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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

98-930(IT)I

ENTRE :

GEORGE BELLEMORE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

 

Appel entendu le 19 mars 2001, à Ottawa (Ontario), par

 

l’honorable juge M. A. Mogan

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelant :               Me Joseph Comartin

 

Avocate de l’intimée :                Me Carole Benoit

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation d’impôt établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1996 est rejeté. 

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de septembre 2002.

 

 

 

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d'août 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020917

Dossier: 98-930(IT)I

 

 

ENTRE :

GEORGE BELLEMORE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Mogan

 

[1]     La question principale dans le présent appel est de savoir si certains montants payés par l’appelant en 1996 sont déductibles dans le calcul du revenu à titre de pension alimentaire ou d'allocation d’entretien en vertu des alinéas 60b) ou 60c) de la Loi de l'impôt sur le revenu. L’appelant a déduit dans le calcul de son revenu les montants qu’il a payés en 1996. Par voie d’avis de nouvelle cotisation en date du 10 novembre 1997, le ministre du Revenu national n’a pas admis la déduction de tels montants. L’appelant a interjeté appel à l’encontre de cette nouvelle cotisation et a demandé que la procédure informelle régisse son appel. La question secondaire dans le présent appel est de savoir si les alinéas 60b) et 60c) représentent de la « discrimination » au sens de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. La seule année d’imposition à laquelle se rapporte le présent appel est 1996.

 

[2]     L’appelant a épousé une femme prénommée Shirley le 20 septembre 1969. Deux enfants sont issus du mariage : Sean Christopher, né le 7 janvier 1973, et Michael Joseph, né le 26 novembre 1975. L’appelant et Shirley se sont séparés le 1er avril 1983. Après la séparation, les deux fils sont restés sous la garde de Shirley. L’appelant a été tenu de payer à Shirley une pension alimentaire pour enfants conformément à une ordonnance rendue par un tribunal en octobre 1983. En vertu d’un jugement irrévocable rendu par un tribunal de l’Ontario le 26 mai 1989 (pièce A‑1), Shirley a obtenu un divorce d’avec l’appelant; en outre, Shirley a obtenu la garde des deux fils, et l’appelant a été tenu de lui payer une pension alimentaire pour enfants de 85 $ par semaine par enfant à partir du 17 mars 1989.

 

[3]     Aux termes du paragraphe 4 du jugement irrévocable, les paiements de pension alimentaire pour enfants devaient être rajustés au mois de mars de chaque année selon un facteur d’indexation déterminé au mois de novembre précédent. Shirley est décédée en juillet 1992. Lorsque Shirley est décédée, Sean avait 19 ans et Michael avait 16 ans. Les deux fils ont continué à habiter avec le frère de Shirley (leur oncle) dans la demeure où ils avaient habité avec leur mère avant le décès de celle‑ci. Apparemment, une ordonnance provisoire a été rendue par un tribunal en février 1993, laquelle ordonnance exigeait que l’appelant continue à payer une pension alimentaire pour enfants. L’appelant a été informé que les paiements de pension alimentaire pour enfants qui étaient déduits de sa paye ne le seraient plus après octobre 1993, quand Sean aurait 20 ans et que Michael aurait 18 ans.

 

[4]     Après que, en novembre 1993, les paiements de pension alimentaire eurent cessé, les deux fils ont intenté une action contre l’appelant (leur père), réclamant une allocation d’entretien ou une forme de pension alimentaire. Le différend a été réglé à l’amiable. En vertu du procès‑verbal de transaction signé en septembre 1995 (pièce R‑1), Sean a renoncé à toutes les réclamations contre l’appelant; Michael a renoncé à toutes les réclamations en matière d’arriéré de pension alimentaire en échange des trois promesses suivantes :

 

a)       l’appelant a promis de verser à Michael une somme forfaitaire de 1 200 $ pour l’année scolaire 1995‑1996;

 

b)      l’appelant a promis de verser à Michael une somme forfaitaire de 1 200 $ pour l’année scolaire 1996‑1997;

 

c)       l’appelant a promis de verser à Michael 140 $ par semaine (à partir du 8 septembre 1995) tant que Michael fréquenterait à temps plein un établissement d’enseignement postsecondaire, mais jusqu’en mai 1997 au plus tard.

