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Date: 20020306

Dossier: 2001-1494-IT-I

ENTRE :

LA SUCCESSION DE GERTRUDE BOUCHER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Angers, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel par voie de procédure informelle d'une cotisation visant l'année d'imposition 1999 de la Succession de Dame Gertrude Boucher. Elle était représentée à l'audience par son fils, monsieur Laurent Boisclair.

[2]            La cotisation pour l'année 1999 a été établie par le Ministre du Revenu national (le « Ministre » ) le 8 août 2000. L'appelante s'est vu refusé un crédit d'impôt pour personnes handicapées. Selon le Ministre, l'appelante n'est pas en droit de réclamer à la fois un crédit d'impôt pour personnes handicapées en vertu de l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et un crédit pour frais médicaux à l'égard des montants versés à des maisons de santé ou de repos en vertu de l'article 118.2 de la Loi.

[3]            L'appelante a produit un avis d'opposition le 12 octobre 2000 et le Ministre a ratifié sa cotisation le 29 janvier 2001.

[4]            Les faits sur lesquels le Ministre a établi sa cotisation ont été admis à l'audience par l'appelante. Les faits en question sont les suivants :

a)        L'appelante est une personne souffrant d'un handicap grave et permanent depuis 1990.

b)        Pour l'année 1999, l'appelante réclame à la fois le crédit pour personne handicapée et un crédit relatif à des frais médicaux totalisant 10 765,17 $.

c)        Selon une feuille produite par l'appelante, le montant de 10 765,17 $ se détaille comme suit :

Hébergement :

CHSLD René-Lévesque

4 789,00 $

Résidence Les Quatre Temps

3 375,00 $

Hôpital du Haut-Richelieu

880,00 $

Frais médicaux

740,69 $

Cotisation régime privé

d'assurance maladie

570,48 $

Soins dentaires

260,00 $

Divers

150,00 $

Total

10 765,17 $

[5]            La position du représentant de l'appelante repose sur l'argument que sa mère, à cause de sa condition médicale, avait besoin d'être surveillée de façon continuelle par des préposés aux soins lors de son séjour au centre d'hébergement. Étant donné qu'elle monopolisait les préposés aux soins à qui elle avait été confiée, la majorité des frais d'hébergement qu'elle a payés auraient servi à payer les préposés. Cela a amené le représentant de l'appelante à conclure que les frais d'hébergement sont en réalité des frais de préposés. Le total des frais d'hébergement (les trois premiers items figurant au paragraphe précédant étant inférieurs à 10 000 $, l'appelante devrait pouvoir déduire les frais en vertu de l'alinéa 118.2(2)b.1) de la Loi qui se lit comme suit :

(2) Frais médicaux. Pour l'application du paragraphe (1), les frais médicaux d'un particulier sont les frais payés :

b.1) à titre de rémunération pour les soins de préposé fournis au Canada au particulier, à son conjoint ou à une personne à charge visée à l'alinéa a), dans la mesure où le total des sommes payées ne dépasse pas 10 000 $ (ou 20 000 $ en cas de décès du particulier dans l'année) et si les conditions suivantes sont réunies:

(i) le particulier, le conjoint ou la personne à charge est quelqu'un pour qui un montant est déductible en application de l'article 118.3 dans le calcul de l'impôt payable par un contribuable en vertu de la présente partie pour l'année d'imposition au cours de laquelle les frais sont engagés,

(ii) aucun montant n'est inclus dans le calcul d'une déduction demandée pour le particulier, le conjoint ou la personne à charge en application des articles 63 ou 64 ou des alinéas b), c), d) ou e) pour l'année d'imposition au cours de laquelle la rémunération est versée,

(iii) au moment où la rémunération est versée, le préposé n'est ni le conjoint du particulier ni âgé de moins de 18 ans,

(iv) chacun des reçus présentés au ministre comme attestation du paiement de la rémunération est délivré par le bénéficiaire de la rémunération et comporte, si celui-ci est un particulier, son numéro d'assurance sociale;

[6]            Le représentant de l'appelante prétend également qu'une représentante du Ministre, lui aurait confirmé, lors d'une conversation téléphonique, que les deux crédits lui étaient accordés et qu'un avis de remboursement serait délivré. Cette conversation aurait eu lieu le 28 novembre 2000. Le 29 janvier 2001, il recevait la cotisation en litige, laquelle ratifiait celle du 8 août 2000. De plus, il soumet qu'une lettre provenant de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (anciennement « Revenu Canada » ) confirme que, si les dépenses médicales sont des frais pour un préposé aux soins et sont inférieures à 10 000 $, l'appelante peut déduire les deux montants. Toutefois, je tiens à souligner ici que la même lettre précise que l'appelante ne peut pas déduire le montant pour personne handicapée si elle déduit, comme frais médicaux, la rémunération payée à un préposé aux soins excédant 10 000 $ ou les frais de résidence dans une maison de santé ou de repos qui sont reliés à la déficience mentale ou physique de l'appelante. L'appelante peut déduire le plus avantageux des deux montants, mais non les deux.

