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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

97-3313(IT)G

 

ENTRE :

 

PENN VENTILATOR CANADA LTD.

PENN, VENTILATEURS CANADA LTÉE,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

Appels entendus les 7 et 19 juin 2001, à Montréal (Québec), par

l’honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelante :                       Me François Barette

 

Avocates de l’intimée:                         Me Jane Meagher

Me Susan Shaughnessy

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 sont admis avec frais, selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mars 2002.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020304

Dossier: 97-3313(IT)G

 

ENTRE :

 

PENN VENTILATOR CANADA LTD.

PENN, VENTILATEUR CANADA LTÉE,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

 

[1]     Les présents appels sont interjetés à l’encontre de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») pour les années d’imposition de l’appelante se terminant les 31 janvier 1991 à 1993 et pour les années d’imposition de l’appelante se terminant les 31 décembre 1993 à 1995.

 

[2]     Les questions à trancher sont les suivantes :

 

a)       Des frais d’intérêts de 61 264 $, de 463 732 $, de 545 330 $ et de 538 801 $, respectivement, étaient‑ils déductibles dans le calcul du revenu de l’appelante pour ses années d’imposition se terminant le 31 janvier 1993 et les 31 décembre 1993 à 1995?

 

b)      Par conséquent, l’appelante a‑t‑elle, dans ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 1993 et le 31 décembre 1994, subi des pertes autres qu’en capital de 727 300 $ et de 824 937 $, respectivement, déductibles dans le calcul de son revenu pour ses années d’imposition se terminant le 31 janvier 1991 et le 31 janvier 1992?

 

[3]     Par voie de réponse modifiée à l’avis d’appel, l’intimée a ajouté une question à trancher, à savoir : si la Cour devait conclure qu’étaient déductibles des sommes relatives aux intérêts que l’appelante a payés concernant le billet qu’elle a émis lorsqu’elle a racheté 165 000 de ses actions ordinaires aux actionnaires remplacés, est‑ce que les sommes déduites étaient raisonnables dans les circonstances?

 

[4]     Au début de l’audience, les parties ont produit un exposé conjoint partiel des faits et documents qui se lit comme suit (les documents ne sont pas reproduits) :

 

[TRADUCTION]

Par l’intermédiaire de leurs avocats, les parties aux présentes admettent les faits et documents suivants, sous réserve qu’elles puissent présenter, au sujet d’autres questions soulevées par le présent appel, des éléments de preuve supplémentaires non incompatibles avec le présent exposé conjoint partiel des faits et documents :

 

1.         L’appelante a été constituée en vertu de la Loi sur les corporations canadiennes par voie de lettres patentes en date du 26 janvier 1962 et a été maintenue en vertu de la Loi sur les corporations commerciales canadiennes par voie de certificat de prorogation en date du 6 août 1980.

 

2.         En mars 1991, une plainte en equity fondée sur un affidavit (le « litige ») a été déposée devant la cour des plaids communs (Court of Common Pleas) du comté de Philadelphie par certains actionnaires (les « actionnaires remplacés ») qui étaient des descendants de Lewis Silver, l’un des fondateurs de Penn Ventilator Company Inc. (« PV »), société de Pennsylvanie, lesquels actionnaires se plaignaient d’une oppression résultant de certaines mesures prises par les actionnaires restants, qui étaient des descendants de Samuel Silver et de William Silver, les deux autres fondateurs de PV, comme l’indique une copie de l’action figurant comme pièce 1 en annexe aux présentes.

 

3.         Malgré le fait que l’appelante n’était pas nommée comme défenderesse dans le litige soumis à la cour des plaids communs du comté de Philadelphie, une des mesures de redressement sollicitées par les demandeurs était que les défendeurs fassent en sorte que PV, l’appelante et Barbrook Inc., société liée de Philadelphie (« Barbrook »), rachètent leurs actions détenues par les demandeurs ou que les défendeurs obligent PV, l’appelante et Barbrook à payer des dividendes spéciaux d’au moins 20 millions de dollars aux demandeurs ou qu’ils fassent en sorte que PV, l’appelante et Barbrook soient vendues à un tiers.

 

4.         En vertu du droit de la Pennsylvanie, le fait qu’un associé se retire de Silver Fund, société en nom collectif de la Pennsylvanie, aurait signifié que cette société de personnes aurait été dissoute et que ses actifs auraient été distribués. La société de personnes aurait continué d’exister jusqu’à la liquidation complète de ses affaires.

 

5.         Le 14 décembre 1992, en règlement du litige, la convention d’acquisition, le billet, la modification du billet, le contrat de garantie générale, le contrat de gage, le contrat d’entiercement et la convention de subordination figurant comme pièces 2 à 8 en annexe aux présentes ont été signés.

 

6.         En vertu des modalités de la convention d’acquisition, Dean R. Malissa et Donald A. Silver ont convenu d’acheter les actions détenues dans PV par les actionnaires remplacés, tandis que l’appelante, Penn Ventilator Midwest Inc. (« Penn Midwest ») et Barbrook ont convenu de racheter leurs actions détenues par les actionnaires remplacés et que Silver Fund, société en nom collectif de la Pennsylvanie, a accepté de racheter les parts détenues dans la société de personnes par les actionnaires remplacés.

 

7.         En contrepartie des opérations mentionnées au paragraphe 5, les actionnaires remplacés devaient recevoir la somme principale de 9 385 000 $US, c’est-à-dire des paiements en espèces d’un montant total de 3 550 000 $US (dont 500 000 $US — 645 445 $CAN — devaient être payés par l’appelante) et 5 835 000 $US par voie de billet portant intérêts à 15 p. 100 par année, comme l’indique le billet figurant comme pièce 3 en annexe aux présentes. En vertu des modalités du billet, PV, l’appelante, Penn Midwest, Barbrook et Silver Fund étaient solidairement responsables à l’égard du montant intégral de l’obligation énoncée, à condition qu'aucun recours ne puisse être intenté contre les associés individuels de Silver Fund relativement à l’obligation et à tous autres engagements de Silver Fund y afférents.

 

8.         Sur les 5 835 000 $US devant être payés par voie de billet aux actionnaires remplacés, 2 650 000 $US (3 413 200 $CAN) devaient être payés par l’appelante, les paiements au titre du principal commençant 64 mois après l’émission du billet, c’est-à-dire en avril 1998, et les intérêts étant payables mensuellement au taux de 15 p. 100 par année, comme l’indique le tableau de paiements qui figure comme pièce 9 en annexe aux présentes.

 

9.         Les 3 185 000 $US restants devaient être payés directement par les actionnaires acheteurs, à savoir Dean R. Malissa et Donald A. Silver, sur des fonds qui devaient leur être prêtés de temps en temps par PV, comme l’indiquent les notes afférentes aux états financiers cumulés de Penn Ventilator Co., Inc. et des sociétés affiliées pour les années se terminant le 31 décembre 1992 et le 31 décembre 1991, lesquelles notes constituent la pièce 10 annexée aux présentes.

 

10.       Conformément à la convention d’acquisition, en décembre 1992, l’appelante a racheté 165 000 de ses actions ordinaires détenues par les actionnaires remplacés et représentant un capital versé de 1 500 $, pour un prix global d’achat de 4 014 045 $ (3 150 000 $US), plus des frais juridiques de 44 600 $.

 

11.       L’appelante a payé aux actionnaires remplacés des intérêts de 61 264 $, de 463 732 $, de 545 330 $ et de 538 801 $ durant ses années d’imposition se terminant le 31 janvier 1993, le 31 décembre 1993, le 31 décembre 1994 et le 31 décembre 1995 respectivement.

 

12.       Les 165 000 actions ordinaires précédemment détenues par les actionnaires remplacés ont été annulées lors du rachat.

 

13.       L’appelante a financé le paiement comptant de 500 000 $US aux actionnaires remplacés avec de l’argent qu’elle avait; elle n’a pas emprunté cette somme à une source extérieure.

 

14.       Durant le mois de décembre 1992, le taux d’intérêt préférentiel demandé aux entreprises par les banques à charte canadiennes était de 7,25 p. 100, comme l’indique la Revue de la Banque du Canada, édition Hiver 1994‑1995, figurant comme pièce 11 en annexe aux présentes.

 

15.       Durant l’année civile 1993, les taux d’intérêt préférentiels demandés aux entreprises par les banques à charte canadiennes ont varié entre 6,75 p. 100 qu’ils étaient en janvier 1993 et 5,5 p. 100 qu’ils étaient en décembre 1993, comme l’indique la Revue de la Banque du Canada, édition Hiver 1994‑1995, figurant comme pièce 11 en annexe aux présentes.

