Vancouver (Colombie-Britannique) par

 

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

 

Comparutions

 

Pour l'appelant :                        L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                  Me Michael Taylor

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 24 novembre 2000 et porte le numéro 65423, est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation de façon à ce que la responsabilité de l’appelant en vertu dudit article soit ramenée à 26 280,69 $.

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont l’avis est daté du 24 novembre 2000 et porte le numéro 14055, est annulé.

 


          Il ne sera pas adjugé de dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mai 2002.

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de décembre 2003.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020524

Dossiers: 2001-3060(GST)I, 2001-3062(IT)I

 

ENTRE :

 

RONALD HORACE FREMLIN,

appelant,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée,

 

ET

 

Dossiers: 2001-3061(GST)I, 2001-3063(IT)I

 

ENTRE :

 

JOHN CORBET FREMLIN,

appelant,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

 

[1]     Les quatre appels ont été entendus ensemble. Les deux appelants, Ronald Fremlin et son fils John, ont fait l’objet de cotisations en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise et de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu au titre de leur responsabilité en tant qu’administrateurs d’une société, Cariboo Chrysler Inc. (« Cariboo » ou la « société »), relativement à des retenues à la source et à des montants de TPS non versés par cette dernière.

 

[2]     La cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise se chiffrait à 51 756,69 $ de taxe nette (TPS moins CTI), plus les intérêts et pénalités y afférents, soit 63 209,39 $ pour les périodes de déclaration allant du 1er août 1998 au 30 avril 1999. La cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu se chiffrait à 6 988,32 $, somme qui comprenait les retenues non versées sur les traitements et salaires des employés de la société pour le mois de novembre 1998 au titre des impôts fédéral et provincial, des cotisations au Régime de pensions du Canada et des cotisations d’assurance‑emploi, plus les intérêts y afférents.

 

[3]     Les montants en cause ne sont pas contestés, ni l’obligation de la société. Il a été satisfait aux conditions devant être réunies pour l’établissement de cotisations à l’égard des appelants, notamment l’enregistrement d’un certificat à la Cour fédérale du Canada et l’échec du bref d’exécution forcée pour cause de l’absence d’avoirs du débiteur.

 

[4]     Les appelants ont fondé leur défense sur le fait qu’ils ont « agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement [de la société à l’égard des versements] que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances » en vertu du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise, et qu’ils ont « agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables » en vertu du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il ressort clairement de la lecture de ces dispositions que le critère applicable comporte différentes parties, mais il est généralement, et peut‑être d’une manière incomplète, résumé par l’expression « diligence raisonnable ». Je désignerai par cette expression le critère dans son ensemble.

 

[5]     L’intimée a soulevé une objection préliminaire concernant l’appel interjeté par John Fremlin à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette objection reposait sur le fait qu’aucun avis d’opposition n’avait été produit relativement à cette cotisation. Le 23 février 2001, John Fremlin a produit un document intitulé [TRADUCTION] « Avis officiel d’opposition ou d’appel à l’encontre de l’avis de cotisation ».

 

[6]     Voici la première phrase de ce document : [TRADUCTION] « Veuillez accepter la présente comme appel de l’avis de cotisation à une tierce partie ci‑joint. » Était jointe à cet avis la cotisation de TPS. La cotisation relative à l’impôt sur le revenu n’était pas jointe, et il n’en était fait mention nulle part dans les sept pages de l’avis d’opposition. J’ai lu ce document à plusieurs reprises afin de trouver un élément me permettant de conclure que l’appelant indiquait, ou laissait supposer, que l’opposition portait sur les deux cotisations. Malgré tous mes efforts, je n’ai rien trouvé. L’objection de la Couronne est d’ordre technique, et je serais enclin à la rejeter dans la mesure où je suis fondé à le faire. Cependant, je ne vois pas comment je pourrais traiter l’opposition à la cotisation de TPS comme si elle visait aussi la cotisation d’impôt sur le revenu. Il est trop tard pour demander une prorogation de délai. C’est à regret que je dois annuler l’appel de John Fremlin à l’encontre de la cotisation d’impôt sur le revenu.

