Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-112(IT)I

 

ENTRE :

 

CAROL JENNINGS,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

Appel entendu le 15 août 2001, à Vancouver (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

 

Comparutions

 

Pour l'appelante :                      L'appelante elle-même

 

Représentant de l'intimée :         M. Arsalaan Hyder (stagiaire)

 

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est admis, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 25e jour de janvier 2002.

 

 

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de janvier 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020125

Dossier: 2001-112(IT)I

 

ENTRE :

 

CAROL JENNINGS,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

 

[1]     L’appelante interjette appel d’une cotisation d’impôt sur le revenu établie à l’égard de l’année d’imposition 1997. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a inclus dans le revenu de l’appelante une somme de 16 000 $ que son ex-conjoint lui avait versée aux termes d’une ordonnance judiciaire précisant que cette somme devait être assimilée à des arriérés payés aux termes d’une ordonnance rendue antérieurement et non à une somme forfaitaire.

 

[2]     Selon l’appelante, le montant qu’elle avait reçu de son ex-conjoint ne constituait pas un montant payable périodiquement pour subvenir à ses besoins ou à ceux de ses enfants étant donné que la somme lui avait été versée en remplacement des sommes payables périodiquement aux termes de l’ordonnance initiale et pour permettre à son ex-conjoint de se libérer de toute obligation future.

 

 [3]    La question en litige est celle de savoir si la cotisation par laquelle le ministre a inclus le paiement de 16 000 $ dans le revenu de l’appelante en vertu de l’alinéa 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») a été établie à bon droit. 

 

[4]     L’appelante a témoigné qu’elle habite West Vancouver et qu’elle occupe un emploi en qualité de courtière en immeubles. Elle avait, en tant que Carol Ann Henderson, présenté une demande d’ordonnance alimentaire provisoire à l’encontre de son conjoint, Gregg MacDonald Henderson (« M. Henderson »), pour elle-même et pour les deux enfants issus du mariage. Un tribunal compétent a, par ordonnance, enjoint à M. Henderson de verser, à compter du 1er août 1991, une somme mensuelle de 2 000 $. M. Henderson était tenu de verser mensuellement cette somme jusqu’à ce que le tribunal rende une nouvelle ordonnance. L’appelante a témoigné que son ex-conjoint s’était arriéré de tellement de mois au titre de son obligation alimentaire que, en 1997, il lui devait la somme de 102 000 $. En fait, il lui avait versé 2 000 $ par mois pendant un an seulement, puis avait cessé tout paiement. L’appelante avait pris des mesures d’exécution à l’encontre de M. Henderson par l’intermédiaire d’un programme provincial d’exécution des ordonnances alimentaires et avait fait enregistrer un privilège sur la maison de ce dernier en vue de garantir le paiement du solde qu’il lui devait. Au milieu de l’année 1997, l’appelante et son ex-conjoint ont discuté des arriérés qu’il lui devait. Elle a convenu de renoncer à toute réclamation future au titre de la pension alimentaire pour elle-même et d’accepter une somme de 16 000 $, dont le versement aurait pour effet d’annuler les arriérés que M. Henderson avait accumulés par suite de son omission de se conformer à l’ordonnance en date du 12 juillet 1991. En vue de régler l’affaire, ils ont décidé de faire ratifier cette entente; ils ont ainsi demandé au tribunal d’approuver l’entente par ordonnance. Le 18 juillet 1997, le protonotaire Doolan a approuvé une ordonnance sur consentement, laquelle a été déposée cinq jours plus tard auprès du greffe de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, à Vancouver. Par cette ordonnance sur consentement (pièce A-1), le protonotaire Doolan modifiait l’ordonnance qu’il avait antérieurement rendue, soit le 12 juillet 1991, en annulant la pension alimentaire qui devait être payée à l’appelante et en enjoignant en outre à M. Henderson de verser à l’appelante une allocation pour subvenir aux besoins des deux enfants issus du mariage, soit une somme de 200 $ par mois par enfant, à compter du 1er juillet 1997; cette somme devait être payée mensuellement jusqu’à ce que certaines conditions particulières soient respectées relativement à l’éducation des enfants ou jusqu’à ce que ces derniers deviennent autonomes sur le plan financier. En outre, l’ordonnance sur consentement ramenait les arriérés accumulés aux termes de l’ordonnance antérieure – en date du 12 juillet 1991 – à une somme globale de 16 000 $ que M. Henderson devait payer immédiatement à l’appelante pour annuler les arriérés. En outre, le tribunal a ordonné à l’appelante de donner mainlevée du privilège qu’elle avait fait enregistrer sur la maison de M. Henderson en vue de garantir le paiement des arriérés de pension alimentaire. L’appelante a témoigné qu’elle savait que la somme de 400 $ par mois qui lui était versée pour subvenir aux besoins des enfants ne serait pas imposable entre ses mains; elle a ajouté que son ex-conjoint avait indiqué qu’il était du même avis, mais qu’il avait par la suite, dans sa déclaration de revenu, déduit les allocations d’entretien des enfants.

 

[5]     La Cour a demandé aux parties de présenter des observations écrites, et je résumerai ci-après les arguments présentés par les parties.

 

[6]     L’appelante soutenait qu’un montant devait être inclus dans le revenu conformément à la Loi uniquement s’il était visé par la définition de « pension alimentaire » figurant au paragraphe 56.1(4); la pension alimentaire y est définie comme une allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du conjoint, des enfants ou à la fois du conjoint et de ses enfants, si le conjoint peut utiliser le montant à sa discrétion et si le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal ou d’un accord écrit. Selon l’appelante, même si elle a reçu la somme de 16 000 $ aux termes d’une ordonnance rendue par un tribunal compétent, il ne s’agissait pas d’un montant payable périodiquement. L’appelante soutenait que l’ordonnance sur consentement – en date du 18 juillet 1997 – avait annulé les arriérés exigibles aux termes de l’ordonnance antérieure, et que le montant qu’elle avait reçu n’était pas imposable puisqu’il s’agissait d’un montant que son ex-conjoint avait payé en vue de se libérer de toute obligation future. L’appelante affirmait que le paiement de la somme forfaitaire en cause n’avait rien à voir avec des paiements périodiques, mais qu’il s’agissait plutôt purement et simplement d’un paiement effectué aux termes d’une nouvelle entente conclue par les parties, laquelle avait par la suite été ratifiée par une ordonnance fondée sur les clauses de leur entente. Même si l’appelante reconnaissait que l’ordonnance de 1997 obligeait son ex-conjoint à effectuer des paiements mensuels continus pour subvenir aux besoins des enfants, elle a fait remarquer que le paiement de la somme forfaitaire de 16 000 $ avait en fait libéré M. Henderson de toute obligation future de payer quelque autre montant à l’égard de la dette de 102 000 $ qu’il avait accumulée par suite de son omission de respecter l’ordonnance de 1991. L’appelante s’est référée à certains bulletins d’interprétation – établis par le ministre en 1990 et en 1999 – qui étayent sa position en ce qui a trait au traitement approprié, aux fins de l’impôt, de la somme forfaitaire qu’elle a reçue au cours de l’année d’imposition 1997.

