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Date : 20000414

Dossier : 98-584-UI

ENTRE :

CLAUDETTE LORANGER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel d'une détermination en date du 18 février 1998 en vertu de la décision, concernant le travail exécuté par l'appelante pour les périodes du 1er janvier au 5 mai 1995, du 8 janvier au 12 juillet 1996 et du 6 janvier au 26 septembre 1997 pour le compte et bénéfice de la compagnie Ébénisterie Loranger Inc., a été exclue des emplois assurables à cause du lien de dépendance qui existait à cette période entre l'appelante et le payeur.

[2]            Pour soutenir la détermination, l'intimé a pris pour acquis les présomptions de faits suivants :

a)              le payeur, constitué le 20 janvier 1992, exploite une entreprise spécialisée dans la fabrication d'armoires de cuisine, de meubles faits sur mesure et de comptoirs pour la maison;

b)             Pierre Loranger, époux de l'appelante, détient 65% des actions du payeur et l'appelante détient l'autre 35%;

c)              l'appelante a cautionné par un placement de 14 000 $, un emprunt de 20 000 $ contracté par le payeur pour l'achat d'un camion;

d)             le payeur a une marge de crédit de 20 000 $ cautionnée par les 2 actionnaires au prorata de leur pourcentage d'actions du payeur;

e)              jusqu'en juin 1997, la résidence du couple était située à côté de l'immeuble abritant l'atelier et le bureau du payeur;

f)              les décisions administratives du payeur sont prises conjointement par l'appelante et son époux;

g)             l'appelante avait des tâches au bureau et des tâches à l'atelier;

h)             au bureau, l'appelante s'occupait des achats de matériaux, de préparer une partie des soumissions, d'émettre les factures, de préparer et signer les chèques, de préparer et signer les chèques de paye, d'effectuer la tenue des livres comptables et de répondre au téléphone

i)               à l'atelier, l'appelante assistait les ouvriers en faisant du sablage, du collage, du perçage, et en effectuant l'entretien et le nettoyage de l'atelier et des meubles;

j)               elle recevait un salaire fixe hebdomadaire de 400 $, basé sur 40 heures de travail;

k)              l'appelante travaillait souvent plus de 40 heures parce que plusieurs clients venaient les rencontrer les soirs et les fins de semaine;

l)               elle effectuait du temps supplémentaire non rémunéré;

m)             lorsqu'elle recevait des prestations d'assurance-emploi, l'appelante continuait d'effectuer ses tâches de bureau sans rémunération;

n)             les périodes prétendues de travail de l'appelante ne coïncident pas toujours avec les périodes d'activités de l'entreprise;

o)             en 1998, le salaire horaire de l'appelante a été réduit de 10,00 $ à 8,00 $ parce que, selon l'appelante, le payeur a des difficultés financières, tandis que selon Pierre Loranger, c'est parce qu'il voulait augmenter son propre salaire.

[3]            Seule l'appelante a témoigné au soutien de son appel. Son témoignage a essentiellement repris des faits qui furent pris en considération lors de la détermination.

[4]            Certes, elle a nuancé ou complété par des détails additionnels certains faits mais de façon générale aucun fait nouveau n'a été apporté en preuve.

[5]            L'appelante a témoigné d'une manière très franche et honnête. L'intimé a peut-être exprimé certains faits d'une manière imprécise ou incomplète mais tous les éléments fondamentaux ont été correctement évalués et la détermination a résulté d'une analyse où aucun des faits pertinents n'a été écartés.

[6]            Pour le compte et bénéfice de la compagnie, l'appelante exécutait deux différentes fonctions.

[7]            Dans un premier temps, elle exécutait un travail d'ouvrière. À l'usine, elle effectuait plusieurs tâches dont notamment le sablage des meubles, la préparation de la colle, le collage et du perçage; elle effectuait aussi l'entretien et le nettoyage de l'atelier et des meubles. Elle arrivait tôt le matin pour mettre en marche les différents équipements requis pour la fabrication des armoires et certains meubles sur commande. Pour ce travail, elle recevait un salaire fixe de 400 $ basé sur 40 heures de travail.