 

16.       Durant l’année civile 1994, les taux d’intérêt préférentiels demandés aux entreprises par les banques à charte canadiennes ont varié entre 5,5 p. 100 qu’ils étaient en janvier 1994 et 8 p. 100 qu’ils étaient en juin et décembre 1994, comme l’indique la Revue de la Banque du Canada, édition Hiver 1994‑1995, figurant comme pièce 11 en annexe aux présentes.

 

17.       Durant l’année civile 1995, les taux d’intérêt préférentiels demandés aux entreprises par les banques à charte canadiennes ont varié entre 9,75 p. 100 qu’ils étaient en mars 1995 et 7,5 p. 100 qu’ils étaient en décembre 1995, comme l’indique la Revue de la Banque du Canada, édition Hiver 1995‑1996, figurant comme pièce 12 en annexe aux présentes.

 

18.       Durant le mois de décembre 1992, le taux préférentiel demandé par les banques américaines était de 6 p. 100, comme l’indique la Revue de la Banque du Canada, édition Hiver 1994‑1995, figurant comme pièce 11 en annexe aux présentes.

 

19.       Durant l’année civile 1993, le taux préférentiel demandé par les banques américaines était de 6 p. 100, comme l’indique la Revue de la Banque du Canada, édition Hiver 1994‑1995, figurant comme pièce 11 en annexe aux présentes.

 

20.       Durant l’année civile 1994, les taux préférentiels demandés ont varié entre 6 p. 100 qu’ils étaient en janvier 1994 et 8,5 p. 100 qu’ils étaient en décembre 1994, comme l’indique la Revue de la Banque du Canada, édition Hiver 1994‑1995, figurant comme pièce 11 en annexe aux présentes.

 

21.       Durant l’année civile 1995, les taux préférentiels demandés par les banques américaines ont varié entre 9 p. 100 qu’ils étaient en février 1995 et 8,5 p. 100 qu’ils étaient en décembre 1995, comme l’indique la Revue de la Banque du Canada, édition Hiver 1995‑1996, figurant comme pièce 12 en annexe aux présentes.

 

22.       Durant l’année d’imposition 1995, l’appelante a racheté 24 750 de ses actions ordinaires en circulation détenues précédemment par Teri Buckley, en contrepartie d’une somme de 372 613 $ qui incluait un billet de 335 352 $ portant intérêts au taux de 6,75 p. 100 par année, comme l’indiquent les notes 5 et 6 afférentes aux états financiers de l’appelante pour l’année se terminant le 31 décembre 1995, lesquelles notes constituent la pièce 18 annexée aux présentes.

 

23.       Au 31 janvier 1991, l’appelante détenait des actifs sous la forme de sommes d’argent et de dépôts à court terme s’élevant à 5 503 866 $, comme l’indiquent les états financiers de l’appelante au 31 janvier 1991 figurant comme pièce 13 en annexe aux présentes.

 

24.       Au 31 janvier 1992, l’appelante détenait des actifs sous la forme de sommes d’argent et de dépôts à court terme s’élevant à 7 214 143 $, comme l’indiquent les états financiers de l’appelante au 31 janvier 1992 figurant comme pièce 14 en annexe aux présentes.

 

25.       Au 31 janvier 1993, l’appelante détenait des actifs sous la forme de sommes d’argent et de dépôts à court terme s’élevant à 7 791 902 $, comme l’indiquent les états financiers de l’appelante au 31 janvier 1993 figurant comme pièce 15 en annexe aux présentes.

 

26.       Au 31 décembre 1993, l’appelante détenait des actifs sous la forme de sommes d’argent et de dépôts à court terme s’élevant à 6 432 713 $, comme l’indiquent les états financiers de l’appelante au 31 décembre 1993 figurant comme pièce 16 en annexe aux présentes.

 

27.       Au 31 décembre 1994, l’appelante détenait des actifs sous la forme de sommes d’argent et de dépôts à court terme s’élevant à 6 298 202 $, comme l’indiquent les états financiers de l’appelante au 31 décembre 1994 figurant comme pièce 17 en annexe aux présentes.

 

28.       Au 31 décembre 1995, l’appelante détenait des actifs sous la forme de sommes d’argent et de dépôts à court terme s’élevant à 5 802 674 $, comme l’indiquent les états financiers de l’appelante au 31 décembre 1995 figurant comme pièce 18 en annexe aux présentes.

 

29.       Dans le calcul de son revenu pour ses années d’imposition se terminant le 31 janvier 1993, le 31 décembre 1993, le 31 décembre 1994 et le 31 décembre 1995, l’appelante a déduit les paiements d’intérêts faits aux actionnaires remplacés, à savoir les montants de 61 264 $, de 463 732 $, de 545 330 $ et de 538 801 $ respectivement.

 

30.       Dans le calcul de son revenu pour ses années d’imposition se terminant le 31 janvier 1993, le 31 décembre 1993, le 31 décembre 1994 et le 31 décembre 1995, l’appelante a déclaré un revenu en intérêts provenant de ses dépôts à court terme, à savoir les montants de 434 961 $, de 294 965 $, de 315 998 $ et de 309 168 $, comme l’indiquent les états financiers de l’appelante au 31 janvier 1993, au 31 décembre 1993, au 31 décembre 1994 et au 31 décembre 1995, lesquels états figurent comme pièces 15 et 18 en annexe aux présentes.

 

31.       Au 31 janvier 1993, les taux d’intérêt relatifs aux dépôts à court terme de l’appelante ont varié entre 4,15 p. 100 et 8,75 p. 100 par année, comme l’indique le tableau des intérêts à recevoir sur dépôts à terme qui figure comme pièce 19 en annexe aux présentes.

 

32.       Le 5 février 1996, le ministre a, pour les années d’imposition de l’appelante se terminant le 31 janvier 1993, le 31 décembre 1993 et le 31 décembre 1994, établi de nouvelles cotisations (pièce 20 annexée aux présentes) et rejeté les demandes de déduction de frais d’intérêts de 61 264 $, de 463 732 $ et de 545 330 $ respectivement.

 

33.       Le 24 mars 1997, le ministre a, pour l’année d’imposition de l’appelante se terminant le 31 décembre 1995, établi une nouvelle cotisation (pièce 21 annexée aux présentes) et rejeté la demande de déduction de frais d’intérêts de 538 801 $.

 

34.       Par suite du rejet des demandes de déduction de frais d’intérêts de l’appelante, les pertes autres qu’en capital indiquées par l’appelante pour ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 1993 et le 31 décembre 1994 ont été ramenées de 727 300 $ à 263 568 $ et de 824 937 $ à 279 607 $ respectivement.

 

35.              Par conséquent, les sommes pouvant être déduites comme pertes autres qu’en capital pour les années d’imposition se terminant le 31 décembre 1991 et le 31 décembre 1992 ont également été ramenées de 727 300 $ à 263 568 $ et de 824 937 $ à 279 607 $ respectivement.

 

36.       Le 6 juin 1997, le ministre a établi à l’égard de l’appelante, pour ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 1993 et le 31 décembre 1994, des déterminations de pertes autres qu’en capital — pièce 22 annexée aux présentes — par lesquelles il a :

 

a)         refusé la déduction des frais d’intérêts de 463 732 $ et de 545 330 $, respectivement, engagés par l’appelante dans ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 1993 et le 31 décembre 1994;

 

b)         ramené de 727 300 $ à 263 568 $ et de 824 937 $ à 279 607 $, respectivement, les pertes autres qu’en capital de l’appelante pour ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 1993 et le 31 décembre 1994.

 

37.       Le 3 mai 1996, l’appelante a fait opposition aux nouvelles cotisations établies par le ministre pour ses années d’imposition se terminant le 31 janvier 1991, le 31 janvier 1992, le 31 janvier 1993, le 31 décembre 1993 et le 31 décembre 1994, comme l’indique la copie des avis d’opposition figurant comme pièce 23 en annexe aux présentes.

 

38.       Le 19 juin 1997, l’appelante a fait opposition à la nouvelle cotisation établie par le ministre pour son année d’imposition se terminant le 31 décembre 1995, comme l’indique la copie de l’avis d’opposition figurant comme pièce 24 en annexe aux présentes.

