Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-4201(IT)I

ENTRE :

 

2831422 CANADA INC.,

appelante,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

 

Appels entendus avec les appels de Dikran Aharonian (2001-4202(IT)I)

à Montréal (Québec), le 6 novembre 2002 par

 

l’honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman,

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelante :    Me Louis Tassé

 

Avocate de l’intimée :      Me Stéphanie Côté

 

JUGEMENT

 

          Il est ordonné que les appels interjetés à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998 et 1999 soient admis et que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que les montants versés à Dikran Aharonian à titre d’allocations pour frais de déplacement sont des dépenses d’entreprise habituelles et qu’ils sont déductibles du revenu de l’appelante.

 

         


L’appelante a droit à ses frais pour ce qui est des honoraires d’un avocat au procès pour l’appelante et Dikran Aharonian.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 2002.

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-4202(IT)I

ENTRE :

 

DIKRAN AHARONIAN,

appelant,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

 

Appels entendus avec les appels de 2831422 Canada Inc. (2001-4201(IT)I)

à Montréal (Québec), le 6 novembre 2002 par

 

l’honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman,

 

Comparutions

Avocat de l’appelante :    Me Louis Tassé

Avocate de l’intimée :      Me Stéphanie Côté

 

JUGEMENT

 

          Il est ordonné que les appels interjetés à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998 et 1999 soient admis et que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que les montants versés à l’appelant par la société 2831422 Canada Inc. étaient des allocations pour frais de déplacement et non pas des avantages conférés à un actionnaire et qu’ils ne doivent pas être inclus dans le calcul de son revenu aux termes de l’article 6 de la Loi de l’impôt sur le revenu par l’effet du sous‑alinéa 6(1)b)(vii) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 


          L’appelant a droit à ses frais pour ce qui est des honoraires d’un avocat au procès pour l’appelant et 2831422 Canada Inc.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 2002.

 

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20021114

Dossier: 2001-4201(IT)I

ENTRE :

 

2831422 CANADA INC.,

appelante,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée,

 

ET

 

Dossier: 2001-4202(IT)I

ENTRE :

 

DIKRAN AHARONIAN,

appelant,

et

 

Sa Majesté La Reine,

intimée.

 

 

 

Motifs Du Jugement

 

Le juge en chef adjoint Bowman

 

[1]     Ces appels, qui ont été entendus ensemble, sont interjetés à l’encontre de cotisations établies pour les années d’imposition 1998 et 1999. Pour 2831422 Canada Inc. (la « Société »), les années d’imposition sont les exercices prenant fin le 31 mai de chacune des années.

 

[2]     La Société a versé à son unique actionnaire, administrateur et employé, à chacune de ces années, une allocation pour frais de déplacement au montant de 150 $ par jour à chaque fois qu’il voyageait pour affaires et qu’il passait la nuit à l’extérieur de Montréal où se situe sa place d’affaires. L’ADRC a refusé ces montants à titre de dépenses d’entreprise de la Société et les a inclus dans le revenu de M. Aharonian à titre d’avantages conférés à un actionnaire en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[3]     Les activités de la Société consistaient à réaliser des entrevues avec les employés d’Eatons et à préparer des sondages d’opinion auprès des employés. Auparavant, cela était fait à l’interne par la direction d’Eatons, mais ces activités ont ensuite été confiées à la société de M. Aharonian car les employés étaient moins réticents à faire part de leurs commentaires à un tiers qui pouvait garantir leur anonymat.

 

[4]     À en juger par les états financiers de la Société pour les exercices prenant fin les 31 mai 1997, 1998 et 1999, l’entreprise était très rentable et M. Aharonian a témoigné que la grande majorité des revenus provenaient des honoraires de consultation que la Société recevait d’Eatons.

 

[5]     Dans le cadre de son travail d’entrevue auprès des employés, M. Aharonian était très souvent appelé à se rendre aux magasins d’Eatons situés à l’extérieur de Montréal, comme à Québec, à Ottawa et dans le sud de l’Ontario, soit à Toronto, Hamilton, Kitchener et Guelph. La pièce A-1 contient une liste des voyages à l’extérieur effectués entre le 1er juin 1997 et le 31 mai 1998, et entre le 1er juin 1998 et le 31 mai 1999. Au cours de la première et de la deuxième période, il a passé 105 jours et 96 jours, respectivement, à l’extérieur de la ville[1]. Bien que la ville de Toronto figure à de nombreuses reprises sur la liste de la pièce, M. Aharonian a précisé que certains des voyages indiqués comme étant à Toronto étaient en fait à d’autres endroits dans le sud de l’Ontario, comme Hamilton, Burlington, Kitchener, London, Guelph, et d’autres endroits où les magasins d’Eatons étaient situés.

