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Dossier : 2002-2888(EI)

ENTRE :

POURVOIRIE AU PAYS DE RÉAL MASSÉ INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MARIO ARÈS

FLORENCE CÔTÉ

CLAUDE FOURNIER

FERNANDE FOURNIER

RACHEL JALBERT,

intervenants.

____________________________________________________________________

Appels entendus en preuve commune avec l'appel de Claude Desaulniers (2002‑1698(EI)) les 19 et 20 novembre 2003 à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

 

Avocat de l'appelante :

Me Hans Marotte

 

Avocats de l'intimé :

Me Marie-Aimée Cantin

Me Antonia Paraherakis

 

 

Pour les intervenants :

Florence Côté, Rachel Jalbert,

Fernande Fournier

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi (« LAE ») de la décision du ministre du Revenu national (« Ministre ») rendue à l'égard de Claude Desaulniers est admis et ladite décision est modifiée quant au calcul de la rémunération assurable seulement afin que celle-ci soit diminuée du montant de l'avantage imposable relié au logement uniquement. À tous autres égards, la détermination du Ministre faite à l'endroit de Claude Desaulniers demeure inchangée.

 

          Les appels en vertu du paragraphe 103(1) de LAE et du paragraphe 70(1) de la Loi sur l'assurance-chômage à l'encontre des déterminations faites par le Ministre à l'endroit de tous les autres travailleurs énumérés à l'annexe A des motifs de jugement, sont rejetés et les décisions rendues par le Ministre sont confirmées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d'août 2004.

 

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


 

 

Dossier : 2002-1698(EI)

ENTRE :

CLAUDE DESAULNIERS

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de la Pourvoirie Au Pays de Réal Massé Inc. (2002-2888(EI)) les 19 et 20 novembre 2003 à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Denis Le Reste

 

Avocats de l'intimé :

Me Marie-Aimée Cantin

Me Antonia Paraherakis

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est admis et la décision rendue par le Ministre à l'égard de l'appelant est modifiée quant au calcul de la rémunération assurable seulement afin que celle-ci soit diminuée du montant de l'avantage imposable relié au logement uniquement.

 

          À tous autres égards, la détermination du Ministre demeure inchangée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d'août 2004.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


 

 

 

Référence : 2004CCI582

Date : 2004-08-25

Dossier : 2002-1698(EI)

ENTRE :

POURVOIRIE AU PAYS DE RÉAL MASSÉ INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

 

Dossier : 2002-2888(EI)

ET ENTRE :

CLAUDE DESAULNIERS,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MARIO ARÈS

FLORENCE CÔTÉ

CLAUDE FOURNIER

FERNANDE FOURNIER

RACHEL JALBERT,

intervenants.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]     L'appelante en appelle de déterminations faites par le ministre du Revenu national (« Ministre »), en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage LAC ») et de la Loi sur l'assurance-emploi LAE »), de même que des règlements y afférents, relativement à 33 de ses employés eu égard au premier et dernier jour de travail, au nombre d'heures assurables et à la rémunération assurable de chacun de ces 33 employés au cours des années 1993 à 2000, le tout selon le tableau apparaissant à l'annexe A à la « Réponse à l'avis d'appel modifiée » (« Réponse ») et qui est joint à la fin des présents motifs. Cinq de ces employés sont parties intervenantes et un seul employé, monsieur Claude Desaulniers, a porté en appel la détermination le concernant. Le cas de ce dernier sera analysé dans le cadre des présents motifs.

 

[2]     Il ressort principalement du tableau établi par le Ministre, que les périodes d'emploi, le nombre de semaines ou d'heures assurables de même que la rémunération assurable, ne correspondent pas aux relevés d'emploi préparés par l'appelante, l'employeur de tous ces employés.

 

[3]     Pour en arriver à de telles conclusions, le Ministre s'est fondé sur les faits qui se retrouvent au paragraphe 5 de la Réponse et qui se lisent comme suit :

 

a)        L'appelante a été constituée en société le 19 septembre 1987. (admis)

 

b)        L'appelante exploitait une pourvoirie sur un site comptant 16 kilomètres de terrain, 10 lacs exploités pour la pêche et un lac principal faisant face à l'auberge. (admis)

 

c)        Le site de l'appelante comptait une auberge de 16 chambres avant 1998 et de 24 chambres après cette date. (admis)

 

d)        Le site de l'appelante comptait aussi 19 chalets pour une capacité de 2 à 8 personnes selon le cas. (admis)

 

e)        On y trouvait aussi sur ledit site, une salle à manger pouvant accueillir 120 personnes, soit 30 tables de 4 personnes et un bar attenant à celle-ci. (admis)

 

f)         De 1993 à 2000, l'appelante exploitait son entreprise à l'année longue. Ses activités étaient les suivantes :

 

-    Durant la dernière semaine d'avril : préparation des chalets et des chaloupes et grand ménage des lieux.

 

-    Première fin de semaine de mai : ouverture du site pour un tournoi de tir à l'arc attirant de 250 à 300 personnes. (admis)

 

-    Vers le 15 mai : ouverture de la saison de pêche à la truite et ce, jusqu'à la fête du travail. (admis)

 

-    Après la fête du travail et durant deux semaines : grand ménage des lieux, remisage des chaloupes et équipements reliés à la pêche et débroussaillage et entretien des sentiers.

 

-    De la 3e semaine de septembre jusqu'à la mi-novembre : chasse au faisan, durant les fins de semaine, pour 24 chasseurs et leurs épouses. (admis)

 

-    De la période des fêtes et ce, jusqu'à la fonte des neiges : motoneige en sentiers. (admis)

 

[Voir tableau 2 en annexe « B »]

 

g)         Durant la période en litige, l'appelante employait un nombre différent de personnes selon la période d'activité :

Saison de pêche :

27 à 30 employés

 

Saison de la chasse au faisan :

3 à 4 personnes en cuisine (admis)

10 à 12 sur le terrain

 

Saison de motoneige :

4 à 5 en cuisine

2 sur le terrain

 

h)         De 1993 à 1996, l'appelante versait à ses employés une rémunération hebdomadaire fixe nonobstant le nombre d'heures réellement travaillées par ceux-ci.

 

i)          À compter de 1998, l'appelant versait à ses employés une rémunération horaire qui leur était payée à tous [sic] les deux semaines.

 

j)          La majorité des employés était logée par l'appelante et ce, sans déduction d'une contrepartie sur leur salaire.

 

k)         La majorité des employés était nourrie par l'appelante et ce, sans contrepartie sur leur salaire.

 

l)          L'appelante fournissait des uniformes pour la majorité de ses employés et ce, sans que ces derniers versent une contrepartie. (admis)

 

m)        Pendant la période en litige, certains des employés bénéficiaient de vacances payés par l'appelante. (admis)

 

n)         De 1993 à 1998, l'appelante accumulait les pourboires durant les périodes de pêche et de motoneige. À la fin de ces périodes, les pourboires étaient divisés entre les employés, proportionnellement aux heures travaillées par chacun. (admis)

 

o)         Pendant les années en litige, l'appelante émettait des relevés d'emploi qui ne reflétait [sic] pas la réalité de la période travaillée par ses employés.

 

p)         Les employés continuaient à rendre des services à l'appelante alors qu'ils recevaient des prestations d'assurance-chômage ou d'assurance-emploi.

 

q)         Certains des employés continuaient de travailler à l'année longue tandis que d'autres continuaient de travaillait [sic] pour une période déterminée [voir tableau 1 en annexe « A »].

 

r)          L'appelante leur versait alors la différence entre les prestations qu'ils recevaient et leur salaire net.

 

s)         Les sommes payées par l'appelante aux employés pendant leur période de prestation l'étaient sans retenues à la source ni inscription dans les livres de salaires.

 

t)          Les employés recevaient des prestations d'assurance-chômage ou d'assurance-emploi malgré qu'ils continuaient de travailler pour l'appelante et que celle-ci leur versait un salaire.

 

u)         La rémunération assurable de chacun des employés a été établie par l'intimé en tenant compte des critères suivants :

 

Logement : Un avantage de 50 $ par semaine a été ajouté à la rémunération assurable de chaque employé qui résidait à la pourvoirie ou dans une résidence appartenant à Réal Massé.

 

Lorsqu'il y avait lieu, le montant a été évalué au prorata du nombre de jours travaillés. Le montant de l'avantage est le même pour toutes les années en litige.

 

Nourriture : Depuis l'année 1995, les employés mangeaient gratuitement à la pourvoirie. Par conséquent, l'avantage pour les repas (pension) a été évalué à 35 $ par semaine, montant qui était chargé aux employés par l'appelante pour les années antérieures.

 

Délai d'attente des prestations : Durant les semaines du délai d'attente des prestations, le montant net de la rémunération du travailleur lui était versé par l'appelante. Conséquemment, ce montant a été ajouté à la rémunération assurable.

 

Pourboires : Les pourboires étaient mis en commun et distribués par l'appelante à la fin des saisons de pêche et de motoneige, proportionnellement aux heures travaillées par les employés. Ces montants ont été ajoutés à la rémunération assurable. Conformément au tableau 3 en annexe « C ».

 

[4]     Dans son argumentation écrite (aux pages 1 à 4), l'appelante établit sa propre version des faits dans son paragraphe A, que je crois utile de relater tout au long :

 

A)       EXPOSÉ DES FAITS :

 

Outre les faits allégués dans la réponse à l'avis d'appel modifiée de l'intimé qui ont été admis au début de l'audience, les faits qui suivent ont été démontrés lors des témoignages :

 

1.        Jusqu'en 1993, l'appelante a versé à certains de ses employés, une forme de bonus au début de la saison de pêche.

 

2.        Cette façon de faire avait pour but d'encourager ses employés à revenir d'année en année.

 

3.        À partir de 1993, l'appelante a commencé à verser pendant les saisons mortes à certains de ses employés une somme qui représentait 25% des prestations de chômage que ceux-ci pouvaient recevoir lorsqu'ils étaient mis à pied en raison d'un manque de travail.

 

4.        Cette somme constituait un incitatif pour que les travailleurs reviennent au travail au début de la prochaine saison de pêche.

 

5.        L'appelante commençait à verser ce supplément après que le travailleur avait [sic] purgé son délai de carence en vertu de la Loi sur l'assurance‑chômage (Loi sur l'assurance-emploi).

 

6.        Cette façon de faire avait été mise en place suite à des rencontres avec Messieurs Raymond Ratelle et Maurice Sourdif, employés du bureau d'assurance-chômage de Joliette.

 

7.        Les autorités chargées de l'application de la Loi sur l'assurance-chômage (La Commission de l'assurance-chômage à l'époque) était [sic] au courant de ce procédé depuis 1995.

 

8.        En effet, Mme Gisèle Côté, une ex-employée de l'appelante, avait informé le bureau de chômage de ce procédé en décembre 1995 (voir pièce A-3).

 

9.        Règle générale, les employés de l'appelante étaient mis à pied pour manque de travail à la fin de la saison de pêche.

