Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date : 20021125

Dossier : 2000‑1594(GST)G

ENTRE :

 

AGATHA KIT CHUN LAU,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée,

ET

 

Dossier : 2000‑1596(GST)G

ENTRE :

 

PATRICK WING CHU LAU,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef adjoint Bowman

 

[1]     Les présents appels ont été interjetés à l’encontre des cotisations établies en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise relativement aux appelants à titre d’administrateurs de Nikiko Restaurant Inc. (« Nikiko ») pour des versements de taxe sur les produits et services (« TPS ») qui n’avaient pas été effectués pour la période allant du 1er octobre 1992 au 30 juin 1996. Les appelants sont mari et femme.

 

[2]     Selon Agatha Lau (« Agatha »), elle n’était pas administratrice de Nikiko et, quoi qu’il en soit, elle avait agi avec la diligence raisonnable prévue par le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise. Patrick Lau (« Patrick ») a admis qu’il était administrateur, mais il a affirmé qu’il était administrateur externe au sens donné à ce terme dans la décision Soper c. La Reine, C.A.F., no A‑129‑95, 27 juin 1997 (97 DTC 5407), et que de toute façon il avait agi avec la diligence raisonnable prévue au paragraphe 323(3). Il a également soulevé la question quant à la validité d’une cotisation établie après la cession de faillite d’une société. Il a également soutenu qu’une bonne portion des services offerts étaient exempts de taxe.

 

[3]     Pour les raisons qui suivent, je suis convaincu que les appelants peuvent obtenir gain de cause.

 

[4]     Au cours des vingt‑six dernières années, Patrick travaillait comme photographe. En 1990 ou en 1991, deux amis, des entrepreneurs prospères (les investisseurs) de Macao, l’ont approché et lui ont fait part de leur intention d’ouvrir un restaurant japonais au Canada. Ils ont demandé à Patrick de gérer le restaurant, et il a accepté de le faire pour leur rendre service bien que selon lui, il ne participait pas à la gestion quotidienne des activités.

 

[5]     Le 25 mars 1991, Patrick a fait constituer en personne morale 935376 Ontario Inc. en vertu de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario.

 

[6]     En avril, on a donné à la société un nouveau nom, soit Nikiko Restaurant Inc. Les statuts constitutifs ont indiqué que Patrick était l’unique administrateur. Patrick possédait toutes les actions émises et les actions ordinaires en circulation de  Nikiko (100 actions ordinaires).

 

[7]     Deux fiducies situées à l’étranger, une pour la famille de chacun des deux investisseurs, détenaient chacune 100 actions de catégorie A. Ces actions sans droit de vote pouvaient être converties en un nombre égal d’actions ordinaires.

 

[8]     Patrick a embauché un gérant pour s’occuper du restaurant. Il n’avait pas le temps de voir à la comptabilité et comme il avait besoin de quelqu’un pour s’en occuper, il a demandé à sa conjointe Agatha de le faire et elle a accepté. Ni Patrick ni Agatha n’a reçu une rémunération quelconque. Elle n’avait aucune formation en comptabilité et sur la recommandation de Patrick, elle a consulté Ricky Wong, un gestionnaire chez KMPG Peat Marwick Thorne (« KPMG »), un cabinet national d’experts comptables. Il a monté le système de comptabilité pour elle, y compris un système informatisé pour le livre de paye, les dépenses et les reçus. M. Wong a également examiné avec elle des méthodes de production de déclarations de la TPS. Agatha produisait la déclaration trimestrielle de la TPS, et elle effectuait le calcul de la TPS due et des crédits de taxe sur les intrants à l’ordinateur à l’aide des systèmes ACCPAC et Excalibur. Si elle rencontrait un problème, elle appelait KPMG. Elle préparait les chèques pour la TPS due à l’intention du gouvernement.

 

[9]     Elle envoyait à KMPG les formulaires de TPS qu’elle avait présentés ainsi que les formulaires, les livres et les relevés bancaires de la société. Elle avait supposé que si le cabinet d’experts‑comptables ne communiquaient pas avec elle, c’était parce que son travail était bien fait.

 

[10]    L’entreprise de restauration Nikiko a été en affaires du 25 mars 1991 au mois de janvier 1997. Le 11 janvier 1997, le restaurant Nikiko a fermé ses portes et le 17 janvier 1997, la société a déposé une cession de faillite. Le 20 janvier 1997, l’ADRC a envoyé un avis de cotisation à Nikiko aux fins de la TPS, la cotisation à l’origine des cotisations dérivées établies contre les appelants.