 

[7]     Selon le représentant de l'intimée, les bulletins d’interprétation n’ont pas force obligatoire et, quoi qu’il en soit, ils vont à l’encontre de la jurisprudence établie à l’égard de la question en litige. Le représentant a fait valoir que, étant donné qu’il était tout à fait clair que les paiements qui devaient être effectués aux termes de l’ordonnance initiale – en date du 12 juillet 1991 – étaient des paiements périodiques et correspondaient au paiement d’une « pension alimentaire » au sens de l’alinéa 56(1)b) de la Loi, il s’ensuit donc nécessairement que des arriérés – même s’ils ont été payés sous forme de somme forfaitaire – découlaient néanmoins de cette ordonnance et que la forme du paiement n’en modifiait ni la caractérisation ni la nature. Les autres arguments du représentant de l’intimée se rapportaient à l’absence de contrepartie, pour la libération de M. Henderson à l’égard de toute obligation future, qui aurait pu avoir pour effet de rendre non imposable le montant payé à l’appelante; toutefois, l’ordonnance – en date du 18 juillet 1997 – imposait toujours une obligation à M. Henderson puisqu’il était tenu d’effectuer des versements mensuels continus d’un montant totalisant 400 $, à compter du 1er juillet 1997. Selon le représentant de l’intimée, la caractérisation appropriée du paiement de la somme de 16 000 $ à l’appelante serait de le considérer comme un paiement effectué non pas pour annuler toute obligation future mais plutôt pour annuler les arriérés en souffrance aux termes de l’ordonnance de 1991. 

 

 [8]    La disposition pertinente est l’alinéa 56(1)b) de la Loi, qui se lit comme suit :

 

b) Pension alimentaire - le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

                                    A- (B + C)

 

où:

 

A         représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue après 1996 et avant la fin de l'année d'une personne donnée dont il vivait séparé au moment de la réception de la pension;

 

B          le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants que la personne donnée était tenue de verser au contribuable aux termes d'un accord ou d'une ordonnance à la date d'exécution ou postérieurement et avant la fin de l'année relativement à une période ayant commencé après cette date,

 

C         le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue de la personne donnée après 1996 et qu'il a incluse dans son revenu pour une année d'imposition antérieure;

 

[9]     Au cours de son témoignage et de la plaidoirie, l’appelante s’est référée au bulletin d’interprétation IT-118R3 – Pension alimentaire, daté du 21 décembre 1990, et à une version à jour, IT-530 – Pension alimentaire, daté du 11 janvier 1999. L’appelante a cité le passage qui suit de l’alinéa 12d) du bulletin IT-118R3, qui traite de certains indices :

 

Si les paiements font en sorte de libérer le payeur de son obligation future de verser des allocations indemnitaires – Si une telle libération existe, les paiements ne seront habituellement pas considérés comme ayant été versés au titre d'allocation indemnitaire.

 

[10]    L’appelante a également renvoyé la Cour au paragraphe 22 du bulletin IT‑530, qui se lit comme suit :

 

[...] Un paiement forfaitaire fait pour obtenir la libération d'une obligation imposée dans une ordonnance ou un accord, que cette obligation ait trait à des arriérés d'allocations indemnitaires, à des paiements futurs ou à ces deux sortes de paiement, n'es pas admissible parce qu'il n'a pas été fait aux termes de l'ordonnance ou de l'accord.

 

[11]    L’appelante a renvoyé la Cour à un avis figurant au début du bulletin d’interprétation susmentionné et portant sur la façon dont le public devrait utiliser ces bulletins. Cet avis se lit en partie comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

Bien que les bulletins n'aient pas force de loi, on peut habituellement s'y fier, étant donné qu'ils reflètent l'interprétation que le Ministère fait de la loi qui doit être appliquée de façon uniforme par son personnel. […]  

 

L’interprétation fournie dans un bulletin s'applique à compter de sa date de publication, à moins d'indication contraire. Quand un changement est apporté à une interprétation antérieure et que ce changement est à l'avantage des contribuables, il entre habituellement en vigueur à l'égard de toutes les mesures de cotisation et de nouvelle cotisation futures. Si le changement n'est pas à l'avantage des contribuables, la date d'entrée en vigueur s'applique habituellement à l'année d'imposition en cours et aux années suivantes ou aux opérations effectuées après la date de publication du bulletin. 

 

[12]    La Cour d’appel fédérale a, dans l’arrêt La Reine c. Sills, [1985] 2 C.F. 200 (85 DTC 5098), décidé que les paiements périodiques devaient être inclus dans le revenu, même s’ils étaient en souffrance et qu’ils fussent payés sous forme de somme forfaitaire. Le juge Heald, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit aux pages 204 et suivantes (DTC : aux pages 5098 et suivantes) des motifs du jugement – rendus oralement :

 

  Sans hésiter, je viens à la conclusion que la Commission de révision de l'impôt et le juge de première instance se sont tous deux trompés dans leur interprétation des dispositions de l'alinéa 56(1)b) et dans l'application de celles-ci aux faits de l'espèce. L'analyse de cet alinéa fait ressortir les exigences suivantes (relativement aux faits en l'espèce):

 

(A)       les sommes reçues par le contribuable dans l'année à l'étude doivent être reçues en vertu des conditions stipulées à l'accord de séparation;

 

(B)       elles doivent être reçues à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement;

 

(C)       elles doivent être payables pour subvenir aux besoins de leur bénéficiaire, des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage; et

 

(D)       le bénéficiaire doit en vertu d'un divorce, d'une séparation judiciaire ou d'un accord écrit de séparation vivre séparé du conjoint ou de l'ex-conjoint tenu de faire le paiement à la date où le paiement a été reçu et durant le reste de l'année.

 

  Je suis convaincu que les faits de l'espèce répondent à toutes les exigences de cet alinéa, énumérées plus haut. Traitons à présent des quatre exigences essentielles exposées ci-haut.

 


Exigences (A) et (B)

 

  Selon le dictionnaire Shorter Oxford, le terme «pursuant» signifie entre autres «in accordance with» («conformément à»). La cinquième édition du dictionnaire Black's Law Dictionary définit «pursuant» comme signifiant notamment «To execute or carry out in accordance with or by reason of something(«exécuter ou accomplir conformément à quelque chose ou à cause de quelque chose»). Selon ce dictionnaire, «pursuant to» veut dire notamment «in the course of carrying out: in conformance to or agreement with: according to» («dans le cours de l'accomplissement de; en conformité ou en accord avec; selon»). Étant donné les faits en cause il est clair que les 3 000 $ remis à l'intimée par LaBrash ont été payés par ce dernier et reçus par celle-ci en accomplissement des dispositions de l'accord de séparation. Une partie de l'argent était payable à l'intimée à titre de pension alimentaire alors que le reste lui était payable pour subvenir aux besoins des enfants à charge. Ainsi que le stipulait l'accord de séparation, tout cet argent était payable mensuellement. À mon avis, l'erreur du juge de première instance consiste à n'avoir pas accordé toute l'importance qui se devait à l'emploi du mot "payable" dans l'alinéa en question. Pourvu que l'accord prévoie que les montants d'argent sont payables périodiquement, l'exigence contenue à l'alinéa est respectée. Les paiements ne changent pas de nature pour la seule raison qu'ils ne sont pas effectués à temps. Le membre de la Commission de révision de l'impôt a, selon moi, commis la même erreur lorsqu'il a dit que les sommes devant être incluses dans le revenu «doivent avoir été reçues exactement conformément aux dispositions de ... l'accord». L'alinéa ne dit pas cela. Si le membre de la Commission de révision de l'impôt et le juge de première instance ont raison, tout paiement mensuel remis à l'intimée le deuxième jour du mois pour lequel il est échu, à titre d'exemple, ne serait pas imposable entre les mains de l'intimée. Cette interprétation de l'alinéa n'est certainement pas raisonnable ou appropriée.