[7]            Le représentant de l'appelante fait valoir qu'en principe, si un représentant du Ministre affirme qu'un contribuable peut déduire les deux montants pourvu que les frais pour un préposé aux soins soient inférieurs à 10 000 $, le Ministre ne peut, par après, changer d'idée.

[8]            Le représentant de l'appelante fait valoir de plus que, si les représentants du Ministre s'y perdent, c'est parce que la Loi elle-même est très confuse. Il demande à la Cour de faire preuve de souplesse dans l'interprétation des lois et des règlements et demande le remboursement de la somme de 100 $ qu'il a déposée dans le cadre de son appel.

[9]            L'avocat de l'intimée, pour sa part, soumet que les frais médicaux de 9 044 $ payés à l'égard des établissements d'hébergement sont effectivement des frais de séjour dans ce type d'établissement et non des frais payés à titre de rémunération de préposés aux soins. L'appelante ne payait pas pour un service particulier mais pour un ensemble de services qui relevaient de la responsabilité de ces différents centres d'hébergement. Les reçus soumis dans la déclaration de revenu sont des reçus d'hébergement et ils n'indiquent rien d'autre.

[10]          Il soumet que des renseignements erronés fournis par un fonctionnaire ne lient pas le Ministre. Étant donné que le montant de 9 044 $ se rapporte à des frais d'hébergement, la Loi ne permet pas à un contribuable d'obtenir également le crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique.

[11]          L'intimée a fait témoigner Claude Paradis, qui est directeur des services financiers et techniques pour le CHSLD René-Lévesque. Ce centre offre à ses clients des services d'hébergement et de soins de longue durée. Le Centre s'occupe de nettoyer les chambres, de donner des soins infirmiers, de fournir du personnel médical et pharmaceutique, et de fournir des services d'ergothérapie, soit tous les services dont ont besoin les personnes que le Centre héberge.

[12]          Un bénéficiaire du Centre doit payer le maximum prévu par la Loi, soit 1 400 $ par mois ou moins, selon son revenu. Le coût réel varie entre 4 200 $ et 4 300 $ par mois. La répartition des coûts est difficile à faire car les coûts ne sont pas ciblés sur les services offerts individuellement mais sur l'ensemble des personnes hébergées. En contre-interrogatoire, monsieur Paradis a reconnu qu'en théorie 4.2 heures de soins par les préposés sont nécessaires par patient, mais il a déclaré qu'il ne savait pas combien d'heures étaient requises par l'appelante. Ce sont des concepts théoriques car le nombre d'heures par type de soin varie avec chaque bénéficiaire. Monsieur Paradis a terminé son témoignage en disant qu'au Centre René Lévesque, on offre les soins requis par chaque bénéficiaire en tenant compte des contraintes budgétaires.

[13]          Cela nous amène donc à résoudre la question soulevée dans ce litige, à savoir si les deux montants sont déductibles.

[14]          Les reçus joints à la déclaration de revenu de l'appelante et qui touchent les frais d'hébergement de cette dernière ne nous fournissent aucun détail sur les services rendus. Il s'agit, selon ces reçus, de frais d'hébergement. Même si le représentant de l'appelante affirme qu'une portion de ses frais ont servi à rémunérer des préposés aux soins, il ne m'a fourni aucune preuve en vue de démontrer dans quelle proportion les frais payés ont été utilisés pour rémunérer les préposés. Les centres d'hébergement offrent un ensemble de services et la contrepartie versée par le bénéficiaire est payée en échange de cet ensemble de services. Il est donc très difficile de faire une répartition précise des différents soins donnés et des personnes qui les donnent. Sur l'ensemble de la preuve, je ne peux déterminer quelle proportion exacte est allée aux préposés aux soins étant donné que les reçus ne mentionnent que l' « hébergement » .

[15]          Je souscris aux propos suivants du juge Margeson dans l'affaire Miles, succession c. Canada [1999] A.C.I. no 535, aux pages 5 et 6 :

                [40] Dans l'affaire précitée ainsi que dans celle qui nous occupe, il était possible de faire en sorte qu'une partie de l'argent soit consacrée à des soins de préposé; de l'argent pouvait être affecté aux services d'un préposé à plein temps ou à d'autres services. Il n'est pas nécessaire que ce soit tout l'un ou tout l'autre, mais, lorsqu'un document indique qu'il s'agit d'un "loyer" et ne contient aucune mention de soins de préposé, il est difficile de conclure que la somme qui a été payée l'a manifestement été pour autre chose qu'un loyer.