 

Le procès‑verbal de transaction (pièce R‑1) a été incorporé à un jugement rendu par la Cour de l’Ontario (Division générale) le 2 novembre 1995 (pièce A‑2). L’appelant a tenu les promesses qu’il avait faites à Michael et qui étaient consignées dans le procès‑verbal de transaction, lequel a été renforcé par le jugement. Dans le calcul de son revenu pour 1996, l’appelant a déduit comme pension alimentaire un montant de 7 062 $ au titre des sommes qu’il avait versées à Michael en vertu du procès‑verbal de transaction. Dans la nouvelle cotisation faisant l’objet du présent appel, le ministre n’a pas admis la déduction du montant de 7 062 $.

 

L’application de l’article 60 de la Loi de l'impôt sur le revenu

 

[5]     La prétention principale de l’appelant est qu’il a droit à la déduction en vertu de l’alinéa 60b) ou de l’alinéa 60c) de la Loi. Ces alinéas se lisent comme suit :

 

60        Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

 

a)         […]

 

b)         un montant payé par le contribuable au cours de l’année, en vertu d’une ordonnance ou d’un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le contribuable, pour cause d’échec de son mariage, vivait séparé de son conjoint ou ancien conjoint à qui il était tenu d’effectuer le paiement, au moment où le paiement a été effectué et durant le reste de l’année;

 

c)         un montant payé par le contribuable au cours de l’année à titre d’allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si les conditions suivantes sont réunies :

 

(i)       au moment du paiement et durant le reste de l’année, le contribuable vivait séparé du bénéficiaire,

 

(ii)      le contribuable est le père naturel ou la mère naturelle d’un enfant du bénéficiaire, et

 

(iii)     le montant a été reçu en vertu d’une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d’une province;

 

[6]     L’appelant ne peut obtenir gain de cause en ce qui concerne sa prétention selon laquelle il a droit à la déduction en vertu de l’alinéa 60b). En vertu de l’alinéa 60b), quatre conditions doivent être réunies, à savoir :

 

(i)      le montant a été payé en vertu d’une ordonnance ou d’un jugement d’un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit;

 

(ii)      le montant a été payé à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement;

 

(iii)     le montant a été payé pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants;

 

(iv)     conformément à un divorce ou à un accord écrit, le payeur vivait séparé de son conjoint ou ancien conjoint à qui il était tenu de faire le paiement.

 

Les paiements faits par l’appelant à Michael peuvent être considérés comme répondant à la première condition, en raison du procès‑verbal de transaction (pièce R‑1) et en raison du jugement (pièce A‑2). Pour ce qui est de la deuxième condition, ces paiements n’étaient pas une pension alimentaire payée par l’appelant à son conjoint ou ancien conjoint dont il vivait séparé. Les paiements étaient toutefois une allocation payable périodiquement, de sorte que l’appelant peut être considéré comme répondant à la deuxième condition. L’appelant peut également être considéré comme répondant à la troisième condition parce que les montants ont été payés pour subvenir aux besoins de son fils Michael.

 

[7]     L’appelant ne peut par contre être considéré comme répondant à la quatrième condition, car il n’a pas payé les montants en question à son conjoint ou ancien conjoint dont il vivait séparé. L’ex‑épouse de l’appelant est décédée en juillet 1992, et l’appelant a payé les montants en question à son fils Michael, en 1996. De même, l’appelant ne peut obtenir gain de cause en ce qui concerne la prétention selon laquelle il a droit à la déduction en vertu de l’alinéa 60c). L’appelant ne peut être considéré comme répondant à la deuxième condition énoncée au sous‑alinéa 60c)(ii), car il n’est pas le père naturel d’un enfant de Michael. Donc, pour ce qui est des montants payés à Michael en 1996, l’appelant n’est pas autorisé à déduire ces montants dans le calcul de son revenu en vertu de l’alinéa 60b) ou de l’alinéa 60c).