 

39.       Le 4 septembre 1997, l’appelante a fait opposition aux déterminations de pertes autres qu’en capital établies par le ministre pour ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 1993 et le 31 décembre 1994, comme l’indique la copie des avis d’opposition figurant comme pièce 25 en annexe aux présentes.

 

40.       Le 12 septembre 1997, le ministre a ratifié les nouvelles cotisations établies à l’égard de l’appelante pour ses années d’imposition se terminant le 31 janvier 1991, le 31 janvier 1992, le 31 janvier 1993, le 31 décembre 1993, le 31 décembre 1994 et le 31 décembre 1995, ainsi que les déterminations de pertes autres qu’en capital établies à l’égard de l’appelante pour ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 1993 et le 31 décembre 1994, comme l’indique la copie de la notification de ratification figurant comme pièce 26 en annexe aux présentes.

 

[...]

 

[5]     Au début de l’audience, l’avocat de l’appelante a informé la Cour que, la veille au soir, le père du témoin expert de l’appelante avait été victime d’un accident cérébrovasculaire. Non seulement le témoin expert était ébranlé, mais il pouvait être appelé à n’importe quel moment au chevet de son père. L’avocat a demandé à la Cour si le témoignage de l’expert pouvait être remis à plus tard. L’avocate de l’intimée ne s’est pas opposée à cette demande, à laquelle la Cour a fait droit.

 

[6]     La Cour a accepté la suggestion des parties que, comme il n’y avait pas de témoignage d’expert, des arguments soient entendus d’abord sur la question de la déductibilité des intérêts et que, selon la décision de la Cour sur cette question, les parties soient entendues à une date ultérieure au sujet du caractère raisonnable des frais d’intérêts.

 

[7]     La Cour a entendu le témoignage de Donald Silver. M. Silver est actuellement conseiller en affaires, le groupe de sociétés ayant été vendu en janvier 1999. C’était son père, Robert Silver, et son oncle, Lewis Malissa, qui avaient mené les négociations relatives au règlement, mais ils n’ont pu se présenter pour témoigner, vu leur âge et leur état de santé. Donald Silver était toutefois à cette époque le président du groupe de sociétés et avait donc été mêlé de près aux négociations.

 

[8]     Comme l’indique l’exposé conjoint partiel des faits et documents, il y avait eu de gros différends entre les descendants de Samuel Silver et de William Silver, d’une part, et les descendants de Lewis Silver, d’autre part. Donald Silver est le petit‑fils de William Silver.

 

[9]     Donald Silver a expliqué que, en 1992, il était devenu président de Penn Ventilator Company Inc., ci‑après appelée Penn US. De 1978 à 1992, il avait occupé divers postes de direction dans le domaine de la vente, de la commercialisation et de la fabrication. En 1986, il avait été nommé vice‑président de Penn US. En 1990, il avait été nommé directeur de l’exploitation du groupe de sociétés. Il était en outre responsable de l’ingénierie, du développement du produit et des opérations d’usine. En 1992, il a été nommé président de Penn US et a continué d’assumer ses responsabilités auprès de Penn Canada — davantage dans un rôle de direction.

 

[10]    Les trois fondateurs de Penn US étaient William Silver — grand‑père de Donald Silver —, Lewis Silver et Samuel Silver. En 1928, leur mère leur avait prêté de l’argent pour l’achat des actifs d’une tôlerie. Ils fabriquaient des appareils de ventilation et des cache‑radiateurs. Au cours de la période allant de 1928 à la fin des années 1950, l’entreprise est passée d’une envergure régionale à une envergure nationale grâce à la distribution de ses produits par l’intermédiaire de représentants de fabricants.

 

[11]    Penn Canada — l’appelante — a été fondée au début des années 1960. La raison de l’établissement d’une société au Canada tenait au fait que, en fabriquant des produits au Canada et en les distribuant au Canada, cela supprimait les tarifs douaniers. Penn Canada ne vendait pas de produits aux États‑Unis, mais elle en vendait dans d’autres pays. Le principal fournisseur de Penn Canada était Penn US. Penn Canada était, à bien des égards, une version miniature de Penn US, offrant des produits de chauffage et de ventilation semblables.

 

[12]    Dans les années 1991 à 1995, il y avait neuf unités de production. Il y en avait deux au Canada, trois à Philadelphie, une en Caroline du Nord, une en Virginie occidentale et une dans le Kentucky.

 

[13]    Au début des années 1990, il y a eu une récession dans le domaine de la construction. En plus de la pression sur les prix, il y avait l’avènement de l’accord de libre‑échange. Les concurrents de l’appelante ont commencé à exporter au Canada. Pour s’adapter, l’appelante a commencé à importer des États‑Unis des pièces devant être assemblées et distribuées au Canada, au lieu de les fabriquer elle‑même. La nature des opérations de l’appelante a changé, l’entreprise passant de la fabrication à l’assemblage.

 

[14]    À la fin des années 1980, la relation entre les membres de la deuxième génération, c’est-à-dire entre le père de Donald Silver et ses cousins, était devenue une relation empreinte de beaucoup d’irritabilité et de rancœur. En 1989, Robert Silver avait demandé à deux membres de la famille de se retirer, à savoir Hermann Kramer et Melvin Silver, qui formaient l’ensemble du groupe Lewis Silver. Ces personnes ont retenu les services d’un avocat, et leurs demandes se sont multipliées. Une action a fini par être intentée, et une période de vives querelles a commencé. La réclamation en cause figure à la section 1 de la pièce A‑3.

 

[15]    Ce qui était exigé, c’était que l’on fasse en sorte que le groupe paie 20 millions de dollars sous la forme d’un dividende spécial ou qu’il rachète ses actions à leur juste valeur ou que la société soit vendue à un tiers et que le groupe de sociétés soit liquidé.

 

[16]    Le témoin a expliqué qu’un paiement de 20 millions de dollars US en dividendes aurait enlevé toutes ses liquidités au groupe de sociétés, qui aurait également dû fournir 4 millions de dollars comptant.

 

[17]    Une menace subséquente était que les actionnaires du groupe Lewis Silver doivent se retirer de la société de personnes Silver Fund. Le témoin a déclaré qu’il leur avait été expliqué que le retrait d’un associé d’une société de personnes en Pennsylvanie entraînerait la dissolution de cette société de personnes et la liquidation et la distribution de ses actifs.

 

[18]    Donald Silver a raconté que, devant la menace de voir les actionnaires du groupe Lewis Silver se retirer de la société de personnes Silver Fund, on avait de son côté de la famille cherché non plus à contester l’action, mais à trouver un mode de règlement, pour éviter la dissolution de Silver Fund.

 

[19]    La société de personnes Silver Fund était propriétaire d’environ 80 p. 100 des actifs utilisés ou loués par le groupe de sociétés. Ces actifs étaient composés des biens immobiliers, de l’équipement et d’autres immobilisations. De la même manière, des actifs au Canada appartenaient à Silver Fund.

 

[20]    Le groupe de sociétés cherchait une sorte de règlement qu’il pourrait offrir tout en se maintenant lui‑même. Donald Silver a relaté que cette période avait également été une période de changements importants dans le groupe de sociétés : passage à la génération suivante, composée de lui‑même et de son cousin Dean R. Malissa; passage de la fabrication de pièces dans chacune des usines éloignées à la fabrication de pièces dans un endroit central et à l’envoi de celles‑ci aux usines d'assemblage; élaboration de nouveaux produits pour affronter la concurrence; recherche de nouveaux clients; cimentation des rapports avec la clientèle établie.

 

[21]    Le groupe de sociétés voulait garder autant d’argent qu’il pouvait pour être en mesure d’agir rapidement face à une occasion d’acheter une société. Il fallait en outre investir en recherche‑développement, effectuer des travaux d’assainissement de l’environnement et installer un système informatique complètement nouveau.

 

[22]    Cela signifiait que le groupe de sociétés devrait consolider les opérations, déménager l’équipement, procéder à des mises à pied et verser des indemnités de licenciement. Cela signifiait aussi que des frais importants de recherche‑développement devraient être engagés. Les sociétés avaient en outre des problèmes liés à l’environnement. Le système informatique devait être remplacé. On voulait prendre de l’expansion en acquérant de nouvelles sociétés ou élaborer de quelque manière une plus grande variété de produits pour livrer une concurrence efficace dans l’industrie du chauffage, de la ventilation et de la climatisation.

