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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-567(IT)I

 

ENTRE :

 

SUCCESSION DE PETER A. BAAK,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appel entendu le 25 janvier 2002, à Vancouver (Colombie-Britannique), par

 

l'honorable juge C. H. McArthur

 

Comparutions

 

Représentant de l'appelante :               Audries K. Baak

 

Avocate de l'intimée :                          Me Johanna Russell

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est rejeté.


Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2002.

 

 

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de janvier 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020301

Dossier: 2001-567(IT)I

 

ENTRE :

 

SUCCESSION DE PETER A. BAAK,

 

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

[1]     Dans l’appel en l’instance, il s’agit de déterminer si le produit des régimes enregistrés d’épargne‑retraite a été à juste titre inclus dans la déclaration de revenu finale du défunt pour l’année d’imposition 1998 au motif que ce dernier est réputé avoir reçu les montants détenus dans un REER immédiatement avant son décès, conformément au paragraphe 146(8.8) de la Loi de l’impôt sur le revenu, et qu’il ne doit pas prendre valeur de droit ou de bien au sens du paragraphe 70(2) de la Loi.  M. Audries K. Baak, comptable agréé à la retraite et père du défunt, a représenté l’appelante en sa qualité d’exécuteur testamentaire.

 

[2]     Les parties se sont entendues sur l’exposé conjoint des faits suivant :

                  


[TRADUCTION]

 

1.         Peter A. Baak (le « défunt ») était célibataire et il n’avait pas de personne à charge.

 

2.         Il est décédé le 25 septembre1998.

 

3.         La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a confié l’administration de sa succession à Audries K. Baak, l’exécuteur de la succession du défunt (l’« exécuteur »), le 26 novembre 1998.

 

4.         Le régime enregistré d’épargne‑retraite dont le défunt était le rentier (le « REER») était non échu.

 

5.         Des feuillets T4RSP sur lesquels figuraient les montants de 1 003,49 $ et de 46 416,86 $ ont été délivrés à l’appelante par la CIBC pour l’année d’imposition 1998.

 

6.         La juste valeur marchande du REER au moment du décès était de 47 420,35 $.

 

7.         Dans le calcul du revenu pour l’année d’imposition 1998, l’exécuteur a inclus la somme de 47 420,35 $ à titre de revenu tiré d’un REER (le « revenu tiré d’un REER») dans une déclaration de revenu produite conformément au paragraphe 70(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « déclaration sur les droits et les biens prévue au paragraphe 70(2) »).

 

8.         L’exécuteur a produit également, pour le défunt, la déclaration de revenu prévue au paragraphe 70(1) (la « déclaration finale prévue au paragraphe 70(1) ») pour l’année d’imposition 1998.

 

9.         Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une cotisation relativement à la déclaration finale du défunt prévue au paragraphe 70(1) pour l’année du décès (la « déclaration finale ») et une autre cotisation relativement à la déclaration du défunt prévue au paragraphe 70(2) (la « déclaration sur les droits et les biens »), dans laquelle il a :

 

a)         refusé le revenu tiré d’un REER inclus dans la déclaration sur les droits et les biens;

 

b)         inclus le revenu tiré d’un REER dans la déclaration finale;

 

c)         admis, en ce qui concerne la déclaration finale, le montant de 1 362,90 $ déduit du revenu à titre de remboursement de prestations d’assurance‑emploi (les « prestations »);

 

d)         demandé, en ce qui concerne la déclaration finale, le remboursement des prestations.

 

[3]     La thèse de l’appelante est résumée dans l’avis d’appel, dont voici le texte :

         

[TRADUCTION]

 

1.         Le montant de 47 420,35 $ détenu dans un REER appartenant à mon fils à son décès devrait être inclus dans le calcul de son revenu en application du paragraphe 70(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu en tant que « droits ou biens ».  Les REER sont visés par la définition de « droits ou biens » et leur inclusion dans le calcul du revenu aux termes du paragraphe 70(2) concorde sans contredit avec l’objet de cette disposition, plutôt qu’avec l’objet du paragraphe 70(1).

