Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2003-2122(IT)I

ENTRE :

JOHN THOMSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu à St. Catharines (Ontario), le 1er juin 2004.

Devant : L'honorable G. Sheridan

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Joanna Hill

JUGEMENT

          L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2000 est admis avec dépens et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait qu'il y avait un « accord écrit » aux termes duquel l'appelant a payé une pension alimentaire pour enfants au cours de l'année d'imposition.


Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre 2004.

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de juillet 2005.

Sara Tasset


Référence : 2004CCI772

Date : 20041126

Dossier : 2003-2122(IT)I

ENTRE :

JOHN THOMSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Sheridan

[1]      L'appelant John Thomson interjette appel contre une nouvelle cotisation relative à son année d'imposition 2000, dans laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé la déduction de montants versés à son ex-épouse Annette Thomson (maintenant « Mme Bellinghoffen » ) pour subvenir aux besoins de leur fillette. Il est convenu que John et Annette vivent séparément depuis 1996. Il est en outre convenu que le montant de 3 600 $ qu'Annette a reçu en l'an 2000 n'a pas été payé aux termes d'une ordonnance judiciaire. Il s'agit donc uniquement de savoir si ce montant a été payé aux termes d'un « accord écrit » au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), dont les passages pertinents sont ci-après reproduits :

« pension alimentaire » - « pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a) le bénéficiaire est l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex-époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d'échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit; [...]

[Je souligne.]

[2]      Le 3 mars 1997, John et Annette ont rencontré la fonctionnaire de service au tribunal de la famille, qui les a aidés à obtenir une ordonnance judiciaire faisant état de ce dont ils avaient convenu au sujet du soin et de l'entretien de leur fillette âgée de quatre ans. L'agente leur a remis un formulaire type de procès-verbal de transaction[1], dans lequel elle a consigné les conditions de l'accord, à savoir que John et Annette devaient avoir la garde conjointe de leur fillette, dont la résidence primaire était celle d'Annette, un accès raisonnable étant accordé à John. L'agente a ajouté une autre clause prévoyant que les parties avaient convenu [traduction] « de retirer la demande de pension alimentaire pour enfants pour le moment » . Ces dispositions constituaient l'ordonnance judiciaire qui a été rendue le 3 mars 1997. La question de la pension alimentaire pour enfants a été retirée de l'examen de la Cour parce que, le même jour, les Thomson, sur les conseils de l'agente, avaient consigné l'accord auquel ils étaient arrivés au sujet de la pension alimentaire pour enfants dans un autre formulaire type fourni par le tribunal, intitulé [traduction] « Accord de séparation » .

[3]      En tant que nouveau chef de famille monoparentale, Annette cherchait, à peu près à ce moment-là, à obtenir des prestations familiales; dans le cadre de ce programme provincial, la prestation à laquelle une mère admissible a par ailleurs droit est réduite du montant de la pension alimentaire pour enfants qu'elle reçoit. Annette était tenue de déposer auprès de l'organisme gouvernemental concerné la preuve du paiement mensuel de 275 $ qu'elle recevait de John; c'est la raison pour laquelle la fonctionnaire du tribunal lui a recommandé l'accord de séparation. Même si la chose n'est pas mentionnée dans l'accord de séparation et même si Annette ne le savait pas à ce moment-là, une mère admissible cesse d'avoir droit à la prestation familiale lorsqu'elle se remarie.

[4]      Tous ces faits sont pertinents pour bien comprendre l'accord de séparation, soit le document qui sous-tend le refus du ministre de permettre à John de déduire la pension alimentaire pour enfants. Il s'agit d'un bref document composé de cinq clauses seulement. Des espaces sont laissés en blanc pour que l'on y inscrive les noms des parties, le nom et la date de naissance de l'enfant ou des enfants issus du mariage, la date depuis laquelle les parties vivent séparément, la date de prise d'effet de l'accord, le montant à payer et la fréquence des paiements. Un espace est également prévu pour le montant de la pension alimentaire à verser à l'époux, mais étant donné que cela ne s'appliquait pas aux Thomson, cette clause comporte une ligne biffée qui a été parafée par les parties.