[8]            Dans un deuxième temps, l'appelante exécutait un tout autre travail, tout aussi important pour la bonne marge de l'entreprise. En effet, elle s'occupait de toute l'administration.

[9]            Elle s'occupait des achats de matériaux, de préparer une partie des soumissions, d'émettre les factures, de préparer et signer les chèques de paye, d'effectuer la tenue des livres de comptabilité et de répondre au téléphone, de faire les remises. L'appelante rencontrait également un ou deux clients par soir, et de façon générale trois clients le samedi.

[10]          Selon son évaluation, la rencontre avec les clients potentiels requérait entre une heure et une heure et demie par client. Pour le deuxième volet de son travail clérical, administratif et de vendeuse, elle ne recevait aucune rémunération et exécutait bénévolement ce travail, selon son témoignage, pour aider son conjoint

[11]          L'évaluation de l'intimé, à savoir que l'appelante consacrait autant de temps et d'énergie à l'un ou l'autre de ces volets, a irrité le procureur de l'appelante. En effet, ce dernier a soutenu que l'appréciation de l'intimé aurait signifié que l'appelante travaillait en moyenne 80 heures par semaine ce qui, selon lui, était démesuré, surhumain et impossible.

[12]          Cette interprétation de l'intimé n'est cependant pas tombée du ciel, elle a été extraite d'une déclaration de l'appelante, en date du 15 janvier 1998. L'appelante a signé, le 15 du même mois, la dite déclaration précédée de la mention, « j'ai lu la déclaration et je suis d'accord avec la mention et j'en reçois une copie » :

                (pièce I-1)

RAPPORT D'ENTREVUE

Nom de l'interviewer                             BPC-DPP                CEC         SIN-NAS

Diane Deslauriers                  1058                        2438         214 562 548

Adresse de l'entrevue

55 rue des Forges

T-Rivières, Qué G9A 6A8

Date: 15 JANVIER 1998        Identification: Claudette Loranger

RENSEIGNEMENTS PERTINENTS :

Identifiée à l'aide de sa carte maladie MARC 4753 0315.

La prestataire travaille avec son conjoint Pierre Loranger dans une entreprise d'ébénisterie "Ébénisterie Loranger inc.". L'entreprise est située à l'arrière de la résidence et le téléphone est le même pour le commerce et la maison.

L'entreprise existe depuis 1974 elle était enregistrée au début et depuis environ 1991 elle est incorporée. Elle possède 35% des parts et son conjoint 65%. Au début elle ne recevait aucun salaire pour son travail mais depuis environ 1977 elle est sur la paie.

Elle s'occupe de la paie il y a 3 employés engagés pour l'usine, elle répond au téléphone, travail de bureau, elle n'est pas familière avec l'ordinateur alors elle fait toute la tenue de livre manuellement dans le grand livre et le comptable s'occupe des remises à la fin du mois. Elle calcule le taux des soumissions avec des barèmes de taux qu'ils possèdent, elle s'occupe de l'entretien de l'usine et du bureau, elle travaille aussi dans l'usine, le sablage, coller les bandes et/ou le bois, scie à découper, elle ne touche pas au gros outils.

Elle déclare que 50% de son temps est à l'usine et l'autre 50% est du travail de bureau.

Elle peut travailler de 07:30 à 18:00 et à l'occasion le soir, elle ne compte pas son temps, elle est payé 40 heures par semaine par chèque de 400 $.

Lorsqu'elle travaille dans l'usine elle reçoit une paie pour son emploi mais lorsqu'elle travaille que pour du travail de bureau elle ne prend pas de paie la raison est que l'entreprise n'est pas suffisamment rentable pour lui payer un salaire.

Elle ne désire pas se chercher du travail pour le temps ou l'entreprise est en activité car elle est appelée à travailler à n'importe quel moment. Elle sait qu'elle ne peut se chercher du travail dans son domaine car elle vient en concurrence avec les autres entreprises du même genre. Elle possède de l'expérience dans l'entretien ménager ce qu'elle faisait avant de travailler avec son conjoint.