 

[6]     Il a témoigné qu’il était demeuré chez son oncle à Scarborough à quatre ou cinq reprises au cours de chacune des deux années en question. J’accepte ces chiffres. Il n’aurait pas été pratique pour lui de demeurer à Scarborough s’il allait visiter des villes situées à un rayon de 100 à 200 kilomètres de Toronto. Je suis d’avis que M. Aharonian était un témoin crédible. La répartitrice a établi les cotisations sur la foi d’une conversation entre elle et le comptable de la Société dans laquelle elle avait compris qu’à chaque fois que M. Aharonian allait à Toronto, il demeurait chez des membres de sa famille. La preuve a démontré que cette hypothèse de base, en vertu de laquelle les cotisations ont été établies, était totalement erronée.

 

[7]     Il semble que la répartitrice ait été d’avis que, lorsqu’une allocation pour frais de déplacement est versée, les dépenses doivent tout de même être appuyées par des reçus et des pièces justificatives. Je crois que cette opinion est erronée en droit. Il existe plusieurs dispositions dans la Loi de l’impôt sur le revenu qui exigent que des reçus soient fournis, mais le sous-alinéa 6(1)b)(vii) n’en fait pas partie. Ce sous-alinéa se lit comme suit :

 

(1)   Sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments suivants sont applicables :

 

[…]

 

(b)   les sommes qu’il a reçues dans l’année à titre d’allocations pour frais personnels ou de subsistance ou à titre d’allocations à toute autre fin, sauf :

 

[…]

 

(vii) les allocations raisonnables pour frais de déplacement, à l’exception des allocations pour l’usage d’un véhicule à moteur, qu’un employé — dont l’emploi n’est pas lié à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur - a reçues de son employeur pour voyager, dans l’accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi, à l’extérieur:

(A)    de la municipalité où était situé l’établissement de l’employeur dans lequel l’employé travaillait habituellement ou auquel il adressait ordinairement ses rapports

 

(B)    en outre, le cas échéant, de la région métropolitaine où était situé cet établissement,

 

[8]     Il est évident que le montant de 150 $ par jour versé à M. Aharonian est une allocation, mais il s’agit d’une allocation visée par l’exception prévue au sous-alinéa 6(1)b)(vii), à condition qu’elle soit raisonnable. Ce qui est raisonnable est toujours une question de fait, de jugement et de logique. Dans l’ouvrage Words and Phrases Legally Defined, huit pages de deux colonnes traitent des mots raisonnable ou raisonnablement. Toutefois, à ma connaissance, aucun tribunal n’a jamais eu l’audace de tenter de formuler une définition complète et détaillée de ce mot, chose que je ne tenterai pas de faire en l’espèce. Toute tentative de définition se solde habituellement par l’utilisation du mot lui-même. On dit qu’il sous-entend l’application d’un critère objectif, mais il s’agit d’un mot d’une telle fluidité et d’une telle élasticité qu’un juge doit se garder de laisser un élément de subjectivité se glisser dans ses conclusions. Ce qui peut sembler raisonnable pour un juge peut ne pas l’être pour un autre. Lorsqu’on tente de définir l’expression « personne raisonnable », l’on se reporte habituellement à l’hypothétique « homme moyen ». On peut se poser la question suivante : « Qu’est-ce qu’un observateur impartial possédant une intelligence un peu supérieure à la moyenne, qui aurait connaissance de tous les faits pertinents et qui n’aurait pas d’idées reçues, de parti pris ni d’intentions cachées considérerait comme étant raisonnable? » Bref, nous tirons une ligne entre ce qui est raisonnable et ce qui est déraisonnable là où le bon sens le dicte.

 

[9]     L’avocate de l’intimée soutient qu’il n’existe aucune preuve que l’allocation de 150 $ par jour est un montant raisonnable. De toute évidence, une conclusion quant à la raisonnabilité doit être fondée sur les faits de l’affaire, mais il ne s’agit pas uniquement d’une question de preuve. En l’espèce, le chiffre a été choisi par un comptable agréé expérimenté qui a déclaré que le montant de 150 $ par jour se situait dans la tranche inférieure des montants qu’il conseille à ses clients d’utiliser. M. Aharonian a également témoigné que les 150 $ par jour que la Société lui versait ne couvrait habituellement pas l’ensemble de ses dépenses. Le montant de 150 $ par jour versé à titre d’allocation en 1998 et 1999 pour des voyages à Québec et dans le sud de l’Ontario afin de couvrir les frais d’hôtel, de repas, de stationnement et les dépenses accessoires me semble tout à fait raisonnable. Par conséquent, je conclus que cette allocation est visée par le sous‑alinéa 6(1)b)(vii) et n’est pas imposable pour M. Aharonian. En ce qui concerne la Société, il s’agit d’une dépense usuelle et raisonnable engagée dans le cadre des activités de son entreprise et elle est déductible de son revenu en vertu de l’article 9 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[10]    Je devrais mentionner quelques autres points qui ont été soulevés au cours des plaidoiries. L’avocat de l’intimée s’est appuyé sur l’article 230 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui impose l’obligation de tenir des registres, et il a soutenu qu’en ne fournissant pas de pièces justificatives pour toutes ses dépenses, M. Aharonian ne respectait pas les dispositions de l’article 230. Même si l’article 230 imposait une telle obligation à la Société, il n’interdit pas la déduction des dépenses. Comme l’a souligné la juge L’Heureux-Dubé  dans l’arrêt Hickman Motors Limited c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, à la page 376 (97 DTC 5363, à la page 5376) :