 

[8]     L’appelant ne satisfait pas aux conditions énoncées aux alinéas 60b) et 60c); de plus, ces alinéas et les alinéas qui y correspondent, soit les alinéas 56(1)b) et c), font partie d’un concept de déduction / inclusion qui n’était pas destiné à répondre aux besoins d’une mère ou d’un père seul — devant subvenir aux besoins de ses enfants — sans tenir compte de la question de savoir si cette personne était séparée ou divorcée. Les paiements en question, qui ont été effectués en 1996, trois ans après le décès de l’ex‑épouse de l’appelant, n’ont pas été faits en vertu d’un accord conclu par un couple séparé ou divorcé. Ils ont été faits par suite d’une action que Michael a intentée contre son père (l’appelant) en vertu de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario pour obtenir une pension alimentaire. L’obligation de l’appelant de payer une pension alimentaire à Michael était une obligation personnelle n’ayant pas de rapport avec une séparation ou un divorce.

 

L’application de l’article 15 de la Charte

 

[9]     La prétention secondaire de l’appelant est que les alinéas 60b) et 60c) représentent de la « discrimination » au sens du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui dit :

 

15(1)    La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

Dans un certain nombre d’affaires, les tribunaux ont statué que le paragraphe 15(1) ne se limite pas aux catégories énumérées (comme la race, la religion, l’âge ou les déficiences) et qu’il s’applique également à des groupes analogues. Dans son avis d’appel modifié, l’appelant semble fonder son allégation de discrimination sur le fait qu’il est un homme, car il dit :

 

[TRADUCTION]

8.         La plupart des personnes qui paient une pension alimentaire sont des hommes.

 

9.         Les hommes ayant un conjoint ou ancien conjoint peuvent déduire des paiements de pension alimentaire de leur revenu.

 

10.       Les hommes n’ayant pas de conjoint ou d'ancien conjoint n’obtiennent pas la déduction.

 

À l’audition du présent appel, toutefois, l’avocat de l’appelant a modifié sa position et a également argué que l’appelant fait partie d’un groupe analogue qui est l’objet d’une discrimination en vertu de l’article 60 de la Loi de l'impôt sur le revenu, à savoir un groupe dans lequel chaque personne est :

                  

[TRADUCTION]

une mère ou un père survivant (c'est‑à‑dire ayant survécu à l’autre) qui a l’obligation en vertu de la loi de payer une pension alimentaire à un enfant qui vit séparé de la mère ou du père survivant.

 

Plus précisément, l’appelant soutient que les alinéas 60b) et 60c) sont discriminatoires à l’égard du groupe analogue susmentionné parce qu’une mère ou un père survivant n’est pas autorisé à déduire un montant en vertu de l’un ou l’autre de ces alinéas. L’appelant accepte la limitation relative au fait qu’il doit s’agir d’une pension alimentaire destinée à un enfant « qui vit séparé de la mère ou du père survivant », car une veuve ou un veuf qui subvient aux besoins d’un enfant habitant avec lui peut bénéficier d’un crédit d’impôt en vertu de l’article 118 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

[10]    Si l’appelant avait persisté dans son allégation de discrimination fondée uniquement sur le sexe, j’aurais simplement rejeté son appel, car un homme ou une femme peut déduire un montant en vertu de l’alinéa 60b) ou de l’alinéa 60c) si les conditions requises sont réunies. Comme l’appelant a changé de motif quant à son allégation de discrimination, je suis tenu d’examiner la question de savoir si le groupe de parents survivants qui est décrit au paragraphe 9 des présents motifs est un « groupe analogue » dans le contexte du paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[11]    Dans l’affaire Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la Cour suprême du Canada a présenté un cadre analytique concernant la contestation d'une loi en vertu de l’article 15 de la Charte :

 

(A)       La loi a-t-elle pour objet ou pour effet d’imposer une différence de traitement entre le demandeur et d’autres personnes?

(B)       La différence de traitement est-elle fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

(C)       La loi en question a-t-elle un objet ou un effet discriminatoires au sens de la garantie d’égalité?

