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Date: 19991025

Dossier: 98-2517-IT-I

ENTRE :

SYLVIE LAVOIE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Montréal (Québec) le 9 septembre 1999)

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] L'appelante conteste des déterminations de prestations fiscales pour enfants dont les avis sont en date du 20 août 1997 et du 20 mars 1998, par lesquelles le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a révisé à néant ses prestations fiscales à l'égard des années de base 1994, 1995 et 1996.

[2] Le motif invoqué par le Ministre est que l'appelante vivait en union conjugale avec monsieur Vincent Ross au cours de ces années et que le revenu familial de l'appelante et de monsieur Ross ainsi considéré son conjoint était trop élevé pour donner droit à de telles prestations.

[3] L'appelante prétend qu'elle-même et monsieur Ross ne vivaient pas en union conjugale au cours de ces années. Il s'agit du seul point en litige.

[4] Pour refuser les prestations fiscales à l'appelante, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel et qui sont les suivants :

a) l'appelante s'est inscrite comme une conjointe de fait dans ses déclarations de revenus pour les années en litige;

b) monsieur Vincent Ross a indiqué dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, être le conjoint de fait de madame Sylvie Lavoie;

c) l'appelante et monsieur Vincent Ross sont copropriétaires de la résidence sise au 291, rue Beaumont Est à Saint-Bruno;

d) pendant les années en litige, l'appelante, ses deux enfants, et monsieur Vincent Ross habitaient sous le même toit;

e) l'appelante et monsieur Vincent Ross avaient tous les deux le même comptable;

f) l'appelante et monsieur Vincent Ross ont investi dans la même société de recherche de développement;

g) le ministre considère que l'appelante vivait en union conjugale avec monsieur Vincent Ross pendant les années en litige;

h) pendant les années d'imposition en litige, le revenu net de l'appelante et de monsieur Vincent Ross (revenu familial) s'établissait ainsi:

1994 1995 1996

appelante 56 432 51 403 58 921

monsieur Vincent Ross 40 459 51 800 54 002

96 891 $ 103 203 $ 112 923 $

i) le ministre a révisé à néant les prestations fiscales pour enfants de l'appelante à l'égard des années de base 1994, 195 et 1996, parce que le revenu familial était trop élevé.

[5] L'appelante ne conteste pas les alinéas a) à f) ci-dessus mais désire fournir des explications concernant la situation véritable. Elle estime que l'alinéa g) n'est que l'expression d'une opinion. Elle admet la véracité des faits énoncés aux alinéas h) et i).

[6] L'appelante a été la seule personne à témoigner pour elle-même. Madame Sylvie Gratton, agent des appels à Revenu Canada, a témoigné pour l'intimée.

[7] L'appelante a d'abord expliqué que dans le cadre de la médiation suite à sa séparation de son conjoint, en 1988, d'alors on lui aurait conseillé de communiquer avec ce dernier pour l'information concernant certains placements pour réduire ses impôts. Son conjoint lui aurait alors conseiller d'entrer en contact avec un certain Pierre Quintal, comptable et fiscaliste. Ce monsieur Quintal se serait alors occupé de faire invertir l'appelante dans des projets de recherches et développement et se serait également chargé de préparer ses déclarations de revenu. L'appelante aurait elle-même référé monsieur Ross, un collègue de travail, à monsieur Quintal. Monsieur Ross aurait aussi fait des investissements similaires à ceux de l'appelante et ses déclarations de revenu auraient aussi été préparées par monsieur Quintal. Selon l'appelante, c'est ce dernier qui en 1993 aurait indiqué tant à l'appelante qu'à monsieur Ross qu'ils devaient déclarer qu'ils étaient conjoints de fait puisqu'ils habitaient la même adresse. La même information aurait été donnée par la suite d'année en année sur les déclarations de revenu et ce jusqu'en 1997 ou 1998 alors que l'appelante s'est adressée à une Association de contribuables et plus particulièrement à la comptable de l'Association, madame Mainville afin notamment de régulariser la situation concernant son statut. Les raisons véritables de ce conseil qu'aurait donné monsieur Quintal sont demeurées obscures quant à des problèmes potentiels avec le fisc à défaut de décrire leur statut comme étant celui de conjoints de fait mais l'appelante dit lui avoir fait confiance. Monsieur Quintal serait mystérieusement disparu de la circulation vers 1997 ou 1998.