 

Exigences  (C) and (D)

 

  Il ne fait pas de doute qu'en vertu de l'accord, les sommes versées en 1976 étaient payables en partie au chef de la pension alimentaire due à l'intimée jusqu'à juillet 1975 et en partie au chef de l'obligation alimentaire de LaBrash à l'égard de ses enfants à charge. De la même façon, il est reconnu que l'intimée, en 1976, vivait séparée de son conjoint conformément aux dispositions d'un accord de séparation qui obligeait son conjoint à faire les paiements au moment où elle les a reçus et durant tout le reste de l'année 1976. L'avocat de l'intimée invoque cependant le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire [The Minister of National Revenue v. Armstrong, [1956] R.C.S. 446; 56 DTC 1044], mentionnée ci-haut. Elle cite un passage rapporté à la page 447 R.C.S.; à la page 1045 DTC des motifs du juge en chef dans lequel il déclare que le critère devant régir l'application de l'article qui a précédé l'alinéa 56(1)b) est le suivant:

 

Le critère consiste à savoir si elle a été versée conformément à un décret, une ordonnance ou un jugement, et non pas si elle a été versée en raison d'une obligation juridique imposée ou assumée. Il n'existe, en vertu du jugement, aucune obligation pour l'intimé de verser une somme globale au lieu des mensualités prévues au jugement.

 

[C'est moi qui souligne.]

 

Les faits de l'affaire Armstrong se distinguent nettement de ceux de l'espèce. Dans l'affaire Armstrong, l'épouse de l'intimé avait obtenu le divorce en 1948. Le décret de divorce prévoyait des paiements mensuels de 100 $ à l'épouse pour subvenir aux besoins de leur fille jusqu'à ce que celle-ci atteigne l'âge de 16 ans. Les paiements ainsi ordonnés ont eu lieu jusqu'à l'été de 1950, alors que l'épouse a accepté une somme globale de 4 000 $ en règlement complet de tous les montants payables dans l'avenir. Ainsi ressort-il clairement que la somme de 4 000 $ n'a pas été payée en conformité du décret de divorce mais visait à le remplacer. Toutefois, en l'espèce, tous les montants ont été payés pour mettre en oeuvre les dispositions de l'accord de séparation. La conséquence et le résultat de ces paiements n'étaient pas de libérer le mari de façon finale des obligations que l'accord de séparation lui imposait à l'endroit de sa femme et de ses enfants, alors que c'était le cas dans l'affaire Armstrong et dans l'affaire Trottier [Trottier v. Minister of National Revenue, (1968] R.C.S. 728, aux pp. 732 à 734; 68 DTC 5216, à la p. 5219.], une autre décision de la Cour suprême du Canada dans laquelle le principe énoncé dans la décision Armstrong a été suivi.

 

  L'avocate de l'intimée a également prétendu que, les paiements reçus en 1976 ayant été effectués afin de régler l'arriéré, l'on ne pouvait dire qu'ils constituaient une "allocation ... pour subvenir aux besoins .. ." de l'intimée et de ses enfants ainsi qu'il est mentionné à l'alinéa 56(1)b) et qu'en conséquence l'on devrait les considérer comme des paiements remboursant à l'intimée les frais subis pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants pendant la période au cours de laquelle les paiements sont devenus échus. Le fait que le présent dossier ne comporte pas de preuve qu'il y ait eu quelque remboursement de dépenses réelles nuit à cette prétention. De plus, il semble clair que le genre d'allocation visée à l'alinéa 56(1)b) comprendrait chacun des montants payés en vertu de l'accord, quel que soit le moment où ils ont été payés et reçus, puisque le montant est fixé d'avance et, une fois payé, est entièrement à la disposition du bénéficiaire, qui n'a pas à rendre de compte à son sujet [Pour une opinion semblable à celle-ci, voir La Reine c. Pascoe. M. (1975), 75 DTC 5427 (C.F. Appel), à la p. 5428.]. En conséquence, je ne vois pas en quoi cette prétention serait fondée.

 

[13]    Dans l’affaire Widmer c. La Reine, C.C.I., no 94-1548(IT)I, 23 août 1995 ([1995] T.C.J. No. 1115), le juge Mogan, de cette cour, était saisi de l’appel formé par une femme qui avait reçu la somme de 15 000 $ de son ex-conjoint, qui s’était arriéré au titre d’une ordonnance judiciaire l’enjoignant à payer une pension alimentaire pour trois des enfants issus du mariage. La question que le juge Mogan était appelé à trancher est la même que celle qui nous occupe : le montant était-il imposable aux termes de l’alinéa 56(1)b) de la Loi à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement? Dans l’affaire Widmer, la contribuable avait informé son conjoint qu’elle avait l’intention de présenter une requête en exécution de l’ordonnance alimentaire parce que ce dernier était fréquemment en retard dans ses paiements et qu’elle avait dû emprunter de l’argent pour subvenir aux besoins de leurs fils. Son conjoint a proposé l’arrangement suivant : il lui verserait une somme forfaitaire et effectuerait à l’avenir des paiements réduits pour continuer à subvenir aux besoins des enfants. Après d’autres discussions sur la question, la contribuable a convenu d’accepter la somme de 15 000 $ en règlement complet de sa réclamation – qui s’élevait alors à 50 590 $ – au titre des arriérés que son ex-conjoint lui devait aux termes d’une ordonnance rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Aux paragraphes 7 à 10 des motifs du jugement qu’il a rendus oralement, le juge Mogan déclarait ce qui suit :

 

David a retenu les services d’un avocat, qui a rédigé les documents appropriés. L’appelante n’a pas retenu les services d’un avocat; elle a signé une renonciation à des avis juridiques indépendants. A été déposée sous la cote A-1 une ordonnance de modification sur consentement de la Cour suprême du territoire du Yukon qui comporte un certain nombre de dispositions. Je n’en cite que les passages pertinents :

 


[traduction]

 

1.          Le jugement irrévocable que le juge Washington, de la Cour

suprême de la Colombie-Britannique, a rendu le 12 septembre 1984 est modifié de manière à ramener l’allocation mensuelle d’entretien des enfants à 200 $ par mois par enfant, soit un paiement total de 600 $ par mois devant être versé pour la première fois le 1er janvier 1992, puis le 1er jour de chaque mois par la suite.

 

3.          Les arriérés d’entretien par rapport au jugement irrévocable du juge Washington en date du 12 septembre 1984 sont fixés à 15 000 $.

 

4.          Il est ordonné à l’intimé de payer immédiatement à la requérante 15 000 $ d’arriérés de paiements d’entretien des enfants.

 

Figure ensuite sous la même cote A-1 une renonciation à des avis juridiques indépendants signée de la main de l’appelante.

 

Il existe un malentendu concernant les avis juridiques indépendants. Dans la pièce A-1 que l’appelante a déposée, un homme appelé « W. John Andresen » certifie lui avoir donné des avis juridiques indépendants. Il déclare : « J’ai expliqué [...] les dispositions de l’ordonnance de modification sur consentement ci-jointe et ses effets [...] » Bien que ce document semble établir que l’appelante a signé une renonciation à des avis juridiques indépendants, il indique à la même page qu’elle a reçu des avis juridiques indépendants de M. Andresen. Quoi qu’il en soit, le document a été signé par l’appelante et par une personne appelée « Shayne Fairman », soit l’avocat de David. Il s’agit du document qui s’applique aux fins de l’appel en instance.