 

[23]    Le litige demandait énormément de temps aux cadres supérieurs du groupe de sociétés. De leur côté de la famille, on avait accepté de payer 9 385 000 $ au groupe d’actionnaires de la famille de Lewis Silver sur une période de huit ans. Les mécanismes financiers sont décrits en détail dans l’exposé conjoint des faits et documents. Entre autres choses, le règlement incluait le rachat par Penn Canada de 165 000 de ses actions ordinaires détenues par ces actionnaires. Penn Canada rachetait les actions en payant 500 000 $US comptant et en émettant un billet d’un montant de 2 650 000 $US.

 

[24]    Donald Silver considérait que la société pouvait ainsi garder le plus d’argent possible. Le taux d’intérêt sur le billet était de 15 p. 100, alors que le taux préférentiel était beaucoup moins élevé. Donald Silver a expliqué que les membres du groupe Lewis Silver étaient en mesure d’exiger un règlement qu’ils jugeaient favorable pour eux. Vu notamment la position juridique qu’ils avaient adoptée quant au fait que les actionnaires du groupe Lewis Silver devaient se retirer de la société de personnes Silver Fund, leurs exigences étaient grandes. De plus, ils acceptaient de prendre un billet dans une société fermée subissant pas mal de changements, ce qui était risqué pour eux, et le risque est toujours récompensé par des taux d’intérêt supérieurs.

 

[25]    Les états financiers de Penn Canada pour l’exercice 1997 ont été produits comme pièces sous la cote R‑4. La note 6 — solde de vente à payer — indique que le billet ne figure plus dans les livres de la société canadienne. Il y figurait pour 1996, comme s’élevant à 3 632 090 $, mais n’y figure plus pour 1997. Donald Silver a expliqué que Penn US l’avait acheté en échange d’actions du capital le 1er janvier 1997. La raison en était que l’on entendait fusionner ou intégrer les sociétés et que l’achat en question était considéré comme étant dans l’intérêt financier du groupe de sociétés.

 

[26]    À la question de l’avocate de l’intimée quant à savoir s’il aurait été possible d’emprunter à une banque les 5 millions de dollars US et de payer un taux bien inférieur au taux de 15 p. 100, Donald Silver a répondu que cela aurait été possible, mais qu’il y avait deux raisons pour lesquelles ils ne l’avaient pas fait. Ils estimaient qu’ils seraient beaucoup plus maîtres de leur destinée s’ils émettaient un billet plutôt que de nouer une vaste relation avec une banque, et la seconde raison tenait davantage au fait que, dans l’esprit de la famille, il fallait éviter de s’endetter envers une banque, si c’était possible.

 

[27]    François Overvelde a témoigné pour l’intimée. M. Overvelde, maintenant à la retraite, est comptable accrédité. En 1995, il était vérificateur des transactions internationales pour le ministre. Sa vérification concernant l’appelante a commencé en 1995 et s’est terminée en 1996. Les rapports de M. Overvelde figurent aux sections 11 et 12 de la pièce R‑1. Ils sont datés respectivement du 18 janvier 1996 et du 11 février 1997. Le rapport sur l’opposition — T401 — figure à la section 13. Il a été rédigé et signé par des agents des appels.

 

[28]    M. Overvelde a relaté que, en analysant les états financiers, il avait vu qu’il y avait eu un rachat d’actions et qu’un billet avait été émis en faveur des actionnaires en contrepartie. Il a dit qu’il avait examiné toutes les études disponibles sur la question des frais d’intérêts liés à un rachat d’actions. Le problème était qu’il s’agissait non pas d’une somme d’argent qui avait été empruntée, mais d’un billet qui avait été émis et que, à cet égard, les critères de l’alinéa 20(1)c) n’étaient pas respectés. En vertu du sous‑alinéa 20(1)c)(i), il faut que de l’argent ait été emprunté et, en vertu du sous‑alinéa 20(1)c)(ii), il faut qu’un bien ait été acquis en vue de gagner un revenu. En 1997, étant donné que les frais d’intérêts n’avaient pas été admis, le groupe de sociétés a trouvé une autre méthode.

 

[29]    Concernant le taux de 15 p. 100, M. Overvelde a dit qu’il n’avait pas analysé cet aspect.

 

[30]    Dans le rapport de M. Overvelde (section 11 de la pièce R‑1) pour les années 1991 à 1994, il est indiqué à la page 2, au paragraphe 3 intitulé  Honoraires reliés au rachat, que M. Overvelde a admis une somme de 80 145 $ au titre de frais juridiques. Ces frais juridiques se rapportaient au règlement incluant le rachat d’actions. M. Overvelde a dit qu’il considérait que ce règlement avait eu une certaine influence sur l’exploitation de la société. Il avait décidé d’accepter l’argument voulant que ces frais soient déductibles, puisqu’ils avaient été engagés pour la bonne gestion de l’entreprise, et il avait admis la déduction de ces frais. Il a toutefois ajouté qu’il n’était pas certain quant à savoir s’il avait eu raison de faire cela.

 

[31]    Le montant total des frais juridiques était de 350 000 $, dont 100 000 $ avaient été attribués à l’appelante, car celle‑ci avait eu à prendre en charge environ le tiers du règlement. Sur ces 100 000 $US — ce qui représente environ 124 000 $CAN —, une somme de 80 145 $ était incluse dans les frais, et une somme de 44 000 $ était capitalisée dans le billet. Voici un extrait du rapport du vérificateur figurant à la section 11 de la pièce R‑1 :

 

[CITATION TEXTUELLE]

 

3 – Honoraires reliées au rachat

 

Nous avons questionné à savoir si le montant que le USA a chargé à Canada suite au litige entre les actionnaires/administrateurs. Suite à leurs représentations, une partie avait capitalisé au rachat des actions et une autre chargée à honoraire professionnelle, nous avons décidé d’accepter leurs argumentations qu’une partie du litige était déductible puisqu’elle se rapportait à la bonne gestion de l’entreprise. Il fallait que la société et les autres actionnaires se défendent pour pouvoir continuer à bien opérer. Le montant chargé aux opérations fut 80 145 $ et la partie au rachat fut 44 600 $ pour un total de 100 000 US$ sur un total de coût de 350 000 US$. Le montant chargé à Canada a été calculé en proportion de la valeur des bilans de chacune des sociétés du groupe Penn.

 

[...]

 

[32]    M. Overvelde disait également que les 15 p. 100 d’impôt des non‑résidents avaient été retenus et versés au ministre sur les intérêts payés aux anciens actionnaires.

 

[33]    Dans le rapport du vérificateur figurant à la section 11 de la pièce R‑1, on peut lire que l’appelante s’était conformée aux exigences du paragraphe 84(3) et de l’alinéa 212(2)a) de la Loi et, dans le rapport T401 qui figure à la section 13, on peut lire que, si l’appelante avait emprunté de l’argent au lieu d’émettre un billet, les frais d’intérêts auraient été déductibles.

 

[CITATION TEXTUELLE]

 

1 – Rachat des actions des actionnaires américains

 

Nous avons retracé la transaction aux livres de la société en date de décembre 1992. La transaction rencontrait les exigences du paragraphe 84(3). Aussi, des Retenues à la Source ont été effectuées conformément à la Loi et remis au Ministère en janvier 1993 et reporté sur les NR4 et NR4 Sommaires appropriées de 1992 puisque ce rachat constitue un dividende présumé sujet, dans le cas d’un bénéficiaire non résident, à la RAS selon l’alinéa 212(2)a). Sa société était contrôlé par trois groupes d’actionnaires et un des groupes a été racheté suite à des mésententes entre les membres de ce groupe et les autres membres des autres groupes.

 

Le rachat s’est fait pour un montant de 3 150 000 US$. La RAS de 15%, les actionnaires étant des individus, au montant de 472 500 US$, a été remis sur ce montant. Le contribuable n’a pas considéré le capital versé de 1 500 CAN$ dans le calcul; montant non significatif. Un montant de 500 000 US$ devait être comptant. On a appliqué la RAS contre ce paiement comptant. Ceci laisse un solde à payer aux anciens actionnaires de (3 150 000 — 500 000 =) 2 677 500 US$. La transaction a donc par conséquent été bien traitée selon la Loi.

 

Nous disons aux représentants que nous comprenons qu’il s’agit d’une situation sympathique, car si le c/t avait procédé autrement, (emprunt réel), il aurait pu déduire les intérêts.

