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Date: 20001003

Dossier: 1999-733-IT-G

ENTRE :

FRANCIS BADAAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Les présents appels portent sur des cotisations établies suivant la méthode de la valeur nette pour les années d'imposition 1991 à 1994. L'appelant a déclaré à titre de revenu pour les années d'imposition en question les montants respectifs de 20 575 $, (7 782 $), 22 568 $ et 22 005 $.

[2] Dans la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelant pour ces années d'imposition, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a inclus les montants suivants dans le revenu total de l'appelant : 43 250 $, 36 644 $, 21 994 $ et 169 382 $. Parce que l'appelant n'avait pas déclaré la totalité de son revenu, le ministre a imposé des pénalités en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour les années d'imposition 1991 à 1993. Par inadvertance, le ministre n'a pas imposé de pénalités pour l'année d'imposition 1994.

[3] Ont comparu pour le compte de l'appelant, l'appelant lui-même, Mme Vivian Veys, M. Marc Langlois et M. Sonny Badaan et, pour le compte de l'intimée, M. Pierre Mercier.

[4] L'avocat de l'appelant a d'abord fait valoir que son client avait tenu les livres et les registres appropriés et qu'il n'y avait donc pas lieu d'appliquer la méthode de la valeur nette. Subsidiairement, si la méthode de la valeur nette est jugée acceptable, l'avocat a soutenu que les biens existaient avant 1991.

[5] L'appelant a déclaré qu'il est né en 1949 à Nazareth, Israël, où il a grandi et fait ses études secondaires. Au cours de son adolescence, il a travaillé à temps partiel dans l'atelier de menuiserie de son frère. Déjà, quand il était tout jeune, il avait pris l'habitude de mettre de l'argent de côté. En 1968, à l'âge de 19 ans, il a immigré au Canada. Il est devenu citoyen canadien le 10 janvier 1974. Son certificat de citoyenneté canadienne a été produit en preuve sous la cote A-2. L'appelant a déclaré qu'au début, il avait prêté main-forte à son frère, qui avait un dépanneur. Il a travaillé à temps partiel avec son frère jusqu'en 1973, lorsqu'il a acheté son propre dépanneur situé sur la place de La Vérendrye à Hull. Il en a été propriétaire de 1973 à décembre 1976, mois au cours duquel il l'a vendu pour acheter le Dépanneur Mont-Bleu situé au 6, rue Georges Bilodeau. Il a exploité ce dépanneur durant 20 ans. Il l'a vendu à la fin de janvier 1996. L'appelant réside aux États-Unis depuis août 1997.

[6] L'acte de vente du dépanneur a été produit sous la cote A-1. Il est daté du 19 janvier 1996. Le prix d'achat était de 50 000 $; l'appelant a versé 25 000 $ comptant et le solde a été financé par le vendeur. Le prix d'achat était réparti de la façon suivante : 15 000 $ pour le fonds de commerce, 10 000 $ pour le stock et 25 000 $ pour le matériel. Le propriétaire des locaux est le frère de l'appelant, M. Sonny Badaan, qui a signé un bail avec l'acheteur.

La propriété de Nazareth

[7] Le père de l'appelant, Asaad Badaan, est décédé en 1982. Cependant, en 1975, il avait transféré à l'appelant la propriété qu'il possédait à Nazareth. Les documents attestant le transfert ont été produits sous les cotes A-4 à A-6. L'appelant a raconté que ses frères, Elias et Sonny, et lui-même avaient pris l'engagement de laisser leur mère continuer à habiter la maison paternelle. Les frères devaient verser à l'appelant leur part de la valeur d'expertise de la maison. En dollars américains, la valeur de la propriété s'élevait à 241 910 $, ce qui, en dollars canadiens, équivaut à quelque 340 000 $. Les deux frères auraient effectué les paiements chaque année ou tous les deux ans, de 1975 à 1991. Ils versaient l'argent à leur convenance, mais ils ont respecté leur engagement et ont effectué les paiements, aux dires de l'appelant, jusqu'en 1991, lorsqu'ils ont fait un paiement final de 25 000 $ chacun. L'appelant a produit à cet égard la pièce A-24. Il s'agit d'un document manuscrit daté du 15 mai 1997 dans lequel il est précisé qu’Elias et Sonny Badaan ont versé à Francis Badaan un paiement final de 25 000 $ chacun en 1991, par chèque. L'appelant a expliqué qu'il avait conclu la vente de la maison à sa mère en 1991. Les pièces A-7 à A-9 montrent que la propriété de Francis Badaan a été transférée à Shafika Badaan en 1991.