 

[7]     Voici les principaux faits.

 

[8]     Les deux appelants sont des gens instruits. Le père, Ronald Horace Fremlin (« Ronald »), possède des diplômes en musique et en psychologie. Il a travaillé à différents endroits aux États‑Unis dans le domaine de la gestion des tribunaux et a enseigné à l’Université du Nevada et à l’Université de la Californie à Berkeley. Il a publié 35 livres. John Corbet Fremlin (« John »), son fils, est membre du barreau de la Californie. Il n’a pas exercé le droit depuis de nombreuses années. Ils sont venus au Canada en 1980. Une société familiale, Seamens Capital Limited, a acquis en Colombie‑Britannique un vaste ranch, appelé « 1849 Flying U Ranch », par l’entremise d’une société, la 1849 Flying U Ranch Ltd. (« 1849 »). En 1996, Brian Boucher, un résident du coin, leur a demandé de l’aider à obtenir une concession de la société Chrysler.

 

[9]     Après avoir examiné les états financiers, Ronald a commencé par rejeter cette idée; toutefois, sur les instances de son épouse, il a reconsidéré la chose et a jugé que ce serait faire preuve de générosité que de fournir son aide. En conséquence, la société Cariboo a été constituée en personne morale en 1996 et a obtenu une concession de Chrysler à 100 Mile House, ville située au nord de Vancouver.

 

[10]    1849 était propriétaire de la moitié des actions de la société, l’autre moitié appartenant à M. Boucher et à son épouse. Ces deux derniers ainsi que John et Ronald étaient les administrateurs. M. Boucher était président et son épouse, secrétaire‑trésorière.

 

[11]    Entre 1996 et 1998, dans le but d’aider la société, 1849 a souscrit à plus d’actions, de sorte qu’elle en est venue à détenir plus de la moitié de l’ensemble des actions.

 

[12]    En 1997, 1849 a transféré ses actions de la société à Seamen's Capital.

 

[13]    En mars 1998, un groupe composé de trois personnes (Peter Strong, Randy Gott et John Fremlin) a acquis le bloc de contrôle de la société. À la demande des nouveaux propriétaires, Ronald est demeuré administrateur et a rempli la fonction de directeur général.

 

[14]    En avril 1998, Ronald a demandé à M. Boucher de quitter la société en raison de la mauvaise gestion exercée par ce dernier. À l’été 1998, MM. Strong et Gott se sont retirés de la société. Ils n’en avaient jamais été administrateurs. Du coup, c’est John et Ronald — surtout John — qui ont dû s’évertuer à maintenir la société à flot; en juillet 1998, on pouvait observer des signes de reprise, et un petit bénéfice a été dégagé.

 

[15]    Récapitulons‑nous : en juillet 1998, les quatre administrateurs étaient Ronald, John, M. Boucher et son épouse, tandis que les propriétaires étaient John ainsi que MM. Strong et Gott, qui étaient actionnaires majoritaires, et M. Boucher et son épouse, qui étaient pour leur part actionnaires minoritaires.

 

[16]    Le 16 juin 1998, John a amorcé des discussions avec Douglas Beckman, propriétaire de Regency Chrysler Ltd. (« Regency »), un concessionnaire Chrysler situé à Quesnel (Colombie‑Britannique), le but des discussions étant de fusionner les deux concessionnaires. Le terme « fusion » ne véhicule aucune connotation juridique particulière dans ce contexte. Il décrit simplement une forme d’association commerciale pouvant comprendre une fusion officielle ou l’achat des actifs ou des actions de Cariboo.

