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Date: 20001122

Dossier: 95-3156-IT-I

ENTRE :

ANTHONY FOREMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] Anthony Foreman, l'appelant, interjette appel d'une cotisation établie pour l'année 1990, dans laquelle le ministre du Revenu national (“ le ministre ”) a rejeté la déduction d’une perte de 29 854 $ résultant de l’exploitation d'une prétendue entreprise de location de bateau. Le ministre a également établi à l'égard de l'appelant une pénalité aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) parce qu’il avait sciemment, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice de l'obligation prévue à la Loi, fait un faux énoncé ou une omission dans la déclaration de revenus produite pour l'année d'imposition 1990, ou y avait participé, consenti ou acquiescé, de sorte que l'impôt qui aurait été payable, compte tenu de l’information fournie dans la déclaration de revenus de l'appelant pour l'année 1990, était inférieur de 8 070,30 $ à l'impôt qui aurait en réalité été payable.

[2] Le ministre a également prétendu que les dépenses dont l'appelant a demandé la déduction n’étaient pas raisonnables et, qu'aux termes de l'article 67 de la Loi, elles n’étaient donc pas déductibles dans le calcul du revenu.

[3] L'appelant a aussi demandé à la Cour d'être dispensé du paiement des intérêts calculés sur l'impôt payable aux termes de la cotisation établie pour l'année 1990 parce que le ministre a mis beaucoup trop de temps à établir la nouvelle cotisation. L'appelant a, semble-t-il, été avisé du montant de l’impôt payable pour l’année 1990 au moyen d'un avis de cotisation daté du 9 septembre 1991 et d'un avis de nouvelle cotisation daté du 19 avril 1993. Je ne trouve pas que le ministre a mis trop de temps à établir la nouvelle cotisation et, quoi qu'il en soit, il n'existe aucune jurisprudence sur laquelle je puisse m'appuyer pour dispenser M. Foreman du paiement de l'intérêt, compte tenu des faits qui m'ont été soumis.

[4] Étant donné que le ministre a imposé une pénalité à M. Foreman aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi, il lui incombe d'établir les faits sur lesquels il s’est fondé pour calculer cette pénalité. L'avocat de l'intimée a appelé M. Foreman à témoigner.

[5] M. Foreman est un policier à la retraite; au cours de l'année visée par l'appel, il travaillait pour la Police de la communauté urbaine de Toronto.

[6] Dans sa déclaration de revenus pour l'année 1990, M. Foreman a fait état d'un revenu d'emploi de 56 000 $ et du retrait d'un montant de 4 388,89 $ de son régime enregistré d'épargne-retraite (“ REER ”). Il a également déclaré un revenu brut de 4 105 $ provenant d'une entreprise de location de bateau appelée “ Gemini Charters ”. La perte nette résultant de l'exploitation de Gemini Charters pour l’année 1990, que M. Foreman a indiquée dans sa déclaration de revenus s’élevait, après déduction des dépenses, à 29 853 $.

[7] Gemini Charters était inscrite au registre du ministère provincial approprié. M. Foreman a déclaré qu'il avait commencé à exploiter Gemini Charters au printemps de 1990. Il comptait organiser des expéditions de pêche sur le Lac Ontario ainsi que sur le Lac Simcoe dans un bateau Searay de 20 pieds acheté en 1987. Le bateau n'avait pas de toilettes. Au cours des années 1987, 1988 et 1989, M. Foreman s'est servi du bateau pour la promenade seulement. En 1990, a-t-il déclaré, il a utilisé le bateau pour la promenade et les affaires. Au procès, il ne se rappelait pas combien de fois le bateau avait servi pour les affaires en 1990, si ce n’est qu’il avait été utilisé [TRADUCTION] “ au moins une fois par semaine et une fois par fin de semaine ”. Cependant, il s'est rappelé que, parce que son emploi comme policier l’obligeait à travailler par quart, il n'y avait pas eu d’expéditions de pêche certaines semaines. La saison de pêche commence en mai et se termine à la fin d'octobre.