[8] Pour faire la preuve des paiements effectués par ses frères, l'appelant a produit les pièces A-11 à A-13. La pièce A-11 est un document signé par le frère de l'appelant, Elias Badaan, et daté du 14 juillet 1976 à Hull. Ce document a été signé devant un commissaire à l'assermentation. On peut y lire ceci : [TRADUCTION] “ La présente est pour certifier que monsieur Elias Badaan, résidant au 134-13 Nazareth, Israël, a remis un don (cadeau) de 20 000 $ à monsieur Francis Badaan. ” Le document porte la signature de M. Elias Badaan. La pièce A-12 est constituée de cinq billets à ordre de 4 039,80 $ payables par M. Sonny Badaan à compter de l'année 1985 et jusqu'à l'année 1989. La pièce A-13 est un virement électronique de 24 980 $ censément effectué par Sonny Badaan en faveur de l'appelant le 7 février 1991. Le virement avait été fait à la demande de Shafika Badaan, le 7 février 1991. Même si le paiement avait été effectué à la demande de Shafika Badaan, l'appelant a déclaré que l'argent avait été versé par son frère Sonny.

[9] La pièce A-14 est une lettre de la Caisse populaire St-Raymond de Hull, dans laquelle il est précisé que l'appelant a effectué un dépôt de 24 980 $ le 7 février 1991 et un autre de 25 000 $ le 4 mars 1991 et que les montants ont par la suite été placés dans des dépôts à terme.

[10] L'appelant a déclaré qu'il n'avait pas conservé de registre des paiements effectués par ses frères. Il ne sait pas combien ils lui ont versé au cours d'une année donnée. Il sait toutefois combien il a reçu au total.

Le mariage de l'appelant

[11] Avant son mariage, l'appelant occupait le sous-sol de la maison de son frère. Il payait 200 $ par mois pour le gîte et le couvert. Il a déclaré qu'il travaillait sept jours sur sept et qu'il dépensait peu. Il mettait de l'argent de côté, qu'il conservait dans un coffre-fort, dans sa chambre à coucher. L'appelant a expliqué qu'il s'était fixé pour but d'assurer sa sécurité financière avant son mariage. Il a acheté sa première voiture après s'être marié. Il y avait environ 150 000 $ dans le coffre-fort lorsqu'il s'est marié en 1984, à l'âge de 35 ans. Deux enfants sont issus de ce mariage.

[12] Son épouse, Leila Najjar, vivait à Nazareth, où elle a enseigné pendant 12 ans. Elle s'est mariée à l'âge de 32 ans. L'appelant avait rencontré son épouse par l'intermédiaire de sa soeur, qui avait été à l'école avec elle. L'appelant a déclaré que son épouse avait des économies de 89 000 $ au moment de leur mariage. La pièce A-19 est une lettre de la Caisse populaire St-Raymond de Hull, datée du 17 septembre 1987, dans laquelle il est précisé que l'épouse de l'appelant a fait deux versements en argent, l'un de 50 000 $ le 16 septembre 1987 et l'autre, de 39 000 $ les 18 et 21 septembre 1987. Cette même année, ils ont acheté une maison, qu'ils ont payée 110 000 $, en deux versements, le premier en 1987, le deuxième, un an plus tard.

[13] La pièce A-22 est un affidavit rédigé par l'épouse de l'appelant et la mère de celle-ci le 19 octobre 1994. Il y est précisé qu'un montant total de 61 000 $ a été déposé dans le compte bancaire de l'épouse au Canada. Ce montant représente les économies que cette dernière a réalisées à Nazareth, Israël, de même que les sommes qu’elle a reçues de sa mère, Victoria Najjar. Les virements de fonds ont été effectués entre 1984 et 1994.