 

Argumentation de l’appelante

 

[34]    L’avocat de l’appelante invoquait les paragraphes 9(1) et 9(2), l’alinéa 18(1)a), les sous‑alinéas 20(1)c)(i) et  20(1)c)(ii) et l’alinéa 111(1)a) de la Loi. Comme premier argument, il soutenait qu’un paiement fait pour préserver la capacité d’une société de gagner un revenu est un paiement effectué en vue de tirer un revenu d’une entreprise.

 

[35]    Le risque de devoir payer des dividendes spéciaux d’au moins 20 millions de dollars US et d’être ainsi privé de liquidités et la menace relative à la distribution des actifs qu’aurait occasionné le fait que les demandeurs se retirent de la société de personnes Silver Fund, paralysaient l’entreprise de l’appelante. Le péril était tel que les administrateurs de l’appelante étaient incapables de gérer et d'exploiter efficacement l’entreprise de l’appelante, dans le cours normal des affaires. Il était nécessaire de régler le différend.

 

[36]    L’avocat a fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Premium Iron Ores Ltd. v. M.N.R., 66 DTC 5280, et notamment à la partie de la décision où le juge Martland a examiné la décision qu’avait rendue le juge Duff dans l’affaire M.N.R. v. Kellogg Co. of Canada, [1943] R.C.S. 58, dans laquelle la contribuable a été autorisée à déduire des frais juridiques qu’elle avait engagés en contestant une action en injonction contre une prétendue atteinte — à des marques de commerce déposées — liée à l’utilisation de certains termes concernant la vente de ses produits. Commentant cette affaire, le juge Martland disait dans l'arrêt Premium Iron Ores Ltd. :

 

[TRADUCTION]

Il est clair que ces frais n’ont pas été engagés seulement en vue de gagner un revenu dans l’année dans laquelle ils ont été engagés. Ils n’ont pas directement donné lieu à un revenu. Toutefois, ils ont été engagés en vue de protéger la capacité de la société de gagner un revenu, car il faut présumer que la perte du droit à l’utilisation des termes liés aux ventes de la société aurait indirectement résulté en une réduction du revenu de la société non seulement dans l’année dans laquelle les frais ont été engagés, mais aussi dans les années futures.

 

[37]    Le juge Martland a ensuite statué que les frais juridiques que la contribuable dans l’affaire Premium Iron Ores Ltd. avait engagés en se défendant pour protéger son revenu étaient déductibles.

 

[38]    L’avocat a fait référence aux affaires British Columbia Power Corporation Limited v. M.N.R., 67 DTC 5258 (C.S.C.), et Atkins and Durbrow Limited v. M.N.R., 65 DTC 125 (C.A.I), qui étayent à son avis la position selon laquelle un paiement effectué en règlement d’un différend d’actionnaires doit être considéré comme ayant été fait dans le cadre du processus consistant pour l’entreprise de la société à gagner un revenu. Dans l’affaire British Columbia Power, la Cour suprême du Canada a autorisé la contribuable à déduire les frais qu’elle avait engagés pour communiquer avec ses actionnaires. L’avocat disait que la Cour avait reconnu qu’en droit le contrôle ultime d’une société par actions à responsabilité limitée revient aux actionnaires et que ce sont eux qui ont juridiquement le pouvoir de déterminer l’orientation de la société; l’avocat disait que la Cour avait ainsi autorisé la contribuable à déduire, comme dépenses d’entreprise, les frais raisonnables qu’elle avait engagés pour fournir de l’information aux actionnaires. Dans cette veine, on pourrait dire que le rachat des actions des actionnaires dissidents avait mis un terme au problème de régie de la société et faisait donc à juste titre partie de l’exploitation de l’entreprise de l’appelante consistant à gagner un revenu, comme dans l’affaire British Columbia Power.

 

[39]    Comme deuxième argument, l’avocat de l’appelante a fait valoir que, en vertu du droit des sociétés, il y a une présomption voulant que l’appelante ait racheté les actions en vue de gagner un revenu.

 

[40]    En vertu du droit des sociétés, les administrateurs doivent agir dans l’intérêt de la société, c’est‑à‑dire d’une manière favorisant la prospérité future de la société. Dans l’affaire M.R.N. c. Neuman, (1re inst.), [1994] 2 C.F. 154 (94 DTC 6094), il a été statué qu’il y a une présomption selon laquelle un administrateur de société est réputé agir conformément aux obligations de représentant auxquelles il est assujetti. Il y a donc une présomption voulant que les actions aient été acquises par l’appelante en vue de tirer un revenu de son entreprise.

 

[41]    L’avocat de l’appelante soutenait par conséquent que les intérêts payés par l’appelante relativement au prix d’achat de ses 165 000 actions ordinaires étaient des frais que l’appelante avait engagés en vue de tirer un revenu d’une entreprise.

 

[42]    Comme troisième argument, l’avocat de l’appelante soutenait que les frais d’intérêts de l’appelante avaient le caractère de frais d’exploitation et non d’une dépense en capital et qu’ils seraient ainsi déductibles en vertu de l’article 9 de la Loi. Il a fait référence à la décision rendue par notre cour dans l’affaire Gifford c. La Reine, C.C.I., no 2000‑2969(IT)I, 15 février 2001 (2001 DTC 168), dans laquelle le juge en chef adjoint Bowman a conclu qu’il pouvait examiner la question de savoir si des frais d’intérêts étaient des frais d’exploitation par opposition à une dépense en capital. De l’avis du juge Bowman, des frais d’intérêts ont le caractère d’une dépense en capital ou de frais d’exploitation selon ce pour quoi l’argent emprunté est utilisé. Il ne croit pas que la Cour suprême du Canada a statué que des frais d’intérêts sont invariablement une dépense en capital. Le savant juge faisait également remarquer que l’alinéa 20(1)c) de la Loi n’était pas la seule voie quant à la déductibilité de frais d’intérêts en tant que dépense d’entreprise et que la déduction de tels frais selon l’article 9 de la Loi était possible, pourvu que ce ne soit pas interdit par d’autres dispositions comme les alinéas 18(1)a), b) ou h). Sa conclusion selon laquelle l’alinéa 20(1)c) ne représentait pas un code exclusif concernant la déduction de frais d’intérêts est étayée par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire La Reine c. Boulangerie St‑Augustin Inc., C.A.F., no A‑574‑94, 28 novembre 1996 (97 DTC 5012), confirmant C.C.I. no 92‑1974(IT)G, 3 octobre 1994 (95 DTC 164), dans laquelle il a été statué que le fait que des frais n’entrent pas dans le cadre du sous‑alinéa 20(1)g)(iii) n’empêche pas la déduction de ces frais selon l’article 9, pourvu que ce ne soit pas interdit par les alinéas 18(1)a) ou b).

 

[43]    L’avocat de l’appelante a fait valoir que le sous‑alinéa 20(1)c)(ii) a été édicté en 1950 par suite de la décision rendue dans l'affaire M.N.R. v. T.E. McCool Limited, 49 DTC 700, dans laquelle la Cour suprême du Canada avait statué qu’un billet émis en paiement de l’acquisition d’un bien productif de revenu ne représentait pas de l’argent emprunté et que les intérêts sur un tel billet n’étaient donc pas déductibles en vertu du sous‑alinéa 20(1)c)(i) de la Loi. Dans cette perspective, l’avocat arguait que les intérêts payés sur le billet en l’espèce avaient été payés pour acquérir les actions des actionnaires dissidents afin de préserver une entreprise. Le paiement peut donc être assimilé à une acquisition de biens faite en vue de tirer un revenu d’une entreprise au sens du sous‑alinéa 20(1)c)(ii) de la Loi.

 

[44]    Le sous‑alinéa 20(1)c)(ii) de la Loi indique que le but doit être de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. L’avocat soutient que le fait que les actions ont été annulées ne signifie pas que le but de l’acquisition des actions n’était pas de tirer un revenu d’une entreprise.

 

[45]    Enfin, l’avocat de l’appelante soutenait que, comme il est bien établi depuis la décision de la Cour de l’Échiquier du Canada dans l'affaire Trans‑Prairie Pipelines Ltd. v. M.N.R., 70 DTC 6351, que de l’argent emprunté et utilisé par une société pour racheter ses propres actions est de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise au sens de l’alinéa 20(1)c) de la Loi, le billet en l’espèce a été émis pour une telle utilisation admissible directe.