[8] Dans le cadre des expéditions de pêche, M. Foreman demandait 10 $ l'heure par personne pour une journée de huit heures. De deux à quatre personnes participaient habituellement aux expéditions.

[9] M. Foreman utilisait son compte de banque personnel pour Gemini Charters et pour ses dépenses quotidiennes courantes. Il s'est souvenu qu'il remettait un reçu à ses clients et qu'il en conservait une copie dans un livret de reçus. Il n'a pas remis de copie des reçus au vérificateur du ministère du Revenu qui a effectué une vérification dans le courant de l'année 1992 car, a-t-il dit, le livret de reçus avait été annexé à sa déclaration de revenus et il n'avait pas de doubles.

[10] L'avocat de l'intimée, Me O'Donnell, a examiné l'état des revenus et des dépenses annexés à la déclaration de revenus de M. Foreman pour l'année 1990. Le coût des ventes de Gemini Charter s'élevait à 3 205,31 $ et les bénéfices bruts, à 899,29 $. M. Foreman avait des frais de vente, des frais généraux ainsi que des frais d'administration de 30 753 $. Me O'Donnell a demandé à l’appelant d’où provenaient les fonds qu'il utilisait pour payer ses dépenses étant donné que le revenu tiré de son emploi et le montant retiré du REER en 1990 représentaient à peine 60 000 $. M. Foreman a répondu que la comptable avait “ déterminé ” les chiffres. Il n'était personnellement pas en mesure de répondre à la question. Il a déclaré qu'il n'était pas comptable et qu'il n'entendait rien à ces questions. Me O'Donnell lui a demandé quel genre de vêtement de travail il avait achetés et payés 489,75 $ en 1990. L'appelant n'a pas été capable de répondre à cette question. M. Foreman a également demandé la déduction de frais d'intérêt de 1 000 $, mais il ne se rappelait pas s’il avait un prêt commercial ou autre à rembourser en 1990.

[11] M. Foreman a également demandé la déduction de frais de publicité de 2 324 $. Il a déclaré qu'il avait tout au plus fait paraître des annonces dans une publication interne de la Police de la communauté urbaine de Toronto, intitulée News and Views, et distribué des feuillets dans les divers postes de police de la communauté urbaine de Toronto. Les publicités dans News and Views prenaient habituellement la forme d'encarts publicitaires d’un huitième de page qui précisaient le nom et le numéro de téléphone de M. Foreman, le nom de la prétendue entreprise et le type de bateau et de radio. Les feuillets étaient des copies d'un texte d'une page qui indiquait que Gemini Charters “ acceptait des réservations pour des expéditions de pêche, etc. ” et donnait le nom et le numéro de téléphone de M. Foreman. L’appelant n’a pu se rappeler combien il avait payé pour la publicité. Il a déclaré que les publicités insérées dans le journal interne paraissaient pendant trois mois; News and Views est une publication mensuelle. Il a également imprimé des cartes d'affaires pour Gemini Charters, lesquelles fournissaient des renseignements semblables à ceux donnés dans les encarts publicitaires. Lorsque Me O'Donnell lui a demandé d’expliquer pourquoi les frais de publicité représentaient plus de 50 p. 100 du revenu brut de Gemini Charters, M. Foreman a été incapable de fournir une réponse. Il a déclaré qu'il n'était pas comptable.

[12] M. Foreman a également demandé la déduction de l'amortissement d'un Chevy Blazer de l’année 1991, dont il a fait l'acquisition au cours de l'été 1990. Il a déclaré qu'il utilisait la voiture pour se rendre à son travail comme policier et pour en revenir, ainsi que pour se rendre à son bateau en sortant du travail. Il n'a pas tenu de registre des kilomètres parcourus et il ne pouvait dire “ approximativement ” dans quelle proportion il avait utilisé le Chevy Blazer aux fins de son entreprise, d’une part, et à des fins personnelles, d’autre part. Il a déclaré qu'il s'en remettait totalement à sa comptable pour établir ces pourcentages.