 

10.      De 1994 à 1998, celle-ci survenait la semaine qui suit la fête du travail.

 

11.      À compter de 1999, la fin de la saison de pêche survenait à la fin de septembre.

 

12.      Suite à la saison de pêche, quelques employés pouvaient continuer à travailler à temps partiel lors des fins de semaine de chasse au faisan.

 

13.      Environ 5 ou 6 personnes étaient alors employées par l'appelante, à raison de 5 à 10 heures par fin de semaine.

 

14.      Les personnes qui étaient mises à pied à l'automne n'avaient alors plus d'obligation envers la pourvoirie.

 

15.      D'ailleurs, plusieurs d'entre elles partaient en vacances ou retournaient dans leur famille jusqu'à ce que la saison de la motoneige débute, vers le 26 décembre.

 

16.      Ceux qui bénéficiaient de la remise de 25% continuaient à la recevoir même s'ils quittaient la pourvoirie pendant un certain temps.

 

17.      Certains employés qui demeuraient sur le site de la pourvoirie pouvaient décider de leur propre initiative de donner un coup de main, mais ils n'avaient aucune obligation de le faire.

 

18.      Mme Gisèle Côté a d'ailleurs témoigné en ce sens lors de l'audition.

 

19.      Certains employés demeuraient dans leur propre résidence.

 

20.      D'autres restaient dans des résidences appartenant à M. Massé personnellement.

 

21.      Finalement, certains employés demeuraient dans des loyers sur le site même de la pourvoirie.

 

22.      Pour 1993 et 1994, la pourvoirie prélevait directement sur les payes; 20$ par semaine pour le logement et 20$ par semaine pour les repas, tel qu'il appert des livres de paye fournis par l'appelante à l'Agence des douanes et du revenu du Canada.

 

23.      En 1995, les employés qui demeuraient sur le site de la pourvoirie ont payé une somme de 200$ par mois pour couvrir le logement, tel qu'il appert des reçus déposés par l'intimé en I-3.

 

24.      En 1998 et 1999, un montant de 20$ par semaine pour le logement et 20$ par semaine pour les repas était prélevé directement sur les payes des gens qui demeuraient sur le site de la pourvoirie.

 

25.      L'appelante s'est toujours informé [sic] auprès de la Commission des normes du travail pour savoir qu'est-ce qui devait être prélevé en matière de logement et de repas.

 

26.      L'appelante a toujours suivi à la lettre ce que lui indiquait la Commission des normes du travail.

 

27.      L'appelante a été en contact constant avec les représentants de la Commission de l'assurance-chômage (maintenant le Développement des ressources humaines du Canada) pour s'informer de ses droits et obligations.

 

28.      Pendant la période en litige, Mme Ginette Massé avait la tâche de remplir les relevés d'emploi.

 

29.      Ces relevés ne faisaient pas état des périodes de travail à temps partiel que certains employés pouvaient effectuer pendant la période de chasse au faisan ou celle de la motoneige.

 

30.      Les salaires versés par l'appelante pendant ces périodes étaient cependant inscrits au livre des salaires et les déductions à la source étaient effectuées en conformité avec la loi.

 

[5]     L'intimé de son côté reprend les faits comme suit dans l'exposé des faits de son argumentation écrite, aux pages 2-3 :

 

EXPOSÉ DES FAITS

 

1.         La preuve documentaire et les témoignages présentés lors de l'audition ont démontré, outre les faits admis par l'appelante, les faits essentiels suivants :

 

a)       Pendant toute la période en litige, les employés de l'appelante n'occupaient pas des emplois saisonniers mais plutôt des emplois à l'année longue, afin de combler les besoins opérationnels de l'appelante1.

___________________

[1]         Onglet 11 – Extrait du site Internet de la Pourvoirie au Pays de Réal Massé Inc.

 

b)       L'appelante émettait des relevés d'emploi qui ne correspondaient pas à la période réelle travaillée par ses employés en indiquant des périodes de travail et des heures fictives.

 

c)       Les employés continuaient de rendre des services à l'appelante alors qu'ils recevaient des prestations d'assurance-chômage/emploi.

 

d)       L'appelante versait à ses employés la différence entre les prestations d'assurance-chômage/emploi qu'ils recevaient et leur salaire net.

 

e)       Le stratagème mis en place par l'appelante faisait donc en sorte que les prestations d'assurance-chômage/emploi finançaient en grande partie les salaires de ses employés.

 

f)        La majorité des employés était nourrie, logée et habillée gratuitement par l'appelante sans déduction sur leur salaire.

 

g)       Les sommes payées par l'appelante aux employés, pendant leurs périodes de prestations, ne faisaient l'objet d'aucune retenue à la source et d'aucune inscription aux livres de salaires.

 

h)       Alors que certains employés de l'appelante ignoraient que cette méthode était illégale, certains autres craignaient de perdre leur emploi s'ils refusaient lesdites conditions imposées par M. Réal Massé.

 

i)        L'épouse de M. Réal Massé, Mme Ginette Massé, remplissait elle‑même les « cartes de chômage » des employés ou leur indiquait le nombre d'heures qu'ils devaient inscrire.

 

j)        M. Réal Massé considérait un groupe de travailleurs comme étant son « noyau ». Ce « noyau » comprenait les personnes suivantes :

 

i)        Ginette Massé, son épouse;

ii)       Nancy Massé, sa fille;

iii)       Gilles Huet, son gendre;

iv)      Richard Massé, son fils;

v)       Claude Desaulniers;

vi)      Sylvie Provost;

vii)      Normand Guénard;

viii)     Mario Arès;

ix)      Denis Courcy.

 

k)       Tous les employés qui ont confirmé l'existence de ce stratagème ne faisaient pas partie de ce « noyau ».

 

Le litige

 

[6]     L'intimé expose comme suit le litige aux pages 3 et 4 de son argumentation écrite :

 

2.        La Cour devra déterminer si le Ministre du revenu national (ci-après « le Ministre ») était justifié de rétablir les périodes de travail des employés de l'appelante, conformément à l'annexe A de la Réponse à l'avis d'appel.

 

3.        La Cour devra déterminer si le Ministre était justifié d'ajouter à la rémunération assurable des employés les montants suivants :

 

·        50 $ [par semaine] à titre d'avantage logement;

 

·        30 $ [sic][1] [par semaine] à titre d'avantage pour la pension;

 

·        Le montant versé par l'appelante représentant la différence entre le salaire net et les prestations d'assurance-chômage/emploi reçus par les employés.

 

4.       La Cour devra déterminer si le Ministre a erré en considérant des montants de rémunération inférieur [sic] à 20 % du maximum assurable comme étant des montants assurables conformément à la Loi.

 

[7]     L'intimé argumente ce qui suit en rapport aux questions en litige :

 

5.       Tout d'abord, la position du Ministre est à l'effet que la Pourvoirie devait engager des employés à l'année afin de combler ses besoins opérationnels. Or, les relevés d'emploi émis par cette dernière ne reflètent pas la réalité : le Ministre soutient que les employés étaient faussement mis à pied et qu'ils demeuraient à l'emploi de la Pourvoirie, cette dernière versant aux employés la différence entre leur salaire net et leurs prestations d'assurance-chômage/emploi.

 

6.       Il y avait donc relation employés/employeur durant les périodes en litige, conformément aux alinéas 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage et 5(1)a de la Loi sur l'assurance-emploi. De plus, en vertu de l'article 9.1 du Règlement de l'assurance-emploi, lorsque rémunération est versée à un employé, ce dernier est réputé exercer un emploi pendant le nombre d'heures qu'il a effectivement travaillées et pour lesquelles il a été rétribué.

 

7.       Deuxièmement, le Ministre soutient que les avantages (logement et pension) dont ont bénéficiés [sic]  les employés au cours de la période visée dans le présent litige doivent être ajoutés dans le calcul de la rémunération assurable, conformément au paragraphe 2(3) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations.

 

8.       Finalement, le Ministre soutient qu'il n'a pas erré en assurant des montants de rémunération inférieurs au maximum assurable. En effet, le paragraphe 13(1) du Règlement sur l'assurance-chômage précise qu'est exclu des emplois assurables un emploi qui comporte moins de 15 heures par semaine et qui est inférieur à 20 % du maximum assurable. Nous soutenons que les employés ont travaillé plus de 15 heures semaine et qu'ils sont donc assurables conformément à la Loi.

 

[8]     L'appelante soutient de son côté que la position de l'intimé est fondée principalement sur les déclarations statutaires faites par certains employés, qui, selon elle, ont été obtenues selon des méthodes incompatibles avec les principes de justice naturelle. Les employés en question n'auraient pas été mis en garde de leur droit de ne pas répondre aux questions de l'enquêteur du Développement des ressources humaines du Canada (« DRHC ») sans la présence de leur avocat. Selon l'appelante, l'enquêteur aurait profité du peu d'éducation des employés en question, pour leur soutirer de l'information incriminante à l'endroit de leur employeur, biaisée selon elle, par les propos mêmes de l'enquêteur.

 

[9]     L'appelante soutient donc que peu de poids ne devrait être accordé aux rapports préparés par les agents des appels, qui reprennent en partie ces déclarations statutaires, et qui font partie de la preuve.

 

[10]    Par ailleurs, l'appelante s'attaque à la crédibilité de certains témoins de l'intimé qui sont des employés visés par les questions en litige ici, lesquels témoins ont accrédité la thèse de l'intimé. L'appelante attaque leur crédibilité sur la base que ces témoignages étaient soit confus et erratiques, soit empreints de fabulation, ou tout simplement carrément imbus d'un désir de vengeance de certains employés à l'endroit de leur employeur. Dans ce dernier cas, l'appelante vise en particulier Julie Boulianne et Sylvain Therrien, deux ex-employés, mari et femme, qui ont dénoncé leur employeur en soutenant qu'il aurait utilisé des pratiques douteuses sous le couvert de la LAC et de la LAE. L'appelante soutient que ces deux témoins, ont eu des propos contradictoires dans leurs déclarations faites au DRHC et à la Commission des normes du travail. L'appelante soutient également que le nombre d'heures de travail rapporté par ces deux employés est nettement exagéré et complètement déraisonnable compte tenu du nombre d'heures déclaré par les autres travailleurs. L'appelante demande donc de discréditer ces témoins.

 

[11]    Par ailleurs, l'appelante soutient que monsieur Réal Massé, le propriétaire du payeur, et sa conjointe, Ginette Massé, ont témoigné avec franchise et ont démontré une grande droiture dans l'application des lois visées.

 

[12]    Quant à monsieur Desaulniers, son avocat soutient que toute la preuve repose sur une question de crédibilité. À l'instar de son employeur, il prétend que la preuve testimoniale de l'intimé est contradictoire et que le témoignage de monsieur Desaulniers qui reprend, selon lui, en tous points la déclaration statutaire qu'il avait effectuée lors de l'enquête, confirmé par le témoignage de monsieur Massé, devrait être retenu afin que son appel soit admis.