[5]      La fonctionnaire de la Cour a rempli les espaces laissés en blanc selon l'accord verbal conclu par les Thomson. Le nom de M. Thomson avait initialement été mal orthographié comme étant « Thompson » , mais le « p » a été biffé et parafé. La date de prise d'effet est inscrite dans la première clause comme étant le [traduction] « le 28 mars 1997 » ; dans la clause 2b), un montant de « 275 $ » est inscrit au titre de la pension alimentaire pour enfants à payer [traduction] « chaque mois » . Au-dessous se trouve un paragraphe type énumérant les conditions prévues par la loi par lesquelles prend fin l'obligation du payeur de verser la pension alimentaire pour enfants. Enfin, il y a un espace pour les signatures des parties, et le document a été dûment signé par John et par Annette. Si c'était là tout ce que renfermait l'accord de séparation, il ne me serait pas difficile de conclure qu'il satisfait à l'exigence prévue à l'alinéa 56.1(4)a). Malheureusement, une disposition additionnelle s'est glissée dans ce document, laquelle, selon l'avocate de l'intimée, empêche la déduction de la pension alimentaire qui est versée pour la fillette.

[6]      Cette disposition se trouve dans la clause 3 de l'accord de séparation; elle est ainsi libellée : [traduction] « La partie A et la partie B conviennent que cet accord prendra fin lorsque la partie B cessera d'avoir droit au soutien fourni à l'aide de fonds publics. » À l'audience, l'avocate de l'intimée a soutenu que, conformément à cette clause, l'accord de séparation a pris fin au mois de janvier 1998 lorsque, lors de son remariage, [traduction] « la partie B » (c'est-à-dire Annette) a cessé d'être admissible à la prestation familiale. En l'an 2000, il n'y avait donc pas d' « accord écrit » aux termes duquel une pension alimentaire pour enfants était payée. Il s'ensuit qu'il ne peut pas y avoir de « pension alimentaire » au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi et, par conséquent, aucun droit à une déduction. Toutefois, je note que même si l'accord de séparation était à la base de l'argument de l'intimée à l'audience, il n'en est pas fait mention dans la réponse à l'avis d'appel. Selon les hypothèses énoncées dans la réponse, la nouvelle cotisation établie par le ministre était fondée sur le procès-verbal de transaction, et plus précisément, sur l'absence de dispositions relatives à la pension alimentaire pour enfants. John ne conteste pas la chose, mais il affirme qu'en établissant la nouvelle cotisation, le ministre a examiné le mauvais document - il aurait en fait dû examiner l'accord de séparation. Le témoignage d'Annette (le témoin de l'intimée) étaye cette conclusion. Ayant ainsi « démoli » l'hypothèse du ministre, John a renversé le fardeau de la preuve qui, dans les affaires fiscales, repose d'abord sur l'appelant, le ministre devant donc réfuter sa preuve prima facie[2].

[7]      L'exigence de la Loi selon laquelle il doit y avoir un « accord écrit » prévoyant le paiement d'une pension alimentaire pour enfants est un raffinement de l'obligation générale imposée au contribuable par la loi de tenir des « livres et registres adéquats » à l'appui. Comme c'est le cas pour les livres et registres, la Loi ne définit pas l' « accord écrit » et elle ne donne pas de précisions au sujet de sa présentation ou de son contenu. Étant donné que l'accord écrit est mentionné à l'alinéa 56.1(4)a) comme document pouvant servir au lieu d'une « ordonnance d'un tribunal » , il s'ensuit que la Loi exige d'un « accord écrit » un certain degré de fiabilité lorsqu'il s'agit de prouver l'accord conclu entre le payeur et le bénéficiaire. La question de savoir si, dans un cas particulier, les registres sont suffisants pour justifier la demande qui est faite par un contribuable est une question de fait qui dépendra de la preuve présentée.

[8]      John agissait pour son propre compte; il a témoigné à l'audience. Annette a été citée par l'intimée. Je les ai tous deux trouvés crédibles et ils ont présenté leur déposition d'une façon sincère. Je retiens leur témoignage, à savoir qu'ils ont convenu que John verserait tous les mois un montant de 275 $ à Annette à compter du 28 mars 1997 et que, selon l'intention des parties, l'accord devait lier John du fait que ces dispositions étaient insérées dans l'accord de séparation. Je conclus en outre que c'étaient les seules dispositions auxquelles les parties se sont arrêtées et auxquelles elles ont apposé leurs signatures le 3 mars 1997. La conduite des parties après la conclusion et la signature de l'accord de séparation est conforme aux dispositions de cet accord. Jusqu'au mois de mars 2004, lorsque Annette a demandé une ordonnance judiciaire en vue de faire augmenter le montant de la pension alimentaire pour enfants compte tenu de la capacité accrue de payer de John, John a fidèlement payé tous les mois une somme de 275 $. Pendant tout ce temps, et comme on en avait convenu, John a déduit de son revenu et Annette a inclus dans son revenu les paiements effectués au titre de la pension alimentaire pour enfants. Les deux parties croyaient comprendre que, par suite de l'ordonnance judiciaire rendue en 2004, la pension alimentaire pour enfants ne serait plus déductible entre les mains de John et imposable entre les mains d'Annette. Enfin, Annette a témoigné que John lui versait la pension par chèque. Il a déjà été statué que les chèques eux-mêmes ne suffisent pas pour constituer un « accord écrit » au sens du paragraphe 56.1(4)[3], mais ils peuvent, avec d'autres écrits des parties, mener à la conclusion selon laquelle la pension alimentaire pour enfants a été payée aux termes d'un « accord écrit » . Tel est ici le cas.

