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Date : 19971215

Dossier : 96-2388-IT-I

ENTRE :

MARIA CROPPER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] L'appelante, Maria Cropper, interjette appel à l'encontre d'une cotisation d'impôt pour son année d'imposition 1993. Il s'agit en l'espèce de savoir si le matériel en cause est un bien admissible de petite entreprise au sens du paragraphe 127(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et donc un bien admissible au crédit d'impôt à l'investissement qui est prévu au paragraphe 127(5) de la Loi.

[2] L'appelante, qui habite à Naicam (Saskatchewan), est l'épouse d'Allan Cropper. M. et Mme Cropper détiennent 50 p. 100 chacun des actions de la Cropper Motors Inc., par l'intermédiaire de sociétés de portefeuille individuelles. La Cropper Motors Inc. exploite une entreprise consistant à vendre des voitures, du matériel agricole et des véhicules de plaisance. M. Cropper détient en outre à peu près toutes les actions de la T & A Farms Ltd. Cette compagnie oeuvrant dans le domaine de l'agriculture avait, en 1993, exploité environ 3 500 acres; elle était gérée par le frère de M. Cropper et l'est encore. M. Cropper communique avec son frère au moyen d’un radiorécepteur de bureau. La ferme et l'endroit où est exploitée l'entreprise de la Cropper Motors Inc. sont contigus.

[3] Une convention d’achat intitulée [TRADUCTION] « Contrat de vente de matériel agricole neuf » avait été signée entre la Cropper Motors Inc. et Allan et Maria Cropper le 31 décembre 1993, soit un contrat visant l'achat-vente de matériel divers, y compris une moissonneuse-batteuse TR96 New Holland 1993, une écimeuse New Holland 971 1993 et une ramasseuse-hacheuse 1993. Cet appel se rapporte précisément à la vente de ce matériel (que j'appellerai ci-après la « moissonneuse-batteuse » ), à un prix de 121 146 $.

[4] En vertu d'un document intitulé [TRADUCTION] « Contrat de location de matériel agricole neuf » , soit un contrat « prenant effet le 31 décembre 1993 » , M. et Mme Cropper avaient loué la moissonneuse-batteuse à la T & A Farms Ltd. Le contrat était signé par Allan et Maria Cropper, en leur qualité respective de bailleur, et par Allan Cropper, au nom de la T & A Farms Ltd. Le contrat prévoyait que la T & A Farms Ltd. paierait aux bailleurs un loyer d'un montant convenu par les parties, selon l'utilisation du matériel agricole fondée sur la juste valeur marchande, ainsi que des droits d’usage raisonnables, pour avoir le droit d'utiliser le matériel. (Le contrat ne prévoyait aucune formule ou autre méthode pour déterminer à quoi correspondaient l' « utilisation fondée sur la juste valeur marchande » et des droits d’usage « raisonnables » .) Le contrat prévoyait en outre que la T & A Farms Ltd. serait responsable des frais d'exploitation. Il prévoyait en outre ceci :

[TRADUCTION]

Le présent contrat de location peut être annulé n'importe quand sur consentement écrit du bailleur et du preneur.

Ce contrat de location était essentiel pour que l'appelante satisfasse aux exigences du paragraphe 127(9) de la Loi puisque, pour demander un crédit d'impôt à l'investissement, un contribuable doit avoir acquis le bien admissible de petite entreprise pour le louer à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance.

[5] D'après M. Cropper, la ferme avait besoin d'une nouvelle moissonneuse-batteuse, et l'opération était structurée de manière à obtenir le crédit d'impôt à l'investissement.