Les livres et les registres

[14] L'appelant a déclaré qu'il tenait un relevé quotidien des ventes. À la fin de chaque semaine, la comptable transcrivait les montants dans un grand livre. Elle préparait également les relevés hebdomadaires et les relevés mensuels de caisse. Elle se servait ensuite de ces documents pour calculer les taxes de vente. Elle s'occupait de préparer les documents nécessaires pour payer les fournisseurs. Elle établissait également la paie des employés. Lorsque arrivait le moment de l'inventaire, elle préparait aussi l'état financier de fin d'exercice. L'appelant effectuait les dépôts quotidiens à la Caisse populaire située sur la rue Georges Bilodeau.

[15] L'appelant avait la même comptable que son frère Sonny, qui possédait le centre commercial Place Riel, situé sur le boulevard Mont-Bleu. L'appelant conservait les relevés au sous-sol du centre commercial de son frère. En octobre 1995, un incendie s'est déclaré au sous-sol du centre commercial et tous les livres ont été détruits.

[16] L'intimée a produit, sous la cote R-1, deux recueils de documents contenant les onglets 1 à 41. L'avocat de l'intimée a montré à l'appelant l'état des résultats figurant dans les déclarations de revenu pour l'année 1991, qui se trouvent à l'onglet 1 de la pièce R-1. Dans cet état, il est indiqué que les ventes de bière s'élèvent à 16 678,32 $ et que le coût des marchandises vendues, soit la bière, s'élève à 53 091,50 $. Aux dires de l'appelant, l'erreur aurait été commise par l’employé qui tenait la caisse. Les ventes de billets d’autobus s'élèvent à 1 327,79 $ et leur coût d'achat est de 5 082,15 $. L'appelant a de nouveau affirmé que l’employé avait mal poinçonné la caisse. Le relevé a été établi d’après les registres fournis par l'appelant. On relève les mêmes erreurs dans l'état des résultats de 1992. Le coût d'achat de la bière est de 57 910,24 $, et les ventes s'élèvent à 13 636,46 $. Dans le cas des billets, les ventes sont de 625 $ alors que le coût d'achat est de 3 659,64 $. En 1992, le dépanneur a déclaré une perte de 12 739 $. Pourtant, l'appelant était père de deux enfants durant cette période.

[17] Dans l'état des résultats du dépanneur pour l'année 1992 figure des frais d'intérêt de 2 751,33 $. On a demandé à l'appelant pourquoi il aurait emprunté de l'argent s'il avait des espèces en caisse? L'appelant ne se rappelle pas avoir emprunté de l'argent.

Billets et laissez-passer d'autobus

[18] L'appelant vendait des laissez-passer mensuels et des billets d'autobus pour la Société de transport de l'Outaouais (STO). Les laissez-passer et les billets étaient laissés en consigne et le vendeur avait droit à 1 p. 100 des ventes réalisées. M. Marc Langlois était agent de la STO.

[19] Les sommes étaient versées dans le compte personnel de l'appelant — no 31846. La STO ne semblait pas se formaliser de la chose, dans la mesure où l'argent n'était pas versé dans le compte commercial. L'appelant payait la STO par chèque le vingtième jour du mois environ.

[20] Dans le cadre de la vérification de la valeur nette, on a constaté une augmentation des montants indiqués dans le compte de chèque no 31846 entre la fin de 1990 et la fin de 1991. À la fin de l'année 1990, le solde était de 2 224 $, et à la fin de 1991, de 3 516 $. Il s'élevait à 31 080 $ à la fin de 1992, à 23 443 $ à la fin de 1993 et à 21 399 $ à la fin de 1994. L'appelant a expliqué que les soldes avaient augmenté parce que l'argent appartenait à la STO.