 

2.         Le ministre du Revenu national s’est fondé sur le paragraphe 146(8) pour inclure le montant du REER dans le calcul du revenu en vertu du paragraphe 70(1).  J’estime qu’il a eu tort pour les motifs suivants :

 

a.         Cette disposition ne devrait pas être lue en conjonction avec le paragraphe 70(2) non plus qu’elle devrait y être appliquée.

 

b.         Cela ne respecte pas la volonté du législateur exprimée au paragraphe 70(2).

 

c.         Cela est contraire à l’esprit du paragraphe 70(2).

 

d.         Les dérogations au paragraphe 70(2) auraient normalement été prévues dans la disposition même, comme c’est le cas des dérogations prévues dans d’autres dispositions de la Loi.

 

e.         C’est le seul article de la Loi de l’impôt sur le revenu qui renferme l’expression « immédiatement avant son décès ».  Il est reconnu que le moment où la vie prend fin n’est pas clairement établi, de sorte que le fait d’adjoindre l’adverbe « immédiatement » à un état incertain, c.‑à‑d. le décès, crée un concept qui est dénué de sens et qui n’a aucune utilité.  Seule la vie peut précéder la mort.  Donc, c’est l’expression « au moment de son décès » au paragraphe 70(2) qui doit l’emporter.

 

f.          De son vivant, mon fils n’avait pas l’intention de liquider son REER et ce n’est manifestement pas ce qu’il voulait en l’espèce.

 

g.         Les bulletins d’interprétation ainsi que les notes techniques, brochures et directives, etc., du MRN le reconnaissent tous; on n’y retrouve pas l’expression « immédiatement avant son décès », seulement les mots « au moment de son décès ».

 

3.         Aux termes de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous.  Le paragraphe 146(9), lorsqu’il est lu en conjonction avec le paragraphe 146(8), viole ce principe et devrait être considéré comme un motif de discrimination non énuméré.

 

            Le paragraphe 146(9), les bulletins d’interprétation et les brochures et directives, etc., du MRN précisent que les règles applicables au conjoint d’un défunt diffèrent de celles qui s’appliquent à la personne célibataire.  Mon fils était célibataire et il n’avait aucune personne à charge.  L’effet du paragraphe 146(9) à cet égard est d’exclure du revenu les montants détenus dans un REER, en application du paragraphe 70(1).

 

4.         La récupération des prestations d’assurance‑emploi est aussi une mesure discriminatoire.  La déclaration de revenu d’un défunt qui avait un conjoint au moment de son décès n’aura pas d’incidence du genre puisque les montants détenus dans un REER sont exclus.

 

M. Baak a étoffé cet exposé par écrit, dans un document de 15 pages intitulé [TRADUCTION] « Aperçu et grandes lignes des arguments », et oralement, à l’audience.

 

[4]     Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes : (i) Si un contribuable meurt et qu’il a un REER, celui‑ci peut‑il être inclus à titre de droit et de bien dans une déclaration de revenu faite conformément au paragraphe 70(2)? (ii) Les paragraphes 70(2) ou 146(8.8) de la Loi (essentiellement, les dispositions relatives au REER) violent‑ils l’article 15 de la Charte des droits et libertés et, dans l’affirmative, est‑il possible d’en justifier l’existence aux termes de l’article premier? (iii) Le ministre était‑il fondé de conclure que l’appelante était tenue de rembourser un montant de prestations conformément au paragraphe 145(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi? (iv) Le paragraphe 145(1) de la Loi sur l’assurance-emploi viole‑t‑il lui aussi l’article 15 de la Charte?

