Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-4415(EI)

2001-4416(CPP)

ENTRE :

 

PATRICK GROULX,

 

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

 

Appels entendus le 23 avril 2002 à Toronto (Ontario) par

 

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

 

 

Comparutions

 

Pour l'appelant :                        L'appelant lui-même

Avocat de l'intimé :                             Me Eric Sherbert

 


JUGEMENT

 

          La Cour ordonne que les appels interjetés à l'encontre des décisions faites en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada soient accueillis et que les décisions soient annulées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mai 2002.

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de mai 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020503

Dossiers: 2001-4415(EI)

2001-4416(CPP)

 

ENTRE :

 

PATRICK GROULX,

 

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

 

[1]     Les présents appels visent les décisions du ministre du Revenu national voulant que, pendant les périodes du 5 septembre 2000 au 7 décembre 2000 et du 9 janvier 2001 au 12 avril 2001, M. Groulx occupait un emploi assurable et ouvrant droit à pension au sens de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi sur l'a.‑e. ») et du Régime de pensions du Canada (le « RPC »).

 

[2]     Pendant les périodes en cause, M. Groulx travaillait comme professeur d'informatique à temps partiel au Seneca College of Applied Arts & Technology (le « Seneca College »). Il enseignait six heures par semaine, soit deux soirs par semaine. Il préparait lui-même ses cours et préparait les examens et les corrigeait. Il accomplissait ces deux dernières tâches pendant ses moments libres et ne recevait aucune rémunération supplémentaire.

 

[3]     Selon son contrat, il n'avait pas le droit de travailler plus de six heures par semaine; il est manifeste que la raison en était que s'il travaillait plus de six heures par semaine, il aurait été obligé de joindre le syndicat des professeurs.

 

[4]     Le Seneca College fournissait les salles de classe et les ordinateurs. L'appelant élaborait le logiciel pendant ses moments libres et le fournissait.

 

[5]     Voici les hypothèses de fait sur lesquelles on dit s'être appuyé pour rendre les décisions :

 

[traduction]

 

a)         la payeuse est une société d'État du gouvernement de l'Ontario;

 

b)         la payeuse est un établissement d'enseignement (collège public);

 

c)         le secteur du collège visé par l'appel est la « Faculty of Continuing Education & Training » (Faculté de l'éducation et de la formation permanente);

 

d)         la payeuse fonctionne selon un système semestriel et les contrats étaient signés pour chaque semestre;

 

e)         l'appelant a été embauché à titre de professeur en vertu d'un contrat écrit pour chacune des périodes en cause (onglets 1 et 2);

 

f)          selon le contrat, la payeuse se réserve le droit d'annuler toute affectation si le nombre de personnes inscrites n'est pas suffisant et l'appelant ne serait pas rémunéré si une affectation était annulée;

 

g)         selon le contrat, l'appelant devait respecter de nombreuses conditions, dont les suivantes :

 

-           respecter les politiques et les procédures du collège;

 

-           respecter la conception et les objectifs du programme d'études décrits dans le « Program Information Package » (trousse de renseignements sur le programme);

 

-           communiquer avec le département une semaine avant le début des cours afin d'en déterminer le statut;

 

-           commencer et finir les cours aux moments prévus;

 

-           informer le département de tout changement;

 

-           rendre compte de toutes les absences aux cours ou de toute modification de l'affectation;

 

-           remettre une ébauche de l'examen final aux fins d'approbation;

 

-           remettre l'examen final et la répartition des notes selon la procédure;

 

-           assister à la réunion obligatoire relative à la collation des grades;

 

-           rendre compte des préoccupations des étudiants ou de la classe;

 

h)         selon le contrat, l'appelant recevait une rémunération horaire de 37,75 $ pour la première période en cause et de 39,75 $ pour la deuxième;

 

i)          selon le contrat, l'appelant était payé toutes les deux semaines par dépôt direct;

 

j)          le taux de rémunération de l'appelant était établi par la payeuse;

 

k)         selon le contrat, l'appelant ne pouvait pas travailler plus de six heures par semaine;

 

l)          les heures de travail de l'appelant étaient déterminées par la payeuse;

 

m)        le travailleur était sous la supervision de Jake Atteslander, coordonnateur du cours;

 

n)         l'appelant était couvert par le régime d'indemnité des accidents du travail;

 

o)         la payeuse conservait le droit de mettre fin aux services de l'appelant;

 

p)         la payeuse fournissait gratuitement à l'appelant tous les outils et l'équipement;

 

q)         l'appelant devait fournir lui-même ses services;

 

r)          le travail accompli par l'appelant faisait partie intégrante de l'entreprise de la payeuse.

 

[6]     Les conditions indiquées au paragraphe g) des hypothèses de fait ont été tirées du contrat de travail des professeurs à temps partiel. Ce que l'on a omis de reproduire sont les dispositions suivantes qui précèdent immédiatement la liste des conditions précitées :

 

[traduction]

 

Il s'agit d'un contrat d'un semestre pour la période indiquée au verso du présent contrat. Le collège se réserve le droit d'annuler toute affectation sur laquelle les parties se sont déjà entendues pour les raisons suivantes :

 

a)         le nombre de personnes inscrites est insuffisant (selon ce qu'a déterminé le collège);

 

b)         il n'y a pas de locaux adéquats pour la mise en œuvre.