 

Je vais entreprendre d’appliquer cette analyse.

 

A)      Différence de traitement

 

[12]    La différence de traitement alléguée est qu’une déduction est refusée à l’appelant, alors qu’elle est accordée à d’autres. Pour déterminer une différence de traitement, nous devons poser la question de savoir de qui l’appelant est traité différemment. Y a‑t‑il un groupe de comparaison? Voir l’affaire Law, au paragraphe 58. L’appelant compare le traitement de son groupe au traitement des personnes admissibles en vertu de l’article 60. Il soutient qu’il n’a pas été considéré comme admissible en raison de deux caractéristiques personnelles : il est de sexe masculin et, en 1996, il n’avait pas de conjointe ou d'ancienne conjointe. Son ex‑épouse est décédée en 1993. Malgré ce que prétend l’appelant, la véritable raison pour laquelle il n’a pas été considéré comme admissible à une déduction en vertu de l’article 60 est que ses paiements ont été faits conformément à une ordonnance que son fils avait obtenue contre lui en vertu de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3. L’article 31 de la Loi sur le droit de la famille dit :

 

31(1)    Le père et la mère sont tenus de fournir des aliments à leur enfant non marié qui est mineur ou qui suit un programme d’études à temps plein, dans la mesure de leurs capacités et des besoins.

 

31(2)    L’obligation prévue au paragraphe (1) ne s’applique pas à l’enfant de seize ans ou plus qui s’est soustrait à l’autorité parentale.

 

[13]    Ainsi, la différence de traitement n’était pas basée sur une caractéristique personnelle. Toute personne qui serait dans la même situation que l’appelant (qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, qu’il s’agisse d’une personne mariée ou divorcée ou qu’il s’agisse ou non d’un conjoint survivant) ne serait pas admissible à la déduction. Dans le présent appel, la différence de traitement est basée sur un événement. Elle est basée sur le fait que le fils de l’appelant a dû poursuivre ce dernier en justice pour obtenir une pension alimentaire. En raison de cet événement, les paiements que l’appelant a effectués sont assujettis à un régime différent de celui qui est visé à l’article 60. Pour ce qui est de la première étape relative au cadre analytique, l’appelant n’a pas gain de cause, car la différence de traitement concernant l’appelant n’était pas basée sur une caractéristique personnelle.

 

B)      Motifs énumérés ou motifs analogues

 

[14]    Les motifs invoqués par l’appelant sont le sexe et l’état matrimonial (conjoint survivant). Le sexe est un motif énuméré. L’état matrimonial est un motif analogue. Ni le sexe ni l’état matrimonial n’étaient le fondement de la différence de traitement touchant l’appelant. Une personne dans la même situation que l’appelant, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, ne serait pas admissible à la déduction en vertu de l’alinéa 60b) ou de l’alinéa 60c). Les hommes et les femmes ont droit au même traitement en vertu de l’article 60. Dans l’affaire Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627, la Cour suprême du Canada a conclu que, bien que les statistiques indiquent que ce sont le plus souvent des hommes qui paient une pension alimentaire, les dispositions de la Loi qui incorporent la législation relative au droit de la famille exigeant le paiement d’une pension alimentaire ne sont pas inconstitutionnelles.

 