 

[17]    Le 15 octobre 1998 a été conclue une convention aux termes de laquelle Regency devait acquérir la concession de Cariboo et louer le bien immobilier connexe.

 

[18]    À la suite de la visite de son représentant, Jim Ruff, au concessionnaire, Crédit Chrysler Canada Ltée (« Crédit Chrysler ») a conclu que Cariboo était sous‑capitalisée.

 

[19]    Le 23 octobre 1998, Crédit Chrysler a signifié à Cariboo un préavis de mise à exécution d’une garantie, conformément au paragraphe 244(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Cela a eu pour effet de sonner le glas de la convention d’achat. John a donné à entendre que Crédit Chrysler et M. Beckman étaient de connivence en vue d’acculer Cariboo à la faillite; ainsi, Regency pourrait obtenir la concession et d’autres actifs pour une bouchée de pain tandis que Crédit Chrysler était débarrassé des propriétaires et de la direction de la société. Je ne serais pas autrement surpris qu’il ait vu juste à ce propos, mais je n’ai pas à me prononcer sur ce point, et je me contenterai d’observer qu’il peut fort bien avoir raison.

 

[20]    Crédit Chrysler prétendait que Cariboo lui devait 1 453 418,62 $.

 

[21]    À ce moment, Ronald était en Arizona, bien qu’il continuait de communiquer avec John, qui avait toute sa confiance.

 

[22]    Le 30 octobre 1998 ou vers cette date, Crédit Chrysler a nommé Deloitte & Touche Inc. comme séquestre‑gérant, rôle que la firme en question a effectivement rempli pendant quelques jours, jusqu’à ce que John parvienne à la persuader de le laisser continuer à diriger la société, selon l’hypothèse, probablement valable, que cette dernière pourrait peut‑être survivre sous sa direction, alors que cela ne serait pas possible sous la direction du séquestre‑gérant. John a conclu une convention aux termes de laquelle Crédit Chrysler pouvait conserver le produit de la vente des véhicules.

 

[23]    En bref, Chrysler voulait exercer une mainmise complète sur les affaires de la société. M. Ruff a été sur place une grande partie du temps.

 

[24]    Malgré cela, John a été en mesure de transférer aux avocats de la société, Taylor, Epp & Dolder, une somme de 71 000 $ entre le 5 novembre et le 29 décembre 1998 afin qu’elle soit détenue dans leur compte en fiducie. Un montant de 44 719,31 $ a été versé à la province de la Colombie‑Britannique le 7 décembre 1998 au titre de la taxe provinciale relative aux services sociaux. Le solde, soit 26 280,69 $, est demeuré dans le compte en fiducie des avocats.

 

[25]    Le 27 janvier 1999, les avocats de Crédit Chrysler ont présenté une requête à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique afin d’obtenir :

 

                   [TRADUCTION]

 

1.         une ordonnance que tous les fonds détenus en fiducie par le cabinet d’avocats Taylor, Epp & Dolder (à concurrence de 201 090,07 $) qui représentent le produit de la vente de véhicules à moteur par la défenderesse, Cariboo Chrysler Inc., soient immédiatement versés à la demanderesse ou, subsidiairement, consignés au tribunal au crédit de la présente action;

 

2.         subsidiairement, une injonction interdisant à Taylor, Epp & Dolder ainsi qu’à toute autre personne de débloquer des fonds à l’égard desquels la demanderesse a une sûreté ou toute somme tirée de la vente de véhicules à moteur par la défenderesse, Cariboo Chrysler Ltd., jusqu’à ce que le tribunal rende une ordonnance à cet égard;

 

3.         une reddition de comptes par la défenderesse, Cariboo Chrysler Inc., à l’égard du produit de toutes ses ventes de véhicules à moteur, et une ordonnance de récupération de ces fonds;

 

4.         les dépens de la présente requête contre le cabinet Taylor, Epp & Dolder et la défenderesse, Cariboo Chrysler Inc.;

 

5.         toute autre mesure de redressement que la Cour estime juste.