 

Dispositions législatives

 

[5]     Le paragraphe 70(1) expose le mode de calcul du revenu du contribuable décédé pour l’année du décès; c’est ce qu’on appelle communément la déclaration finale.  Le paragraphe 70(2) est libellé dans les termes suivants :

 

70(2)    Lorsqu'un contribuable décédé avait, lors de son décès, des droits ou biens (à l'exclusion des immobilisations et des sommes incluses dans le calcul de son revenu en vertu du paragraphe (1)) dont le montant à la réalisation ou disposition aurait été inclus dans le calcul de son revenu, la valeur de ces droits ou biens lors du décès doit être incluse dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition de son décès, sauf si son représentant légal choisit, au plus tard le jour qui tombe un an après la date du décès du contribuable ou le 90e jour suivant la mise à la poste d'un avis de cotisation concernant l'impôt du contribuable pour l'année de son décès, si ce jour est postérieur, de produire une déclaration de revenu distincte pour l'année en vertu de la présente partie et de payer l'impôt pour l'année en vertu de la présente partie comme si, à la fois :

 

a)         le contribuable était une autre personne;

 

b)         le seul revenu de cette autre personne pour l'année correspondait à la valeur de ces droits ou biens;

 

c)         sous réserve des articles 114.2 et 118.93, cette autre personne avait droit aux déductions auxquelles le contribuable avait droit en application des articles 110, 118, à 118.7 et 118.9 pour l'année dans le calcul de son revenu imposable ou de son impôt payable en vertu de la présente partie pour l'année.

 

Les dispositions suivantes de la Loi sont elles aussi pertinentes :

 

146(8)  Est inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition le total des montants qu'il a reçus au cours de l'année à titre de prestations dans le cadre de régimes enregistrés d'épargne-retraite, à l'exception des retraits exclus au sens des paragraphes 146.01(1) ou 146.02(1), et des montants qui sont inclus, en application de l'alinéa (12)b), dans le calcul de son revenu.

 

146(8.8) Lorsque le rentier en vertu d'un régime enregistré d'épargne-retraite (autre qu'un régime arrivé à échéance avant le 30 juin 1978) meurt après le 29 juin 1978, il est réputé avoir reçu, immédiatement avant son décès, une somme à titre de prestation, versée dans le cadre du régime, égale à l'excédent éventuel du montant visé à l'alinéa a) sur le montant visé à l'alinéa b) :

 

a)         la juste valeur marchande de tous les biens du régime au moment de son décès;

 

b)         si le rentier est décédé après l'échéance du régime, la juste valeur marchande, au moment du décès, de la partie des biens visés à l'alinéa a) qui, par suite du décès, devient à recevoir par une personne qui était l'époux ou le conjoint de fait du rentier immédiatement avant le décès ou deviendrait ainsi à recevoir si cette personne devait survivre pendant tous les termes garantis que comprend le régime.

                                                                              [nous soulignons]

 

[6]     Dans ses observations, le représentant de l’appelante a passé beaucoup de temps à définir certains termes et expressions et à déterminer, notamment, si un REER appartient à la catégorie des « droits ou biens », et ce que signifient les mots « est réputé », « immédiatement », « décès » et « contexte ».  Les observations portant sur le paragraphe 15(1) de la Charte paraissent constituer le principal argument de l’appelante.

 

Analyse

 

[7]     Je traiterai en premier lieu de la question de savoir si, au décès d’un contribuable, le REER peut être inclus à titre de « droit ou bien » au sens du paragraphe 70(2).  Le paragraphe 70(1) expose le mode de calcul du revenu du contribuable pour l’année de son décès.  Le paragraphe 70(2) permet au représentant légal du contribuable d’inclure dans une déclaration distincte la valeur des droits ou biens que le contribuable possédait lorsqu’il est décédé.  Le paragraphe 146(8) s’applique à la présente affaire.  Il prévoit que l’appelante doit inclure dans le revenu du défunt pour l’année du décès le montant total reçu à titre de prestations dans le cadre de son REER au cours de l’année.  Au paragraphe 146(8.8), les montants détenus dans un REER par le contribuable au moment de son décès sont réputés avoir été reçus immédiatement avant son décès.

 

[8]     Je crois, comme le ministre du Revenu national, que les montants détenus dans un REER ne sont pas des « droits ou biens » au sens du paragraphe 70(2).