 

Immédiatement après la signature de ce document, l’appelante a reçu un chèque de 15 000 $. De plus, depuis janvier 1992, David effectue les paiements mensuels réduits à 200 $ par enfant par mois.

 

Comme je l’ai dit, la question est de savoir si la somme de 15 000 $ doit être incluse dans le revenu de l’appelante. Cette dernière a reconnu que, dans toutes ses déclarations de revenus depuis 1984, elle a inclus les montants mensuels que David lui avait versés périodiquement pour l’entretien des enfants. En 1992, elle a inclus dans sa déclaration de revenus les paiements mensuels de 600 $ qu’elle avait reçus de David, soit 200 $ par enfant par mois pour l’ensemble de cette année-là. Cependant, elle n’a pas inclus les 15 000 $, car elle estime qu’il s’agissait non pas d’un paiement périodique ni d’un paiement d’entretien, mais seulement d’un règlement forfaitaire.

 

 

 [14]   Le juge Mogan poursuivait en ces termes aux paragraphes 15 et 16 :

 

Lors de l’argumentation, l’appelante a fait une déclaration que je trouve très convaincante. Elle a dit que l’ordonnance sur consentement fait paraître le montant de 15 000 $ comme quelque chose qu’il n’était pas. À la lecture de l’ordonnance, on penserait que les 15 000 $ correspondaient à peu près à ce qui était réellement dû. J’aurais pensé qu’une ordonnance de modification sur consentement, si elle avait été rédigée conjointement par l’avocat de l’appelante et celui de David, aurait exposé le fait qu’il y avait des arriérés de 50 590 $. Le montant dû (50 590 $) est simplement le total de tous les montants que David aurait dû payer pour l’entretien des trois enfants en vertu du jugement de divorce, mais qu’il n’a pas payés. Lorsque le montant effectivement reçu (15 000 $) diffère à ce point du montant dû (50 590 $) ou lui est à ce point inférieur, je ne peux le considérer comme ayant le même caractère que le montant dû. En d’autres termes, je ne peux considérer les 15 000 $ reçus par l’appelante comme ayant été reçus pour l’entretien des trois enfants. À mon avis, David a versé ce petit montant en une somme forfaitaire premièrement pour être libéré de son obligation très réelle de payer les 35 590 $ restants et, deuxièmement, pour que le montant de ses paiements mensuels d’entretien soit ramené de 795 $ à 600 $ par mois. En bref, le montant de 15 000 $ a été versé pour l’obtention d’une libération d’obligations existantes et l’obtention d’une réduction d’obligations futures et non pour l’entretien des trois enfants.

 

Il est indubitable que les paiements d’entretien de 265 $ par enfant par mois auraient constitué un revenu pour l’appelante s’ils avaient été payés au fil des ans, mais ils ne l’ont pas été; David a accumulé des arriérés de 50 590 $ et, l’appelante étant dans une situation précaire, il a pu échapper à son obligation de payer 50 590 $ en effectuant un paiement forfaitaire de 15 000 $ seulement (soit 30 p. 100 du montant dû). Dans ces circonstances, je ne peux interpréter le montant de 15 000 $ payé en février 1992 comme correspondant à une « somme reçue dans l’année par le contribuable [...] à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement », pour reprendre les termes de l’alinéa 56(1)b).

 

[15]    Dans l’affaire Soldera c. M.R.N., C.C.I., no 90-1497(IT), 26 février 1991 (91 DTC 987), le juge Garon (tel était alors son titre), de cette cour, était saisi de l’appel d’un contribuable à qui on avait ordonné de payer une somme de 200 $ par mois pour subvenir aux besoins de ses enfants. Il s’était par la suite arriéré, et l’ordonnance avait été modifiée; il devait dorénavant verser une somme de 100 $ par mois, en plus de la somme de 7 500 $ au titre des arriérés. Le ministre avait refusé la déduction de ce dernier montant au motif qu’il ne s’agissait pas, pour l’application de l’alinéa 60b) de la Loi, d’un montant payé périodiquement. Après s’être reporté au jugement Sills, précité, le juge Garon a déclaré ce qui suit aux pages 7 à 10 (DTC : aux pages 990 et suivantes) de ses motifs de jugement :

 

 

  Tout d'abord, l'ordonnance de 1986 ne renferme aucune disposition libérant expressément l'appelant de ses obligations existantes ou futures de subvenir aux besoins de ses enfants.  Par ailleurs, l'ordonnance de 1986 a ce résultat que, à partir du moment où elle entrait en vigueur, la question des obligations existantes ou futures n'était plus régie par l'ordonnance de 1983 tel qu'elle s'appliquait lorsqu'elle avait été rendue, en juin 1983.  En fait, l'obligation de l'appelant en ce qui concerne les paiements à faire ultérieurement pour subvenir aux besoins des enfants issus du mariage était énoncée au paragraphe 1 de l'ordonnance de 1986, qui modifie le paragraphe 3 de l'ordonnance de 1983 en réduisant, entre autres choses, à 100 $ les paiements mensuels à faire pour subvenir aux besoins des enfants.  De plus, la question de l'obligation existante de l'appelant, avant que soit rendue l'ordonnance de 1986, en ce qui a trait aux paiements de pension alimentaire en souffrance était expressément traitée au paragraphe 3 de l'ordonnance de 1986, qui stipule, si l'on s'en tient à l'essentiel.

 

[TRADUCTION]

 

« [...] les arriérés de pension alimentaire au 31 mai 1986 [...] sont par les présentes fixés à 7 500 $.»

 

  À mon avis, le paragraphe 3 de l'ordonnance de 1986 avait tout simplement pour effet de ramener à 7 500 $ l'obligation de l'appelant au 31 mai 1986 en ce qui concerne les paiements de pension alimentaire en souffrance.   À cet égard, il faut se rappeler que le montant total que devait l'appelant au 31 mai 1986 aux termes du paragraphe 3 de l'ordonnance de 1983 s'élevait à environ 14 000 $.  Il devient alors évident que le paragraphe 3 de l'ordonnance de 1986, en établissant à 7 500 $ les paiements de pension alimentaire en souffrance au 31 mai 1986, réduisait environ de moitié, en fait, l'obligation de l'appelant.  Le paragraphe 3 de l'ordonnance de 1986 ne modifie pas la nature de l'obligation de l'appelant, il ne fait que la réduire.  C'est ce qu'indique clairement la mention expresse, à ce paragraphe, des [TRADUCTION] « arriérés de pension alimentaire au 31 mai 1986 ».  La conclusion selon laquelle la nature de l'obligation de l'appelant, dont le montant était fixé au paragraphe 3 de l'ordonnance de 1986, n'était pas modifiée est renforcée, si besoin est, par le fait que le paiement de 7 500 $ équivaut à peu près à ce que l'appelant disait être disposé à verser à titre de paiements de pension alimentaire pour ses enfants dans la lettre adressée par son procureur le 26 juillet 1983 aux procureurs de Mme Leggett.  De plus, la somme de 7 500 $, si on la répartit en mensualités, équivaut à peu près à ce que l'appelant était tenu de verser aux termes du paragraphe 1 de l'ordonnance de 1986 et a effectivement versé à Mme Leggett pour subvenir aux besoins de leurs enfants.  Sous un autre angle, le paiement de 7 500 $ pourrait être considéré comme un paiement partiel de toutes les sommes en souffrance aux termes de l'ordonnance de 1983, paiement partiel qui a été, d'une certaine façon, accepté par Mme Leggett, puisque le paiement de 7 500 $ destiné à régler l'obligation de l'appelant au 31 mai 1986 est envisagé au paragraphe 3 de l'ordonnance de 1986, dont Mme Leggett avait fait la demande ex parte.