 

Faits

 

[13]    J'ai moi-même entendu les témoignages de Réal et Ginette Massé, de même que neuf des employés (incluant Claude Desaulniers) visés dans la présente cause. J'ai également entendu les témoignages de Raymond Ratelle, l'agent d'enquête et contrôle de l'assurance-emploi pour le DRHC; de Chantale Fortin, policière à la Gendarmerie Royale du Canada (« GRC »), qui a produit un mandat de perquisition à l'automne 1998 à l'endroit de l'appelante; de Gaston Lachance, spécialiste des enquêtes majeures au DRHC qui était présent lors de la perquisition chez l'appelante et qui a rencontré les travailleurs visés par l'enquête; et de Louise Dessureault, l'agent des appels au bureau des services fiscaux de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (« ADRC »), qui a établi le tableau des périodes de travail et de la rémunération assurable de chacun des travailleurs visés par l'enquête et qui fait l'objet du présent litige. L'appelante a aussi fait témoigner Anne-Marie Cadieux, technicienne en administration qui a été embauchée par l'appelante en 2001 pour s'occuper de toute sa comptabilité. Celle-ci est donc entrée au service de l'appelante après les périodes en litige dans la présente affaire, qui s'étalent de 1993 à 2000. Toutefois, entre 1996 et 2001, elle s'occupait de la préparation des états financiers de l'appelante, alors qu'elle travaillait pour une firme comptable distincte. Madame Cadieux a indiqué entre autres, qu'avant son arrivée, la pratique de l'appelante était de faire des relevés d'emploi qui ne mentionnaient que les périodes où les travailleurs étaient engagés à temps plein. Ces relevés d'emploi étaient préparés par Ginette Massé, et bien que celle-ci en théorie, devait entrer les heures de travail des employés qui continuaient à travailler à temps partiel au livre des salaires, elle ne les inscrivait pas sur les relevés d'emploi. À partir de 2001, madame Cadieux a préparé les relevés d'emploi en indiquant toutes les heures de travail des employés, que ceux-ci soient engagés à temps plein ou à temps partiel. Ceci relate à peu près tout ce qui a été dit par madame Cadieux lors de l'audition.

 

[14]    Quant à monsieur Réal Massé, il a expliqué le fonctionnement de sa pourvoirie, laquelle existe depuis 1987. En été, la saison de pêche débute à la fin d'avril et se termine en septembre, le dimanche qui suit la Fête du travail. Ceci est la pleine saison et il dit qu'entre 1991 et 1998, il embauchait entre 10 et 12 employés, soit cinq ou six à la cuisine, quatre ou cinq au service aux tables et quatre ou cinq comme guides de pêche (je note ici que les chiffres ne concordent pas; le minimum d'employés serait plutôt de 13 et non 10 et le maximum de 16 et non 12). Il est à noter également que monsieur Massé avait mentionné en entrevue avec l'agent des appels qu'il engageait entre 27 et 30 employés au cours de la saison de pêche entre 1993 et 2000 (voir rapport sur appel, pièce I-2, volume I, onglet 6 dans le dossier de Mario Arès, Faits obtenus de monsieur Réal Massé [...] en entrevue [...] le 5 février 2002, en présence de son avocat). À l'automne 1997, il a agrandi l'auberge (elle contient maintenant 24 chambres, soit huit chambres de plus qu'avant) et il a fait construire six nouveaux chalets. La pourvoirie possède 84 chaloupes et celles-ci sont nettoyées et rangées, aux dires de monsieur Massé, lors du dernier week-end de pêche. Le grand ménage se ferait également au même moment, de même que l'éclaircissement des sentiers.

 

[15]    À partir du deuxième week-end de septembre, commence la chasse au faisan qui se déroule sur 10 week-ends consécutifs, jusqu'à la mi-novembre. Monsieur Massé dit qu'il embauche pour cette activité quatre ou cinq employés à la cuisine, un ou deux au service aux tables, et qu'il a des amis, logés et nourris à la pourvoirie, qui l'aident à l'extérieur, sans être rémunérés (lors de l'entrevue avec l'agent des appels, il avait dit qu'il engageait trois ou quatre personnes en cuisine et 10-12 sur le terrain au cours de cette période).

 

[16]    La saison de motoneige débuterait le lendemain de Noël pour s'étendre jusqu'à la mi-mars, dépendant des saisons et bien évidemment de la température. Il dit embaucher au cours de cette période, quatre ou cinq employés à la cuisine ainsi que pour le service aux tables, sans toutefois garantir d'horaire fixe à ces employés. Il y a d'autres personnes qui sont engagées pour déneiger et pour distribuer l'essence.

 

[17]    Puis la pourvoirie ferme jusqu'à la dernière semaine d'avril, où les employés reviennent pour préparer la semaine consacrée au tir à l'arc qui a lieu la première semaine de mai. Dans une déclaration statutaire faite en présence de son avocat, monsieur Massé avait dit que le grand ménage avait « lieu avant la fin de la saison de pêche » (voir pièce I-2, volume IX, onglet 1, page 3). Monsieur Massé a reconnu à l'audition que les employés revenaient également à la fin d'avril pour faire à nouveau un grand ménage des lieux (pages 46-47 des notes sténographiques du 19 novembre 2003). Ce dernier fait avait été nié par l'appelante en début d'audition (voir l'allégué se retrouvant au premier alinéa du paragraphe 5 f) de la Réponse). En règle générale, l'appelante soutient que les employés étaient mis à pied à la fin de la saison de pêche (selon les relevés d'emploi déposés en preuve) et monsieur Massé dit qu'il recommençait à faire des paies à ses employés au cours de la première semaine de mai (page 47 des notes sténographiques du 19 novembre 2003).

 

[18]    Il est à noter ici que monsieur Massé a reconnu lors de son témoignage avoir plaidé coupable relativement à 32 chefs d'accusation (il avait été formellement accusé sur 385 chefs) pour avoir fabriqué des faux relevés d'emploi (voir pages 147-150 des notes sténographiques du 19 novembre 2003; il est à noter que Gaston Lachance, l'enquêteur pour la DRHC, a dit que monsieur Massé avait plaidé coupable relativement à 14 chefs d'accusation et non 32 : voir notes sténographiques du 20 novembre 2003 à la page 158). Monsieur Massé dit avoir agi ainsi et accepté de payer une amende de 25 000 $ simplement pour fermer le dossier et éviter d'encourir des frais supplémentaires.

 

[19]    Monsieur Massé dit qu'il faisait travailler ses employés en moyenne 47 heures par semaine en pleine saison. Ils étaient payés à l'heure ou à la semaine. Monsieur Massé leur garantissait un salaire net variant entre 250 $ et 300 $ par semaine, logés et nourris, peu importe le nombre d'heures de travail (voir entrevue de monsieur Massé avec l'agent des appels en compagnie de son avocat, le 5 février 2002, reproduite dans le rapport sur un appel, pièce I-2, volume I, onglet 6, page 4 dans le dossier de Mario Arès). Certains employés étaient effectivement logés et nourris. D'autres, s'ils habitaient ailleurs, étaient simplement nourris à la pourvoirie quand ils y travaillaient. À cet égard, monsieur Massé a dit à l'audition qu'il prélevait entre 35 $ et 40 $ (au total) par semaine sur la paie des employés ou qu'il rajoutait simplement cette somme comme avantage imposable sur leur paie au livre des salaires, selon les instructions recueillies auprès de la Commission des normes du travail (pages 68‑69 des notes sténographiques du 19 novembre 2003). Toutefois, dans sa déclaration à l'agent des appels le 5 février 2002 citée plus haut, monsieur Massé avait dit qu'aucun montant n'était retenu comme avantage imposable jusqu'en 1999, auquel moment seulement l'appelante aurait commencé à ajouter un avantage imposable au salaire des travailleurs (20 $ par semaine pour le logement et 20 $ par semaine pour la nourriture) pour ceux qui bénéficiaient d'un tel avantage. Par ailleurs, le rapport de l'agent de l'assurabilité établit que « l'analyse du livre des salaires nous permet de constater qu'il n'y a aucune régularité ni constance en regard de la pension et du logement que les [employés] paient » (voir pièce I-2, volume IX, onglet 1, page 13, paragraphe intitulé « Logement et pension »).

 

[20]    Quant à la rémunération, monsieur Massé a dit que jusqu'en 1991, il avisait ses employés lors de l'embauche qu'il leur verserait un bonus pouvant varier entre 1 200 $ et 2 300 $ à la fin de la saison de pêche, si ces derniers lui garantissaient leur retour la saison prochaine. Je crois comprendre que ces employés ne déclaraient pas ce bonus sur leurs cartes de chômage. Cette pratique aurait changé en 1991 suite à une rencontre entre messieurs Massé et Raymond Ratelle, l'agent d'enquête et contrôle de l'assurance-emploi. Monsieur Massé soutient que monsieur Ratelle l'aurait informé qu'au lieu de verser un bonus non déclaré à ses employés, il pouvait leur verser une somme représentant 25 pour cent des prestations d'assurance-chômage/emploi[2] sans que leurs prestations soient affectées, qu'ils travaillent ou non. Selon monsieur Massé cette façon de faire constituait l'incitatif requis pour que certains travailleurs reviennent au travail au début de la saison de pêche suivante. Il soutient qu'il commençait à verser ce supplément après que le travailleur ait purgé son délai de carence en vertu de la LAC et de la LAE. Monsieur Massé soutient que monsieur Ratelle lui avait bien dit que les travailleurs pouvaient recevoir ce 25 pour cent sans nécessairement travailler et sans avoir à le déclarer aux autorités compétentes. C'est ainsi que monsieur Massé aurait laissé entendre à certains de ses employés que leur salaire net était garanti à l'année et ce, même si ces derniers ne travaillaient pas au cours des saisons mortes. Voici les propos de monsieur Massé aux pages 105-106 des notes sténographiques du 19 novembre 2003 :

 

Parce que vu que quand j'engageais mes gens puis que j'avais réellement les rencontres avec monsieur Ratelle, et que j'étais convaincu d'être dans le droit chemin, au moment de l'embauche je le disais : « J'ai une entente, j'ai une condition avec le chômage. Si tu t'en viens chez nous, tu fais l'affaire, tu fais toute la saison et tu reviens l'année d'après, septembre, octobre, novembre; tu vas être six mois que tu vas être payé à plein salaire puis tu les fais pas, tes heures. » Je ne connais pas personne qui n'est pas intéressé à ça. C'était ça mon entente en fin de compte, là, pour me permettre d'avoir des bons employés.

 

[21]    Paradoxalement, monsieur Massé avait nié tout ceci à l'agent des appels qui enquêtait pour le bureau de l'assurance-emploi. Lorsque confronté au fait que le presque totalité des employés avaient mentionné avoir été payés en argent la différence entre le salaire net et les prestations de chômage nettes, monsieur Massé aurait répondu simplement comme suit : « Ce sont tous des menteurs ». Il devait également nier qu'il garantissait un salaire net à l'année et que la différence était comblée par le chômage (voir rapport d'opinion sur l'A.C. et le R.P.C., pièce I‑2, volume IX, onglet 1, page 12).