 

Argumentation de l’intimée

 

[46]    L’avocate de l’intimée soutenait que la question soumise à la Cour était de savoir si les intérêts payés aux actionnaires dissidents par suite du rachat de leurs actions par l’appelante étaient déductibles en vertu des sous‑alinéas 20(1)c)(i) ou 20(1)c)(ii) ou du paragraphe 9(1) de la Loi.

 

[47]    L’avocate disait que le principal point litigieux se résumait à la question suivante : en fait et en droit, les frais d’intérêts ont‑ils été engagés en vue de tirer un revenu de l’entreprise de l’appelante? La position de l’intimée était que les frais d’intérêts avaient été engagés par l’appelante pour lui permettre de racheter les actions d’actionnaires dissidents. L’objet d’un rachat d’actions n’est pas de gagner un revenu. Un rachat d’actions représente une distribution de capital et influe sur la structure du capital de l’entreprise et non sur le processus consistant pour l’entreprise à gagner un revenu. Si profitables qu’elles soient à l’entreprise dans son ensemble, ces dépenses ne peuvent donc être considérées comme ayant été engagées en vue de tirer un revenu de l’entreprise. Elles pourront avoir un effet sur le revenu de l’appelante dans les années à venir, mais la thèse de l’intimée est qu’il s’agit d’un effet indirect lointain qui ne permet pas à l’appelante de déduire les dépenses en question.

 

[48]    L’avocate soutenait que la preuve montrait que les frais d’intérêts n’avaient pas été engagés dans le cadre du processus consistant à gagner un revenu, c’est‑à‑dire qu’ils n’ont pas été engagés dans le cadre des opérations, transactions ou services par lesquels l’appelante gagnait son revenu et qu’ils ne peuvent être considérés comme ayant été engagés en vue de gagner un revenu au sens de l’alinéa 20(1)c) et, dans la mesure où la Cour le juge pertinent, au sens de l’alinéa 18(1)a).

 

[49]    Concernant le sous‑alinéa 20(1)c)(i), aucune somme d’argent n’a été empruntée. Un billet n’est pas un emprunt. Pour ce qui est de la décision — mentionnée précédemment par l’avocat de l’appelante — que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’affaire M.N.R. v. T.E. McCool Ltd., précitée, l’avocate de l’intimée en a cité les extraits suivants, qui figurent aux pages 708, 709 et 712 :

 


[TRADUCTION]

[...]

Des termes comme « capital emprunté » et « argent emprunté » figurant dans la législation fiscale ont été interprétés comme désignant du capital ou de l’argent emprunté dans le cadre d’une relation prêteur‑emprunteur : Inland Revenue Commissioners v. Port London Authority, [1923] A.C. 507; Inland Revenue Commissioners v. Rowntree & Co. Ltd., [1948] 1 All E.R. 482; Dupuis Frères Ltd. v. Minister of Customs and Excise, [1927] R. C. de l’É. 207. En déterminant si cette relation existe, il faut déterminer le véritable caractère de l’opération. Dans ce cas‑ci, le billet résulte d’un échange, précédemment exposé en détail, dans lequel le prix d’achat a été payé par la prise en charge d’engagements en cours, un petit paiement comptant, l’attribution d’actions du capital et la signature et la livraison de ce billet. Dans de telles circonstances, il ne peut être statué qu’une relation prêteur‑emprunteur concernant ce billet existe entre la société intimée et le bénéficiaire du billet.

 

[...]

[...] Comme disait le vicomte Finlay dans l’affaire Commissioners of Inland Revenue v. Port of London Authority, [1923] A.C. 507, à la page 514, pour que la loi s’applique, [TRADUCTION] « il faut un prêt réel et un emprunt réel ». En l’espèce, il n’y a qu’un prix d’achat impayé, garanti par un billet, ce qui est insuffisant à mon avis. Il ne suffit pas de dire que, si la société avait emprunté le montant du billet et l’avait versé à McCool, elle aurait eu droit à la déduction. C’est peut-être vrai, mais cela n’a pas été fait, et la loi ne s’applique pas. Cet appel devrait également être rejeté.

 

[50]    En ce qui a trait au sous‑alinéa 20(1)c)(ii) de la Loi, l’avocate a dit que, dans l’affaire Livingston International Inc. c. La Reine, C.A.F., no A‑20‑91, 11 février 1992 (92 DTC 6197), à la page 2 (DTC : aux pages 6197 et 6198), la Cour d’appel fédérale a déterminé qu’un rachat d’actions n’est pas une acquisition d’actions :

 

[...] comme les opérations ont pris la forme d’une fusion suivie du rachat d’actions, la contribuable ne saurait à bon droit affirmer maintenant qu’il s’agissait d’une acquisition d’actions de sa part. La Cour doit tenir compte de ce que la contribuable a effectivement fait et non de ce qu’elle aurait pu faire.

 


[51]    L’avocate a fait référence au passage suivant des motifs du juge Pinard de la section de première instance dans cette cause, C.F., no T-1953-87, 11 décembre 1990 (91 DTC 5066), lequel passage figure aux pages 8 et 9 (5069 et 5070) :

 

Il semble peu probable que l'on puisse appliquer le raisonnement de l'arrêt Trans-Prairie en l'espèce, étant donné que les opérations ont été effectuées quasi instantanément et qu'on ne peut pas vraiment prétendre que les emprunts ont servi à combler la perte laissée par le « retrait » des fonds que l'emprunteur utilisait antérieurement en vue d'exploiter son entreprise. Quoi qu'il en soit, il est clair que si l'on suit le raisonnement exposé dans l'arrêt Trans-Prairie, l'excédent du montant des fonds empruntés sur le montant des bénéfices non répartis et du capital versé de la demanderesse en date du 20 août 1979 ne peut pas être considéré comme ayant servi à remplacer le capital qui a été utilisé dans le passé en vue d'exploiter son entreprise. [...]

 

[52]    Même si le billet était assimilé à un emprunt pour l’acquisition d’actions, le principal n’a pas été utilisé en vue de tirer un revenu de l’entreprise. Il a été utilisé pour racheter des actions. Le but immédiat de l’émission du billet était de permettre à l’appelante de racheter les actions des actionnaires remplacés. Le fait de changer l’organisation du capital social en éliminant des actionnaires dissidents ne peut être considéré comme faisant partie du processus consistant pour l’entreprise à gagner un revenu. Le rachat des actions n’avait rien à voir avec les opérations quotidiennes de l’entreprise. Depuis la décision de la Cour suprême dans l’affaire Bronfman Trust c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 32, le critère consiste à déterminer si l’argent emprunté peut être relié à une utilisation admissible directe, c’est‑à‑dire une utilisation faite en vue de tirer un revenu de l’entreprise.

 

[53]    Même dans la mesure où le rachat des actions pourrait, par l’élimination des actionnaires dissidents et par l’élimination des effets négatifs de la poursuite en justice, permettre d’améliorer de façon générale les opérations de l’appelante, une telle incidence indirecte sur les opérations de l’entreprise est trop lointaine pour être assimilée à une utilisation admissible de l’argent. De plus, même si l’on admet que le but immédiat était de garder dans l’entreprise une somme d’argent importante, ce qui est nié par l’intimée, la preuve révèle que cet argent n’a pas été utilisé pour tirer un revenu de l’entreprise. L’argent en question était détenu dans des dépôts à court terme.

 

[54]    Enfin, s’il y a quelque doute quant à savoir si l’appelante répond aux exigences du sous‑alinéa 20(1)c)(i), il ne faut pas perdre de vue que l’objet du sous‑alinéa 20(1)c)(i) est d’encourager une accumulation de capital donnant lieu à des revenus imposables. Dans ce cas‑ci, on n’a pas ajouté de capital pour accroître les bénéfices de l’appelante. Le sous‑alinéa 20(1)(c)(ii) ne s’applique pas, car aucun bien n’a été acquis et, même s’il peut être considéré qu’en droit un bien a été acquis, il ne s’agit pas d’un bien acquis en vue de tirer un revenu de l’entreprise.

 

[55]    L’avocate de l’intimée soutenait que la théorie du remplacement de bénéfices, c’est-à-dire le raisonnement tenu dans l’affaire Trans‑Prairie Pipelines, ne s’applique pas, car il n’y avait pas d’argent emprunté, il n’y avait pas d’épuisement de bénéfices non répartis et il n’y avait pas de vide à combler. De l’avis de l’avocate, il n’y avait pas d’épuisement de bénéfices non répartis parce qu’il n’y avait pas eu de paiement sur le capital dû relativement au billet — seulement des paiements d’intérêts. Il n’y avait pas de vide à combler, car le capital versé n’était que de 1 500 $.