 

  La justesse de ma position sur le véritable caractère du paiement de 7 500 $ fait par l'appelant est, à mon sens, plus évidente encore si l'on envisage la situation hypothétique suivante.

 

  Si, par exemple, l'appelant en cause avait, pendant la durée d'application de la première ordonnance, versé des mensualités de 100 $ à Mme Leggett pour subvenir aux besoins de chaque enfant, après avoir informé son ex-épouse qu'il ne pouvait pas se permettre de lui verser davantage, comme il le déclarait dans la lettre du 26 juillet 1983, susmentionnée, de son procureur, au lieu de faire des versements mensuels de 200 $ par enfant comme l'exigeait l'ordonnance de 1983, et si son ex-épouse avait accepté ces paiements en encaissant les chèques, en l'absence de tout autre fait pertinent en l'espèce, il ne fait aucun doute que ces paiements mensuels, dans cette situation hypothétique, auraient été déductibles par le payeur en vertu du paragraphe 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu et auraient dû être inclus dans le revenu du bénéficiaire en vertu de l'alinéa 56(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. En fait, ces paiements seraient considérés comme un paiement partiel d'une allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins de ses enfants. Autrement, tout paiement d'allocation qui est le moindrement inférieur au montant total prévu dans l'ordonnance d'un tribunal ou dans un accord de séparation ne pourrait être déduit du revenu du payeur et n'aurait pas à être inclus dans celui du bénéficiaire.  Ce résultat n'est certainement pas compatible avec la bonne application des dispositions législatives ayant trait à la déduction du revenu et à l'inclusion au revenu des pensions alimentaires et autres paiements d'entretien.

 

  Ma façon d'aborder la question est renforcée par le raisonnement exposé par M. Davis, membre de la Commission d'appel de l'impôt, dans l'affaire Bertram v. Minister of National Revenue, 70 D.T.C. 1510, lorsqu'il a déclaré à la page 1513 :

 

            [TRADUCTION]

 

« L'avocat de l'appelante a prétendu que, étant donné qu'on avait fait remise de certains arriérés de pension alimentaire dans l'accord du 1er décembre 1965 et que l'appelante avait convenu de la somme de 8 000 $ en compensation d'arriérés qui excédaient de loin cette somme, toute la situation avait changé et que les paiements périodiques initiaux avaient dès lors perdu également leur caractère périodique.  J'éprouve de grandes difficultés à suivre ce raisonnement.  En outre, l'appelante n'a jamais mentionné ceci dans son avis d'objection ou dans son avis d'appel, et l'on n'en trouve aucune trace dans la correspondance échangée entre l'avocat de l'appelante et les fonctionnaires de l'impôt.

 

Je considère l'accord du 1er décembre 1965 comme étant une confirmation de la responsabilité de M. Eadie d'effectuer les paiements périodiques prévus à l'origine; à cette fin, la convention prévoyait les nouvelles échéances des versements échelonnés constituant le montant convenu par compromis. Cette convention ne consistait aucunement à libérer d'une façon définitive et générale le conjoint de l'appelante de son obligation de continuer à effectuer les paiements pour lesquels il ne s'était pas encore mis en retard. Il n'est pas exclu que l'appelante aurait été libre d'intenter une action pour recouvrer tout ce que M. Eadie lui devait en vertu de l'accord de séparation initial, au cas où ce dernier aurait manqué aux engagements qu'il avait pris dans le cadre de celui du 1er décembre 1965. »

 

Je suis donc d'avis que le paiement de 7 500 $ fait par l'appelant en vertu du paragraphe 3 de l'ordonnance de 1986 représente une partie des arriérés de paiements de pension alimentaire qui constituaient une allocation payable périodiquement en vertu de l'ordonnance de 1983.  En conséquence, ce paiement de 7 500 $ est déductible en totalité dans le calcul du revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1986.

 

  Pour ces motifs, l'appel est admis avec frais et la nouvelle cotisation en date du 25 avril 1989 est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le paiement visé de 7 500 $ est déductible en totalité dans le calcul du revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1986.

 

[16]    Dans l’affaire MacBurnie c. Canada, [1995] A.C.I. no 817, la juge Lamarre, de cette cour, était saisie de l’appel formé par une contribuable dont le conjoint devait verser à celle-ci, aux termes d’une ordonnance rendue en reconnaissance de l’entente conclue entre les parties, une somme globale de 27 500 $ en règlement de toute réclamation. Après avoir examiné la jurisprudence en tenant compte des faits particuliers de cette affaire, la juge Lamarre a fait les commentaires suivants aux paragraphes 20 et 21 :

 

20.       En l'espèce, il semble évident que la somme de 27 500 $ a été versée en vertu du jugement rendu par le juge Soublière le 19 septembre 1992, auquel le règlement amiable conclu entre les parties était incorporé, et non en vertu de l'accord de séparation antérieur.  En effet, cette somme a été versée en octobre 1992, conformément au jugement du juge Soublière.  J'estime que M. Eyre a manifestement versé cette somme afin de se libérer de sa dette découlant de l'accord de séparation et de mettre fin à ses obligations envers l'appelante aux termes de cet accord.  Le libellé du jugement du juge Soublière appuie cette conclusion, car il indique clairement que M. Eyre sera libéré de toutes ses obligations envers l'appelante lorsqu'il aura versé la somme de 27 500 $ et que l'appelante le libère de toutes ses obligations de lui verser des aliments. Il ne faut cependant pas oublier que le jugement du juge Soublière a été rendu à l'égard de la requête reconventionnelle de M. Eyre dans laquelle ce dernier demandait qu'il soit mis fin à son obligation de verser une pension alimentaire à l'appelante en vertu de l'accord de séparation ou que son obligation à cet égard soit réduite.  De toute évidence, le jugement a mis fin à l'obligation de M. Eyre de verser une pension alimentaire à l'appelante. À cet égard, la présente affaire se distingue de l'affaire Soldera. De plus, j'accepte l'explication fournie par Me Braidek selon laquelle les termes "en règlement intégral et définitif de [...] et de tous les arriérés au titre des aliments" ont été ajoutés pour donner à M. Eyre une certaine assurance et que l'intention n'était pas de le poursuivre en vue d'obtenir le paiement de tout ou partie des arriérés.  Même si, selon la preuve présentée, M. Eyre devait à l'appelante une somme supérieure à 27 500 $ lorsque le règlement amiable incorporé au jugement du juge Soublière a été signé, je suis d'avis que l'appelante et M. Eyre se sont, tout compte fait, entendus par règlement pour que M. Eyre verse une somme en remplacement des sommes périodiques exigibles aux termes de l'accord de séparation.  Une telle somme est, par nature, un paiement de capital comme l'a déclaré la Cour suprême du Canada dans l'affaire Armstrong, de sorte qu'elle ne devait pas être incluse dans le calcul du revenu de l'appelante, car elle ne constituait pas une pension alimentaire au sens des alinéas 56(1)b) et 56(1)c) de la Loi.