[8] L'appelante a ensuite expliqué que monsieur Ross a emménagé chez elle à titre de pensionnaire en décembre 1992, qu'il lui payait une pension de 125 $ par semaine pour couvrir le logement, la nourriture, la lessive de ses effets personnels, l'électricité, etc. ainsi que le transport occasionnel au travail puisqu'ils étaient collègues de travail. Les raisons invoquées par l'appelante pour prendre monsieur Ross comme pensionnaire sont qu'elle vivait seule avec ses deux enfants et qu'elle avait été victime d'un vol en 1992. Selon elle, l'arrangement était de nature à la sécuriser et lui apportait, dit-elle, une aide financière.

[9] L'appelante affirme que monsieur Ross occupait deux pièces au sous-sol de sa maison qui comptait onze pièces. Il avait sa propre chambre et un bureau. La fille de l'appelante occupait également une chambre au sous-sol alors qu'elle-même et son fils couchait à l'étage supérieur. La résidence est une maison unifamiliale ne comptant qu'une seule entrée principale.

[10] Comme je viens de le signaler, l'appelante s'occupait de la préparation des repas et de la lessive et généralement de tout ce qui touchait l'entretien de la maison. Je comprends, de son témoignage, que les repas étaient généralement pris dans la cuisine avec les enfants et monsieur Ross.

[11] L'appelante affirme s'entendre très bien avec monsieur Ross qu'elle dit intelligent, instruit et qui a un beau discours. Elle admet avoir eu des relations sexuelles avec lui à deux ou trois reprises seulement au cours des années en litige. Elle affirme en avoir également eu avec d'autres personnes à l'occasion. Quant à ses relations avec monsieur Ross, elle dit avoir fait attention par rapport aux enfants et elle dit ne leur avoir jamais présenté monsieur Ross comme son conjoint ou comme son compagnon de vie. Elle admet aussi avoir fait des sorties avec monsieur Ross à l'occasion, comme aller au cinéma par exemple, mais avoir eu des sorties avec d'autres personnes. Elle affirme aussi lui avoir fait des cadeaux à l'occasion.

[12] Quant aux enfants, l'appelante affirme que monsieur Ross ne s'en occupait pas et qu'elle voyait seule à le faire tout comme elle le faisait de la maison. À cet égard, l'appelante affirme que monsieur Ross avait sa vie et ses enfants la leur et que ces derniers pouvaient vivre sans aucune difficulté dans cette situation.

[13] Toujours selon l'appelante, en 1995 les rapports entre elle et monsieur Ross ont en quelque sorte été modifiés. En effet, dans le cadre de ses procédures de divorce, toujours en suspens, l'appelante se serait vue confrontée par un juge à la décision de vendre la résidence ou de racheter la demie indivise de son conjoint dans un délai d'un mois.

[14] Afin de conserver la résidence, compte tenu de l'âge des enfants, l'appelante aurait alors décidé avec monsieur Ross d'emprunter dans le but de racheter cette demie indivise chacun pour moitié. L'appelante qui possédait déjà une demie indivise de la résidence est ainsi devenue propriétaire des ¾ indivis et monsieur Ross du quart indivis de la résidence. À compter de ce moment, l'appelante affirme que chacun s'occupait de ses affaires (notamment en ce qui concerne la lessive). Toutefois, l'appelante et monsieur Ross auraient à compter de ce moment ouvert un compte « commun » à la banque selon l'expression utilisée par l'appelante elle-même. Ce compte aurait servi à faire les paiements hypothécaires, à payer les assurances ainsi que d'autres dépenses. L'appelante signale toutefois qu'elle contribuait plus pour la nourriture à cause des enfants.

[15] L'appelante a aussi dit que sa décision d'acheter la part de son ex-conjoint avec monsieur Ross avait été influencée par le fait que chacun, elle-même, monsieur Ross et les enfants avaient leurs propres espaces dans la résidence, espaces qui étaient respectés par les autres depuis près de 2½ ans, soit depuis que monsieur Ross avait emménagé dans la résidence. Elle n'a pas fait spécifiquement état des espaces partagés bien qu'elle ait indiqué que la télévision qui était au sous-sol et non au salon était surtout pour monsieur Ross et les enfants. Elle a toutefois ajouté que dans les faits, chacun des enfants avait sa propre télévision dans sa chambre.