 

Le professeur ne recevra aucune rémunération pour les affectations annulées.

 

Le collège se réserve le droit d'annuler le présent contrat pour un motif suffisant ou en raison d'absence ou d'un rendement professionnel insatisfaisant.

 

[7]     Un bon nombre de ces hypothèses font partie du texte type que l'on rencontre dans le cadre de toutes ces affaires relatives à la Loi sur l'a.‑e. et au RPC dans lesquelles la question en litige consiste à savoir si une personne travaillait selon un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise. Le traditionnel critère à quatre volets énoncé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, [1986] 2 C.T.C. 200 (C.A.F.), représente un point de départ utile en autant que l'on évite de trop insister sur l'un ou l'autre des volets. Toutefois, l'on peut commencer par utiliser le critère de l'arrêt Wiebe Door et voir où cela nous amène tout en gardant en mémoire qu'il faut examiner la relation dans son ensemble et déterminer si « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne travaillant à son compte? », comme l'a indiqué le juge Cooke dans l'arrêt Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 aux pages 737‑738 et comme l'a cité le juge Major dans l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, au par. 44.

 

[8]     La citation du juge Cooke se poursuit ainsi :

 

[TRADUCTION]

 

Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche.

 

[9]     Le juge Major a ensuite cité, au paragraphe 46, un extrait des motifs du jugement du juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe Door :

 

[TRADUCTION]

 

[N]ous doutons fortement qu'il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d'identifier les contrats de louage de services. [...] La meilleure chose à faire est d'étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s'appliquent pas dans tous les cas et n'ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n'est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.

 

[10]    En appliquant ces critères, j'ai beaucoup de difficulté à percevoir M. Groulx comme un employé du Seneca College. Il se présente deux fois par semaine et reçoit un salaire horaire. Il prépare ses cours dans ses moments libres et n'est pas rémunéré pour cette tâche. Il ne fait pas partie intégrante des activités du collège, contrairement aux professeurs à temps plein. Il ne fait pas partie du syndicat des professeurs; il ne participe pas au régime de soins médicaux ni au régime de retraite comme le font les professeurs à temps plein. On ne lui a pas assigné de place de stationnement et il n'a pas accès aux installations récréatives, telles que le gymnase, comme c'est le cas pour les professeurs à temps plein. Il décide du contenu du cours et de la matière qu'il enseignera. Le collège fournit aux professeurs à temps plein des bureaux et ces derniers sont rémunérés pour la préparation des cours. M. Groulx n'a pas de bureau et prépare ses cours dans ses moments libres sans être rémunéré. Il n'est pas supervisé. Je ne vois pas de quelle façon le collège exerce un contrôle réel sur lui. Il s'agit, après tout, d'un professionnel très qualifié qui possède un baccalauréat ès sciences de la Simon Fraser University et un MBA de la University of Western Ontario. Il est également comptable agréé. Son emploi de professeur à temps partiel ne constitue qu'une des activités auxquelles il prend part.

 

[11]    Le Seneca College n'a donc aucun contrôle sur lui et il ne fait pas partie intégrante de son système. Ainsi, même en appliquant d'une façon quelque peu mécanique le critère à quatre volets de l'arrêt Wiebe Door, il ne répond pas à deux des éléments. En ce qui concerne les deux autres, il est vrai que le collège fournit les locaux et les ordinateurs vieillots. M. Groulx fournit le logiciel. L'élément de la chance de bénéfice et du risque de perte est difficile à appliquer à un emploi de professeur à temps partiel, et ce serait une base bien fragile sur laquelle fonder une conclusion qu'il y avait un emploi.

 

[12]    Toutefois, je préfère prendre un recul en ce qui concerne les détails du critère et examiner la relation dans son ensemble en me posant la question suivante : Peut-on dire que ce professeur à temps partiel, qui se présente deux fois par semaine, qui ne fait pas partie du corps enseignant à temps plein, qui prépare le logiciel dans ses moments libres et le fournit, qui conçoit et donne les cours et prépare les examens selon ce que bon lui semble, qui n'est, en fait, sous le contrôle de qui que ce soit et qui peut demander à quelqu'un d'autre d'enseigner à sa place, peut‑on dire que cette personne constitue un employé dans le sens traditionnel du terme? Selon moi, la réponse est non. L'une des différences frappantes avec une relation employeur-employé traditionnelle se trouve dans la partie du contrat citée au paragraphe 6 des présents motifs selon laquelle, si le nombre de personnes inscrites n'est pas suffisant, le collège peut annuler toute affectation sur laquelle il y avait eu entente et le professeur ne recevra aucune rémunération pour une affectation annulée. Cela ne correspond pas à une relation employeur-employé.

 


[13]    Les appels sont accueillis et les décisions voulant que l'appelant exerçait un emploi assurable et ouvrant droit à pension sont annulées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mai 2002.

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de mai 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.