[13] Il semble que les relations entre M. Foreman et son représentant, d'une part, et les représentants de Revenu Canada, d'autre part, étaient loin d’être cordiales. Par conséquent, lorsque Revenu Canada a écrit à M. Foreman le 10 septembre 1992 pour lui demander de fournir dans les 10 jours suivants tous les renseignements supplémentaires dont il disposait concernant sa déclaration de revenus, la lettre est restée sans réponse. M. Foreman a déclaré qu'il ne faisait absolument pas confiance à Revenu Canada. Il a aussi affirmé qu'une grande partie des documents remis à Revenu Canada ne lui avaient pas été retournés, en dépit du contenu du reçu signé par Revenu Canada au moment de la saisie des documents et du reçu signé par M. Foreman lorsque les documents lui ont été retournés par Revenu Canada.

[14] M. Foreman a informé Me O'Donnell qu'il n'avait pas été surpris d'apprendre qu'il avait droit à un remboursement de 7 416 $ pour l'année 1990. Il a déclaré qu'il faisait aveuglément confiance à la comptable, Mme Job. M. Foreman estimait que si c'était le montant qu'il était censé recevoir selon les calculs de sa comptable, il y avait là matière à se réjouir. La tenue des livres et la préparation des déclarations de revenus étaient effectuées par une société dont Mme Job était la principale actionnaire. Bon nombre des collègues de M. Foreman faisaient appel à ses services et la lui avaient recommandée. Il n'a jamais interrogé Mme Job au sujet de ses antécédents ou des titres professionnels qu’elle aurait pu détenir.

[15] Dans le cadre de son témoignage, M. Foreman a indiqué qu'en 1990, il avait deux fils qui étaient sans travail et qui l'avaient aidé à exploiter Gemini Charters. L'un des fils était âgé de 20 ans et l'autre, de 25 ans. L’appelant prévoyait qu'avec leur aide il serait en mesure de mettre une entreprise sur pied et il projetait de faire l'acquisition d'un bateau plus grand doté d'installations sanitaires, par exemple.

[16] M. Foreman a indiqué qu'il ne savait pas à combien s’élevait la perte résultant de l’exploitation de Gemini Charters en 1991. Cette année-là, a-t-il déclaré, sa famille avait vécu des moments difficiles.

[17] M. Foreman a été incapable de produire quelque preuve que ce soit pour établir qu'il exploitait une entreprise en 1990. J'ai trouvé que son témoignage manquait de crédibilité. Pour accepter le témoignage de M. Foreman, il me faudrait conclure qu'il n'avait aucune idée de ce qu’étaient son revenu et ses dépenses en 1990. Je devrais accepter la preuve, par exemple, que le contribuable, un ancien policier ayant travaillé dans l'une des plus grandes villes du Canada, ne savait pas s'il avait des prêts en souffrance et n'était pas en mesure de m'informer du montant de ses frais de publicité en 1990. Il accordait crédit à tout ce que disait la comptable, même si c'était lui qui occasionnait et probablement payait les dépenses, dont les frais de publicité. Il s'en remettait à la comptable non seulement pour calculer ces dépenses, mais également pour en déterminer le montant. M. Foreman n'a pas été en mesure de me dire combien d'expéditions de pêche il avait organisées en 1990, ou encore dans quelle proportion le bateau avait été utilisé à des fins commerciales. Sa réponse était que la comptable avait “ déterminé ” les montants. L'attitude de M. Foreman était qu'un contribuable n'a pas besoin de se préoccuper de son revenu ou de ses dépenses, qu’il vaut mieux laisser cette tâche à un comptable.