 

Conclusion

 

[56]    La question litigieuse concerne la déductibilité de frais d’intérêts payés sur un billet émis par l’appelante, en faveur d’actionnaires mécontents, pour racheter leurs actions en vue de régler un différend acrimonieux et perturbateur.

 

[57]    L’avocat de l’appelante a choisi d’invoquer premièrement l’article 9 et l’alinéa 18(1)a) et, deuxièmement, les sous‑alinéas 20(1)c)(i) et (ii). Son premier argument était que les paiements d’intérêts faits aux actionnaires étaient déductibles parce qu’ils avaient été effectués pour protéger la capacité de l’appelante de gagner un revenu, et à cet égard il faisait référence à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Premium Iron Ores Limited, précitée.

 

[58]    Selon mon interprétation, cette décision a été rendue dans des circonstances où il était conclu que les frais juridiques engagés étaient des frais d’exploitation et non une dépense en capital. Cette décision n’indiquait pas que tous les frais juridiques engagés pour protéger la capacité d’une société de gagner un revenu étaient des frais d’exploitation.

 

[59]    Sur ce point, je cite un extrait des propos tenus par le juge Martland dans l’affaire Farmers Mutual Petroleums v. M.N.R., [1967] C.T.C. 396, à la page 400 :

 

[TRADUCTION]

L’avocat de l’appelante a avancé la proposition selon laquelle des frais juridiques engagés pour protéger un droit à un revenu sont déductibles indépendamment de la question de savoir si la protection de ce droit comporte aussi la préservation d’une immobilisation. [...]

 

À mon avis, cette proposition n’est pas valable, car elle va directement à l’encontre de l’objet des alinéas a) et b) de l’article 12 lus ensemble. Pour être déductible aux fins de l’impôt, un débours doit satisfaire à au moins deux critères de base :

 

1)         Il doit être effectué en vue de gagner un revenu (alinéa 12(1)a)).

 

2)         Il ne doit pas s’agir d’un paiement au titre du capital (alinéa 12(1)b)).

 

Il doit être satisfait à ces deux critères pour justifier la déductibilité. Dans l’affaire British Columbia Electric Railway Company v. M.N.R., [1958] R.C.S. 133, [1958] C.T.C. 21, le juge Abbott disait, aux pages 137 et 31 respectivement :

 

[TRADUCTION]

Comme le principal objet de toute entreprise commerciale est vraisemblablement de réaliser un profit, toute dépense faite en vue de gagner un revenu entre dans le cadre de l’alinéa 12(1)a), qu’elle soit considérée comme des frais d’exploitation ou comme une dépense en capital.

 

Une fois déterminé qu’une dépense particulière a été faite en vue de gagner un revenu, il faut, pour calculer l’impôt à payer, déterminer s’il s’agit de frais d’exploitation ou d’une dépense en capital.

 


[60]    Je trouve que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire La Reine c. Jager Homes Ltd., C.A.F., no A‑792‑83, 28 janvier 1998 (88 DTC 6119) — qui faisait partie du recueil de jurisprudence de l’intimée — est utile quant à savoir si les sommes dépensées sont des frais d’exploitation ou des dépenses en capital. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les frais juridiques engagés par les contribuables pour contester une action en liquidation avaient été engagés en vue de gagner un revenu ou s’il s’agissait de débours ou paiements au titre du capital. Il a été conclu après une analyse approfondie des causes pertinentes — dont la plupart étaient les mêmes que celles qui ont été invoquées par l’avocat de l’appelante — que les paiements étaient des paiements au titre du capital parce qu’il s’agissait d’une grosse dépense exceptionnelle, non récurrente, engagée afin d’obtenir un avantage pour le bénéfice durable du contribuable. Le paiement de frais juridiques a été fait afin de préserver l’entité, la structure ou l’organisation commerciale et non pas afin de tirer des profits de l’exploitation de telles entités commerciales.

 

[61]    De même, en l’espèce, le paiement fait par voie de billet pour le règlement du différend des actionnaires était une grosse dépense exceptionnelle, non récurrente, faite en vue d’obtenir un avantage pour le bénéfice durable du contribuable. Je suis convaincue que ce paiement est un paiement au titre du capital. Il n’y a rien dans l’objet de ce paiement qui soit de la nature d’une dépense courante. Comme il a été accepté et même dit par l’avocat de l’appelante que la nature des frais d’intérêts suivrait la nature du principal, les paiements d’intérêts étaient une dépense en capital et non des frais d’exploitation.

 

[62]    Le paiement d’intérêts étant une dépense en capital, l’autre voie possible est celle qui est prévue aux sous‑alinéas 20(1)c)(i) et 20(1)c)(ii), qui se lisent comme suit :

 

20(1)    Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

 

[...]

 

c)         la moins élevée d’une somme payée au cours de l’année ou payable pour l’année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu) et d’une somme raisonnable à cet égard, en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur :

 

(i)         de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien (autre que l’argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d’impôt ou pour prendre une police d’assurance-vie),

 

(ii)        une somme payable pour un bien acquis en vue d’en tirer un revenu ou de tirer un revenu d’une entreprise (à l’exception d’un bien dont le revenu serait exonéré ou à l’exception d’un bien représentant un intérêt dans une police d’assurance-vie),

[...]

 

[63]    Vu la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire M.N.R. v. T.E. McCool Limited, précitée, dans laquelle il a été conclu qu’un billet n’était pas de l’argent emprunté, le sous‑alinéa 20(1)c)(i) ne peut s’appliquer.

 

[64]    Qu’en est‑il du sous‑alinéa 20(1)c)(ii) de la Loi? L’avocate de l’intimée faisait référence aux décisions des sections de première instance et d’appel de la Cour fédérale dans l’affaire Livingston International Inc., précitée, et elle soutenait que ces décisions indiquent que, dans une affaire de rachat d’actions, il n’y a aucune acquisition de biens au sens du sous‑alinéa 20(1)c)(ii) de la Loi. Je crois que ces décisions doivent être examinées soigneusement quant à savoir quelles étaient les circonstances de fait et quant à savoir ce qui a été décidé exactement.

 

[65]    Dans ces affaires, le ministre avait refusé la déduction des frais d’intérêts dans la mesure où de tels intérêts excédaient le capital versé et les bénéfices non répartis. En première instance, tel a été le facteur déterminant pour rejeter l’appel en vertu du sous‑alinéa 20(1)c)(i) — et non le fait qu’aucun bien n’avait été acquis. Le juge Pinard a dit : Quoi qu’il en soit, il est clair que si l'on suit le raisonnement exposé dans l'arrêt Trans-Prairie, l'excédent du montant des fonds empruntés sur le montant des bénéfices non répartis et du capital versé de la demanderesse en date du 20 août 1979 ne peut pas être considéré comme ayant servi à remplacer le capital qui a été utilisé dans le passé en vue d'exploiter son entreprise. La décision de la Cour d’appel fédérale a également été rendue en vertu du sous‑alinéa 20(1)c)(i) de la Loi et sur la foi des circonstances particulières de cette cause.

 

[66]    Les fondements de ces décisions étaient les suivants : 1) les intérêts n’avaient pas été payés sur de l’argent emprunté pour remplacer le capital précédemment utilisé dans l’entreprise; 2) les actions acquises pour être annulées n’étaient pas un bien productif de revenu. Ces décisions ne modifient pas le raisonnement tenu dans l’affaire Trans‑Prairie, précitée, dans des circonstances où ce raisonnement peut s’appliquer.

 

[67]    Pour ce qui est de l’application administrative de cette décision, il est intéressant de lire le bulletin d’interprétation IT‑80. J’en cite le paragraphe intitulé Rachat d’actions :

 

2. Une des exigences de l’alinéa 20(1)c) consiste en ce que l’argent emprunté, à l’égard duquel les intérêts ont été encourus, doit avoir été "... utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien ...". Pour cette raison, les intérêts n’ont pas été admis lorsqu’ils s’appliquaient à de l’argent emprunté pour racheter des actions d’une corporation, parce que cet argent n’avait pas été utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise, mais était plutôt versé aux actionnaires pour racheter leurs actions.