[6] M. Cropper a dit que, une fois la moissonneuse-batteuse louée à la T & A Farms Ltd., son frère et un ouvrier à la journée avaient « passé environ une semaine » à ajuster la moissonneuse-batteuse en vue d'y atteler une « écimeuse » . Il y avait eu « de nombreux tâtonnements » . M. Cropper entendait utiliser la moissonneuse-batteuse pour la récolte. Il a expliqué que la moissonneuse-batteuse avait été acquise à des fins d'exploitation agricole et que, la plupart du temps, on s'en était servi sur la ferme, où on l'avait apprêtée en vue de la récolte et à des fins expérimentales. M. Cropper estimait que la T & A Farms Ltd. avait passé neuf heures à faire divers ajustements et à vérifier si les ajustements étaient satisfaisants. Il se peut que le fabricant de la moissonneuse-batteuse, soit la compagnie Ford, ait testé la moissonneuse-batteuse pendant deux heures à son usine d'assemblage.

[7] Quatre fois au cours de juillet et août 1994, la Cropper Motors Inc. avait, sous la rubrique « Moissonneuses-batteuses d'occasion » , annoncé la vente d'une « ramasseuse-hacheuse TR96 1993 neuve » , et ce, dans un journal distribué dans l'Ouest du Canada, soit The Western Producer. M. Cropper a confirmé qu'il s'agissait de la moissonneuse-batteuse en cause dans l'affaire en l’instance. Il a témoigné ceci : [TRADUCTION] « Dans notre entreprise, tout ce que nous avons est à vendre. Si je donne une voiture à mon épouse une journée [... je] peux [la] vendre le lendemain » . Il a dit qu'il agit de même ou plutôt que la Cropper Motors Inc. agit de même dans le cas de matériel agricole. Il a déclaré qu'il pouvait « remplacer » une machine utilisée dans les champs de la ferme si un client de la Cropper Motors Inc. voulait l'acheter.

[8] En fait, le 25 août 1994, après que Kent et Barry Baxter, des agriculteurs locaux, avaient offert d'acheter la moissonneuse-batteuse, la Cropper Motors Inc. l’a rachetée à l'appelante et à son époux au prix de vente initial de 121 146 $. Le contrat de vente a été conclu entre la Cropper Motors Inc. et Allan Cropper seulement; le nom de l'appelante ne figure pas sur ce contrat (pièce A-5). Un chèque de 121 146 $ en date du « 8/26/94 » tiré sur le compte que la Cropper Motors Inc. avait à la Banque canadienne impériale de commerce est libellé à l'ordre d'Allan Cropper seulement (pièce R-3).

[9] Le 29 août 1994, la Cropper Motors Inc. avait vendu la moissonneuse-batteuse 130 000 $ à Kent et Barry Baxter. L'appelante a témoigné au procès que, indépendamment du fait que le contrat de vente entre la Cropper Motors Inc. et les Baxter se présentait sous la forme employée pour la vente de matériel agricole neuf, la moissonneuse-batteuse avait déjà été utilisée au moment de la vente et avait été vendue comme matériel d'occasion. M. Cropper a dit que la moissonneuse-batteuse avait été « utilisée pour adapter l'écimeuse » , bien que n'ayant pas servi à récolter des céréales. Les Baxter en avaient été avisés, a dit M. James Brady, soit la personne qui a vendu la moissonneuse-batteuse aux Baxter. M. Cropper a déclaré que la moissonneuse-batteuse était identifiée dans le contrat par un code renvoyant à des moissonneuses-batteuses d'occasion. De plus, le financement de l'achat était un financement à un taux d'intérêt pour du matériel d'occasion. Cet élément de preuve a été confirmé par M. James Brady, c'est-à-dire la personne ayant vendu la moissonneuse-batteuse aux Baxter.

[10] L'avocat de l'appelante a informé la Cour que les Baxter n'avaient pu comparaître parce que la tenue de l'audience correspondait à la période de grande activité qu'est la saison de la récolte. De plus, les Baxter vivaient à quelque 70 à 80 milles de Saskatoon, où se tenait l'audience. M. Brent Ball, soit un fonctionnaire de Revenu Canada, a témoigné que, au cours de son enquête, il s'était entretenu avec les Baxter, qui l'avaient informé que la moissonneuse-batteuse avait l'air neuve et qu'ils pensaient qu'ils achetaient une machine neuve. En fait, a-t-il dit, un des frères avait déclaré avoir vu la moissonneuse-batteuse pour la première fois à la Cropper Motors Inc.