 

[22]    Je crois comprendre du raisonnement de monsieur Massé à l'audition, qu'il s'est prévalu du droit de verser 25 pour cent des prestations de chômage à ses employés pour se justifier de leur verser la différence entre leur salaire net garanti et les prestations de chômage reçues par ces derniers, sans que ceux-ci ne déclarent quoique ce soit sur leurs cartes de chômage à ce sujet. Voici comment monsieur Massé raisonne aux pages 101-103 des notes sténographiques du 19 novembre 2003 :

 

          Q. Vous dites que ceux qui recevaient le vingt-cinq pour cent (25 %) normalement ils ne travaillaient pas?

 

          R. Non. Quand il n'y a pas d'ouvrage, quand il n'y a pas d'ouvrage hors saison, non.

 

          Q. Puis quand il y en avait de l'ouvrage hors saison, qu'est-ce qui arrivait avec le vingt-cinq pour cent (25 %)?

 

          R. Les cinq travailleurs quand ils travaillaient puis qu'ils complétaient leurs heures voulues, bien, ils continuaient à recevoir leur chômage parce qu'ils avaient le droit toujours à gagner vingt-cinq pour cent (25 %). Fait que s'ils faisaient sept heures, dix heures ou quinze (15) heures dans la semaine...

 

          Q. Donc, peu importe, ils recevaient leur vingt-cinq pour cent (25 %) mais ils pouvaient le travailler comme ils pouvaient ne pas le travailler?

 

          R. C'est en plein ça, Madame.

 

          Me HANS MAROTTE :

 

          Q. Donc, si on prend un exemple là, un travailleur, une travailleuse, elle est là, mettons elle est dans un des logements; là cette personne-là, mettons elle travaille dans la cuisine. Elle, elle va travailler dans la cuisine mettons...

 

          R. Oui, mettons qu'elle fait dix heures, là.

 

          Q. Ça, ce dix heures-là, est-ce qu'il est payé en plus du vingt-cinq pour cent (25 %)?

 

          R. Non, non. Il est payé, il est payé en autant, moi, que l'employé a toujours sa paye.

 

          Q. O.K.

 

          R. C'est ça l'important.

 

          MADAME LE JUGE :

 

          Q. Non, mais vous ne donnez pas un supplément par-dessus le vingt-cinq pour cent (25 %), là?

 

          R. Ah non non. Si vous, vous êtes à 300 $ par semaine, quand vous travaillez, vous êtes à 300 $; quand vous vous en allez sur l'assurance‑chômage, vous retirer 225 $. Donc, je complétais, mon vingt-cinq pour cent (25 %) complétait pour vous rendre à 300 $. Si vous venez faire cinq heures, ça vous donne 40 $. Donc, vous partez de 300 $, vous montez à 340 $, bien, ça coûtait 60 $. Je complétais leur semaine de travail.

 

          Q. Donc là, vous ne deviez plus vingt-cinq pour cent (25 %)...

 

          R. Ah, bien non.

 

          Q. ... vous deviez moins.

 

          R. Bien non, c'est bien moins, bien oui, c'est moins parce que là il avait fait douze (12) heures, ou il avait fait sept heures, ou il avait fait quinze (15) heures. À ce moment-là, je ne le donne pas.

 

          Q. Est-ce que ces heures-là étaient computées dans votre livre?

 

          R. Oui, Madame. Ceux qui ont fait ces heures-là, ces heures-là étaient compilées.

 

          Me HANS MAROTTE :

 

          Q. Donc, ces heures-là étaient dans les livres des salaires...

 

          R. C'est en plein ça.

 

          Q. ... il y avait un prélèvement de cotisation de fait puis tout ça.

 

          R. Oui. Parce que lors de l'emploi, lors de votre embauche, c'est-à-dire lors de votre embauche, si j'ai une personne que je lui garantis 325 $, il va avoir 325 $. S'il y en a un que c'est 300 $, c'est 300 $. Parce que je complétais le montant qu'ils gagnaient.

 

[23]     Ainsi, monsieur Massé soutient que si les employés travaillaient pendant les périodes de chômage, il déclarait au livre des salaires ce qu'il leur versait. Malgré les explications un peu confuses ci-haut relatées dans le témoignage de monsieur Massé, je crois comprendre qu'il dit avoir versé et déclaré au livre de salaires de ces employés la différence entre leur salaire net et les prestations de chômage, ce qui selon lui, correspondait à 25 pour cent des prestations.

 

[24]     Toutefois, certains travailleurs ont mentionné avoir été payés par leur employeur les sommes ainsi déclarées au livre de paie en sus du 25 pour cent des prestations de chômage (voir rapport de l'agent des appels pour Gilles Huet, Nancy Massé, et Sylvie Provost, lesquels étaient tous assistés de leur avocat au moment de faire ces déclarations. Ces rapports se trouvent à la pièce I-2, volume V, Gilles Huet, onglet 6, page 7; volume VI, Nancy Massé, onglet 5, page 7; volume VII, Sylvie Provost, onglet 6, page 7).

 

[25]     Quant à monsieur Raymond Ratelle, il dit avoir rencontré monsieur Massé à l'automne 1995 ou 1996 en présence de son superviseur. Il a expliqué à monsieur Massé en quoi consistait le « permissible » pour un employé sur le chômage. C'est le droit pour un prestataire de gagner un certain montant d'argent sans que cela affecte ses prestations de chômage. Il a donné les explications suivantes aux pages 179-180 et pages 188-189 des notes sténographes du 19 novembre 2003 :

 

          R. Si une personne a un taux de chômage de 200 $ par semaine, le permissible est vingt-cinq pour cent (25 %), minimum 50 $. Alors, si une personne gagnait 50 $, on ne coupait pas son assurance-emploi, sauf qu'il faut qu'il le déclare quand même le nombre d'heures. On pose une question : « Est-ce que vous avez travaillé? » « Oui. » « Combien d'heures? » puis le montant brut gagné.

 

[...]

 

          R. [...] Puis on a expliqué à monsieur Massé même, si une personne gagne 51 $ pour six sept heures d'ouvrage, bien, tout ce qu'on coupe de l'assurance-emploi c'est tout ce qui est supérieur au permissible.

 

[...]

 

          Q. Et ils doivent absolument le déclarer lorsqu'ils travaillent?

 

          R. Oui. Ça, ça avait été bien clair avec monsieur Massé; même si c'est en bas du permissible, ils doivent déclarer à leur rapport de chômage, à la question : « Avez-vous travaillé? », oui. Puis combien d'heures, puis quel montant gagné. Parce qu'il y a souvent des gens qui déclarent qu'ils travaillent, mais qu'ils ne reçoivent pas de paye. Ce n'est pas normal et il y a une enquête qui est faite à ce moment-là.

 

[26]     Ainsi, il ressort du témoignage de monsieur Ratelle qu'il a bien mentionné à monsieur Massé que tout prestataire devait déclarer les heures de travail et la rémunération reçue sur ses cartes de chômage.

 

[27]     Monsieur Massé a mentionné que la presque totalité de ceux qui recevaient l'équivalent de leur plein salaire et qui ne travaillaient pas au cours de la période de chômage ne déclaraient probablement pas la rémunération reçue de l'employeur sur leurs cartes de chômage (voir page 105 des notes sténographiques du 19 novembre 2003).

 

[28]     À l'audition, monsieur Massé a reconnu avoir versé le 25 pour cent des prestations à 10 employés seulement, à savoir Julie Boulianne, Sylvain Therrien, Normand Guénard, Robert Poisson, Gaston Deschenaux, Richard Massé, Gilles Huet, Nancy Massé, Sylvie Provost et Denis Courcy (voir pages 214-215 des notes sténographiques du 20 novembre 2003).

 

[29]     Par ailleurs, d'autres travailleurs ont déclaré avoir travaillé pour la pourvoirie en dehors des périodes d'emploi indiquées au relevé d'emploi tout en recevant leurs prestations de chômage. La différence qui comblait leur salaire net était versée par le payeur. Ils ont confirmé que rien de tout ceci n'était déclaré. Ces travailleurs ont indiqué qu'ils travaillaient de longues heures, soit plus de 15 heures par semaine (voir déclaration statutaire de Bernard Geoffroy pièce I-2, volume V, onglet 5, page 1 et son témoignage aux pages 81-83 et pages 101-102, notes sténographiques du 20 novembre 2003). Monsieur Geoffroy est d'ailleurs l'un de ceux qui a dit dans sa déclaration statutaire citée ci-haut que le grand ménage se faisait sur une période de trois semaines après la saison de pêche, contrairement à ce qui avait été indiqué par monsieur Massé (qui disait que cela ce faisait au cours du dernier week-end de la saison de pêche).

 

[30]     D'autres travailleurs disent avoir travaillé à l'année, entre 50 et 70 heures, six jours par semaine dans les périodes de plus grande activité (voir témoignage de Clémence Bélanger aux pages 315-316 des notes sténographiques du 19 novembre 2003). Il semblerait que les employés s'inscrivaient sur le chômage à la demande de leur employeur et ce, même s'il n'y avait pas d'arrêt de travail en réalité (voir témoignage de Clémence Bélanger aux pages 309-310 des notes sténographiques du 19 novembre 2003). L'employeur continuait de leur verser leur paie régulière pendant le délai de carence de deux semaines et c'est l'employeur qui remplissait les cartes de chômage (voir déclaration statutaire de madame Clémence Bélanger, pièce I-2, volume I, onglet 4, page 10 et onglet 5, pages 8 et 11, de même que son témoignage à la page 315 des notes sténographiques du 19 novembre 2003; voir également le témoignage de Bernard Geoffroy aux pages 82-83 des notes sténographiques du 20 novembre 2003). Il est à noter que madame Ginette Massé a nié en contre-preuve avoir rempli les cartes de chômage pour les travailleurs. Elle dit qu'elle les a simplement aidés à les remplir (pages 182-183 des notes sténographes du 20 novembre 2003).

 

[31]     D'autres travailleurs disent avoir été simplement payés pour les heures de travail effectuées en dehors des périodes d'emploi alors qu'ils (elles) recevaient des prestations de chômage (voir témoignage de Lisette Montmagny à la page 126 des notes sténographiques du 20 novembre 2003). Leur employeur leur demandait de ne pas déclarer le nombre total d'heures réellement travaillées au cours de ces périodes (voir déclaration statutaire de Lisette Montmagny, pièce I‑2, volume VII, onglet 5, pages 4 et 12).