 

21.       L'appel est donc admis.

 

[17]    Le juge Hamlyn, de cette cour, était saisi d’une question semblable dans  Turner c. Canada, [1997] A.C.I. no 120. Dans cette affaire, le ministre avait inclus dans le revenu des montants que la contribuable avait reçus conformément à une entente ratifiée par une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le tribunal avait ordonné au mari de verser une somme de 300 $ par mois, en plus d’un pourcentage de sa pension, également payable mensuellement. Il s’était arriéré, et le jugement de divorce avait par la suite été modifié de manière à annuler le versement de la pension alimentaire de 300 $ par mois tout en maintenant le versement d’une partie de la pension du mari. En rendant l’ordonnance, la Cour suprême de la Colombie-Britannique avait déclaré ceci : « [traduction] […] la disposition du jugement conditionnel rendu le 5 février 1987 […] prévoyant le versement d’une pension alimentaire de 300 $ par mois […] est par les présentes annulée ». Plus loin dans l’ordonnance, il est expressément déclaré que « [traduction] […] la présente ordonnance n’a aucune incidence sur les dispositions du jugement conditionnel prévoyant le partage de la pension […] » Aux paragraphes 15 à 17 de ses motifs de jugement, le juge Hamlyn déclarait ceci :

 

15.       L'ordonnance annulant la disposition relative à l'octroi d'une allocation d'entretien et prévoyant le paiement de l'arriéré fixé sous forme de somme forfaitaire a été rendue sur consentement.

 

16.       L'arriéré fixé sur consentement sous forme de somme forfaitaire était bien inférieur au montant réel de l'arriéré qui était dû. Par conséquent, l'arriéré qui a été fixé est si différent qu'il ne doit pas être traité de la même façon que l'arriéré qui était dû. (Voir Widmer c. Canada [1995] A.C.I. no 1115, (juge Mogan); voir également Soldera v. M.N.R., 91 D.T.C. 987 (juge Garon).

 

17.       En vertu de l'ordonnance modifiée, le paiement de l'arriéré sous forme de somme forfaitaire devait entraîner la libération de M. Turner, qui cessait de verser toute somme due en vertu du quatrième paragraphe figurant à la page 2 du jugement conditionnel.  Je conclus donc que l'arriéré payé sous forme de somme forfaitaire n'était pas un montant payé conformément aux alinéas 56(1)b) et 56(1)c) à titre de pension alimentaire ou d'autre allocation payable périodiquement.

 

[18]    Dans l’affaire Leet c. R., C.C.I., no 97-2741(IT)G, 29 janvier 1999 ([1999] 2 C.T.C. 2477), le juge Beaubier, de cette cour, a instruit l’appel d’un mari à qui avait été refusée la déduction – qu’il avait demandée aux termes de l’alinéa 60b) de la Loi – d’un montant qu’il avait payé à son ex-conjointe en conformité avec une ordonnance judiciaire. Dans cette affaire, le contribuable avait versé la somme de 60 000 $ à son ex-conjointe; il s’agissait du seul paiement effectué conformément à l’ordonnance, puisque les paiements mensuels antérieurs avaient été effectués aux termes d’une entente de séparation. Après avoir examiné les motifs de jugement du juge Boudreau, de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, qui avait ordonné le paiement de la somme forfaitaire à l’ex-conjointe du contribuable, le juge Beaubier déclarait ce qui suit aux pages 5 à 7 (C.T.C. : aux pages 2480 et suivantes) de ses motifs de jugement :

           

Dans la décision Brian Ambler v. The Queen, 93 D.T.C. 1460 à la p. 1463, le juge Mogan de la C.C.I. énumère les critères qu'il faut examiner en ce qui a trait à la somme dont il est question en l'espèce. Son opinion a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans la décision publiée dans 95 D.T.C. 5401. Le juge Mogan a statué :

 

Dans l'affaire The Queen v. McKimmon, 90 D.T.C. 6088, la Cour d'appel fédérale a énuméré un certain nombre de critères qui sont utiles pour déterminer si des versements périodiques effectués par un conjoint en faveur de son ex-conjoint ont été faits pour subvenir aux besoins du bénéficiaire ou à titre de paiements de capital. Je résumerai ces critères parce qu'ils s'appliquent directement à la question à trancher en l'espèce.

 

            1. L'intervalle auquel les paiements sont effectués. Plus l'intervalle est court (paiements hebdomadaires ou mensuels), plus les paiements sont susceptibles d'être des allocations d'entretien.

 

            2. Le montant des paiements par rapport au revenu et au niveau de vie du débiteur et du bénéficiaire.

 

            3. Les paiements portent-ils intérêt avant leur date d'échéance? On associe l'obligation de payer des intérêts à une somme payable par versements.

 

            4. Les sommes peuvent-elles être payées par anticipation au gré du débiteur ou peuvent-elles être exigibles immédiatement à titre de pénalité au gré du bénéficiaire en cas de défaut de paiement?

 

            5. Les paiements permettent-ils au bénéficiaire d'accumuler un capital important?

 

            6. Les paiements sont-ils censés continuer pendant une période indéfinie ou être d'une durée fixe? Les sommes payables pendant une durée fixe peuvent plus facilement être considérées comme des versements de capital.

 

            7. Les paiements peuvent-ils être cédés et l'obligation de payer subsiste-t-elle pendant toute la vie du débiteur ou du bénéficiaire?

 

            8. Les paiements sont-ils censés libérer le débiteur de toute obligation future de verser une pension alimentaire?

 

Si j'applique ces critères un à un aux circonstances en l'espèce, j'obtiens ce qui suit :

 

  1.       Le juge Boudreau n'a ordonné qu'un seul paiement.

 

  2.       Le juge Boudreau ne fait aucune référence au revenu ou au niveau de vie des parties.

 

  3.       À toutes fins pratiques, le paiement devait être effectué immédiatement.

 

  4.       Le juge ne mentionne pas que le paiement peut être fait par anticipation ou qu'il peut être exigé à titre de pénalité. L'appelant, dans son argument, a comparé la somme de 60 000 $ à un « versement forfaitaire final » relatif à un prêt hypothécaire. Toutefois, l'accord de séparation (déposé sous la cote R-2) ne prévoyait pas de tel versement forfaitaire final, et le juge Boudreau a spécifiquement ordonné dans ses motifs de jugement : « Les versements de pension alimentaire mensuelle cesseront avec celui d'avril 1994,... » De même, à la p. 12 des motifs de jugement, le juge Boudreau ordonne à M. Leet de verser : « une contribution mensuelle de 850 $ ...pour la pension de Chelsea. » En d'autres mots, la somme de 850 $ par mois était versée à titre de pension tandis que les versements de pension mensuelle de M. Leet à son épouse venaient à terme avec le paiement d'avril, mettant ainsi fin aux versements périodiques décrits dans l'accord de séparation.

 

  5.       Le paragraphe 4c) de l'accord de séparation, reproduit ci‑dessus, imposait à Mme Leet le fardeau de la preuve d'établir pourquoi elle devrait continuer à recevoir une pension alimentaire. Au paragraphe 4a), il est stipulé que M. Leet versera 2 250 $ par mois à titre de pension alimentaire et ces versements ont pris fin en avril 1994.