[11] M. Brady, qui s'était rendu à la ferme des Baxter deux jours avant le procès, a produit un document en date du 24 septembre 1997, signé par les Baxter, qui dit entre autres :

[TRADUCTION]

Lorsque nous, Barry et Kent Baxter, de Codette (Saskatchewan), avons acheté une TR96 New Holland, no de série 554548, à la Cropper Motors Inc., de Naicam (Saskatchewan), soit le 29 août 1994, on nous a dit que cette machine avait été vendue à Allan et Mary Cropper le 31 décembre 1993 et que nous achèterions cette moissonneuse-batteuse en tant que machine d'occasion.

[...]

La moissonneuse-batteuse avait été utilisée pendant environ 11 heures lorsque nous en avons pris livraison.

[...]

[12] La thèse de l'appelante est que la question de savoir si la moissonneuse-batteuse a effectivement été utilisée ou non pour la récolte n'est pas pertinente. C'est plutôt l'intention de l'utiliser dans des activités agricoles qui importe aux fins de la Loi. De plus, les expériences faites avec la moissonneuse-batteuse correspondent à de l'exploitation agricole.

[13] L'intimée soutient que, si le matériel n'a pas été utilisé aux champs, on ne peut dire qu'il a été utilisé à des fins d'exploitation agricole.

Analyse

[14] Le paragraphe 127(5) de la Loi dispose qu'un contribuable peut déduire de son impôt payable par ailleurs un montant égal au total de ses crédits d'impôt à l'investissement. L'expression « crédit d'impôt à l'investissement » est définie au paragraphe 127(9) comme désignant un montant égal à :

a) l'ensemble des montants dont chacun représente le pourcentage déterminé :

(i) soit du coût en capital pour le contribuable d'un bien admissible, d'un bien admissible de petite entreprise, d'un bien certifié, d'un bien d'un ouvrage approuvé, de matériel de construction admissible ou de matériel de transport admissible, que le contribuable a acquis au cours de l'année,

(ii) [...]1

L'expression « bien admissible de petite entreprise » est, au paragraphe 127(9) de la Loi, définie comme suit pour l'année d'imposition 19932 :

« bien admissible de petite entreprise » Bien, acquis par un contribuable qui était un contribuable admissible au moment de l'acquisition du bien, qui constituerait, sans le paragraphe (11.2), l'un des biens suivants :

[...]

c) un bien admissible du contribuable, à supposer qu'il ne soit pas tenu compte des alinéas a) et d) de la définition de cette expression au présent paragraphe et que le passage « après le 23 juin 1975 » à l'alinéa b) de cette définition soit remplacé par le passage « après le 2 décembre 1992 et avant 1994 » ;

[...]

De plus, lorsque le contribuable acquiert le bien en vue de le louer à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance et que cette personne utilise le bien au Canada principalement pour les fins visées à l'une des définitions de « bien admissible » , « matériel de construction admissible » et « matériel de transport admissible » , le contribuable est réputé, pour l'application du présent paragraphe, avoir acquis le bien pour l'utiliser ainsi.

L'expression « bien admissible » est définie au paragraphe 127(9) de la Loi. Les passages pertinents de cette définition se lisent comme suit :

« bien admissible » Relativement à un contribuable, bien (à l'exclusion d'un bien d'un ouvrage approuvé et d'un bien certifié) qui est :

[...]

b) soit une machine ou du matériel visés par règlement et que le contribuable a acquis après le 23 juin 1975,

qui, avant l'acquisition, n'a été utilisé à aucune fin ni acquis pour être utilisé ou loué à quelque fin que ce soit, et :

c) soit qu'il compte utiliser au Canada principalement à l'une des fins suivantes :

[...]

(x) l'exploitation agricole ou la pêche,

[...]