 

[32]     Quand à Sylvain Therrien, l'un des deux témoins qui a dénoncé l'appelante, (l'autre était sa conjointe Julie Boulianne), il a soutenu dans sa déclaration statutaire (voir pièce I-2, volume VIII, à l'onglet 5) qu'il travaillait comme guide de pêche et homme à tout faire le restant de l'année. Lui et sa conjointe, disent avoir été engagés par monsieur Massé pour travailler à l'année et non simplement pour les périodes indiquées au relevé d'emploi. Ils étaient logés et nourris et leur employeur leur garantissait 300 $ net par semaine, peu importe le nombre d'heures de travail. Ils recevaient leur plein salaire en période de vacances également. C'est l'employeur qui leur a demandé de remplir une demande de prestations de chômage même si dans les faits, ils n'ont jamais cessé de travailler pour l'employeur jusqu'à ce qu'ils soient congédiés par ce dernier en juin 1998. Monsieur Therrien dit qu'il a toujours travaillé un minimum de 60 heures par semaine, même après la saison de pêche. Il était alors rémunéré par l'employeur la différence entre son plein salaire et les prestations de chômage. Ainsi, il dit qu'il recevait au début 178 $ net par semaine de prestations de chômage et l'employeur lui remettait 122 $ par semaine en argent, pour un total de 300 $ net par semaine. Par la suite, il recevait 195 $ par semaine de l'assurance‑emploi et son employeur lui versait 105 $ par semaine. Ceci aurait duré jusqu'au 2 mai 1998, date à laquelle il aurait été inscrit à nouveau au livre des salaires. (voir déclaration de Sylvain Therrien faite à l'agent des appels, pièce I-2, volume VIII; onglet 7, page 6). Pendant les deux semaines de carence, lui et sa conjointe recevaient leur plein salaire de l'employeur. Monsieur Therrien a également mentionné que pendant une certaine période, c'est madame Ginette Massé qui s'était chargée de remplir les cartes de chômage. Monsieur Therrien a indiqué à l'enquêteur que c'était le même stratagème qui s'appliquait pour la plupart des employés, entre autres ceux qui étaient logés et nourris à la pourvoirie. En d'autres termes, les relevés d'emploi ne correspondaient pas à la réalité.

 

[33]     Monsieur Therrien a confirmé ce qui précède à l'audition. Il a toutefois ajouté qu'il travaillait plus que 60 heures par semaine. Il a dit qu'il travaillait 15 heures par jour, six jours par semaine. Il a également mentionné qu'à l'automne 1997, il travaillait sur le chantier de construction en général 10 à 12 heures par jour, et ce jusqu'à la mi-décembre 1997. Ceci est nié par monsieur Massé qui dit que les gens de la construction ne travaillent pas un nombre si élevé d'heures par jour et que la construction s'est terminée le 1er décembre 1997. Au cours de l'hiver, monsieur Therrien dit qu'il aurait travaillé entre neuf et onze heures par jour. Selon ce dernier, le verglas de l'hiver 1998 n'a pas affecté la région de la pourvoirie. Il a dû d'ailleurs déneiger les toits cette année-là car il y avait de la clientèle. Monsieur Therrien dit avoir comptabilisé ses heures de travail au fur et à mesure qu'il travaillait, afin de se protéger puisqu'il trouvait que la charge de travail était très grande pour le salaire versé (voir résumé de ses heures de travail, pièce I-2, volume VIII, Sylvain Therrien, onglet 4). Je crois d'ailleurs comprendre qu'il a porté plainte auprès de la Commission des normes du travail sur la foi de ce dernier document. Monsieur Massé a rétorqué à ceci qu'il était impossible que monsieur Therrien ait travaillé le nombre d'heures qu'il dit avoir comptabilisé. En effet, selon le document cité en preuve à l'onglet 4, ci-haut mentionné, ce dernier indique qu'il pouvait travailler jusqu'à 14 à 15 heures par jour et ce, 28 jours en ligne, ce qui, selon monsieur Massé est invraisemblable.

 

[34]     Quant à Julie Boulianne, elle déclarait dans sa déclaration statutaire (voir pièce I-2, volume II, onglet 7) avoir travaillé environ 40 heures par semaine au cours de la période où elle a touché des prestations de chômage, soit entre septembre 1997 et la fin avril 1998. Plusieurs factures de restaurant sur lesquelles elle a apposé ses initiales ont d'ailleurs été déposées en preuve pour illustrer ce point (voir pièce I-2, volume II, Julie Boulianne, onglet 4). Ces factures ne portent toutefois aucune date et il est pratiquement impossible de voir à quelles périodes elles se rapportent. Comme pour son conjoint, l'employeur lui versait la différence entre son plein salaire et le montant de ses prestations. Ainsi, elle recevait 162 $ net par semaine de prestations et l'employeur lui versait 88 $ en argent par semaine pour un total de 250 $ net par semaine. Par la suite, en février 1998, l'employeur aurait commencé à lui verser 138 $ par semaine pour rajuster sa paie à 300 $ net par semaine, le solde étant couvert par les prestations de chômage. Elle dit avoir travaillé à temps plein jusqu'à la mi-décembre 1997. Elle a déclaré à l'enquêteur qu'elle n'aurait travaillé que trois jours entre la mi‑décembre 1997 et la fin janvier 1998, soit 12 heures le 25 décembre 1997 et 20 heures au total, le 31 décembre 1997 et le 1er janvier 1998. Elle aurait recommencé à travailler des semaines complètes en février et mars 1998 (entre 40 et 45 heures par semaine). Elle a reconfirmé ceci à l'audition. Toutefois, selon le relevé de ses heures de travail qu'elle a compilées pour la plainte logée à la Commission des normes du travail (pièce A-6), il semblerait qu'elle aurait travaillé quasiment tous les jours entre le jeudi 25 décembre 1997 et le dimanche 11 janvier 1998 et non pas seulement trois jours tel qu'indiqué plus haut. Elle indique à la page 6 de ce document que du 11 janvier 1998 au 15 février 1998, elle n'aurait pas travaillé puisque monsieur Massé ne voulait plus qu'elle travaille vu qu'elle avait « demandé d'être déclarée ».

 

[35]     Confrontée à ce document à l'audition, elle a simplement dit qu'elle avait confondu la période d'arrêt de travail. Elle se rappelait avoir été en arrêt de travail pour une certaine période, mais elle croyait que c'était à compter de la mi‑décembre 1997, alors que c'était plutôt de la mi-janvier à la mi-février 1998. Par contre, elle a souligné qu'elle ne s'était pas trompée lorsqu'elle disait qu'elle avait travaillé les 25 et 31 décembre 1997 et le 1er janvier 1998 (voir pages 60, 68 et 69 des notes sténographiques du 20 novembre 2003).

 

[36]     Elle a également mentionné dans son témoignage qu'elle avait été congédiée illégalement parce qu'elle était enceinte. Il semble qu'elle avait demandé à son employeur de déclarer toutes ses heures de travail car elle réalisait qu'elle se pénalisait en acceptant d'agir comme le souhaitait l'employeur. Elle dit que lorsqu'elle a annoncé son départ, monsieur Massé a congédié son mari deux semaines plus tard.

 

[37]     Monsieur Massé a rétorqué à ceci que Julie Boulianne avait déclaré à la Commission de la santé et de la sécurité au travail (« CSST ») qu'elle travaillait 55 heures par semaine alors qu'elle n'en travaillait en réalité que 25 à 30 heures par semaine. Elle réclamait une augmentation de salaire et il a décidé de la payer à l'heure au lieu de lui donner 300 $ net par semaine. Il en est résulté une baisse de salaire pour madame Boulianne. De plus, il a dit qu'il a ajouté un avantage imposable de 80 $ par semaine sur son salaire pour la pension et le logement. C'est alors qu'elle aurait quitté son emploi en étant très fâchée. Il aurait mis à pied monsieur Therrien par la suite quand ce dernier est venu lui demander des journées de congé supplémentaires. Monsieur Massé a dit qu'il avait accepté de régler la poursuite intentée par le couple devant la Commission des normes du travail en leur payant un montant de 4 000 $ chacun afin qu'ils puissent rembourser le trop-perçu en assurance-emploi.

 

[38]     Richard Massé, le fils de Réal Massé, de son côté, a dit en cour qu'il n'avait pas travaillé au cours des périodes où il était sur le chômage. Ceci est contredit par la première déclaration statutaire qu'il avait faite devant monsieur Gaston Lachance. Plusieurs autres travailleurs auraient d'ailleurs mentionné, lors de l'enquête, que Richard Massé travaillait à l'année longue (voir pièce I‑2, volume VI, Richard Massé, onglet 4, page 3 de 9 et onglet 6, page 3). Ce dernier se serait brouillé avec son père et il aurait quitté la pourvoirie au mois d'août 1998.

 

[39]     Richard Massé a mentionné lors de son témoignage qu'il a travaillé pour la pourvoirie au cours des années 1994 à 1998 et que durant cette période, il était logé et nourri sur la pourvoirie. Il dit ne jamais avoir payé pour son logement, ni pour ses repas (voir page 106 des notes sténographiques du 20 novembre 2003). Ceci est en directe contradiction avec la pièce I-3 qui montre des reçus signés par Réal Massé de 200 $ par mois en paiement par Richard Massé d'un loyer pour la période du 1er janvier 1995 au 1er juillet 1995. Ce simple témoignage jette un doute sérieux sur la véracité des reçus déposés sous la pièce I-3, lesquels indiquent que Richard Aubé, Normand Guénard, Nancy Massé, Gilles Huet et Sylvie Provost auraient également versé un loyer de 200 $ par mois à l'employeur au cours de l'année 1995 pour le logement fourni par l'employeur. D'ailleurs, la plupart des travailleurs avaient mentionné à l'enquêteur ne pas avoir payé un tel loyer (voir rapport d'opinion sur l'A.C. et le R.P.C., pièce I-2, volume IX, onglet 1, pages 7-8). De plus, le livre de paie de chacun de ces travailleurs ne montre aucune telle déduction à ce titre en 1995. Il ressort également du rapport de l'agent des appels qu'aucun de ces travailleurs n'aurait, dans les faits, payé le loyer y indiqué (voir pièce I-2, volume I, Richard Aubé Jr., onglet 1 et onglet 7 page 6; volume V, Normand Guénard, onglet 1 et onglet 6, page 6; volume VI, Nancy Massé, onglet 1 et onglet 5, page 13; volume V, Gilles Huet, onglet 1 et onglet 5, pages 6 et 13; volume VII, Sylvie Provost, onglet 1 et onglet 6, pages 6 et 14). Par ailleurs, il ressort du rapport de l'agent des appels que si pour les autres années en litige, le livre de salaires indiquait qu'un montant avait réellement été retenu sur la paie de ces employés ou de tout autre employé en paiement du loyer, le Ministre en a tenu compte pour ainsi réduire le montant de l'avantage imposable à rajouter dans le calcul de la rémunération assurable. En d'autres termes, le montant de l'avantage a été réduit du montant qui a été retenu à la source sur la paie des employés, selon ce qui est inscrit au livre des salaires.