 

[9]     L’avocate de l’intimée m’a renvoyé à l’affaire La succession de feue L. Lamash c. M.R.N., C.C.I., no 88-902(IT), 19 octobre 1990 ([1990] 2 C.T.C. 2534).  Les faits de cette affaire sont semblables à ceux de l’espèce.  Le ministre a rejeté la prétention de l’exécuteur de la succession Lamash selon laquelle les montants détenus dans un REER étaient des « droits ou biens » et qu’ils ne devaient pas être considérés comme un revenu.  La Cour canadienne de l’impôt a confirmé la décision du ministre.  Je souscris à cette décision ainsi qu’aux motifs du juge Christie. Je ne reprendrai pas ces motifs en détail, mais je renverrai aux remarques qu’il a faites à la page 7 (C.T.C., à la page 2539) :

 

            Je considère que les paragraphes 70(2) et 146(8.8) se trouvent dans le même contexte aux fins d'interprétation de la loi et je suis d'accord pour dire que la défunte Lillian Lamash, est réputée avoir reçu, immédiatement avant son décès, la somme de 19 096,67 $, objet du litige, et que par conséquent elle n'aurait pas pu avoir de droits, selon le sens qu'on peut attribuer à ce mot au paragraphe 70(2), à l'égard de ces fonds à la date de son décès. Le paragraphe fait mention de droits dont le montant obtenu au moment de leur réalisation ou de leur disposition aurait été inclus dans le calcul du revenu de la défunte. Dans Cullity, Forbes, Brown, Taxation and Estate Planning, 2d (1984) Ed., il est dit, aux pages 68 et 69 :

 

[TRADUCTION] Régimes enregistrés d'épargne-retraite, etc.

 

17. Le contribuable n'est pas considéré comme ayant un droit ou un bien à l'égard d'un régime enregistré d'épargne-retraite, qu'il soit venu à échéance ou non, dont il était le rentier jusqu'à son décès. Toutefois, sauf dans le cas d'un régime qui était venu à échéance avant le 30 juin 1978 lorsque le rentier est décédé après le 28 juin 1978, la juste valeur marchande de tous les biens du régime à la date du décès (moins les montants encaissables par le conjoint du défunt ou encaissées à titre de remboursement des primes par un enfant, un petit-enfant ou un autre bénéficiaire du défunt, ainsi qu'il est décrit aux paragraphes 146(8.8) à (8.91) doit être incluse dans le calcul du revenu du défunt dans sa déclaration finale en vertu du paragraphe 146(8.8). De même, le contribuable n'est pas considéré comme ayant un droit ou un bien à l'égard d'un fonds enregistré de revenu de retraite ou d'un régime enregistré d'épargne-logement.

 

[10]    À mon avis, le libellé des paragraphes 70(2), 146(8) et 146(8.8) est clair et ne prête pas à confusion.  Leur sens ordinaire détermine leur interprétation[1].  Je ne crois pas que l’expression « immédiatement avant son décès » soit ambiguë et je n’accepte pas l’argument de l’appelante.  Je fais miens les motifs de l’intimée pour conclure que le législateur souhaitait que le produit du REER soit un revenu dans l’année du décès à moins qu’il soit visé par certaines dérogations qui ne s’appliquent pas en l’espèce.

 

[11]    La deuxième question est de savoir si les paragraphes 70(2) ou 146(8.8) violent l’article 15 de la Charte.  Le paragraphe 15(1) de la Charte est libellé dans les termes suivants :

 

15(1)    La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

[12]    Le représentant de l’appelante soutient que son défunt fils est victime de discrimination parce qu’à son décès, il n’avait ni conjoint, ni enfant ou petit‑enfant à charge admissible à son REER au moyen d’un transfert.  Il affirme que la Loi de l’impôt sur le revenu ne traite pas ce groupe de la même façon que les personnes décédées qui ont un conjoint ou un enfant à charge admissible au moment de leur décès.

 

[13]    L’appelante a la charge d’établir que les dispositions législatives sont discriminatoires[2].