[21] L'appelant a produit sous la cote A-23 la liste des chèques établis à l'ordre de la STO de 1992 à 1994. Par exemple, pour l'année 1993, le dernier chèque est de 14 908,41 $. À l'onglet 24 de la pièce R-1, on trouve les inscriptions relatives au compte de chèque no 31846. À la fin de l'année 1993, le solde du compte était de 23 443,89 $, déduction faite du chèque de 14 908,41 $ établi à l'ordre de la STO.

[22] Dans l'état de la valeur nette, sous la rubrique “ obligations commerciales ”, on constate une augmentation des comptes fournisseurs, qui sont passés de 11 947 $ en 1991 à 32 047 $ en 1992. Pour l'année 1993, ces comptes s'élevaient à 25 828 $. L'appelant a affirmé qu'ils ne se rapportaient pas au compte de la STO, puisque celui-ci n’était pas un compte commercial. Il a par ailleurs été incapable d'expliquer pourquoi il y avait eu augmentation du passif au titre des comptes clients.

La vérification

[23] L'appelant a indiqué que Revenu Canada avait examiné ses livres des années en cause pour la première fois en août 1995. M. Walters y a consacré deux ou trois semaines. Il n'a pas été obligé de se rendre au sous-sol, l'appelant ayant apporté les livres au magasin. À l'arrivée de M. Walters, les livres, qui se trouvaient au magasin, ont été transportés au bureau du frère de l'appelant, où M. Walters a travaillé pendant trois semaines. Il n'a formulé aucune observation sur la manière dont les livres étaient tenus. On trouve quelques-uns des documents de travail de M. Walters à l'onglet 18 de la pièce R-1. Ils sont datés du 28 août 1995. Il s'agit d'un rapprochement des recettes et des dépenses, non pas d'un rapport. M. Walters ne s'est pas entretenu avec l'appelant par la suite. Revenu Canada a communiqué avec l'appelant environ dix mois plus tard, en 1996; c'est M. Sabourin qui était en charge du dossier.

Encaisse

[24] L'appelant a déclaré qu'il avait 300 000 $, 300 000 $, 270 000 $, 250 000 $ et 30 000 $ respectivement en caisse au cours des années 1990 à 1994. Ces montants sont mentionnés dans une lettre rédigée par l'avocat de l'appelant, en date du 27 janvier 2000, et produite sous la cote R-2. Cette lettre a été envoyée pour respecter l'engagement pris au cours de l'interrogatoire préalable. L'encaisse a sensiblement diminué en 1994, l'appelant l'ayant déposé à la banque afin de disposer d'une source de revenu en prévision de la vente éventuelle de son entreprise. Il a déboursé au total 170 144 $ pour acquérir les valeurs mobilières RBC Dominion indiquées dans l'état de la valeur nette. Au cours de l'année 1993, il a déboursé 22 440 $ pour acquérir des valeurs mobilières RBC Dominion.

[25] Mme Vivian Veys travaille à la Caisse populaire St-Raymond de Hull depuis 25 ans. Elle a produit les pièces A-20 et A-21. La pièce A-20 est une déclaration qu’elle a signée le 25 avril 1997, dans laquelle elle affirme que l'appelant a effectué un dépôt de 124 000 $ le 26 mai 1984. La pièce A-21 est une autre confirmation, datée du 12 mars 1997, d'un placement à terme de 24 840 $ effectué par l'appelant le 5 décembre 1983. M. Marc Langlois, agent à la commercialisation à la STO, a confirmé le témoignage de l'appelant concernant la vente des laissez-passer et des billets d'autobus.