 

3. Toutefois, dans la cause Trans-Prairie Pipelines Ltd., la Cour de l’Échiquier a décidé que l’autre solution, qu’en fait elle préfère dans ce genre de transaction […], était, en résumé, que l’argent emprunté remplaçait l’argent qui avait été à l’origine obtenu lors de l’émission des actions privilégiées. Ayant adopté cette solution, la Cour décida que les intérêts sur l’argent emprunté étaient déductibles si l’argent qu’ils étaient censés remplacer était utilisé en vue de tirer un revenu de l’entreprise.

 

4. Cette décision a été acceptée par le Ministère. C’est pourquoi, lorsque se présenteront des cas semblables à la cause ci-dessus, la déduction d’intérêts, qui est autrement permise en vertu de l’alinéa 20(1)c), ne sera plus refusée parce que l’argent emprunté a été utilisé pour racheter des actions.

 

[68]    La signification du sous‑alinéa 20(1)c)(i) concernant la déductibilité d’intérêts dans des affaires d’argent emprunté a fait l’objet de l’importante décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bronfman Trust, précitée, dans laquelle il a été conclu que l’utilisation directe de l’argent emprunté est habituellement déterminante. Aux paragraphes 28 et 38 de cette décision, le juge en chef Dickson dit :

 

À mon avis, ni la Loi de l’impôt sur le revenu ni la jurisprudence n’autorisent les tribunaux à ne pas tenir compte de l’usage direct qu’un contribuable fait d’argent emprunté. [...]

 

[...]

 

[...] En particulier, j’estime que, même si cela peut être décrit comme une façon indirecte de conserver un revenu, l’emprunt d’argent pour une fin directe inadmissible ne devrait pas conférer à un contribuable le droit de déduire les intérêts payés.

 

[69]    Toutefois, cette décision indique également qu’il peut y avoir des circonstances où il peut être approprié de permettre au contribuable de déduire des intérêts sur des fonds empruntés pour une utilisation inadmissible, et ce, en raison d’un effet indirect sur la capacité du contribuable de gagner un revenu. Un exemple était basé sur le raisonnement tenu dans l’affaire Trans‑Prairie.

 

[70]    Comme le cas présent me semble semblable au cas analysé dans l’affaire Trans‑Prairie, sauf que l’appelante en l’espèce a émis un billet au lieu d’emprunter, il est à noter ce que le juge Dickson a dit relativement à cette décision, aux paragraphes 35, 36, 37 et 40 :

 

Donc, à l’exception de l’affaire Trans-Prairie, dont, à mon humble avis, le raisonnement ne justifie pas la conclusion que la fiducie intimée cherche à tirer, la jurisprudence s’est montrée généralement hostile aux réclamations fondées sur des utilisations admissibles indirectes dans des cas où il y a une utilisation directe mais inadmissible des fonds empruntés.

 

Je reconnais toutefois que, tout comme il y a eu tendance dernièrement à s’éloigner d’une  interprétation stricte des lois fiscales (voir Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, aux pp. 573 à 579 et La Reine c. Golden, [1986] 1 R.C.S. 209, aux pp. 214 et 215), de même la jurisprudence récente en matière fiscale a tendance à essayer de déterminer la véritable nature commerciale et pratique des opérations du contribuable. En effet, au Canada et ailleurs, les critères fondés sur la forme des opérations sont laissés de côté en faveur de critères fondés sur ce que lord Pearce a appelé une [TRADUCTION] «appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices» des événements en question: B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of Australia, [1966] A.C. 224 (P.C.), à la p. 264. Voir aussi F.H. Jones Tobacco Sales Co., [1973] C.F. 825 (D.P.I.), à la p. 834 [1973] C.T.C. 784, à la p. 790 le juge en chef adjoint Noël; Hallstroms Pty Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1946), 8 A.T.D. 190 (High Ct.), à la p. 196, le juge Dixon; et Cochrane (Succession) c. Ministre du Revenu national, 76 D.T.C. 1154 (C.R.I.), Me A.W. Prociuk, c.r.

 

Il s’agit là, je crois, d’une tendance louable, pourvu qu’elle soit compatible avec le texte et l’objet de la loi fiscale. Si, en appréciant les opérations des contribuables, on a présent à l’esprit les réalités commerciales et économiques plutôt que quelque critère juridique formel, cela aidera peut-être à éviter que l’assujettissement à l’impôt dépende, ce qui serait injuste, de l’habileté avec laquelle le contribuable peut se servir d’une série d’événements pour créer une illusion de conformité avec les conditions apparentes d’admissibilité à une déduction d’impôt.

 

[...]

 

Même s’il est des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, selon une appréciation réaliste des opérations d’un contribuable, il pourrait convenir, en raison d’un effet indirect sur sa capacité de gagner des revenus, de lui permettre de déduire l’intérêt sur les fonds empruntés pour un usage inadmissible, je suis convaincu que de telles circonstances n’existent pas en l’espèce. Il me semble qu’à tout le moins, le contribuable doit convaincre la Cour que la fin réelle qu’il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu. À l’inverse de ce qui semble être le cas dans l’affaire Trans-Prairie, les faits en l’espèce sont loin de faire cette démonstration. [...]

                                                          (Je souligne.)

 

[71]    L’avocate de l’intimée arguait que la présente situation n’était pas semblable à ce qu’il en était dans l’affaire Trans‑Prairie, car il n’y avait pas d’épuisement de bénéfices non répartis. Cet argument me semble contraire aux conclusions des vérificateurs du ministre. Ces derniers ont dit clairement qu’un dividende réputé avait été déclaré et que, si l'appelante avait emprunté de l'argent plutôt que d'émettre un billet, les frais d’intérêts auraient été admis. Il faut croire que cela aurait été fait conformément à la décision Trans‑Prairie.

 

[72]    Le jugement formel indique que l’objet du sous‑alinéa 20(1)c)(i) est de permettre la déduction d’intérêts pour encourager une accumulation de capital donnant lieu à des revenus imposables. Aucun élément de preuve n’indique qu’il y a moins d’accumulation de capital par l’émission d’un billet que par un emprunt. Le résultat final semble être le même. Du financement peut être obtenu d’une banque ou du vendeur dans une affaire d’acquisition.

 

[73]    Il faut aussi tenir compte du fait que le législateur fédéral a édicté le sous‑alinéa 20(1)c)(ii) après que, dans la décision McCool, on eut refusé les déductions d’intérêts sur un billet en vertu du sous‑alinéa 20(1)c)(i). Dans son interprétation du sous-alinéa 20(1)c)(ii), un tribunal doit donc éviter de suivre cette décision de façon rigide concernant un billet émis pour racheter des actions. Pour ce qui est des décisions Livingston, comme je viens de le mentionner, elles ont été rendues en vertu du sous‑alinéa 20(1)c)(i) et dans des circonstances de fait et de droit très différentes de ce qu’il en est en l’espèce.

 

[74]    Je conviens que les actions rachetées ne sont pas un bien productif de revenu, mais le sous‑alinéa 20(1)c)(ii) ne se limite pas à cet aspect. Un bien peut être acquis en vue de tirer un revenu d’une entreprise.

 

[75]    Étant donné que le billet émis pour le rachat des actions remplaçait le capital versé et les bénéfices non répartis qui étaient utilisés dans l’entreprise et qu’il y avait une acquisition de biens de cette manière, je conclus qu’il y a eu une acquisition de biens en vue de tirer un revenu d’une entreprise au sens du sous‑alinéa 20(1)c)(ii) de la Loi et que les frais d’intérêts sur le billet peuvent être déduits en conséquence.

 

[76]    Le 11 septembre 2001, les motifs énoncés précédemment ont été envoyés aux parties, à qui on a demandé de faire savoir à la Cour si elles souhaitaient poursuivre l’appel au sujet du caractère raisonnable du taux d’intérêt. Par une lettre en date du 11 février 2002, les parties ont informé la Cour qu’elles en étaient venues à une entente au sujet d’un taux d’intérêt raisonnable. Je cite le passage pertinent de cette lettre :

 

[CITATION TEXTUELLE]

 

La présente confirmera que les parties en sont venues à une entente à l’effet qu’un taux d’intérêt raisonnable sur le billet promissoire de 5 835 000 $ US émis par l’Appelante, Penn Ventilator Co., Inc., Penn Ventilator Midwest, Inc., Barbrook, Inc., the Silver Fund, Dean R. Malissa et Donald A. Silver, en date du 14 décembre 1992 était de 11,45% par année. Les parties ont aussi convenu que chacune d’elles supportera ses propres frais d’expertise à l’égard de cette question, quel que soit le sort de l’appel.

 

[77]    L’appel est admis avec frais.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mars 2002.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

 

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