 

[14]    L’avocate de l’intimée a mentionné la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[3].  La Cour suprême y affirme que, pour déterminer s’il y a violation du paragraphe 15(1), le tribunal doit procéder à une analyse en trois étapes.

 

[15]    Je vais tenter d’appliquer chacune de ces étapes aux circonstances de la présente affaire.  Premièrement, y a‑t‑il un traitement différent?  Clairement, la réponse est oui puisque la Loi de l’impôt sur le revenu impose un traitement différent aux successions des contribuables décédés qui n’ont ni conjoint ni enfant à charge.  Deuxièmement, le traitement différent est‑il fondé sur un motif de discrimination énuméré ou analogue?  La réponse est oui.  Troisièmement, cette distinction est‑elle discriminatoire?  Je n’ai aucune difficulté à conclure que la distinction et le traitement différent ne sont pas discriminatoires au sens de l’article 15.  Je suis d’accord avec l’avocate de l’intimée, qui a déclaré ceci :

 

          [TRADUCTION]

 

[...] on ne peut affirmer que les personnes qui, à leur décès, n’ont pas de conjoint ou d’enfant ou de petit‑enfant à charge financièrement, ont été défavorisées au Canada sur les plans social, politique ou historique, ni qu’il s’agit d’un groupe distinct —  décrit comme une minorité distincte ou isolée.  Elles ne forment pas non plus un groupe défavorisé en soi.  Ce groupe n’était auparavant ni défavorisé, ni vulnérable, ni victime d’un préjudice, et je suis d’avis que le traitement prévu dans le cadre du régime régissant les REER ne porte pas atteinte à la dignité des personnes décédées.  Tous ces facteurs sont énoncés dans Law – la décision Law, dont il faut tenir compte pour déterminer si une distinction particulière établie par la disposition est effectivement discriminatoire au sens de l’article 15 tel qu’on l’entend.

 

[...] Dans l’arrêt Law, la Cour suprême énonce l’objet de l’article 15; plus particulièrement, je renvoie à la page 39, où on peut lire ceci en début de page :

 

[…] [L]e par. 15(1) a pour objet d'empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l'imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux […]                                                               

 

[Transcription, page 20]

 

[16]    La Loi de l’impôt sur le revenu abonde de distinctions qui ont été jugées non discriminatoires au sens de l’article 15[4].  Le juge Galligan, dans l’affaire Ontario Public Service Employee's Union et al v. The National Citizens Coalition Inc. et al[5], dit ceci :

 

[TRADUCTION]

 

[…] J’ai de la difficulté à comprendre comment on peut prétendre que les lois fiscales confèrent des avantages à des contribuables; ceci étant dit, cependant, il est clair que certains contribuables ont droit à des déductions qui ne sont pas offertes à d’autres.  La Loi de l’impôt sur le revenu abonde d’exemples où, pour diverses raisons, un contribuable a droit à des déductions dont un autre contribuable ne peut se prévaloir.  En outre, certains contribuables sont appelés à payer plus d’impôt que d’autres.  D’aucuns sont assujettis à un taux d’imposition plus élevé que d’autres.

 

La Charte, comme on l’a dit dans d’innombrables affaires, est un texte de loi important, qui protège constitutionnellement les droits et libertés essentielles des personnes qui vivent au Canada. [...]

 

Je souscris à ces propos.  Il appartient au législateur de déterminer qui a droit à des déductions fiscales.

 

[17]    Je ne formulerai pas d’observations détaillées sur les affaires citées par l’appelante.  Elles ne portent pas, selon moi, sur une discrimination pertinente sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[18]    La troisième question est de savoir si l’appelante doit rembourser des prestations conformément au paragraphe 145(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi.  Cette question se pose du fait que j’ai conclu que le montant de 47 000 $ détenu dans un REER devait être inclus dans le revenu du défunt pour l’année 1998, de sorte que son revenu net se situe à 48 000 $ environ, ce qui le rend inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.  Le représentant de l’appelante ne rejette pas l’idée que, si le montant détenu dans le REER est inclus dans le revenu du défunt pour 1998, le revenu de l’appelante est dès lors supérieur au montant de base.