 

[40]     Quant à Claude Desaulniers, il dit avoir commencé à travailler comme cuisinier à temps plein pour la pourvoirie au mois de mai 1998. Avant cela, il dit qu'il n'était pas dans la région. Son horaire de travail est de 5h00 le matin à 14h30, cinq jours par semaine. Il dit qu'en 1998 et 1999, il cessait de travailler au début de septembre et recommençait à travailler à la fin avril ou début de mai de l'année suivante pour la saison de pêche. À l'automne 1999, le chef cuisinier (Denis Courcy) ayant quitté, monsieur Massé lui aurait demandé de travailler au cours de la saison de motoneige. Il est devenu chef cuisinier en mai 2000 et travaille toujours pour la pourvoirie. En 2000, il a travaillé jusqu'à la fin octobre dans le cadre du « volet 2 » (programme financé en partie par le gouvernement fédéral) auquel participait son employeur. Il a dit à l'audition qu'il n'a pas travaillé pendant la période de la chasse au faisan en 1998 et en 1999. Par ailleurs, il a dit qu'il n'a jamais habité sur la pourvoirie ni dans aucun logement fourni par monsieur Massé. Il a une résidence à proximité de la pourvoirie depuis le mois d'octobre 1999. Avant cela, il dit qu'il habitait dans une roulotte à 10 km de la pourvoirie pendant ses périodes de travail. En dehors de ces périodes, il restait dans un petit chalet à St-Paul de Joliette (à 45 minutes de la pourvoirie). Il mangeait à la pourvoirie quand il y travaillait.

 

[41]     Monsieur Desaulniers a dit en cour n'avoir jamais reçu de salaire de l'employeur en dehors de ses périodes d'emploi déclarées dans son relevé d'emploi et ne pas y avoir travaillé non plus. Or, il ressort du rapport de l'agent des appels (voir pièce I-2, volume III, Claude Desaulniers, onglet 6, page 7), que d'autres travailleurs ont reconnu avoir travaillé avec Claude Desaulniers en dehors des périodes déclarées. Ainsi Lisette Montmagny qui a reconnu être à l'emploi de l'appelante de janvier 1998 au 7 mars 1999, comme aide-ménagère, aurait déclaré lors de l'enquête avoir toujours travaillé en même temps que Claude Desaulniers. Bien qu'à l'audition, elle ne se rappelait plus trop ce qu'elle avait déclaré auparavant, elle n'a pas nié ce qu'elle y avait mentionné. De plus, elle se rappelait à l'audition que « Claude » travaillait en même temps qu'elle. Ceci n'a pas été mis en doute en contre-interrogatoire.

 

[42]     Sylvain Therrien aurait déclaré que Claude Desaulniers avait remplacé le cuisinier Normand Guénard, lequel avait quitté ses fonctions en octobre 1997. Il faisait la cuisine avec Denis Courcy pour les gens qui travaillaient sur le chantier d'agrandissement de la pourvoirie à l'automne 1997. Par ailleurs, monsieur Therrien mentionnait, de même que sa conjointe Julie Boulianne, que Claude Desaulniers travaillait également pendant la saison de motoneige (ce qui veut dire l'hiver 1998 puisque monsieur Therrien et madame Boulianne n'ont travaillé qu'un seul hiver à la pourvoirie, soit l'hiver 1998 puisqu'ils ont été engagés en avril 1997 et ont été mis à pied en juin 1998). Cette déclaration n'a pas été mise en doute lors du contre‑interrogatoire de monsieur Therrien et de madame Boulianne.

 

[43]     D'autres travailleurs n'ayant toutefois pas été appelés comme témoins (Léo et Lisette Perreault) avaient confirmé que Claude Desaulniers était entré à la pourvoirie quelques semaines après le départ du cuisinier Normand Guénard en octobre 1997 (voir rapport de l'agent des appels, pièce I-2, volume III, Claude Desaulniers, onglet 6, page 7).

 

[44]     Par ailleurs, deux travailleuses, soit Lisette Montmagny et Ginette St-Jules auraient mentionné dans leurs déclarations statutaires que monsieur Desaulniers résidait sur le site de la pourvoirie en dehors de l'été (voir rapport de l'agent des appels, pièce I-2, volume III, Claude Desaulniers, onglet 6, page 9). Toutefois, ces deux dernières semblaient insinuer également que monsieur Desaulniers n'aurait pas travaillé au cours de la saison de motoneige 1998 (voir pièce I-2, volume III, Claude Desaulniers, onglet 6, page 7 et pièce I-2, volume VII, Lisette Montmagny, onglet 5, page 12), ce qui vient contredire les déclarations de Sylvain Therrien et de Julie Boulianne. Quant à monsieur Desaulniers, il a refusé de rencontrer l'agent des appels pour éclaircir la situation (voir rapport sur appel, pièce I-2, volume III, Claude Desaulniers, onglet 6, page 8). Cette dernière a donc retenu que monsieur Desaulniers a travaillé en dehors des périodes en litige selon les périodes indiquées au tableau en annexe et a ajouté au calcul de la rémunération assurable, un montant pour la pension et le logement jusqu'au moment de l'acquisition de sa nouvelle résidence, le 1er octobre 1999.

 

[45]     Madame Louise Dessureault, l'une des agents des appels qui a travaillé sur ces dossiers, a expliqué en cour que les périodes de travail ainsi que la rémunération assurable de chacun des travailleurs avaient été rétablies en fonction des périodes d'activités de l'employeur et de ce que chaque travailleur leur avait affirmé. De fait, une enquête a été faite par le DRHC suite à une dénonciation. Le dossier a été référé à la GRC, qui a obtenu un mandat de perquisition à l'automne 1998. Monsieur Gaston Lachance, spécialiste d'enquêtes majeures au DRHC, a dit en cour avoir rencontré une trentaine de travailleurs dont une vingtaine aurait affirmé qu'ils recevaient la différence entre leur salaire net et leurs prestations de chômage, tout en continuant à travailler pour la pourvoirie en même temps. Monsieur Lachance a expliqué à chacun des travailleurs rencontrés qu'il prenait des informations concernant leurs demandes de prestations de chômage et les relevés d'emploi fournis par leur employeur et qu'il se pouvait qu'il y ait eu un trop-payé que le travailleur devrait éventuellement rembourser. Monsieur Lachance a expliqué en cour que lorsque l'on procède par voie de déclarations statutaires, comme ce fut le cas ici, il n'y a pas de déclaration de mise en garde qui est faite. Par une telle mise en garde, on avise un individu de son droit de recourir à un avocat avant de répondre aux questions. Monsieur Lachance a expliqué que ceci se faisait lorsque l'intention de l'enquêteur était de poursuivre l'individu en cour. Dans le cas présent, il semble que la décision n'était pas encore prise de poursuivre ou non chaque travailleur individuellement. C'est pourquoi, monsieur Lachance a procédé par voie de déclarations statutaires en expliquant aux travailleurs que s'ils avaient un trop‑payé et des pénalités à payer, ils avaient un droit d'appel.

 

[46]     Ainsi, selon toute la documentation recueillie, incluant les déclarations statutaires des travailleurs qui ont été, de façon générale, confirmées par eux lors d'une entrevue téléphonique avec l'agent des appels, on a conclu que les travailleurs continuaient de travailler après leur mise à pied, laquelle au fond n'était que fictive. Le cas de chaque travailleur a été analysé individuellement, et il y a eu une nouvelle répartition de la rémunération assurable pour chacun d'eux selon leur cas spécifique.

 

[47]     Ainsi, on a conclu que la différence entre le salaire net et les prestations de chômage faisait partie de la rémunération assurable. Durant le délai de carence de deux semaines où normalement l'employé mis à pied ne reçoit ni salaire, ni prestation de chômage, on a réalisé que le travailleur recevait sa pleine rémunération et ceci a été ajouté à la rémunération assurable. Les pourboires mis en commun et redistribués par le payeur à la fin de chaque saison ont été ajoutés également dans la rémunération assurable des travailleurs qui ont bénéficié de tels pourboires. On a aussi ajouté un avantage d'une valeur de 50 $ par semaine par individu pour le logement et de 35 $ par semaine par individu pour la pension (soit 5 $ par jour). Ces sommes ont été ajoutées à la rémunération assurable des travailleurs au prorata du nombre de jours où ils ont bénéficié de tels avantages.

 

[48]     Par ailleurs, il ressort du témoignage de Louise Dessureault et du rapport d'opinion de l'agent d'assurabilité (voir pièce I-2, volume IX, onglet 1, page 15) que pour les années 1993 à 1996, on a appliqué l'article 13 du Règlement sur l'assurance-chômage tel qu'il existait alors, pour déterminer les semaines assurables des travailleurs.

 

[49]     Le paragraphe 13(1) du Règlement sur l'assurance-chômage stipule ce qui suit :

 

13 (1) Sous réserve du paragraphe (2), est exclu des emplois assurables un emploi exercé pour le compte d'un employeur, qui comporte moins de 15 heures de travail par semaine et dont la rémunération hebdomadaire, en espèces, est inférieure à 20 pour cent du maximum de la rémunération hebdomadaire assurable.

 

[50]     Ainsi, en vertu du paragraphe 13(1), seuls les emplois comportant moins de 15 heures de travail par semaine et dont la rémunération hebdomadaire est inférieure à 20 pour cent du maximum de la rémunération hebdomadaire assurable, seront traités comme des emplois non-assurables. Ainsi, a contrario, lorsque l'enquête a révélé qu'un employé travaillait plus de 15 heures par semaine, son emploi a été considéré assurable au cours de ces semaines même s'il recevait moins de 20 pour cent du maximum de la rémunération hebdomadaire assurable de son employeur.

 

[51]     Pour les années 1997 et suivantes, on a considéré le nombre d'heures assurables selon la nouvelle législation introduite par la LAE et ses Règlements en juin 1996. Ainsi, l'agent d'assurabilité a jugé que l'article 9.1 et les paragraphes 10(1) à 10(3) du Règlement sur l'assurance-emploi ne pouvaient s'appliquer puisque les travailleurs étaient payés sur une base fixe, peu importe le nombre d'heures de travail. On a donc mis en application les paragraphes 10(4) et 10(5) du Règlement de l'assurance-emploi et retenu un maximum d'heures assurables de 35 heures par semaine. On a considéré dans plusieurs cas qu'il n'y avait pas eu d'arrêt de travail et que le lien d'emploi n'avait pas été rompu.

 

[52]     L'article 9.1 et les paragraphes 10(1) à 10(5) du Règlement sur l'assurance-emploi stipulent ce qui suit :

 

          9.1 Lorsque la rémunération d'une personne est versée sur une base horaire, la personne est considérée comme ayant exercé un emploi assurable pendant le nombre d'heures qu'elle a effectivement travaillées et pour lesquelles elle a été rétribuée.

 

          10. (1) Lorsque la rémunération d'une personne est versée sur une base autre que l'heure et que l'employeur fournit la preuve du nombre d'heures effectivement travaillées par elle au cours de la période d'emploi et pour lesquelles elle a été rétribuée, celle-ci est réputée avoir travaillé ce nombre d'heures d'emploi assurable.