 

[26]    Le 2 février 1999, Taylor, Epp & Dolder écrivait ce qui suit à Gowling, Strathy & Henderson :

 

                   [TRADUCTION]

 

Nous avons pu nous entretenir avec nos clients au sujet de votre récente requête.

 

Veuillez prendre note que les sommes suivantes ont été reçues par notre cabinet et imputées à notre compte en fiducie :

 

            1.         5 novembre 1998                                         25 000 $

            2.         27 novembre 1998                                         4 000 $

            3.         30 novembre 1998                                       30 000 $

            4.         16 décembre 1998                                       10 000 $

            5.         29 décembre 1998                                         2 000 $

 

                                    Total                                                71 000 $

 

Les sommes versées à même le compte en fiducie sont les suivantes :

 

            6.         7 décembre 1998                                         44 719,31 $

 

                        Solde figurant au compte en fiducie               26 280,69 $

 

Le paiement du 7 décembre 1998 a été effectué au ministre des Finances, Section des consommateurs, au titre de la taxe relative aux services sociaux. Ce paiement a été fait conformément aux directives de notre client; vous trouverez ci‑joint à titre de pièces à l’appui des copies de la déclaration, de notre lettre et du chèque.

 

Nos instructions sont de nous engager à conserver le solde de 26 280,69 $ dans notre compte en fiducie et de ne procéder à aucun paiement ni à aucune disposition, sauf ordonnance du tribunal ou entente entre votre client et les nôtres.

 

Nous tenons également à vous faire savoir que nous avons droit à des crédits additionnels de Chrysler Canada qui, semble‑t‑il, n’ont pas encore été transférés à votre client par Chrysler Canada. Nous poursuivons nos discussions avec Chrysler Canada à ce propos.

 

Veuillez nous indiquer si ces renseignements répondent aux préoccupations de votre client à ce propos. Si tel n’est pas le cas, nous produirons la réponse qui s’impose à votre requête. Il faut toutefois prévoir un certain délai, étant donné que M. John Fremlin est à l’étranger jusqu’à la semaine prochaine.

 

Quoi qu’il en soit, nous apprécierions que vous n'inscriviez pas l’affaire au rôle sans nous fournir un préavis raisonnable.

 

Nous avons également rédigé notre défense et sommes en voie de la faire déposer. Nous prévoyons vous la faire parvenir sous peu.

 

[27]    Les appelants n’avaient alors plus le moindre contrôle sur la situation. De fait, le 26 novembre 1998, le dossier avait été réglé entre la société et Crédit Chrysler, le montant du règlement se chiffrant à 204 124,52 $. L’annexe de la lettre de Crédit Chrysler à Cariboo faisait état de la ventilation de ce montant de 204 124,52 $; il était notamment fait mention d’une somme de 55 010,13 $, qui correspond essentiellement au montant de la cotisation établie à l’égard des appelants en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[28]    En fin de compte, Crédit Chrysler a reçu le montant encore détenu dans le compte en fiducie des avocats.

 

[29]    Pour amorcer l’analyse de la responsabilité des appelants aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la Loi sur la taxe d’accise, j’examinerai leur position au sein de la société. Il n’est pas vraiment contesté que Ronald était un administrateur externe et que John était un administrateur interne au sens de ces expressions dans l’affaire Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, 97 D.T.C. 5407. Ronald n’avait pas même de pouvoir de signature, et il se trouvait en Arizona durant la plus grande partie de la période en cause. Il n’était pas en mesure d’influer sur les événements et, plus particulièrement, de veiller à ce que soient versées la TPS et les retenues à la source. Les choses étaient différentes dans le cas de son fils John. Celui‑ci prenait une part directe dans l’exploitation quotidienne du concessionnaire. Il en était copropriétaire.