 

[19]    Le représentant de l’appelante affirme que le terme « revenu » à l’article 145 ne devrait pas inclure le « revenu réputé ».  L’article 144 de la Loi sur l’assurance‑emploi renvoie à la Loi de l’impôt sur le revenu pour définir le revenu, et la Loi de l’impôt sur le revenu, aux paragraphes 146(8) et 146(8.8), oblige l’appelante à inclure dans le revenu du défunt, dans l’année du décès, le montant détenu dans un REER.  Je conclus que la valeur du REER détenu par le défunt au moment de son décès a été incluse à juste titre dans le calcul de son revenu aux fins de l’article 145 de la Loi sur l’assurance‑emploi.

 

[20]    La quatrième et dernière question est de savoir si le paragraphe 145(1) viole l’article 15 de la Charte.  L’avocate de l’intimée m’a reporté à la décision rendue dans l’affaire Spence c. Canada[6].  Dans cette affaire, le ministre a établi une cotisation à l’égard de l’appelant et a exigé le remboursement des allocations familiales pour le motif qu’il avait gagné un revenu supérieur au montant de base prévu dans la disposition applicable.  L’appelant a soutenu qu’il était victime de discrimination en faisant valoir, principalement, qu’il était injuste de l’obliger à rembourser des prestations tout simplement parce que son épouse restait à la maison, alors que, s’ils avaient tous deux travaillé et gagné chacun un revenu inférieur au montant de base, ils ne seraient pas tenus de rembourser les allocations même si leurs revenus combinés étaient, dans les faits, supérieurs au montant de base.  L’appelant a fait valoir que la disposition en question violait l’article 15.  Le tribunal a conclu que, puisque la disposition en cause établissait seulement une distinction fondée sur le niveau de revenu d’un contribuable donné, elle n’était pas discriminatoire au sens de l’article 15.  Au paragraphe 17 de la décision rendue dans l’affaire Spence, le juge Archambault a dit ceci :

 

La distinction étant fondée sur le niveau de revenu et non sur la situation de famille, il reste à déterminer si le niveau de revenu d'une personne constitue une "caractéristique personnelle".  Le juge Tremblay a également examiné cette question dans l'affaire Thomson et en est arrivé à la conclusion suivante à la page 12 de son jugement.

 

En raison de ces jugements et de nombreux autres : George v. Attorney General for Canada, 116 N.R. 185, Tanguay c. Ministère de la main d'œuvre et de la sécurité du revenu, Attorney General for Canada v. Pattinson, 123 N.R. 156, je crois que la distinction établie à la partie I.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas une distinction fondée sur une caractéristique personnelle. Il s'agit plutôt d'une distinction fondée sur des motifs économiques, qui ne sont pas visés par l'article 15 de la Charte.

 

Je ne vois aucune raison d'en arriver à une conclusion différente en l'espèce. […]

 

Les faits, dans l’affaire Spence, sont semblables à ceux de la présente affaire.  Je souscris au raisonnement et à la décision du juge Archambault, que j’applique au présent appel.

 

[21]    Pour les motifs qui précèdent, l'appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2002.

 

 

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de janvier 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 

 



[1]           Plusieurs décisions rendues par la Cour suprême du Canada appuient cette proposition, y compris l’arrêt Shell Canada Ltée. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 (99 DTC 5669).

[2]           Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627, à la page 700 (95 DTC 5273, à la page 5274) :

[...] Depuis le début, les arrêts traitant des droits à l'égalité ont clairement établi que, en vertu de l'art. 15, le requérant doit seulement prouver que la loi contestée est discriminatoire.  Par contre, en vertu de l'article premier, c'est au gouvernement qu'il incombe de justifier la discrimination [...]

 

[3]           [1999] 1 R.C.S. 497 (170 D.L.R. (4th)).

[4]           Schachstschneider c. Canada (C.A.), [1994 1 C.F. 40 (Q.L.).]

[5]           87 DTC 5270, à la page 5272.

[6]           [1994] A.C.I. no 259 (C.C.I.).

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