 

          (2) Sauf dans les cas où le paragraphe (1) et l'article 9.1 s'appliquent, si l'employeur ne peut établir avec certitude le nombre d'heures de travail effectivement accomplies par un travailleur ou un groupe de travailleurs et pour lesquelles ils ont été rémunérés, l'employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs peuvent, sous réserve du paragraphe (3) et si cela est raisonnable dans les circonstances, décider de concert que ce nombre est égal au nombre correspondant normalement à la rémunération visée au paragraphe (1), auquel cas chaque travailleur est réputé avoir travaillé ce nombre d'heures d'emploi assurable.

 

          (3) Lorsque le nombre d'heures convenu par l'employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs conformément au paragraphe (2) n'est pas raisonnable ou qu'ils ne parviennent pas à une entente, chaque travailleur est réputé avoir travaillé le nombre d'heures d'emploi assurable établi par le ministre du Revenu national d'après l'examen des conditions d'emploi et la comparaison avec le nombre d'heures de travail normalement accomplies par les travailleurs s'acquittant de tâches ou de fonctions analogues dans des professions ou des secteurs d'activité similaires.

 

          (4) Sauf dans les cas où le paragraphe (1) et l'article 9.1 s'appliquent, lorsque l'employeur ne peut établir avec certitude ni ne connaît le nombre réel d'heures d'emploi assurable accumulées par une personne pendant sa période d'emploi, la personne est réputée, sous réserve du paragraphe (5), avoir travaillé au cours de la période d'emploi le nombre d'heures d'emploi assurable obtenu par division de la rémunération totale pour cette période par le salaire minimum, en vigueur au 1er janvier de l'année dans laquelle la rémunération était payable, dans la province où le travail a été accompli.

 

          (5) En l'absence de preuve des heures travaillées en temps supplémentaire ou en surplus de l'horaire régulier, le nombre maximum d'heures d'emploi assurable qu'une personne est réputée avoir travaillées d'après le calcul prévu au paragraphe (4) est de 7 heures par jour sans dépasser 35 heures par semaine.

 

Analyse

 

[53]     Les parties au présent litige ont toutes convenu que le débat tournait principalement autour de la crédibilité des personnes en cause. J'en conviens également mais compte tenu que l'on retrouve des contradictions de part et d'autre, la question en litige devra se résoudre de façon à favoriser la thèse, qui de façon prépondérante, apparaîtra la plus crédible.

 

[54]     À cette fin, j'ai tenté de relater la preuve présentée devant moi de la façon la plus objective possible tout en soulignant au passage les contradictions qui m'ont particulièrement frappée. J'ai tenté aussi, dans la mesure du possible, de donner ma perception des faits à partir des témoignages que j'ai entendus et des déclarations statutaires complétées par ces témoins. De plus, j'ai analysé le rapport de l'agent des appels de chacun des travailleurs, même si ceux-ci n'ont pas tous été appelés à témoigner. J'ai cru comprendre des explications de l'avocate de l'intimé, qu'elle n'a pas appelé tous et chacun des travailleurs à la barre des témoins par souci d'économie de temps pour la cour, mais aussi et principalement parce qu'elle a jugé qu'ils n'apporteraient rien de plus à la preuve que ce qui a été dit et que ce que l'on retrouve déjà aux rapports des agents des appels pour chaque travailleur. Je crois comprendre également que ces travailleurs étaient disponibles pour témoigner si les appelants avaient jugé bon de les entendre.

 

[55]     Quant à la validité de la méthode utilisée par monsieur Gaston Lachance pour recueillir les informations au cours de son enquête, je ne crois pas comme le soutient l'avocat de l'appelante, que cette méthode était incompatible avec les principes de justice naturelle faisant en sorte que les rapports des agents des appels qui reprennent les déclarations statutaires, devraient être écartés de la preuve. Je tiens à souligner ici que l'avocat de l'appelante n'appuie sa position sur aucune autorité juridique précise. Toutefois, je dirai simplement qu'une enquête faite par le DHRC pour déterminer s'il y a eu un trop-payé, ou si des cotisations d'assurance-emploi doivent être prélevées sur une rémunération versée par un employeur à ses employés, relèvent du domaine civil ou administratif. Or, la procédure d'enquête en matière civile diffère de celle qui doit être suivie en matière criminelle.

 

[56]     Dans l'arrêt Houle c. Mascouche (Ville), [1999] J.Q. no 2652, la Cour d'appel du Québec disait ce qui suit aux paragraphes 172 et 173 :

 

172    En résumé, même si la recherche de la vérité est l'objet du procès criminel et civil, les différences fondamentales dans la conduite de l'un et l'autre rendent l'admissibilité beaucoup plus aisée au procès civil. Cela découle, spécialement, de ce que l'équité du procès, une norme suivant laquelle l'accusé a droit au silence, peut décider de ne pas témoigner, et que l'on ne peut le mobiliser contre lui-même tant au procès qu'au moment de l'enquête conduite par les représentants de l'État, ne s'applique pas au procès civil, où la règle est inversée : les parties témoignent et peuvent y être contraintes tant à l'occasion d'interrogatoires avant procès que devant le tribunal, ne peuvent refuser de répondre à toute question pertinente et doivent donner copie à l'adversaire et, plus tard, apporter à la Cour toute pièce utile.

 

173    Le juge du procès civil est convié à un exercice de proportionnalité entre deux valeurs : le respect des droits fondamentaux d'une part et la recherche de la vérité d'autre part. Il lui faudra donc répondre à la question suivante : La gravité de la violation aux droits fondamentaux, tant en raison de sa nature, de son objet, de la motivation et de l'intérêt juridique de l'auteur de la contravention que des modalités de sa réalisation, est-elle telle qu'il serait inacceptable qu'une cour de justice autorise la partie qui l'a obtenue de s'en servir pour faire valoir ses intérêts privés? Exercice difficile s'il en est, qui doit prendre appui sur les faits du dossier. Chaque cas doit donc être envisagé individuellement. Mais, en dernière analyse, si le juge se convainc que la preuve obtenue en contravention aux droits fondamentaux constitue un abus du système de justice parce que sans justification juridique véritable et suffisante, il devrait rejeter la preuve.

 

[57]     Par ailleurs, le droit à la représentation par avocat n'est pas un droit absolu. Dans le contexte de la présente affaire, les propos de l'auteur P. Garant, Droit administratif 4e ed., Cowansville (Qc.), Yvon Blais, 1996, à la page 295 sont, il me semble, à propos :

 

          De façon générale, c'est sous l'empire de l'article 7 de la Charte [canadienne des droits et libertés] que se pose le droit à l'assistance de l'avocat dans le processus quasi judiciaire. Ce droit n'est toutefois pas absolu et dépend ici encore des circonstances:

 

«Je suis d'avis que l'adoption de l'article 7 n'a créé aucun droit absolu d'être représenté par avocat dans toute procédure de ce genre. Il est sans aucun doute de la plus grande importance que la personne dont la vie, la liberté ou la sécurité sont en jeu ait l'occasion d'exposer sa cause aussi pleinement et adéquatement que possible. Les avantages de l'assistance d'un avocat à cette fin ne sont pas contestés. Cependant, ce qui est exigé, c'est l'occasion d'exposer la cause adéquatement et je ne crois pas qu'on puisse affirmer qu'il n'existe pas de cas où une telle occasion ne peut être fournie sans qu'il faille également accorder le droit d'être représenté par avocat à l'audition»390.

 

           En matière administrative cependant l'article 7 ne confère pas le droit à l'avocat391.

___________________

390.    Howard c. Établissement de Stoney Mountain, [1984] 2 C.F. 642, p. 662‑663. Voir également le propos du juge MacGuigan, p. 684; McInnis c. Canada (P.G.), [1995] 2 C.F. 215.

 

391.    Delghani c. Canada (M.E.I.), [1993] 1 R.C.S. 1053.

 

[58]     Ici, on ne m'a pas convaincue que la preuve a été obtenue en contravention aux droits fondamentaux et qu'il y a eu abus de justice. La plupart des travailleurs concernés ont d'ailleurs reconfirmé par téléphone à l'agent des appels la teneur de leurs propos recueillis par voie de déclarations statutaires. Comme je le disais plus haut, nous sommes en matière civile ici et tel que mentionné par la Cour d'appel du Québec, les parties ne peuvent refuser de répondre et peuvent même y être contraintes dans un interrogatoire avant procès. Je ne suis donc pas d'accord avec l'avocat de l'appelante qu'il faille écarter de la preuve, les rapports des agents des appels qui reprennent les déclarations statutaires des travailleurs qui n'étaient pas représentés par avocat.

 

[59]     En ce qui concerne l'analyse de la preuve comme telle, chaque partie attaque la crédibilité des témoins de l'autre partie en tentant de faire ressortir la crédibilité, l'honnêteté et l'objectivité de ses propres témoins.

 

[60]     Pour ma part, je retiens que presque tous en général, l'employeur comme les employés, semblent reconnaître que l'appelante versait à ses employés la différence entre leur salaire net garanti par l'employeur et les prestations de chômage au cours des périodes où ceux-ci étaient inscrits au chômage. Je retiens également que, soit par ignorance, soit par suite d'une mauvaise compréhension ou soit pour d'autres motifs, ces sommes versées par l'employeur n'ont pas été déclarées par les employés au DRHC sur leurs cartes de chômage. Il ressort à mon avis clairement de la preuve, que l'employeur versait plus que 25 pour cent des prestations de chômage (le « permissible ») à ses employés. Si je reprends l'exemple donné par Sylvain Therrien, il disait que s'il recevait 178 $ par semaine de prestations de chômage, l'employeur lui versait 122 $ par semaine pour compléter son salaire net de 300 $. Déjà là, on réalise que la somme versée par l'employeur est supérieure à 25 pour cent des prestations de chômage (25 pour cent x 178 $ = 44,50 $). Monsieur Massé lui‑même semble reconnaître cette situation de faits puisqu'il a dit à maintes occasions qu'il garantissait le salaire net de ses employés, même s'ils ne travaillaient pas. C'est ce que les employés semblent dire aussi. On leur remettait la différence entre le salaire net garanti et les prestations de chômage.

 

[61]     En agissant ainsi, l'employeur versait dès lors plus que 25 pour cent des prestations de chômage à ses employés et ce montant devait être déclaré aux fins de rajuster les prestations pour chacun des employés bénéficiant d'une telle entente avec l'employeur, ce qui n'a pas été fait.

 

[62]     Par ailleurs, l'agent des appels a considéré que les relevés d'emploi ne reflétaient pas la réalité. À mon avis, la preuve est amplement suffisante pour conclure que les employés continuaient à travailler en dehors des périodes d'emploi indiquées aux relevés d'emploi. Bien qu'il y ait eu certaines contradictions à ce sujet tout au long de la présentation de la preuve, le fil conducteur des évènements relatés devant moi, ainsi que la preuve documentaire soumise, indiquent de façon prépondérante que monsieur Massé demandait à ses employés de travailler pour l'appelante en dehors des périodes d'emploi, en leur garantissant de combler la différence entre leur salaire net et les prestations de chômage. Je ne suis pas du tout convaincue qu'un traitement différent pouvait s'appliquer pour aucun des travailleurs concernés dans le présent litige. À tout évènement je suis d'avis que l'appelante n'a pas fait la démonstration du contraire.