[26] M. Sonny Badaan est le frère de l'appelant. Il est né à Nazareth et a immigré au Canada le 2 juillet 1967. Il a parrainé son frère pour qu'il vienne étudier la médecine à l'Université d'Ottawa. L'appelant y a poursuivi ses études pendant trois ou quatre ans. Le témoin lui a ensuite fait don d'un petit dépanneur, pour commencer. L'appelant s'est mis à travailler jour et nuit et à mettre de l'argent de côté. Il ne sortait pas. Lorsque l'appelant est retourné en Israël pour se marier, le témoin et son épouse se sont mis à la recherche d'un appartement, qu'ils ont meublé et décoré. C'est le témoin qui a payé pour cet appartement. Au sujet de la propriété de Nazareth, le témoin a expliqué que son père avait laissé trois propriétés, une à chacun de ses fils. La mère s'est retrouvée sans domicile. Les deux frères ont donc décidé de demander à l'appelant de leur vendre la maison et de laisser la mère y habiter. Les paiements auraient été effectués à compter de 1975. La maison aurait pu être payée en 25 ans. Pour ce qui est de la pièce A-13, le témoin ne comprenait pas pourquoi l'argent avait été versé par sa mère par l'entremise de la Banque Royale du Canada. Il n'avait pas de compte à cette banque à l'époque. Il a déclaré que, contrairement à son frère, il se fie au système bancaire et ne fait pas de réserves en argent.

[27] M. Pierre Mercier travaille actuellement pour l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Il s'occupait du dossier en avril 1996. La vérification avait été entreprise par le vérificateur Robert Walters en août 1995. M. Walters ayant quitté le ministère, M. Mercier a pris la relève. Il a rencontré M. Badaan à une occasion au moins; il a discuté avec lui au téléphone à la fin de 1996, lorsque le dossier a été transféré à la Section des enquêtes spéciales.

[28] Ayant accumulé suffisamment de renseignements pour établir l'état de la valeur nette, M. mercier a constaté qu'il existait un écart significatif entre le revenu non déclaré et le revenu déclaré. On a utilisé la méthode de la valeur nette en raison du manque de documents écrits relatifs aux opérations effectuées. Il y a de nombreuses opérations au comptant, et les ventes ne sont étayées d'aucune facture. Il y a bien des rubans de caisse, mais l'appelant lui avait indiqué que les montants poinçonnés par le caissier étaient erronés. On ne peut effectuer la vérification de données qui sont erronées en partant, encore moins quand il faut tenir compte de paiements en argent qui n'ont peut-être pas été consignés.

[29] En ce qui concerne les dépenses familiales, les montants utilisés dans le cadre de la vérification de la valeur nette correspondaient à plus de la moitié du montant normalement dépensé, selon Statistique Canada, par une famille de quatre personnes. Au sujet des deux montants de 25 000 $ censément reçus de la famille de l'appelant pour l'année 1991, le vérificateur a déclaré que, s'il avait eu copie de la pièce A-13 lorsqu’il avait effectué sa vérification, il aurait peut-être déduit ces montants. La pièce A-13 indique que Shafika Badaan a effectué un virement électronique de 24 990 $ en faveur de Francis Badaan. Le vérificateur a déclaré que la preuve de l'autre versement de 25 000 $ qui aurait été effectué par les frères n'avait pas été faite. Il n'avait pas non plus vu la pièce A-24 lorsqu'il avait procédé à la vérification. Ce document a été signé le 15 mai 1997. Il en a pris connaissance au cours de l'interrogatoire préalable. Il s'est interrogé sur la crédibilité qu'il pouvait accorder à ce document. Habituellement, il s'appuie aussi sur d'autres documents, par exemple des chèques payés. En ce qui concerne le compte personnel no 31846, dans lequel les montants dus à la STO étaient déposés, le vérificateur a supposé que les comptes fournisseurs indiqués dans la colonne des obligations commerciales incluaient ces montants. L'augmentation concorde avec les montants payables à la STO. Aucune autre explication ne lui a été fournie. Il a en outre mentionné que, comme il est indiqué à l'onglet 31 de la pièce R-1, des placements importants avaient été effectués à l'aide de l'argent qui se trouvait dans le compte no 31846.

Argumentation

[30] L'avocat de l'appelant a fait valoir que ce dernier avait tenu les livres et les registres appropriés et qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer la méthode de la valeur nette. Il a également soutenu que le revenu additionnel provenait de montants d'argent qu'il avait économisés avant 1991 et des derniers paiements totalisant 50 000 $ reçus au cours de l'année 1991 relativement à la maison de Nazareth. En ce qui concerne l'augmentation substantielle du revenu au cours de la dernière année, il a déclaré qu'elle est insensée lorsqu'on tient compte du prix de vente du dépanneur, soit 50 000 $, comme en fait foi la pièce A-1.