 

[11]    La TPS non versée réclamée par l’ADRC semble être liée en partie à ce que l’on a décrit comme des honoraires de gestion ou des honoraires d’expert‑conseil de 183 230 $, de 352 743 $ et de 306 454 $, des sommes versées à Nikiko en grande partie par les investisseurs au cours des années 1993, 1994 et 1995. Aucune TPS n’a été versée pour ces honoraires.

 

[12]    Je vais tout d’abord examiner la cotisation établie pour Agatha. La principale question est celle de savoir si elle était une administratrice de Nikiko. M. Henry Hui a été la première personne appelée à témoigner pour le compte de l’appelante. M. Hui est avocat et pratique le droit en Ontario depuis 1975. C’est lui qui agissait comme avocat lors de la constitution en personne morale de Nikiko le 25 mars 1991, et il a conservé le registre des procès‑verbaux de l’entreprise à son bureau. Tout le registre des procès‑verbaux a été déposé comme preuve. On y indique que Patrick est le fondateur. Le nom d’Agatha apparaît au règlement administratif no 1, mais ni elle ni Patrick n’a signé le document. Il y a également un certificat et un consentement à agir à titre d’administratrice portant le nom d’Agatha et daté du 2 mai 1991. Elle n’a pas signé ce document non plus.

 

[13]    Le registre des procès‑verbaux contenait une résolution en vertu de laquelle les actionnaires de Nikiko semblaient avoir désigné Patrick et Agatha comme administrateurs. Le document n’est pas signé. Il y a également d’autres résolutions des directeurs dans le registre, mais elles ne sont pas signées.

 

[14]    Les noms de Patrick et d’Agatha apparaissent dans le registre de l’administrateur, mais comme dans le registre des procès‑verbaux, le document n’est pas signé.

 

[15]    L’onglet 8 de la pièce A/R‑1 constitue le formulaire 1 exigé en vertu de la Loi sur les renseignements exigés des personnes morales. On y désigne Patrick et Agatha à titre d’administrateurs. Le document est signé par Mme P. Sun, l’ancienne secrétaire de M. Hui. M. Hui a déclaré que comme Agatha n’a pas signé le document de consentement à agir à titre d’administratrice, l’apposition de son nom figurant sur le formulaire signé par Mme Sun était une erreur. Je suis d’accord. Le bureau de M. Hui n’avait aucunement l’autorité d’y désigner Agatha comme administratrice. Elle n’avait jamais consenti à agir en cette qualité, elle n’avait jamais été nommée administratrice par l’unique actionnaire détenant un droit de vote, et elle ne s’était jamais présentée comme administratrice. 

 

[16]    En fait, même si l’on pouvait se fier un tant soit peu au formulaire présenté à l’onglet 8, le registre des procès‑verbaux contient un autre formulaire apparemment signé par la même Mme Sun sur lequel on a indiqué qu’Agatha avait été nommée administratrice le 2 mai 1991 et qu’elle avait cessé de remplir ce rôle le même jour.

 

[17]    Dans un avis spécial présenté au gouvernement de l’Ontario (onglet 37 de la pièce A/R‑1), on a joint un document qui semble être signé par Agatha Lau. Elle a nié avoir jamais vu ce document, et je la crois. Même si elle l’avait signé, cela ne ferait pas d’elle une administratrice. De toute façon, on y avait joint comme tableau A des renseignements sur les représentants et les administrateurs. On y indique que le 1er mars 1990, Agatha avait été nommée administratrice et secrétaire, un événement qui se serait produit quatorze mois avant que la société ne soit fondée. 

 

[18]    Il serait abusif, en se fondant sur le travail fait à la va‑vite du cabinet d’avocats, de tenir Agatha responsable à titre d’administratrice alors qu’en droit ou en fait, elle ne l’était pas. En aucun temps, Agatha n’a été administratrice. Son appel est accueilli, et la cotisation établie à son égard est annulée.

 

[19]    J’arrive maintenant à la situation de Patrick. Il n’a pas le même argument de défense que sa conjointe. Il a admis qu’il était un administrateur. Comme sa conjointe, il ne recevait aucune rémunération de la société. Son principal argument de défense est qu’il a exercé une diligence raisonnable. Est‑ce vrai? Je le crois. Il a affirmé que sa conjointe recevait des directives sur la tenue des livres et des registres. Il comptait sur elle pour consulter KPMG, ce qu’elle a fait lorsqu’elle rencontrait un problème. Elle a envoyé les déclarations à KPMG ainsi que tout autre renseignement pertinent. Étant donné que l’on ne communiquait pas avec elle, elle supposait que tout était correct.