                [...]

                [45] Dans un cas de ce genre, il incombe à la partie appelante d'établir selon la prépondérance des probabilités à quoi servait le paiement. Il doit donc y avoir dans le reçu une ventilation indiquant quelle partie du paiement était destinée à des soins de préposé.

[16]          Pour ces motifs, je conclus que les frais encourus par l'appelante ont été payés pour de l'hébergement et non pour les services de préposés aux soins comme le voudrait son représentant.

[17]          Les dispositions de la Loi qui prévoient les crédits que demande l'appelante sont l'alinéa 118.2(2)b) en ce qui concerne les frais médicaux payés à titre de frais dans une maison de santé ou de repos et le paragraphe 118.3(1) pour ce qui est du crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique. Sans les reproduire au complet, il est évident que, dans le cas en l'espèce, l'appelante pourrait, à première vue, obtenir les deux crédits si ce n'était de l'alinéa 118.3(1)c) qui se lit comme suit :

                                (1) Le produit de la multiplication de 4 118 $ par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

c)      aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n'est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d'une déduction en application de l'article 118.2 pour l'année (autrement que par application de l'alinéa 118.2(2)b.1)).

[18]          Il me paraît donc évident que l'on ne peut réclamer le crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique que si l'on n'a pas déduit sous la rubrique de frais médicaux des montants représentant des frais de séjour du contribuable dans une maison de santé ou de repos.

[19]          Je reconnais que, si ces paiements avaient été faits à un préposé aux soins et qu'ils avaient été inférieurs à 10 000 $, l'appelante aurait eu droit aux deux déductions ou crédits. Pour les motifs déjà mentionnés, ce n'est pas le cas en l'espèce.

[20]          Quant aux déclarations faites par un fonctionnaire du Ministre, les déclarations écrites dans la pièce A-1, soit une lettre du 22 septembre 2000 et une autre du 23 janvier 2001, qui visent l'interprétation de la Loi, ne sont pas erronées. Ce n'est que lors d'une conversation téléphonique qu'une représentante du Ministre aurait déclaré que l'appelante avait droit aux deux déductions. Je souscris aux propos suivants du juge Rip de cette cour dans l'affaire Beal c. Canada, [1995] A.C.I. no 1064, p. 4, où il cite :

Le fait que l'appelant s'est fondé sur les conseils des représentants du ministre du Revenu national (le « ministre » ) en demandant les crédits d'impôt ne l'aide pas. Le ministre ne peut pas être lié par les conseils donnés par ses représentants lorsque les conditions prescrites par la loi n'ont pas été remplies : M.N.R. v. Inland Industries Ltd., 72 DTC 6013 à la page 6017, juge Pigeon.

[21]          L'appelant a demandé le remboursement de son dépôt de 100 $. Les Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure informelle) traitent des pouvoirs de la Cour visant le droit de dépôt. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

Art. 4(6) À la demande d'un particulier faite dans le document mentionné au paragraphe (1), la Cour peut renoncer au droit de dépôt si elle est convaincue que son paiement causerait de sérieuses difficultés financières au particulier.

Art. 4(7) La Cour fonde sa décision de renoncer ou non au droit de dépôt uniquement sur la base des renseignements indiqués dans le document mentionné au paragraphe (1).

[22]          Le document mentionné au paragraphe 4(1) vise l'appel qui est interjeté par écrit et contient l'exposé sommaire des faits et moyens. À la lumière de ces dispositions et du fait que l'appel ne contient aucun renseignement me permettant de statuer sur cette question, je ne peux renoncer au droit de dépôt de l'appelante.

[23]          Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mars 2002.

« François Angers »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2001-1494(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                                 LA SUCCESSION GERTRUDE BOUCHER

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 30 janvier 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :                                      le 6 mars 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                    Laurent Boisclair

Pour l'intimée :                                                       Me Philippe Dupuis

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimé(e) :                                                    Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

2001-1494(IT)I

ENTRE :

LA SUCCESSION DE GERTRUDE BOUCHER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 30 janvier 2002 à Montréal, Québec par

l'honorable juge François Angers

Comparutions

Représentant de l'appelant :                           Laurent Boisclair

Avocat de l'intimée :                                     Me Philippe Dupuis

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 1999 est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mars 2002.

« François Angers »

J.C.C.I.

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