 

[30]    J’examinerai maintenant la question de savoir si les appelants ont agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[31]    Il y a eu de nombreuses affaires portant sur la responsabilité des administrateurs aux termes de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise et de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Notamment, dans deux décisions rendues récemment, notre cour a examiné les décisions de la Cour d’appel fédérale et les critères moins rigoureux énoncés par ladite cour.

 

[32]    Dans l’affaire Mosier c. Canada, C.C.I., n96-3504(GST)G, 10 octobre 2001, [2001] A.C.I. n692, j’examinais la situation de l’administrateur d’une société dont les finances étaient rigoureusement contrôlées par la banque. Voici ce que j’ai déclaré aux paragraphes 33 à 35 :

 

33        On doit se demander ce qu'il aurait pu faire d'autre. La réponse : absolument rien. Cette affaire me rappelle de bien des façons l'affaire Holmes c. R., C.C.I., no 1999-2182(IT)I, 19 avril 2000 ([2000] 3 C.T.C. 2235), dans le cadre de laquelle les administrateurs n'étaient pas en mesure d'assurer le remboursement de l'ACDR car les finances de la société étaient entièrement contrôlées par son fournisseur. Aux pages 8 et 9 (C.T.C. : aux pages 2241 et 2242), je me suis reporté à une décision antérieure qui se lit comme suit :

 

J'ai présenté dans l'affaire Cloutier c. M.R.N., C.C.I., no 90-3532(IT), 23 mars 1993, aux pages 4 et 5 (93 D.T.C. 544, aux pages 545 et 546), mon approche dans ces affaires.

 

Il s'agit donc de trancher une question de fait; la Cour doit essayer, dans la mesure du possible, de déterminer ce qu'une personne raisonnablement prudente aurait dû et aurait pu faire à l'époque dans des circonstances comparables. Les tentatives faites par les tribunaux pour évoquer l'hypothétique personne raisonnable ne se sont pas toujours soldées par une réussite incontestable. Des critères ont été élaborés, affinés et réitérés de manière à donner au processus une apparence de rationalité et d'objectivité, mais, en fin de compte, le juge chargé de rendre une décision doit appliquer ses propres notions du bon sens et de l'équité. Il est facile de faire preuve de sagesse après coup. Le tribunal doit essayer d'éviter de se demander : qu'aurais-je fait en sachant ce que je sais maintenant? Ce n'est pas ce genre de jugement ex post facto qu'il nous faut porter en l'espèce. Bien des décisions subjectives qui se révèlent ultérieurement mauvaises n'auraient pas été prises, si, au moment de les prendre, la personne avait su ce qui allait se passer ensuite.

 

L'article 227.1 en fournit un exemple. Cet article impose aux administrateurs une norme de soin qui les oblige à faire preuve d'une prudence et d'une habileté raisonnables pour veiller à ce que les fonds obtenus grâce au programme de CIRS servent bel et bien à des travaux de recherche scientifique, faute de quoi l'impôt de la partie VIII doit être payé soit à l'aide des fonds ainsi obtenus, soit par d'autres moyens. Pour déterminer si cette norme a été satisfaite, il faut se demander si, à la lumière des faits existant à l'époque dont l'administrateur avait ou aurait dû avoir connaissance et en fonction des différentes voies qui s'offraient à lui, l'administrateur a choisi celle qu'une personne raisonnablement prudente aurait choisie dans les circonstances et dont on pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'elle permette de s'acquitter de l'obligation fiscale. Le fait que la voie choisie ne se soit pas révélée la bonne n'est pas déterminant. Dans les affaires de ce genre, l'omission de payer l'impôt de la partie VIII découle habituellement soit d'un mauvais choix fait de bonne foi, soit d'un manquement ou d'un aveuglement délibéré de la part de l'administrateur.

 

Je considère comme avéré que M. et Mme Holmes n'auraient vraisemblablement rien pu faire pour éviter la faillite. Ils me semblent être des gens convenables et honnêtes qui ont fait de leur mieux pour s'assurer que la société s'acquitte de ses obligations, mais les circonstances économiques leur ont rendu la tâche impossible.