 

  6.       Le juge a ordonné un seul et unique paiement forfaitaire de 60 000 $.

 

  7.       Rien n'indique que M. Leet n'aurait pas été obligé de verser la somme de 60 000 $ dans l'éventualité du décès de Mme Leet.

 

  8.       M. Leet n'était plus obligé de verser une pension alimentaire à Mme Leet.

 

  Le paiement représentait un « versement forfaitaire final de pension alimentaire à Mme Leet. » En outre, le juge a clairement ordonné : « les versements de pension mensuelle cesseront avec celui d'avril 1994 » et le « versement forfaitaire final de pension alimentaire » sera payé le 1er mai 1994.

 

  Dans les circonstances, le paiement unique de 60 000 $ en exécution de l'ordonnance du tribunal ne constituait pas un paiement périodique. Il s'agissait d'un montant libérant M. Leet de l'obligation d'effectuer des versements périodiques qui lui incombait aux termes de l'accord de séparation. Ce paiement, comme la Cour l'a statué dans M.N.R. v. John James Armstrong (C.S.C.) 56 DTC 1044, était de la nature d'un paiement de capital.

 

Pour ces motifs, la somme de 60 000 $ n'est pas déductible en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

[19]    Revenons maintenant aux faits particuliers de l’affaire qui nous occupe. La preuve a établi qu’on avait ordonné à l’ex-conjoint de l’appelante de verser chaque mois à celle-ci, à compter du 1er août 1991, la somme de 2 000 $ à la fois à titre de pension alimentaire pour cette dernière et de pension alimentaire pour les deux enfants issus du mariage. Il a effectué les paiements ainsi exigés pendant environ un an, mais il n’a par la suite effectué aucun paiement. L’appelante a fait de son mieux pour obtenir le paiement des arriérés et a fait enregistrer un privilège sur la résidence de son ex-conjoint. Au  milieu de l’année 1997, les arriérés dus aux termes de l’ordonnance datée du 12 juillet 1991 s’élevaient à 102 000 $ et étaient le malheureux résultat de la négligence de l’ex-conjoint, qui n’a pas versé le moindre cent pendant une période de 51 mois consécutifs. Après avoir discuté de la situation, l’appelante et son ex-conjoint ont conclu une entente aux termes de laquelle il acceptait de lui verser immédiatement la somme de 16 000 $ et, en contrepartie, elle acceptait de le libérer de toute obligation relativement au solde des arriérés (soit la somme considérable de 86 000 $) et de toute obligation future relativement à la pension alimentaire pour elle-même. Elle acceptait également de donner mainlevée du privilège grevant la résidence principale de son ex-conjoint. Une telle charge, si elle avait continué à grever la résidence de ce dernier, lui aurait grandement nui puisque, s’il avait voulu hypothéquer ou vendre la maison, il lui aurait au préalable fallu faire annuler le privilège. L’entente conclue par les parties avait été ratifiée par voie d’ordonnance sur consentement – datée du 18 juillet 1997 – rendue par le protonotaire Doolan, le juriste qui avait rendu l’ordonnance initiale en date du 12 juillet 1991. Dans cette ordonnance sur consentement, M. Doolan a ordonné :

 

[TRADUCTION]

 

[...] que l’ordonnance rendue par le protonotaire Doolan le 12 juillet 1991 soit modifiée de manière à annuler le paiement, par l’intimé, d’une pension alimentaire à la requérante.

 

[20]  Le protonotaire Doolan avait apporté une autre modification à l’ordonnance antérieure en ordonnant à M. Henderson de verser à l’appelante, à compter du 1er juillet 1997, la somme de 200 $ par mois pour chacun des deux enfants issus du mariage.

 

[21]    Cette ordonnance – dans laquelle l’appelante est appelée requérante, et son ex-conjoint, intimé – se poursuit comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT que les arriérés qui ont découlé de l’ordonnance rendue par le protonotaire Doolan le 12 juillet 1991 soient ramenés à la somme de 16 000 $;

 

LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT à l’intimé de verser immédiatement à la requérante la somme de 16 000 $ en règlement des arriérés;

 

LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT à la requérante de donner mainlevée du privilège qu’elle a fait enregistrer sur la maison de l’intimé en vue de garantir le paiement des arriérés de pension alimentaire.

 

[22]    Il est évident que le ministre considérait l’ordonnance du 18 juillet 1997 comme une nouvelle ordonnance, puisqu’il ne met pas en doute le fait que la pension alimentaire payée à l’appelante par son ex-conjoint pour les enfants – totalisant 400 $ par mois – n’était pas imposable. Il est également clair que la somme de 2 000 $ par mois que l’ex-conjoint de l’appelante devait verser à celle‑ci aux termes de l’ordonnance initiale constituait à la fois une pension alimentaire pour l’appelante et une pension alimentaire pour les deux enfants, mais on n’a produit en l’espèce aucun élément de preuve – pas plus qu’on n’a produit l’ordonnance en question – pour permettre à la Cour de procéder à la ventilation de cette somme de 2 000 $. Toutefois, je crois que je resterais dans les limites du raisonnable en concluant qu’une partie importante – probablement au moins 50 p. 100 – du montant total accordé se rapportait à l’entretien de l’appelante. Dans le même ordre d’idées, on n’a fourni aucun calcul pour indiquer comment se répartissaient les arriérés totaux de 102 000 $. L’appelante avait décidé d’accepter la somme de 16 000 $ en règlement complet des arriérés accumulés – qui comprenaient aussi bien la pension alimentaire de l’appelante que celle des enfants – et renonçait ainsi à toute réclamation future au titre de la pension alimentaire pour elle-même. Elle avait également convenu d’accepter la somme relativement petite de 200 $ par mois par enfant – soit un total de 400 $ – au titre du paiement continu de la pension alimentaire. La somme de 16 000 $ – même si aucun autre élément ne s’y rattachait – ne représentait cependant que 15,6 p. 100 du montant total que M. Henderson devait à l’appelante en application de l’ordonnance de 1991. La dette totale de ce dernier – soit 102 000 $ – correspondait à une série ininterrompue de paiements non effectués sur une période de 51 mois. À mon avis, il est extrêmement difficile de considérer que la somme de 16 000 $ conserve son caractère périodique, comme cela avait été le cas au cours de la première année, alors que M. Henderson s’acquittait de fait de ses obligations. Au cours de la période de 51 mois et compte tenu du caractère périodique des paiements, l’appelante était en droit de s’attendre à recevoir régulièrement et en temps opportun un revenu fixe, et elle aurait été en mesure d’utiliser ce revenu régulier pour gérer ses affaires. Toutefois, après que M. Henderson a cessé tout paiement, l’appelante devenait créancière d’arriérés accumulés qu’elle n’est pas arrivée à recouvrer malgré tous les efforts qu’elle a déployés. La décision qu’elle a prise en 1997, soit de renoncer à tout droit de réclamer une pension alimentaire pour elle-même et d'accepter moins de 16 p. 100 du montant que M. Henderson lui devait aux termes de l’ordonnance de 1991, était semblable à une décision commerciale prise par un créancier ayant affaire à un débiteur intransigeant qui néglige constamment de rembourser un prêt en cours, de verser des redevances, de payer le loyer ou d’effectuer ses paiements de location et qui ne possède pas suffisamment de biens saisissables pour s’acquitter de l’ensemble de sa dette. En acceptant le règlement et en en obtenant la ratification par voie de consentement à l’ordonnance rendue par le protonotaire Doolan en 1997, l’appelante a aussi renoncé à son droit de conserver un intérêt dans la résidence principale de M. Henderson, droit qu’elle avait aux termes du privilège qu’elle avait fait enregistrer à l’encontre du titre de propriété. Elle aurait pu – à un moment donné – intenter une action dans laquelle elle aurait demandé la vente en justice de la maison de M. Henderson en vue de se faire payer ce que ce dernier lui devait, mais ce processus aurait été long et coûteux, et le montant qu’elle aurait en bout de ligne recouvré aurait été fonction de la nature et de l’ordre de priorité des autres charges grevant également la résidence de M. Henderson. Après avoir analysé sa situation et tenu compte du manquement de son ex-conjoint à ses obligations, l’appelante a pris les décisions suivantes. Elle a convenu : a) de renoncer à son droit d’obtenir pour elle-même toute pension alimentaire future; b) d’accepter un montant incroyablement réduit en règlement complet des arriérés dus; c) de donner mainlevée d’un privilège – grevant la maison de M. Henderson – qui constituait la seule forme de sûreté qu’elle pouvait réaliser pour obtenir paiement de cette importante dette; et d) d’accepter à l’avenir une pension alimentaire réduite pour les enfants.