...

J'ai lu la présente déclaration, je suis d'accord avec le contenu et j'en reçois une copie.

Signature: Claudette Loranger     Date: 15-01-98

                                                                                (Je souligne.)

[13]          À la lumière de la preuve, il ressort à mon humble point de vue que l'intimé a correctement exercé sa discrétion. Le seul reproche qui puisse être fait à l'intimé se situe au niveau des allégués suivants :

...

c)              l'appelante a cautionné par un placement de 14 000 $, un emprunt de 20 000 $ contracté par le payeur pour l'achat d'un camion;

d)             le payeur a une marge de crédit de 20 000 $ cautionnée par les 2 actionnaires au prorata de leur pourcentage d'actions du payeur;

...

f)              les décisions administratives du payeur sont prises conjointement par l'appelante et son époux;

...

[14]          Ce grief ne m'apparaît pas fondamental, ni déterminant au niveau des composantes qui ont guidé le cheminement ayant conduit à la détermination. Je en effet, suis d'avis que le fait que l'appelante ait été associée au financement de l'entreprise était sans effet et ne devait pas être considéré, puisqu'il était normal et usuel qu'en qualité d'actionnaire elle soit mise à contribution pour le financement de l'entreprise familiale.

[15]          Il est tout aussi normal et raisonnable qu'une actionnaire collabore et participe aux décisions ayant trait aux affaires de la compagnie dans laquelle elle a des intérêts.

[16]          À cet égard, l'appelante avait un chapeau distinct, soit celui d'actionnaire; ce statut ou cette qualité d'actionnaire pouvait justifier ou expliquer l'exécution de certaines tâches, dont le but était la saine gestion et le développement harmonieux de la compagnie. Elle pouvait exécuter un certain travail à titre gratuit sans pour autant affecter son statut de salarié ou d'employé de la compagnie.

[17]          Telles tâches ou telles implications se devaient cependant de ne pas l'accaparer au point de constituer en soi une véritable charge de travail. D'autre part, il est tout aussi normal qu'un conjoint ou une conjointe collabore et soutienne son partenaire financier, surtout si celui-ci dirige une petite entreprise familiale.

[18]          En l'espèce, il s'agissait beaucoup plus que cela. Le travail non rémunéré exécuté par l'appelante était une véritable tâche de travail. En outre, le travail non énuméré de l'appelante était le pain et le beurre de l'entreprise; en effet, il s'agissait de tâches absolument fondamentales pour le quotidien de l'entreprise. En d'autres termes, l'entreprise n'aurait pas pu opérer n'eut été du travail non rémunéré exécuté par l'appelante.

[19]          L'accueil et la vente auprès des clients étaient une composante essentielle pour le fonctionnement de l'entreprise. Il en était ainsi au niveau de tout le travail relié à l'administration qui débordait très largement le seuil d'une collaboration minimale qui aurait pu s'expliquer du fait que l'appelante était actionnaire et conjointe.

[20]          L'appelante était celle qui s'occupait de la comptabilité au niveau des payes, des remises, du paiement des comptes et des commandes, etc. J'ai, de plus, compris de son témoignage qu'il s'agissait d'un travail qui avait aussi la priorité sur son travail d'ouvrière. Elle a effectivement affirmé qu'elle avait dû s'absenter à l'occasion pour exécuter son travail dit administratif.

[21]          Cette explication nuance et replace dans une juste perspective la propre évaluation de l'appelante à l'effet qu'elle consacrait 50 p.100 de son temps à titre d'ouvrière et 50 p. 100 pour son autre fonction administrative et vendeuse, puisque j'ai cru comprendre que l'appelante consacrait peut-être une trentaine d'heures comme ouvrière pour la compagnie et autant pour la vente et l'administration.

[22]          Au cours des périodes en litige, l'appelante a exécuté un travail très important qui demandait en général plus de soixante heures de travail par semaine. Ce travail divisé en deux volets distincts était requis, nécessaire et essentiel à la bonne marche de l'entreprise.