[16] Madame Sylvie Gratton a témoigné pour l'intimée. Essentiellement, elle dit avoir tenté de s'informer concernant les rapports réels qu'entretenait l'appelante avec monsieur Ross en téléphonant à l'ex-conjoint de l'appelante. Elle n'aurait en fait parlé au téléphone qu'avec la nouvelle conjointe de l'ex-conjoint de l'appelante et celle-ci lui aurait affirmé que, quant à elle, l'appelante et monsieur Ross étaient conjoints. L'ex-conjoint de l'appelante, présent par la suite lors de cette conversation, se serait refusé pour sa part à lui parler afin de demeurer neutre à cet égard.

[17] Sans élaborer, je ne crois pas devoir tenir compte de ce témoignage d'une conversation rapportée qui exprime une opinion qui n'est appuyée sur aucun fait pertinent.

[18] Je signale que cette personne à qui madame Gratton a parlé n'a pas été appelée à témoigner par l'intimée, pas plus d'ailleurs que monsieur Ross ou les enfants de l'appelante ne l'ont été par celle-ci.

[19] Le paragraphe 252(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) précise ce qu'on doit entendre par le terme conjoint. La partie pertinente de ce paragraphe se lit ainsi à l'alinéa a) :

a) les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne de sexe opposé qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois se terminant avant ce moment ...

[20] Comme telle, la Loi ne précise pas ce qu'on doit entendre par le terme union conjugale. On sait toutefois qu'il est également utilisé dans d'autres contextes et qu'il a fait l'objet d'analyses tant en jurisprudence que par des auteurs, notamment en matière de droit familial. À cet égard, je me rapporte à une décision de ma collègue le juge Lamarre Proulx dans l'affaire Sylvie Milot (décision non rapportée rendue le 10 mai 1995, dossier 94-2925(IT)I), décision à laquelle s'est référé l'avocat de l'intimée et qui fait en quelque sorte le point sur la question. Aux pages 4, 5 et 6 de la décision, le juge Lamarre Proulx, après avait cité la définition du paragraphe 252(4), s'exprime dans les termes suivants :

Cette définition nous amène à considérer la notion d'union conjugale. Quand deux personnes peuvent-elles être considérées comme vivant en union conjugale? Cette notion a été souvent étudiée pour les fins de différentes lois statutaires. Au Québec, par exemple, cette notion a été étudiée pour l'application, notamment, de la Loi sur l'assurance automobile, L.R.Q.C. a-25, art. 2, al. 2, et de la Loi sur le régime de rentes du Québec, L.R.Q., c. R-9, art. 91. Voir Les personnes et les familles, Knoppers, Bernard et Shelton, Tome 2, Les éditions Adage, dont le premier chapitre est intitulé « Les familles de fait » . On y lit que la cohabitation est fondamentale à l'union de fait ainsi que le comportement conjugal. Ce comportement se constate par les relations sexuelles, l'échange affectif et intellectuel, le soutien financier et la notoriété.

Les auteurs ontariens Payne et Payne dans leur livre Introduction to Canadian Family Law, Carswell, 1994, se sont référés au jugement du juge Kurisko dans Molodowich v. Penttinen 17 R.F.L. (3d) 376. je cite ces auteurs aux pages 38 et 39 parce qu'il me semble qu'il s'agit d'une excellente synthèse des éléments qui doivent s'appliquer pour déterminer si deux personnes vivent en union conjugale :

[TRADUCTION]

Ce ne sont pas toutes les situations dans lesquelles un homme et une femme vivent ensemble et ont des rapports sexuels qui feront naître, aux termes de la loi, des droits et des obligations alimentaires.28 Comme l'a fait remarquer le juge Morrison de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse :

Not all arrangements whereby a man and a woman live together and en­gage in sexual activity will suffice to trigger statutory support rights and obligations.28 As was observed by Morrison J.A., of the Nova Scotia Court of Appeal :

Je crois qu'il est exact de dire que, pour qu'il y ait union de fait, il doit exister des relations stables qui comportent non seulement des rapports sexuels, mais aussi l'engagement des intéressés l'un envers l'autre. Il faudrait normalement qu'ils vi­vent sous le même toit, qu'ils se partagent les tâches et les res­ponsabilités du ménage et qu'ils se soutiennent financièrement.29

I think it would be fair to say that to establish a common law relationship there must be some sort of stable relationship which involves not only sexual activity but a commitment between the parties. It would normally ne­cessitate living under the same roof with shared household du­ties and responsibilities as well as financial support.29

On trouve dans un jugement de la Cour de district de l'Ontario30 un énoncé plus précis de ce qui consti­tue de la cohabitation ou des rela­tions conjugales ou assimilables au mariage. Le juge Kurisko de la Cour de district y dresse en effet la liste suivante des points pertinents :

More specific judicial guidance as to what constitutes cohabitation or a conjugal or marriage-like relation­ship is found in a judgment of the Ontario30 District Court, wherein Kurisko D.C.J. identified the fol­lowing issues as relevant:

1. Logement

a) Les intéressés vivaient-ils sous le même toit?

b) Couchaient-ils dans le même lit?

c) Y avait-il quelqu'un d'autre qui habitait chez eux?