 

[20]    Je ne crois pas que l’on puisse de façon réaliste séparer la défense de diligence raisonnable de Patrick et sa confiance dans les compétences de sa conjointe. Il était convaincu qu’elle pouvait comprendre et suivre les directives que lui donnait KPMG relativement au calcul de la TPS. KPMG était satisfait de la façon dont elle suivait ces directives, et sa maîtrise du système de comptabilité ACCPAC semblait être satisfaisante. Elle n’avait aucune raison de croire qu’elle faisait des erreurs, et il en allait de même pour Patrick. Tous les revenus étaient déclarés à KPMG, y compris les prétendus honoraires d’expert‑conseil. Ils étaient inscrits dans les états financiers préparés par KPMG. 

 

[21]    En fait, Patrick a témoigné que sur les conseils de Connie Mak de KPMG, les montants étaient inscrits à titre d’honoraires d’expert‑conseil. Ces honoraires, qui s’élevaient à environ 842 000 $ pour les trois années 1993, 1994 et 1995, ont été déposés dans les comptes temporaires de Nikiko et inscrits à titre d’honoraires de gestion et d’expert‑conseil par KPMG. Il s’agit de la seule preuve que j’ai en ce qui concerne la nature de ces montants, c’est pourquoi je l’accepte selon ses mérites bien que plus de 800 000 $ me semble une bien grosse somme à verser à un restaurant japonais à titre d’honoraires d’expert‑conseil pour deux résidents de Macao.

 

[22]    Compte tenu que Patrick s’attendait à ce que KPMG vérifie le travail de sa conjointe en ce qui concerne la déclaration et le paiement de la TPS, je crois qu’il agissait raisonnablement relativement aux obligations de Nikiko en matière de TPS. 

 

[23]    Un bon nombre d’affaires ont été présentées devant la Cour et la Cour d’appel fédérale visant les responsabilités des administrateurs en matière d’impôts non versés en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la Loi sur la taxe d’accise. Je les ai nommées au paragraphe 32 de la décision Fremlin v. R., [2002] G.S.T.C. 65 et je n’ai pas besoin de les répéter aujourd’hui. Elles montrent l’évolution de la jurisprudence quant aux responsabilités dérivées des administrateurs en ce qui concerne les impôts non versés. Selon moi, dans certaines affaires présentées devant cette Cour, on imposait indûment une responsabilité rigoureuse aux administrateurs. L’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise et l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu n’exigent pas l’impossible. On n’y exige pas la perfection. Les administrateurs ne sont pas des assureurs pour les autorités fiscales. On demande seulement aux administrateurs d’agir « avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables ».

 

[24]    On peut se demander « qu’est‑ce que l’administrateur a omis de faire qui raisonnablement aurait dû être fait? ». Dans la présente affaire, il n’a rien omis. Lorsque Patrick a constaté la maîtrise de Agatha en ce qui concerne le système et sachant qu’elle pouvait compter sur KPMG si elle avait besoin d’aide pour les déclarations et les remises de TPS, selon moi, il aurait été déraisonnable d’exiger de lui qu’il en fasse plus et qu’il vérifie lui‑même le travail de sa conjointe, surtout que l’on n’avait indiqué ni à lui ni à elle que quelque chose n’allait pas.

 

[25]    Cette conclusion est suffisante pour statuer sur ces appels. Toutefois, on a présenté un bon nombre d’autres arguments et par respect pour l’avocat, je vais les mentionner brièvement.

 

[26]    L’avocat des appelants a soutenu que la responsabilité de l’administrateur en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise est fondée sur un nombre de conditions à respecter, dont une figure dans l’alinéa 323(2)c), selon lequel la Couronne doit prouver que la réclamation des sommes dues a été établie dans les six mois suivant la cession de faillite. L’avocat affirme que la Couronne n’a pas prouvé que cette condition ait été respectée. Je reconnais que le fardeau de la preuve repose sur la Couronne, et on n’a pas présenté la preuve de réclamation. Néanmoins, les avis d’appel indiquent que l’ADRC a présenté une preuve de réclamation le 7 février 1997, et les allégations ont été confirmées dans les réponses sauf en ce qui concerne la date. De plus, on a fait valoir dans les réponses, à titre de présumée « hypothèse » que le ministre du Revenu national avait déposé le 10 février 1997, une preuve de réclamation en ce qui concerne l’actif de la faillite de Nikiko. Cette hypothèse n’a pas été réfutée et, selon la procédure de la Cour, sauf certaines exceptions, les hypothèses non réfutées avancées dans la réponse doivent être considérées vraies.