[9]      Pour ces motifs, je suis convaincue que, pour l'application du paragraphe 56.1(4), un accord écrit peut être inféré à partir de ce que les Thomson ont fait consigner dans les espaces en blanc de l'accord de séparation, énonçant ce dont ils avaient convenu entre eux, accord qu'ils ont signé le 3 mars 1997. Cela étant, il n'est pas nécessaire de décider si les chèques remis par John suffiraient en tant que tels à cette fin, mais eu égard aux circonstances particulières de l'affaire, je suis portée à croire qu'ils le seraient. Ils étayent certes l'existence d'un accord et les dispositions sur lesquelles cet accord était fondé. L'appel est admis avec dépens, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre compte tenu du fait qu'il y avait un « accord écrit » aux termes duquel une pension alimentaire pour enfants au montant de 3 600 $ a été payée.

[10]     Si la conclusion susmentionnée est erronée, et si je devais tenir compte des dispositions types figurant dans l'accord de séparation, je suis alors en outre convaincue que, selon l'interprétation qu'il convient de donner à cet accord, la clause 3 n'avait pas pour effet de mettre fin à l'accord de séparation, lorsque Annette s'est remariée au mois de janvier 1998. Lorsque les Thomson ont signé l'accord de séparation le 3 mars 1997, leur fillette n'avait que quatre ans; cela étant, elle avait probablement encore besoin du soutien financier de John pendant plusieurs autres années. Il est déraisonnable de conclure que, dans ces circonstances, le père et la mère auraient voulu que les obligations de John, pour ce qui est de la pension alimentaire pour enfants, dépendent du maintien de l'admissibilité d'Annette à l'aide gouvernementale. Il est également peu probable, et certes contraire à l'intérêt public, pour la fonctionnaire qui a rédigé l'accord de séparation d'avoir voulu un tel résultat. La clause 2b) traite d'une façon exhaustive des obligations liées à la pension alimentaire pour enfants, y compris les événements prévus par la loi qui mettront fin à l'accord. La clause 3 semble porter sur une question tout à fait différente, à savoir le droit de la mère qui a la garde à des programmes tels que la prestation familiale accordée aux mères.

[11]     Je ne retiens pas l'argument de l'avocate de l'intimée selon lequel, en l'espèce, il faut adopter une approche stricte sur le plan de l'interprétation. Le problème est attribuable au fait que la rédaction de l'accord de séparation laisse à désirer et que le formulaire type doit servir à une multitude de tâches spéciales, et qu'il n'atteint réellement bien aucune des fins visées. Dans ce triste état, le formulaire est présenté aux plaideurs qui sont mêlés à une affaire de droit familial et qui dans bien des cas agissent pour leur propre compte, sous l'effet du stress et sans avoir l'expertise voulue pour déterminer ses effets[4]. Une telle vulnérabilité amène les personnes en cause à s'en remettre aux fonctionnaires; or, on ne peut pas s'attendre à ce que ceux-ci, même s'ils sont bien intentionnés, agissent de la même façon qu'un avocat indépendant. C'était dans ce contexte que John et Annette ont utilisé l'accord de séparation pour énoncer les détails de l'accord concernant la pension alimentaire pour enfants. Dans ces conditions, les dispositions de l'accord doivent être interprétées d'une façon conforme à leurs intentions. Pour ces motifs, l'appel est admis sur la base susmentionnée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre 2004.

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

Traduction conforme

ce 20e jour de juillet 2005.

Sara Tasset


RÉFÉRENCE :

2004CCI772

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-2122(IT)I

INTITULÉ :

John Thomson c. SMR

LIEU DE L'AUDIENCE :

St. Catharines (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 1er juin 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable G. Sheridan

DATE DU JUGEMENT :

Le 6 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Joanna Hill

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Cabinet :

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Pièce R-1.

[2] Johnston v. Canada (Minister of National Revenue), [1948] S.C.R. 486; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336.

[3] Grant v. Canada, [2001] 2 C.T.C. 2475.

[4] À mon avis, on ne saurait remédier à ces lacunes intrinsèques en incluant simplement la clause de style figurant dans le préambule, à savoir que [traduction] « la partie A et la partie B reconnaissent avoir [...] été informées de leurs droits à des conseils juridiques indépendants avant de conclure le présent accord; [...] »

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.