 

34        Cette approche que j'ai suivie dans d'autres affaires est, à mon avis, compatible avec la série d'affaires de la Cour d'appel fédérale qui ont invariablement modifié les normes rigoureuses appliquées par cette cour. Les affaires de la Cour d'appel fédérale que je mentionne sont La Reine c. Corsano (précitée), Worrell c. La Reine (C.A.), [2001] 2.C.F. 203 ([2000] G.S.T.C. 91), Smith c. La Reine, C.A.F. no A-154-00, 26 mars 2001 (2001 D.T.C. 5226), Cameron c. La Reine, C.A.F., no A-763-99, 19 juin 2001 (2001 D.T.C. 5405) et Soper c. Canada (C.A.), [1998] 1 C.F. 124 (97 D.T.C. 5407)

 

35        Il m'est inutile de citer ces affaires. Elles soutiennent la proposition visant à établir qu'en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise, les administrateurs ont seulement l'obligation d'agir de façon raisonnable. Ils ne demandent pas l'impossible. Je n'ai donc aucune hésitation à adopter cette approche.

 

 

[33]    Les mêmes observations s’appliquent en l’espèce, sous réserve d’une exception possible. Il est clair que Ronald était impuissant dans les circonstances. John est parvenu à transférer quelque 71 000 $ au compte en fiducie des avocats de la société. Environ 44 000 $ ont été versés à la province de la Colombie‑Britannique. Cela n’a rien de déraisonnable à mes yeux. Tant l’administration provinciale que l’administration fédérale faisaient valoir des créances, et je n’estime pas que cette décision d’acquitter la créance provinciale plutôt que la créance fédérale ait quoi que ce soit de répréhensible.

 

[34]    Cela nous laisse le solde de 26 280,69 $.

 

[35]    Entre le 7 décembre 1998 et le 27 janvier 1999, cette somme a été conservée dans le compte en fiducie des avocats, et elle aurait pu être versée à l’ADRC. Je comprends que, une fois que Crédit Chrysler eut présenté sa motion le 27 janvier 1999, les avocats aient été réticents à verser quelque somme que ce soit à même le compte; il demeure que, jusqu’à cette date, John aurait pu leur dire de le faire. L’argument de John selon lequel le montant de TPS payable ne pouvait être quantifié, ou même estimé, ne me convainc pas.

 

[36]    Je conclus que John, qui se retrouvait dans une situation intenable, a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances — en d'autres termes, il a fait preuve de la diligence raisonnable requise aux termes de l’article 323, exception faite de la somme de 26 280,69 $ qu’il aurait pu verser à l’ADRC. L’avocat de l'intimée a formulé des critiques à l’endroit de John parce qu’il avait transféré secrètement des fonds au compte en fiducie de ses avocats. Il déclare qu’il s’agissait d’un manquement illégal à l’entente conclue par John avec Crédit Chrysler. Puis il demande du même souffle pourquoi, étant donné John a pu transférer 71 000 $ au nez et à la barbe de Crédit Chrysler, il n’a pas transféré davantage. Eh bien, je ne vais pas tenter de répondre à cette question, qui n’est pas dénuée d’intérêt, si ce n’est pour indiquer que la Couronne ne peut souffler le chaud et le froid. Je conçois mal en effet comment elle pourrait dire : « Vous avez agi de façon illégale en transférant des fonds au compte en fiducie de vos avocats; cela étant, pourquoi n’avez‑vous pas transféré suffisamment de fonds pour pouvoir régler la TPS payable? » On ne distingue plus la ligne de démarcation entre une attitude hautement morale et la tâche banale consistant à percevoir les taxes et impôts par tous les moyens possibles. De toute manière, je ne suis pas disposé à conclure que John ait fait quoi que ce soit d’illégal en transférant cet argent au compte en fiducie de ses avocats.