 

[27]    On ne semble pas avoir présenté cet argument dans la décision Wollitzer c. Canada, [1995] A.C.I. no 259, à laquelle l’avocat a fait référence.

 

[28]    J’hésite à pousser le concept d’« hypothèse » présenté dans la décision M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., 64 DTC 5184, plus loin qu’on ne l’a déjà fait. Cela donne à la Couronne un puissant avantage et pourrait devenir de l’abus. Étant donné que j’ai conclu que Agatha n’était pas une administratrice et que Patrick avait agi avec une diligence raisonnable et en raison des déclarations faites dans les avis d’appel, je crois qu’il est préférable de remettre à un autre jour la question de savoir si le simple fait de présenter une hypothèse de fait particulière au domaine de connaissances de l’intimée sur laquelle repose le fardeau de la preuve est suffisant pour que le fardeau de la preuve soit transféré à l’appelant qui doit réfuter l’hypothèse. Je ne considère pas la proposition particulièrement intéressante. Bien que les personnes qui critiquent la règle parce qu’elles considèrent que cela signifie qu’un contribuable dans un appel civil lié à l’impôt est « coupable jusqu’à ce qu’il soit prouvé innocent » puissent être critiquées elles‑mêmes pour avoir employé dans leur zèle quelques exagérations, il faut se souvenir que l’intention de la règle voulant que le fardeau de la preuve repose sur le contribuable ne se trouve pas uniquement dans la décision M.N.R. v. Johnston, [1948] S.C.R. 186, mais également dans la décision Anderson Logging Co. v. The King, 52 DTC 1209, où le juge Duff s’est exprimé en ces termes à la page 1211 :

 

                   [traduction]

 

            Premièrement, en ce qui a trait au débat sur la question du fardeau de la preuve. Si, dans le cadre d'un appel devant le juge de la Cour de révision, il semble, d'après les faits véridiques, que l'application de la loi pertinente soulève des doutes, il semblerait, en principe, que le ministère public doive être débouté. Ce serait la conséquence nécessaire du principe selon lequel les lois imposant un fardeau de preuve au sujet ont, en vertu d'une pratique bien enracinée, été interprétés et appliqués. Mais en ce qui a trait à l'enquête sur les faits, l'appelant se trouve dans la même position que tout autre appelant. Il doit démontrer que la cotisation contestée n'aurait jamais dû être établie; c'est‑à‑dire qu'il doit faire la preuve de faits qui permettent d'affirmer que la cotisation n'était pas autorisée par la loi fiscale ou qui jettent un tel doute sur la question qu'en vertu des principes auxquels il a été fait allusion, la responsabilité de l'appelant ne peut être retenue. Naturellement, les faits véridiques peuvent être prouvés au moyen d'éléments de preuve directe ou d'inférences probables. L'appelant peut présenter des faits pour établir une prétention prima facie qui demeure incontestée; mais pour déterminer si une telle preuve a été établie, il est important de ne pas oublier, si tel est le cas, que les faits sont jusqu'à un certain point, sinon exclusivement, du domaine de la connaissance de l'appelant; bien que pour des raisons évidentes, il convienne de ne pas trop insister sur cette dernière question.

 

[29]    Selon moi, ce passage ne signifie pas que la Couronne peut établir ce qui lui plait à titre d’hypothèse, qu’elles soient ou non uniquement du domaine de connaissance de la Couronne, et il ne signifie pas non plus que le contribuable doit les réfuter. La Couronne a déjà suffisamment d’avantages de son côté. Une réserve semblable a été exprimé par la juge L'Heureux‑Dubé dans la décision Hickman Motors Limited c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, à la page 5370. Voir également la décision Mungovan c. Canada, C.C.I., no 2001‑568(IT)G, 3 juillet 2001 (2001 DTC 691), aux paragraphes 10 à 13. Toutefois, dans la présente affaire, je n’ai pas à statuer sur ce point.