[15] Il n'est pas nécessaire d'analyser d'une manière très détaillée la question de savoir si l'appelante satisfait à tous les critères pour être admissible au crédit d'impôt à l'investissement. À mon sens, il s'agit de savoir en l'espèce si la moissonneuse-batteuse a été utilisée par la T & A Farms Ltd. « principalement » à des fins d' « exploitation agricole » .

[16] Il y a en l'espèce un certain nombre de faits qui m'amènent à conclure que la moissonneuse-batteuse n'a pas été utilisée par l'appelante principalement à des fins d'exploitation agricole. M. Cropper traitait avec la Cropper Motors Inc. et avec la T & A Farms Ltd. et traitait tout bien qu’il possédait conjointement avec l'appelante de la manière dont il le souhaitait, sans aucune ingérence de la part d'un autre administrateur de l'une des deux sociétés ou de la part de l'appelante. M. Cropper pouvait faire en sorte que la vente de la moissonneuse-batteuse à lui et l'appelante soit annulée à n'importe quel moment où la Cropper Motors Inc. trouvait une personne intéressée à acheter la moissonneuse-batteuse. C'est ainsi qu'il fonctionnait. Tout ce que sa famille ou la T & A Farms Ltd. avait acquis de la Cropper Motors Inc. par prêt, bail ou vente pouvait toujours, de son point de vue, être vendu par la Cropper Motors Inc. à un tiers sans lien de dépendance. Aucune location ou vente à une personne avec lien de dépendance ne l'en empêchait. La rétrocession de la moissonneuse-batteuse, de M. Cropper ou l'appelante à la Cropper Motors Inc., n'était pas quelque chose d'inusité. En fait, la Cropper Motors Inc. annonçait que la moissonneuse-batteuse à vendre était une machine « neuve » à l'époque où la moissonneuse-batteuse était louée à la T & A Farms Ltd. par M. et Mme Cropper.

[17] Il se peut bien que la T & A Farms Ltd. ait acquis la moissonneuse-batteuse à des fins d'exploitation agricole. Il se peut bien que le travail exécuté pour que la moissonneuse-batteuse soit adaptée à l'écimeuse soit du travail assimilable à de l'exploitation agricole. Toutefois, durant toute la période pertinente, l'appelante, la T & A Farms Ltd., M. Cropper et la Cropper Motors Inc. savaient tous que, si un client éventuel de la Cropper Motors Inc. désirait acheter la moissonneuse-batteuse, celle-ci serait retirée de la ferme et mise à la disposition de la Cropper Motors Inc. en vue d'être vendue et livrée au client. On ne pouvait donc dire que la moissonneuse-batteuse avait été utilisée par la T & A Farms Ltd. principalement à des fins d'exploitation agricole. Les administrateurs de la T & A Farms Ltd. savaient que, lorsque la société louait la moissonneuse-batteuse, le contrat de location pouvait être annulé n'importe quand, de sorte que la machine soit rendue à la Cropper Motors Inc., et ils savaient que la machine pouvait ne jamais être utilisée à des fins d'exploitation agricole par la T & A Farms Ltd. La T & A Farms Ltd. n'avait pas « priorité » à l'égard de la moissonneuse-batteuse; l'utilisation de celle-ci par la T & A Farms Ltd. était assujettie aux caprices de M. Cropper. La T & A Farms Ltd. n'a pas utilisé le bien principalement à des fins d'exploitation agricole. Si elle a utilisé la moissonneuse-batteuse, elle l'a utilisée principalement à des fins autres que l'exploitation agricole.

[18] En conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de décembre 1997.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour d’avril 1998.

Benoît Charron, réviseur



1            Cette partie de la définition de « crédit d'impôt à l'investissement » a été modifiée par L.C. 1996, ch. 21, par. 30(12), applicable aux années d'imposition commençant après 1995.

2            La définition de « bien admissible de petite entreprise » a été ajoutée par L.C. 1994, ch. 8, par. 15(9), applicable aux biens acquis après le 2 décembre 1992. Elle a par la suite été abrogée par L.C. 1996, ch. 21, par. 30(9), applicable aux années d'imposition commençant après 1995.

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