[15]    Dans une décision partagée, l’arrêt Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, soit une décision de cinq juges contre quatre, la Cour suprême du Canada a statué que l’état matrimonial est un motif analogue. L’appelant soutient que la différence de traitement dont il fait l’objet en vertu de l’article 60 est basée sur son état matrimonial. L’état matrimonial de l’appelant est celui d’un divorcé. On ne peut dire que l’appelant est un veuf, car cela indiquerait que la défunte (Shirley) était encore l’épouse de l’appelant quand elle est décédée. L’appelant a effectué des paiements avant le décès de son ex‑épouse, et ces paiements étaient sans doute déductibles, car les divorcés sont admissibles à une déduction en vertu de l’article 60 s’ils paient une pension alimentaire conformément à un accord écrit ou à un jugement de divorce. Depuis le décès de son ex‑épouse, ses paiements ne sont plus déductibles, mais son état matrimonial est encore celui d’un divorcé. La différence de traitement n’est donc pas basée sur l’état matrimonial. Même si l’ex‑épouse de l’appelant était encore en vie, ces paiements ne seraient pas déductibles, étant donné qu’ils ont été faits par suite de l’action que les enfants de l’appelant ont intentée contre ce dernier en vertu de l’article 31 de la Loi sur le droit de la famille. La non‑déductibilité des paiements faits par l’appelant à Michael tient non pas à l’état matrimonial de l’appelant, mais à l’action judiciaire de Michael contre l’appelant. L’appelant n’a pas gain de cause pour ce qui est de la deuxième étape relative au cadre analytique, car le fait qu’il n’a pas obtenu une déduction en vertu de l’article 60 n’était pas basé sur un motif énuméré ou sur un motif analogue.

 

C)      Discrimination

 

[16]    Une différence de traitement n’est pas nécessairement de la discrimination. Pour déterminer si une législation particulière est discriminatoire, il s’agit principalement de savoir si elle porte atteinte à la dignité humaine. La Cour suprême du Canada a posé cette question dans l’affaire Law, au paragraphe 88 :

 

[…] La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

 

[17]    Dans le présent appel, il doit être répondu par la négative à la question susmentionnée. L’article 60 prive l’appelant de l’avantage relatif à une déduction d’impôt. Il ne l’en prive pas d’une manière qui dénote une application stéréotypée de caractéristiques personnelles du demandeur. Il ne l’en prive pas d’une manière ayant pour effet de perpétuer l’opinion que le demandeur est moins digne. L’article 60 fait une distinction pertinente. La déduction a été conçue par rapport à l’institution qu’est le mariage et par rapport aux réalités que sont la séparation et le divorce. La disposition législative attaquée (article 60) ne porte pas atteinte à la dignité de l’appelant et ne perpétue pas des stéréotypes. L’appelant n’a pas gain de cause pour ce qui est de la troisième étape relative au cadre analytique, car il n’y avait aucune discrimination dans le contexte de l’article 15 de la Charte.

 

Conclusion

 

[18]    L’appelant n’a pas gain de cause pour ce qui est de l’une quelconque des trois étapes relatives à l’analyse de l’article 15. Il ne s’est pas acquitté de la charge qui lui incombait d’établir qu’il y avait une violation des droits qui lui sont garantis par l’article 15. Dans l’affaire Law c. Canada, le juge Iacobucci a dit, au paragraphe 51 :

 

[…] On pourrait affirmer que le par. 15(1) a pour objet d’empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l’imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l’existence d’une société où tous sont reconnus par la loi comme des êtres humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect, et la même considération.

 

[19]    L’objet de la déduction prévue à l’article 60 est de permettre un certain partage du revenu entre les membres d’un couple séparé ou divorcé, pour que le niveau de vie du bénéficiaire (des paiements) et des enfants ne baisse pas considérablement par rapport au niveau de vie qu’ils partageaient tous lorsque les membres du couple vivaient encore ensemble. Quand un conjoint ou ancien conjoint décède, il n’y a personne avec qui partager le revenu. Dans l’affaire Thibaudeau, la Cour suprême a majoritairement conclu que la disposition d’inclusion de paiements de pension alimentaire (article 56) ne pouvait être prise en considération sans tenir compte de la disposition de déduction correspondante (article 60). Ensemble, ces deux dispositions assuraient une équité dans l'application de la loi. En l’espèce, l’appelant ne peut déduire ses paiements, mais son fils ne paie pas d’impôt sur ces paiements. Ensemble, la non‑imposabilité et la non‑déductibilité des paiements assurent ainsi une équité dans l'application de la loi.

 

[20]    Au cours des nombreux mois qui ont suivi l’audition du présent appel, je n’ai trouvé aucune décision d’un tribunal de juridiction supérieure fondée sur la Charte qui aiderait l’appelant. L’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de septembre 2002.

 

 

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d'août 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

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