[23]          Or, pour l'un des volets, elle recevait une rémunération, et pour l'autre elle ne touchait aucun salaire. Le volet pour lequel elle ne recevait pas de rémunération était tout aussi, sinon plus important que celui pour lequel elle avait un salaire.

[24]          D'ailleurs, le travail non rémunéré était exécuté à l'année longue alors que celui rémunéré était requis pour une certaine période de l'année seulement. Le tout, tel qu'il appert aux relevés d'emploi descriptifs des périodes en litige.

[25]          Un dernier point très important qui pourrait justifier à lui seul le bien-fondé et la justesse de l'analyse de l'intimé, est l'allégué suivant :

o)             en 1998, le salaire horaire de l'appelante a été réduit de 10,00 $ à 8,00 $ parce que, selon l'appelante, le payeur a des difficultés financières, tandis que selon Pierre Loranger, c'est parce qu'il voulait augmenter son propre salaire.

[26]          Sur cette question, l'appelante a expliqué que le changement était survenu lorsque son conjoint a voulu s'acheter un véhicule. Pour en faire l'acquisition, il devait obtenir un prêt auprès d'une institution financière. Pour obtenir le crédit nécessaire, il était important de soumettre un dossier où ses revenus étaient plus élevés. L'appelante et son conjoint ont donc décidé de hausser les revenus de l'un au détriment de l'autre.

[27]          Concrètement, l'appelante a alors accepté que son salaire soit réduit de 20 p. 100 pour permettre à son conjoint d'obtenir un emprunt.

[28]          La preuve a démontré d'une manière non équivoque que l'appelante avait été une généreuse collaboratrice qui s'était investie à fond dans l'entreprise dont elle partageait la propriété avec son conjoint. Pour cette substantielle implication, elle touchait un salaire raisonnable pour une petite partie du temps consacré et ce, pour une partie seulement de l'année. Bien plus, elle a d'emblée accepté une importante réduction de salaire pour permettre à son conjoint de bonifier son dossier de crédit.

[29]          Une personne qui n'aurait pas été liée, aurait-elle accepté de faire autant pour si peu ? Une personne sans lien de dépendance aurait-elle pu être aussi empressée, généreuse et collaboratrice ?

[30]          Il n'y a aucun doute qu'aucun tiers n'aurait accepté de s'investir autant dans cette entreprise avec laquelle il n'aurait pas eu de lien. Dans les faits, les prestations d'assurance-emploi servaient à payer les services essentiels d'une personne indispensable à la bonne marche de l'entreprise. En d'autres termes, l'appelante travaillait à l'année longue et ne perdait pas son emploi, elle ne faisait que réduire de façon ponctuelle ses prestations de travail au niveau d'une partie de son travail.

[31]          Dans les circonstances, l'intimé a judicieusement exercé sa discrétion. De plus, il n'y a aucun doute que si la qualité de l'exercice discrétionnaire avait été repréhensible, le Tribunal aurait été dans l'obligation de rejeter l'appel après une nouvelle analyse. L'intimé n'a pas fait d'erreur significative et la détermination a résulté d'une appréciation raisonnable et appropriée.

[32]          Pour ces motifs, l'appel doit être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'avril 2000.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        98-584(UI)

INTITULÉE DE LA CAUSE :              CLAUDETTE LORANGER et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Trois-Rivières (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 17 mars 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 14 avril 2000

COMPARUTIONS :

Avocat pour l'appelante :                    Me Bernard Vézina

Avocat pour l'intimé :                          Me Alain Gareau

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                                Nom :                       Me Bernard Vézina

                                Étude :                     Lacoursière Lebrun Vézina

                                                                               

Pour l'intimé :                                         Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

98-584(UI)

ENTRE :

CLAUDETTE LORANGER

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 17 mars 2000 à Trois-Rivières (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Avocat de l'appelante :               Me Bernard Vézina

Avocat de l'intimé :                    Me Alain Gareau

JUGEMENT

L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'avril 2000.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


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