 

De plus, lorsque la LIR n’exige aucun document d’appui, le témoignage crédible d’un contribuable suffit, malgré l’absence de documents: Weinberger c. M.N.R., 64 D.T.C. 5060 (C. de l’É.); Naka c. La Reine, 95 D.T.C. 407 (C.C.I.); Page c. La Reine, 95 D.T.C. 373 (C.C.I.).

 

[11]    Quoi qu’il en soit, les registres de la Société étaient tout à fait adéquats pour prouver le versement de l’allocation à M. Aharonian.

 

[12]    En ce qui a trait au défaut de M. Aharonian de conserver tous ses reçus, le sous-alinéa 6(1)b)(vii) exige uniquement que l’allocation soit raisonnable. De l’obliger à fournir des reçus afin de justifier la non-imposabilité à son égard de l’allocation raisonnable irait à l’encontre de l’objectif de la disposition. Les critères énoncés au sous-alinéa (vii) doivent être respectés afin que cette allocation ne soit pas imposable pour l’employé. C’est le cas en l’espèce. Pour qu’elle soit déductible pour l’employeur, elle doit être raisonnable, engagée en vue de tirer un revenu de l’entreprise de la Société et elle ne peut être imputable au capital. L’allocation en l’espèce respecte tous ces critères.

 

[13]    L’avocate de l’intimée a cité l’arrêt Verdun c. Sa Majesté la Reine, C.A.F., n°A-293-97, 6 février 1998 (98 DTC 6175). Dans cette affaire, la Cour a conclu que certaines allocations de repas étaient imposables en vertu de l’alinéa 6(1)b). Il semble évident, d’après les brefs motifs rendus oralement par le juge Linden, que les dispositions du sous-alinéa 6(1)b)(vii) n’avaient pas été portées à l’attention de la Cour.

 

[14]    L’avocate de l’intimée a également soutenu que, lorsque le comptable avait initialement comptabilisé le versement des allocations à M. Aharonian, il l’avait inscrit comme « avance directeur », et que, en quelque sorte, cette mention marque ces allocations au compte dans lequel les comptables avaient temporairement décidé de les mettre de manière indélébile. À la fin de l’exercice, ils ont été assignés au compte approprié, soit celui des dépenses liées aux déplacements. Comme l’a souligné la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Hickman Motors (précité), à la page 376, (DTC  à la page 5376) :

 

Il est bien établi en droit que des documents comptables ou des entrées comptables servent uniquement à rapporter des opérations et que c’est la réalité des faits qui établit la nature et la substance véritables des opérations.

 

Voir aussi Ed Sinclair Construction & Supplies Ltd. c. M.R.N., C.C.I., n° 86‑1338(IT), 8 janvier 1992, à la page 12 (92 DTC 1163, à la page 1169); Gresham Life Society Co. Ltd. v. Bishop, [1902] 4 T.C. 464, à la page 476.

 

[15]    Il ne fait aucun doute que les montants étaient des allocations pour frais de déplacement et non pas des avantages conférés à un actionnaire. Ils ont été versés en vue de rembourser M. Aharonian pour ses dépenses de déplacement à l’extérieur de Montréal dans le cadre de ses fonctions. À ce titre, elles sont visées par le sous-alinéa 6(1)b)(vii) de la Loi de l’impôt sur le revenu et ne sont pas imposables pour M. Aharonian. De plus, elles sont des dépenses d’entreprise normales de la Société et peuvent être déduites du calcul de son revenu.

 

[16]    Les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte des présents motifs.

 

[17]    Les appelants ont droit à leurs frais pour ce qui est des honoraires d’un avocat au procès pour les deux appelants.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 2002.

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Le nombre de jours que j’ai calculés à la pièce A-1 est plus élevé que celui de l’appelant.

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