[18] Un comptable ne “ détermine ” pas le montant des dépenses. Celles-ci sont généralement engagées avant que le comptable entre en scène. Le client du comptable fournit à ce dernier les reçus attestant de ses dépenses et de son revenu. On espère que le contribuable a consigné ses dépenses et ses revenus au cours de l'année et qu’ils sont étayés de reçus ou d'autres pièces justificatives. Le comptable dresse ensuite la liste des dépenses et des revenus du contribuable et prépare les états financiers requis. C'est le client, en l'espèce, l'appelant, qui possède l'information sur ses affaires. Le comptable n'en sait pas plus que ce que le client veut bien lui dire. Si le comptable prend des initiatives personnelles et que les montants établis diffèrent sensiblement des chiffres qui lui ont été fournis, le client devrait s'en rendre compte et apporter les correctifs nécessaires. Une personne qui, comme M. Foreman, se contente de remettre au comptable ses livres et ses registres, quels qu'ils soient, pour qu'il prépare sa déclaration de revenus et qui se soustrait par la suite à toute responsabilité eu égard à cette déclaration se trouve à rejeter négligemment du revers de la main les responsabilités ou les devoirs ou obligations que lui impose la Loi.

[19] M. Foreman a été heureux d'apprendre qu'il allait recevoir un remboursement d'impôt pour l'année 1990, et il n'a pas cherché à savoir comment le montant avait été calculé ou pour quelle raison il avait droit à ce remboursement. Mme Job, a-t-il affirmé, lui a expliqué les calculs effectués, mais il n'a rien compris à ses explications. Je ne peux accepter cette explication.

[20] La pénalité imposée à M. Foreman est fondée. Il a sciemment, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la Loi, fait un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenus pour l'année 1990, ou y a participé, consenti ou acquiescé, de sorte que le montant d'impôt payable indiqué dans sa déclaration de revenus était inférieur en réalité de 8 070,30 $ au montant qui aurait dû être calculé, et qui était payable le 1er mai 1991.

[21] Nous ne sommes pas en présence d'une affaire où une erreur est attribuable au seul comptable, comme dans l'affaire Udell v. M.N.R.[1]. Dans cette affaire, le contribuable a minutieusement tenu un livre de comptes, qu'il a remis au comptable chargé de préparer sa déclaration de revenus. Des registres complets et exacts ont été remis au comptable. Ce n'est assurément pas ce qui s’est produit en l'espèce. M. Foreman était partie à toute faute lourde commise par Mme Job. Il savait — ou il aurait dû savoir — que la déclaration de revenus contenait des erreurs. M. Foreman se souciait peu de savoir si les dispositions de la Loi étaient respectées, dans la mesure où il obtenait un remboursement[2].

[22] M. Foreman n'a soumis aucune preuve permettant d'établir que les dépenses dont il a demandé la déduction ont réellement été engagées par lui dans le cadre de l’exploitation d'une entreprise ou autrement. Mme Job a assisté à l'audition de l'appel. M. Foreman aurait pu l'appeler comme témoin pour expliquer comment elle avait établi sa déclaration de revenus et quels documents elle avait utilisés pour demander la déduction des dépenses. Il ne l'a pas fait, et je conclus qu'elle n'était pas en mesure de justifier les déductions demandées. En outre, si on fait abstraction de la question de la légitimité des dépenses, il n'existe aucun élément de preuve devant moi sur lequel je pourrais m'appuyer pour conclure raisonnablement que M. Foreman exploitait une entreprise légitime en 1990. Je ne sais pas combien d'expéditions de pêche il a organisées et de quelle manière il s'y prenait pour organiser ces expéditions, entre autres choses. Je dispose bien d'éléments de preuve concernant la publicité, mais cela ne suffit pas pour que je conclue que M. Foreman exploitait une entreprise.

[23] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de novembre 2000.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de mars 2001.

Isabelle Chénard, réviseure



[1]               (1969) 70 DTC 6019 (C. de l’É.)

[2]               Voir Venne c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-815-82, 9 avril 1984 (84 DTC 6247).

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