 

[63]     Je n'adhère pas aux propos de l'avocat de l'appelante qui soutient que les employés travaillaient en dehors des périodes d'emploi selon leur bon vouloir et que l'employeur n'exerçait aucun contrôle sur eux. Il donne en exemple les témoignages de Gisèle Côté et de Clémence Bélanger. Je retiens plutôt du témoignage de Gisèle Côté qu'elle était déjà sur le chômage lorsque monsieur Massé l'a engagée à l'essai au cours de l'hiver 1995. Elle a dit qu'elle travaillait de longues heures au cours de ces périodes et qu'il fallait qu'elle soit là pour que l'employeur « [sache] si on était capables [sic] de le faire le travail » (voir page 229 des notes sténographiques du 19 novembre 2003). De même, madame Clémence Bélanger a bien dit qu'elle continuait à travailler au cours des périodes de chômage pour monsieur Massé parce qu'elle n'avait pas le choix vu qu'elle était logée et nourrie (voir page 313 des notes sténographiques du 19 novembre 2003).

 

[64]     Quant à monsieur Desaulniers, il soutient que la preuve a démontré qu'il n'a pas travaillé en dehors des périodes d'emploi déclarées et qu'il n'a reçu aucune rémunération de son employeur en dehors de ces périodes. Il est vrai que monsieur Massé a témoigné dans ce sens. Mais compte tenu de la preuve présentée pour les autres employés, je suis d'avis que le seul témoignage de monsieur Massé est nettement insuffisant en soi pour étayer la position de monsieur Desaulniers. D'autres travailleurs ont témoigné et déclaré que ce dernier était présent à la pourvoirie en dehors des périodes déclarées. Sylvain Therrien et Julie Boulianne disent l'avoir vu au cours de la saison de motoneige (qui ne peut être que l'hiver 1998 puisque c'est le seul hiver où ils ont travaillé). Sylvain Therrien dit que monsieur Desaulniers travaillait pendant la saison de la construction en 1997. Lisette Montmagny et Ginette St-Jules disent que Claude Desaulniers a travaillé un hiver, mais pas en 1998.

 

[65]     Je reconnais que la preuve est un peu contradictoire ici aussi, mais c'est à l'appelant de démontrer selon la prépondérance des probabilités que la détermination du Ministre est erronée. Or, j'ai un doute quant à la véracité des propos de monsieur Desaulniers. Je ne suis pas d'accord avec les propos de son avocat lorsqu'il dit que les versions de monsieur Therrien étaient contradictoires d'une fois à l'autre. Ce dernier a dit que monsieur Desaulniers avait remplacé monsieur Normand Guénard à l'automne 1997, ce qui est conforme à la version d'autres travailleurs. De plus, il a dit que monsieur Desaulniers travaillait avec Denis Courcy. Monsieur Desaulniers était cuisinier en matinée. Il est fort plausible que monsieur Courcy travaillait en après-midi et en soirée. De plus, l'agent des appels avait noté que monsieur Desaulniers avait reçu le même montant de pourboires que monsieur Courcy (voir pièce I-2, volume III, Claude Desaulniers, onglet 6, page 9). C'est pourquoi elle a conclu que tous deux avaient travaillé le même nombre de semaines. Compte tenu de toute la preuve au dossier, j'ai peine à croire que monsieur Desaulniers ait été le seul employé concerné à ne pas profiter du système instauré par l'employeur.

 

[66]     Par ailleurs, la preuve de l'intimé est moins solide quant au fait que monsieur Desaulniers habitait sur la pourvoirie avant l'acquisition de sa nouvelle résidence en 1999. La position de l'intimé s'appuie uniquement sur les déclarations de Ginette St-Jules et de Lisette Montmagny. Madame St-Jules n'a pas témoigné et aucune question n'a été posée à madame Montmagny à l'audition à ce sujet. Il ressort de la preuve que ce n'est pas tous les employés qui résidaient sur le site de la pourvoirie. La version de monsieur Desaulniers m'apparaît satisfaisante sur ce point. Je conclus donc que la rémunération assurable ne devrait pas inclure un avantage imposable relativement au logement pour ce dernier.

 

[67]     En ce qui concerne la rémunération assurable des autres travailleurs, l'appelante invoque que les travailleurs qui ont reçu de leur employeur moins de 20 pour cent du maximum de la rémunération hebdomadaire assurable dans les années 1993 à 1996, ne devraient pas être assurables au cours de ces périodes aux termes du paragraphe 13(1) du Règlement de l'assurance-chômage. Sur ce point, je suis du même avis que l'intimé. En effet, pour que l'emploi ne soit pas assurable, il s'agit d'une condition double, à savoir l'employé doit non seulement avoir reçu moins de 20 pour cent du maximum de la rémunération hebdomadaire assurable, mais doit aussi avoir travaillé moins de 15 heures par semaine. Or, la preuve établit de façon prépondérante que les travailleurs concernés travaillaient plus de 15 heures par semaine en dehors des périodes d'emploi déclarées. Je note, au passage, du rapport de l'agent des appels, que les périodes où les employés ne travaillaient pas n'ont pas été considérées assurables aux termes de cette disposition réglementaire.

 

[68]     Quant à l'avantage qui a été ajouté à la rémunération assurable pour le logement et la pension, le montant retenu m'apparaît tout à fait raisonnable. L'employeur lui-même a tenté de prouver que certains travailleurs payaient un loyer de 200 $ par mois en 1995 (pièce I-3). Bien que la preuve ait démontré de façon prépondérante qu'aucun tel loyer ne fut versé par ces employés en 1995, l'agent d'assurabilité et l'agent d'appel ont retenu cet élément pour établir la valeur du logement à 50 $ par semaine par travailleur. Il ressort de leurs rapports également qu'ils ont calculé cet avantage seulement pour les employés qui ont été logés aux frais de l'employeur dans les périodes où ils y travaillaient. Le fait que certains d'entre eux habitaient dans des résidences appartenant à monsieur Massé personnellement, ne change en rien la valeur de l'avantage imposable. En effet, il s'agit d'un avantage dont le travailleur a joui relativement à son emploi au cours d'une période où il était rétribué en espèces par son employeur. Cet avantage est donc imposable pour l'employé qui en bénéficie et doit être ajouté à sa rémunération assurable aux termes de l'alinéa 2(3)a) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, qui se lit comme suit :

 

RÉMUNÉRATION ASSURABLE

 

Rémunération provenant d'un emploi assurable

 

           2. (3) Pour l'application des paragraphes (1) et (2), sont exclus de la rémunération :

 

a) les avantages autres qu'en espèces, à l'exception, dans le cas où l'employeur verse à une personne une rétribution en espèces pour une période de paie, de la valeur de la pension ou du logement, ou des deux, dont la personne a joui au cours de cette période de paie relativement à son emploi;

 

[69]     Quant au montant de la pension, je suis d'avis que le montant retenu (5 $ par jour) est plus que raisonnable.

 

[70]     Compte tenu de la preuve au dossier, je conclus que les appelants n'ont pas démontré selon la prépondérance des probabilités que les déterminations du Ministre sous appel sont erronées et méritent d'être modifiées quant aux périodes d'emploi ou au nombre de semaines ou d'heures assurables, le tout tel qu'établi à l'annexe A de la Réponse, et qui est jointe en annexe aux présentes.

 

[71]     Quant au calcul de la rémunération assurable, je maintiens les déterminations du Ministre pour tous les travailleurs, à l'exception de monsieur Desaulniers, pour lequel la rémunération assurable devra être réduite du montant de l'avantage imposable qui avait été ajouté pour le logement. À tous autres égards, les déterminations du Ministre, telles qu'établies à l'annexe A de la Réponse, demeurent inchangées.

 

[72]     Pour ces raisons, les appels sont admis uniquement eu égard à la détermination faite à l'égard de la rémunération assurable de Claude Desaulniers afin que celle-ci soit diminuée du montant de l'avantage imposable relié au logement. À tous autres égards, les déterminations du Ministre demeurent inchangées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d'août 2004.

 

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


RÉFÉRENCE :

2004CCI582

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-2888(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Pourvoirie au pays de Réal Massé Inc. c. le ministre du Revenu national

et

Mario Arès, Florence Côté, Claude Fournier, Fernande Fournier, Rachel Jalbert (intervenants)

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

les 19 et 20 novembre 2003

 

ARGUMENTATION ÉCRITE DE L'APPELANTE :

 

le 19 décembre 2003

ARGUMENTATION ÉCRITE DE L'INTIMÉ :

 

le 23 janvier 2004

RÉPONSE DE L'APPELANTE À L'ARGUMENTATION ÉCRITE DE L'INTIMÉ :

 

le 6 février 2004

RÉPONSE DE L'INTIMÉ À L'ARGUMENTATION ÉCRITE DE L'APPELANTE :

le 16 février 2004

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :

le 25 août 2004

 

COMPARUTIONS :

 

 

 

Avocat de l'appelante :

Me Hans Marotte

 

Avocats l'intimé :

Me Marie-Aimée Cantin

Me Antonia Paraherakis

 

 

Pour les intervenants :

Florence Côté, Rachel Jalbert, Fernande Fournier

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

 

 

Pour l'appelant(e) :

 

 

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada


 

RÉFÉRENCE :

2004CCI582

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-1698(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Claude Desaulniers c. le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

les 19 et 20 novembre 2003

 

ARGUMENTATION ÉCRITE DE L'APPELANT :

 

le 13 janvier 2004

ARGUMENTATION ÉCRITE DE L'INTIMÉ :

 

le 23 janvier 2004

RÉPONSE DE L'APPELANT À L'ARGUMENTATION ÉCRITE DE L'INTIMÉ :

 

le 5 février 2004

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :

le 25 août 2004

 

COMPARUTIONS :

 

 

 

Avocat de l'appelant :

Me Denis Le Reste

 

Avocats l'intimé :

Me Marie-Aimée Cantin

Me Antonia Paraherakis

 


 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

 

 

Pour l'appelant(e) :

 

 

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]           Le montant établi par le Ministre est de 35 $ par semaine pour la pension selon l'alinéa 5(u) de la Réponse et toute la documentation soumise en preuve.

[2]           Puisque le litige se déroule au cours des années 1993 à 2000, et qu'en conséquence la LAC et la LAE sont applicables (la LAE étant entrée en vigueur le 30 juin 1996), et afin d'alléger le texte dans les présents motifs, je parlerai de « prestations de chômage » toutes les fois que je ferai référence aux prestations d'assurance-chômage en vertu de la LAC ou aux prestations d'assurance-emploi en vertu de la LAE.

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