 

[30]    L’autre argument consiste en ce que l’avis de nouvelle cotisation contre Nikiko a été envoyé le 20 janvier 1997, trois jours après que Nikiko ait procédé à la cession de faillite, et cela rend l’avis de nouvelle cotisation invalide en vertu du paragraphe 69.3(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité qui est ainsi formulé :

 

            Sous réserve du paragraphe (2) et des articles 69.4 et 69.5, à compter de la faillite d'un débiteur, les créanciers n'ont aucun recours contre le débiteur ou contre ses biens et ne peuvent intenter ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite, et ce jusqu'à la libération du syndic.

 

[31]    L’article 4.1 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité lie la Couronne. L’avocat des appelants a soutenu que les cotisations dérivées établies pour les appelants sont fondées sur un acte invalide, l’avis de cotisation établi pour Nikiko.

 

[32]    Je ne suis pas d’accord. L’avis de cotisation est simplement un relevé du calcul des obligations du contribuable effectué par le ministre. Comme l’a exprimé le président Thorson dans la décision Pure Spring Co. Ltd. v. Minister of National Revenue, 2 DTC 844, à la page 857 :

         

 

Une cotisation n'est pas la même chose qu'un avis de cotisation; dans le premier cas il s'agit d'une opération, dans l'autre d'un document. La nature de l'opération qui consiste à établir une cotisation a été clairement définie par le juge en chef de l'Australie, Isaacs, J.C.A., dans l'affaire Federal Commissioner of Taxation c. Clarke ((1927) 40 C.L.R. 246 à la page 277) :

 

La cotisation n'est que l'établissement et la détermination d'une obligation,

 

définition élaborée précédemment dans l'affaire The King v. Deputy Federal Commissioner of Taxation (S.A.); ex parte Hooper ((1926) 37 C.L.R. 368 à la page 373) :

 

Une "cotisation" n'est pas un simple document; il s'agit d'une opération ou d'un acte officiel; c'est l'établissement par le commissaire, une fois que toutes les circonstances pertinentes ont été prises en compte, y compris parfois son propre jugement subjectif, du montant d'impôt imputable à un contribuable donné. Une fois qu'il a déterminé ce montant, il envoie par la poste un avis correspondant intitulé "Avis de cotisation" [...] Toutefois, ni ce document, ni l'avis en soi ne constitue une "cotisation". La cotisation correspond dans tous les cas à l'action du commissaire.

 

C'est l'opinion à laquelle arrive le commissaire et non le document dans laquelle elle figure qui constitue l'une des circonstances pertinentes à la cotisation.  La cotisation est à mes yeux la somme de tous les facteurs qui représentent l'obligation fiscale, déterminés de façon diverse et permettant d'arriver à un total une fois que tous les calculs nécessaires ont été faits."

 

[33]    Il semble que l’avis de cotisation ait une utilité. Il m’apparaît évident qu’une cotisation a été établie et que le ministre a déterminé quel était, selon lui, le montant de l’obligation fiscale du contribuable. C’est à ce moment‑là que commence le délai de prescription. En fait, il est en quelque peu difficile de croire, de façon conceptuelle, qu’une « cotisation » puisse exister dans l’esprit du ministre, que ce soit à un état métaphysique ou incorporel, sans qu’un avis n’ait été envoyé au contribuable. Il va sans dire qu’il faut envoyer un avis de cotisation avant que la cotisation n’ait une incidence pratique. Je ne crois pas qu’une cotisation soit complète tant qu’un avis n’a pas été envoyé au contribuable. C’est ce qu’a exprimé clairement le juge Thurlow (tel était alors son titre) dans l’affaire Scott v. M.N.R., 60 DTC 1273.

 

[34]    Néanmoins, je ne crois pas que le paragraphe 69.3(2) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité a pour effet d’empêcher l’envoi d’un avis de cotisation à la société après la cession de faillite. Cela empêcherait sans doute le ministre de prendre les mesures prévues à l’article 316 de la Loi sur la taxe d’accise, telles que l’enregistrement d’un certificat à la Cour fédérale et l’obtention d’un bref en vertu du paragraphe 316(4). Toutefois, je ne considère pas que l’avis de cotisation constitue « une action, une exécution ou autre procédure » au sens du paragraphe 69.3(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

 

[35]    Même si, d’une façon ou d’une autre, l’avis de cotisation était invalide dû au fait qu’il a été envoyé après la cession de faillite, à mon avis, cela n’empêche pas le ministre de poursuivre ses mesures correctives contre les administrateurs. L’obligation fiscale existe indépendamment de l’existence d’une cotisation (paragraphe 299(2) de la Loi sur la taxe d’accise).