[31] L'avocat de l'intimée prétend qu'un examen des livres et des registres ne permet pas de déterminer le revenu avec précision lorsque la plupart des ventes sont faites au comptant et que la caisse est mal tenue. Il a soutenu que, dans les cas où l'analyse de la valeur nette montre qu'il existe véritablement un écart entre le revenu déclaré et la valeur des biens acquis au cours de l'année, le ministre peut établir sa cotisation en s'appuyant sur les données obtenues dans le cadre de la vérification de la valeur nette. Le paragraphe 152(7) de la Loi précise clairement que le ministre n'est pas lié par les renseignements fournis par le contribuable et qu'il peut fixer l'impôt à payer par le contribuable. Il appartient à ce dernier de montrer que le montant de revenu additionnel provient d'une source non imposable.

[32] L'onglet 31 de la pièce R-1 fournit la preuve que le compte no 31846 n'a pas été utilisé uniquement aux fins du compte de la STO. En outre, aucune explication raisonnable n'a été donnée concernant l'augmentation des comptes clients et fournisseurs. La comptable n'a pas témoigné. Elle aurait pu indiquer les montants qu'elle avait inclus dans les comptes en question.

[33] En ce qui concerne l'augmentation substantielle de 169 382 $ pour l'année 1994, l'avocat de l'appelant a affirmé qu'il connaissait des dépanneurs dont les revenus bruts se situaient dans les 500 000 $. Il a soutenu qu'en l'absence de preuve, la Cour ne devrait pas inférer que des revenus de cet ordre sont impossibles ou irréalistes. S'il s'agit de montants qui n'ont pas été déclarés au cours des années antérieures, la Cour ne peut, techniquement parlant, les accepter. L'appelant doit convaincre la Cour qu'il avait déjà cet argent.

[34] L'avocat de l'intimée a soutenu que les explications fournies concernant l'argent comptant dont l’appelant disposait n'étaient pas crédibles. Aucune preuve n'a été produite pour établir que de l'argent avait été versé relativement à la maison. Personne n'a pu expliquer pourquoi le paiement semble avoir été effectué par le truchement de la Banque Royale du Canada alors que Sonny Badaan a affirmé qu'il n'avait ouvert un compte dans cette banque qu'en 1994, et personne n'a pu expliquer pourquoi c'est Shafika Badaan, et non pas Sonny, qui aurait autorisé ce paiement.

Conclusion

[35] Je suis d'avis que la thèse de l'avocat de l'intimée, en ce qui concerne le pouvoir conféré au ministre d'établir des cotisations fondées sur la méthode de la valeur nette dans les cas où il existe manifestement un écart entre le revenu déclaré et la valeur des biens acquis, est conforme à la Loi. Il incombe au contribuable de prouver que le revenu supplémentaire provient d'une source de revenu non imposable.

[36] Je vais maintenant reprendre les faits pour chacune des années. Pour l'année 1991, la question en litige est l'inclusion du montant de 50 000 $ à titre de revenu non déclaré. Ce montant était composé de deux dépôts à terme de 25 000 $ chacun. On a expliqué qu'il s'agissait de paiements effectués par les frères de l'appelant relativement à une propriété située à Nazareth. La pièce A-24 est datée du 15 mai 1997. Elle porte la signature des trois frères. Il y est indiqué que deux montants de 25 000 $ chacun ont été versés en paiement final en 1991, par chèque. Aucun chèque n'a été produit. L'appelant a déclaré que le mot chèque avait été employé par erreur dans cette déclaration. Cependant, M. Sonny Badaan a témoigné qu'il utilise le système bancaire pour faire ses paiements. À mon avis, on ne peut s'appuyer sur ce document. La pièce A-13, qui est datée du 7 février 1991, semble authentique. Il est surprenant qu'elle n'ait pas été montrée au vérificateur avant la tenue de l'audience. Un autre montant de 25 000 $ se trouve ainsi à s'ajouter au montant de 50 000 $ mentionné dans la pièce A-24. Cela représente tout simplement beaucoup trop d'argent. Le document indique que le montant de 24 990 $ a été viré dans le compte no 31846 à la demande de Shafika Badaan et que la banque ayant effectué le virement était la Banque Royale du Canada.