 

[23]    Les faits du présent appel vont au-delà de ceux de l’affaire Soldera, précitée, où le juge Garon a conclu que l’ordonnance en cause ne modifiait pas la nature de l’obligation, mais ne faisait que la réduire. Par ailleurs, en l’espèce, l’appelante, qui a renoncé à une série de droits en échange d’un paiement de 16 000 $, est dans une situation différente de celle des contribuables en cause dans les affaires Widmer et Turner, précitées. Dans l’affaire Widmer, c’était l’important écart entre le montant dû et le montant accepté – sous forme de somme forfaitaire – en règlement complet des arriérés, ainsi que la diminution des obligations futures du payeur, qui a amené le juge Mogan à conclure que le montant reçu n’était pas imposable. Dans l’affaire Turner, le juge Hamlyn a estimé que la somme forfaitaire fixée en règlement des arriérés était suffisamment inférieure au montant réel des arriérés pour que, lorsqu’il est tenu compte de la libération du débiteur et de la cessation de tout paiement dû aux termes d’une disposition particulière d’un jugement conditionnel, le montant ne puisse plus être considéré comme un montant payé conformément aux alinéas 56(1)b) et c) de la Loi à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement. À mon avis, les faits du présent appel se rapprochent davantage de ceux de l’affaire MacBurnie, précitée, dans laquelle le conjoint de l’appelante avait versé à celle-ci une somme forfaitaire en vue de mettre fin à ses obligations envers elle aux termes de l’accord de séparation.

 

[24]    L’ordonnance du 18 juillet 1997 – pièce A-1 – ramenait expressément les arriérés dus aux termes de l’ordonnance du 12 juillet 1991 à une somme de 16 000 $. On y enjoignait à M. Henderson de payer immédiatement cette somme pour annuler les arriérés, et à l’appelante de donner mainlevée du privilège qu’elle avait fait enregistrer sur la maison de M. Henderson en garantie des arriérés de pension alimentaire qu’il lui devait. Dans un paragraphe précédent – le deuxième – de l’ordonnance du 18 juillet 1997, on modifiait l’ordonnance antérieure en annulant la pension alimentaire qui devait aux termes de celle-ci être payée à l’appelante. Je retiens les définitions du verbe « annuler » que l’appelante a fournies dans ses observations écrites, lesquelles définitions se lisent comme suit :

         

[TRADUCTION]

 

Annuler – Supprimer; mettre un terme à qqch. – The Shorter Oxford English Dictionary, 3e édition (Clarendon Press : Oxford, 1986)

 

Annuler – Rescinder, se désister, abroger; abandonner; renoncer; résilier. – Black’s Law Dictionary, 6e éd. (West Publishing Co., St Paul, Minn. 1990)

 

[25]    En outre, le Canadian Oxford Paperback Dictionary – Oxford University Press – 2000 comporte la définition suivante du verbe  « annuler » : supprimer, rendre nul, abolir.

 

[26]    Bien que des décisions récentes de la Cour suprême du Canada permettent à une créance alimentaire de survivre à toute entente ou ordonnance à l’effet contraire, lorsque des circonstances exceptionnelles existent, la renonciation de l’appelante – en 1997 – à son droit de réclamer à l’avenir toute pension alimentaire pour elle-même correspondait à la norme acceptable selon l’état actuel du droit matrimonial. Elle renonçait bel et bien à un flux de revenus qui auraient pu s’avérer considérables, quoique la réalité semble indiquer que penser ainsi serait croire que l’espoir peut triompher sur l’expérience – c’est un peu comme le rêve des amateurs de hockey de voir triompher une équipe perpétuellement dernière au classement, ou comme la béatitude dans laquelle sont plongés des couples éperdument amoureux qui se lancent dans des mariages subséquents. Pour remédier à l’injustice causée aux particuliers qui recevaient des arriérés de pension alimentaire sous forme de somme forfaitaire, le gouvernement fédéral a adopté la résolution budgétaire de 1999, qui proposait un mécanisme permettant l’étalement des sommes forfaitaires sur les années d’imposition antérieures auxquelles ces sommes se rapportaient.

 

[27]    En ce qui a trait aux faits particuliers du présent appel et aux circonstances dans lesquelles la somme forfaitaire a été payée – notamment le fait que l’appelante a fait une « offre spéciale » à son ex-conjoint –, je conclus que la somme de 16 000 $ que l’ex-conjoint de l’appelante a versée à cette dernière était si inextricablement liée à une autre contrepartie de valeur qu’on ne peut plus considérer qu’elle a un lien raisonnable avec les paiements périodiques ordonnés par le protonotaire Doolan le 12 juillet 1991. En acceptant le paiement immédiat de la somme de 16 000 $ – conformément à une ordonnance –, l’appelante pouvait sans délai accumuler un certain capital, et l’entente par laquelle elle acceptait à l’avenir une pension alimentaire réduite pour les enfants faisait partie intégrante du règlement global dans lequel elle avait non seulement renoncé à son droit de recouvrer une créance exigible, mais aussi convenu de renoncer à toute créance alimentaire future pour elle-même.

 

[28]    Lorsqu’une partie néglige et omet constamment – sur une longue période – de faire les versements auxquels elle est tenue et détruit de ce fait la qualité de la périodicité existant aux termes de son obligation, il est irréaliste de s’attendre à ce qu’un paiement unique, tardif et insuffisant – compte tenu du contexte – puisse permettre de redonner à cette obligation préexistante son caractère initial, particulièrement dans des circonstances où le payeur a rattaché le paiement de la somme forfaitaire à une renonciation par le bénéficiaire à d’autres droits, de telle manière que ce paiement unique constitue une partie intégrante et indivisible du règlement.

 

[29]    Compte tenu des motifs ci-devant énoncés, je conclus que la somme de 16 000 $ que l’appelante a reçue était de par sa nature non imposable puisqu’elle ne constituait pas un revenu au sens de l’alinéa 56(1)b) de la Loi.

 


[30]    L'appel est admis, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la somme de 16 000 $, qui avait préalablement été incluse dans le revenu, doit en être exclue.

 

 

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 25e jour de janvier 2002.

 

 

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de janvier 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.