 

[36]    L’avocat de l’intimée soutient qu’il n’appartient pas aux appelants de contester la cotisation liée à la société. Si l’on se fie à la décision Gaucher c. La Reine, C.A.F., no A‑275‑00, 16 novembre 2000 (2000 DTC 6678), cet argument n’est pas valable.

 

[37]    Je vais maintenant examiner les honoraires de gestion et d’expert‑conseil. Certains de ces montants ont été versés en argent comptant à Nikiko. D’autres montants provenaient de deux entreprises nationales, soit Tri/Novo et Greatwill. Les montants ont tout d’abord été inscrits à titre de prêts provenant des actionnaires, mais sur les recommandations de Connie Mak de KPMG, ils ont plus tard été inscrits comme honoraires d’expert‑conseil. M. Ho, le vérificateur de l’ADRC, reconnaît que si ces montants constituaient des avances ou des prêts des actionnaires ou s’ils étaient exempts de taxe, ils n’étaient pas imposables.

 

[38]    L’avocat des appelants a soutenu que je devrais conclure que ces montants constituaient des avances d’actionnaires, sans tenir compte qu’ils sont inscrits dans les livres de Nikiko à titre d’honoraires d’expert‑conseil et de gestion. Étant donné qu’il s’agit de grosses sommes, qu’elles étaient versées de façon irrégulière et qu’à de nombreuses reprises, les sommes étaient versées en argent comptant par les conjointes des deux actionnaires de Macao, on pourrait soupçonner qu’il ne s’agit pas vraiment d’honoraires d’expert‑conseil ou de gestion. Toutefois, une telle conclusion serait fondée sur des hypothèses et non sur des preuves. La seule conclusion à laquelle nous puissions en arriver en toute sûreté, malgré les doutes que je peux avoir, est que les paiements constituaient des honoraires d’expert‑conseil et de gestion. 

 

[39]    L’avocat soutient qu’en vertu de l’article 23 de la Partie V de l’Annexe VI de la Loi sur la taxe d’accise, les honoraires d’expert‑conseil sont exempts d’impôt. L’article 23 est rédigé de la manière suivante :  

 

La fourniture d'un service consultatif ou professionnel au profit d'une personne non‑résidente, à l'exclusion des fournitures suivantes :

 

[…]

 

b) un service lié à un immeuble situé au Canada;

 

 

[40]    Selon Patrick, ces montants étaient liés vaguement à des « investissements », y compris des investissements sur le marché boursier ou dans des entreprises possibles. L’avocat a soutenu que de cette façon, ils ne sont plus visés par l’exception relative aux biens immeubles. C’est peut‑être bien le cas, mais si une personne désire qu’un service soit exempt d’impôt, ce serait bien d’en définir les motifs en donnant bien des détails précis. Je ne peux pas fonder une conclusion sur des affirmations aussi vagues.

 

[41]    L’avocat a également critiqué la façon dont la cotisation a été établie pour Nikiko. On soutient que cette cotisation était fondée sur des renseignements insuffisants. C’est peut‑être vrai, mais j’éprouve une certaine compassion pour M. Ho, le répartiteur. Il avait de la difficulté à obtenir des renseignements d’Agatha, le restaurant a fermé ses portes et l’entreprise a fait faillite. Il devait faire vite et il l’a fait. Je ne peux le critiquer pour cela. 

 

[42]    J’ai conclu qu’en aucun temps, Agatha était une administratrice de Nikiko et que Patrick a montré qu’il avait agi de façon raisonnable et a respecté le critère de la diligence raisonnable prévu au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[43]    Les appels sont accueillis et les cotisations établies en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise sont annulées.

 

[44]    L’avocat des appelants a demandé qu’avant que je ne prononce le jugement officiel, il puisse avoir l’occasion d’aborder la question des dépens. Je demanderais aux avocats de communiquer avec le greffe de la Cour afin de déterminer un moment convenable pour aborder cette question. Si les avocats sont d’accord, nous pouvons faire cela par conférence téléphonique ou par écrit.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de novembre 2002.

 

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5jour d’avril 2004.

 

 

 

 

Louise‑Marie LeBlanc, traductrice


 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.