 

[37]    Enfin, je dois examiner l’argument concernant le paiement à Crédit Chrysler conformément au règlement dont il est fait mention dans la lettre datée du 26 novembre 1998, dont l’annexe indique qu’un montant de 55 010,13 $ au titre de la TPS fait partie du montant de règlement de 204 124,52 $. John était raisonnablement justifié de croire que Crédit Chrysler allait verser cette somme à l’ADRC. John a encerclé cette somme de 55 010,13 $ sur l’annexe et a écrit ce qui suit : [TRADUCTION] « Ken [je suppose qu’il s’agit de son avocat, Kenneth Dolder]. Ils continuent d’imputer des sommes au titre de notre TPS – il s’agit dans les faits de notre argent, et cela réduirait considérablement la somme payable. »

 

[38]    Compte tenu de ses relations avec Crédit Chrysler, je ne pense pas qu’il aurait été raisonnable de sa part de penser que cette dernière verserait quelque montant que ce soit à l’ADRC, bien que, selon moi, Crédit Chrysler ait probablement eu l’obligation de le faire.

 

[39]    Voici le libellé des paragraphes 222(1) et 222(3) de la Loi sur la taxe d’accise :

 

(1)        La personne qui perçoit un montant au titre de la taxe prévue à la section II est réputée, à toutes fins utiles et malgré tout droit en garantie le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, séparé de ses propres biens et des biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l'absence du droit en garantie, seraient ceux de la personne, jusqu'à ce qu'il soit versé au receveur général ou retiré en application du paragraphe (2).

 

(2)        [...]

 

(3)        Malgré les autres dispositions de la présente loi (sauf le paragraphe (4) du présent article), tout autre texte législatif fédéral (sauf la Loi sur la faillite et l'insolvabilité), tout texte législatif provincial ou toute autre règle de droit, lorsqu'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (1) détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada n'est pas versé au receveur général ni retiré selon les modalités et dans le délai prévus par la présente partie, les biens de la personne — y compris les biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l'absence du droit en garantie, seraient ses biens — d'une valeur égale à ce montant sont réputés :

 

 

a)         être détenus en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, à compter du moment où le montant est perçu par la personne, séparés des propres biens de la personne, qu'ils soient ou non assujettis à un droit en garantie;

 

b)         ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est perçu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à un droit en garantie.

 

Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté du chef du Canada a un droit de bénéficiaire malgré tout autre droit en garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur tout droit en garantie.

 

[40]    Je pense que Crédit Chrysler a probablement reçu la somme de 55 010,13 $ assujettie à une fiducie en faveur de Sa Majesté et que le gouvernement du Canada aurait probablement pu recouvrer le montant de Crédit Chrysler. Toutefois, je n’ai pas à me prononcer à ce sujet, et cela ne saurait de toute façon répondre à la question de savoir si John a fait preuve de la diligence raisonnable requise aux termes de l’article 323. Ainsi que cela est mentionné précédemment, j’estime que la somme de 26 280,69 $ aurait dû être versée à l’ADRC.

 

[41]    Voici ma décision concernant les appels examinés ici :

 

1.       L’appel interjeté par John Fremlin à l’encontre de la cotisation établie en vertu de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, datée du 24 novembre 2000 et portant le numéro 14055, est annulé au motif qu’aucun avis d’opposition n’a été produit.

 

2.       L’appel interjeté par John Fremlin à l’encontre de la cotisation établie en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation de façon à ce que sa responsabilité en vertu dudit article soit ramenée à 26 280,69 $.

 

3.       Les appels interjetés par Ronald Fremlin à l’encontre des cotisations établies en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise et de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu sont accueillis et les cotisations sont annulées.

 

4.       Il ne sera pas adjugé de dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mai 2002.

 

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de décembre 2003.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 

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