[37] Le représentant du ministre a déclaré que, s'il avait vu le document au moment de la vérification, il n'aurait peut-être pas inclus le montant dans le revenu non déclaré. Ce point de vue ne poserait pas de problème s'il était manifeste que le montant avait été reçu en cadeau ou provenait d'une autre source non imposable. Il est toutefois impossible de déterminer la nature exacte du paiement. Il incombait à l'appelant de donner les précisions voulues à ce sujet. Il ne l'a pas fait. Pour l'année 1991, je conclus donc que la cotisation établie à l'égard de l'appelant s'appuie sur les faits et sur la Loi.

[38] Pour les années 1992 à 1994, il y a un point commun en litige. C'est la question de savoir si le solde, à la fin de chaque année, du compte de chèque no 31846, dans lequel le produit de la vente des laissez-passer et des billets d'autobus de la STO était déposé, devrait être inclus dans le revenu non déclaré. Je conclus que la thèse du ministre à cet égard est plus convaincante que celle de l'appelant. Ce dernier n'a pas fourni d'explications concernant l'augmentation des obligations commerciales au titre des comptes fournisseurs.

[39] Pour l'année 1994, toutefois, il y a à mon avis une question importante à trancher. C'est celle de l'augmentation de 169 382 $ du revenu non déclaré comparativement à une augmentation moyenne de 33 962,66 $ au cours des années antérieures. (J'ai calculé l'augmentation moyenne de revenu pour les années 1991 à 1993. Pour l'année 1991, je n'ai pas soustrait le montant de 24 990 $, vu qu'aucune explication raisonnable n'a été fournie au sujet de la provenance de ce montant. La cotisation d'impôt d'un contribuable est établie en fonction de son revenu total.) Comme il est indiqué à l'onglet 4 de la pièce R-1, en 1994, le coût des marchandises vendues s'élevait à 167 621,21 $ et les ventes brutes, à 236 782,10 $. Pour les années 1991 à 1993, l'augmentation de revenu semble raisonnable. Pour l'année 1994, elle semble étonnamment élevée. Le ministre aurait pu appuyer sa cotisation sur des données statistiques concernant le taux de majoration normal sur le coût des marchandises vendues dans un dépanneur. Le ministre aurait également pu procéder à une analyse comparative du prix de vente du dépanneur et du revenu qu'il était censé générer.

[40] Je conclus que la preuve produite a permis d'établir que l'appelant avait hérité d'une propriété en 1975, laquelle a été transférée à sa mère en 1991. Il est probable que l'appelant a été indemnisé par sa famille pour ce transfert ou pour l'utilisation antérieure de la maison. Il se peut également fort bien que l'appelant et sa femme aient géré leurs finances avec prudence. Je trouve donc plus raisonnable d'accepter que l'appelant avait des économies, qu'il a utilisées au cours de l'année 1994 pour acquérir les valeurs mobilières pour lesquelles il a payé un montant si élevé, que de croire que la totalité de l'augmentation de revenu était imputable au dépanneur ou à quelque autre source de revenu non déclarée. En conclusion, pour l'année 1994, le montant à inclure dans le revenu est celui de l'augmentation moyenne calculée précédemment pour les années 1991 à 1993.

[41] L'avocat est resté muet sur la question des pénalités. Étant donné l'écart important qui existe entre le revenu déclaré et le revenu non déclaré, j'estime qu'elles ont été établies en conformité avec la Loi.

[42] Les appels sont rejetés pour les années 1991 à 1993. L'appel est admis pour l'année 1994 en tenant compte du fait qu'un montant de 33 962,66 $ doit être inclus dans le revenu de l'appelant.

[43] Les dépens seront attribués à l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d'octobre 2000.

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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