1. Shelter

(a) Did the parties live under the same roof?

(b) What were the sleeping arrangements?

(c) Did anyone else occupy or share the available ac­commodation?

2. Comportement sexuel et personnel

a) Les intéressés avaient-ils des rapports sexuels? Si non, pourquoi?

b) Étaient-ils fidèles l'un à l'autre?

c) Quels étaient leurs sen­timents l'un pour l'au­tre?

d) Existait-il une bonne communication entre eux sur le plan person­nel?

e) Prenaient-ils leurs repas ensemble?

f) Que faisaient-ils pour s'entraider face aux problèmes ou à la mala­die?

g) S'offraient-ils des ca­deaux à des occasions spéciales?

2. Sexual and Personal Behav­iour:

(a) Did the parties have sex­ual relations? If not, why not?

(b) Did they maintain an at­titude of fidelity to each other?

(c) What were their feelings toward each other?

(d) Did they communicate on a personal level?

(e) Did they eat their meals together?

(f) What, if anything, did they do to assist each other with problems or during illness?

(g) Did they buy gifts for each other on special oc­casions?

3. Services

Comment les intéressés agis­saient-ils habituellement en ce qui concerne :

a) la préparation des repas;

b) le lavage et le raccom­modage des vêtements;

c) les courses;

d) l'entretien du foyer;

e) les autres services mé­nagers?

3. Services:

What was the conduct and habit of the parties in relation to:

(a) preparation of meals;

(b) washing and mending clothes;

(c) shopping;

(d) household maintenance; and

(e) any other domestic serv­ices?

4. Relations sociales

a) Les intéressés partici­paient-ils ensemble ou séparément aux activités du quartier et de la col­lectivité?

b) Quelle était la nature des rapports de chacun d'eux avec les membres de la famille de l'autre et comment agissaient-ils envers ces derniers, et inversement, quel était le comportement de ces familles envers les intéressés?

4. Social:

(a) Did they participate to­gether or separately in neighbourhood and com­munity activities?

(b) What was the relationship and conduct of each of them toward members of their respective families and how did such families behave towards the par­ties?

5. Attitude de la société

Quelle attitude et quel com­portement la collectivité avait-elle envers les intéres­sés, considérés individuel­lement et en tant que cou­ple?

5. Societal:

What was the attitude and conduct of the community to­ward each of them and as a couple?

6. Soutien (économique)

a) Quelles dispositions fi­nancières les intéressés prenaient-ils pour ce qui était de fournir les cho­ses nécessaires à la vie (vivres, vêtements, lo­gement, récréation, etc.) ou de contribuer à les fournir?

b) Quelles dispositions prenaient-ils relative­ment à l'acquisition et à la propriété de biens?

c) Existait-il entre eux des arrangements financiers particuliers que tous deux tenaient pour dé­terminants quant à la nature de leurs relations globales?

6. Support (economic):

a) What were the financial arrangements between the parties regarding the pro­vision of or contribution toward the necessities of life (food, clothing, shel­ter, recreation, etc.)?

b) What were the arrange­ments concerning the ac­quisition and ownership of property?

c) Was there any special fi­nancial arrangement be­tween them which both agreed would be determi­nant of their overall rela­tionship?

7. Enfants

Quelle attitude et quel com­portement les intéressés avaient-ils à l'égard des en­fants?

7. Children:

What was the attitude and conduct of the parties con­cerning the children?

Comme l'a dit en outre le juge Ku­risko, la mesure dans laquelle il sera tenu compte de chacun des sept élé­ments énumérés ci-dessus sera néces­sairement fonction des circonstances de chaque cas.

As Kurisko D.C.J. further observed, the extent to which each of the aforementioned seven different com­ponents will be taken into account must vary with the circumstances of each particular case.

__________

28 Voir Jansen v. Montgomery (1982), 30 R.F.L. (2d) 332 (C. cté N.-É.).

__________

28 See Jansen v. Montgomery (1982), 30 R.F.L. (2d) 332 (N.S.Co. Ct.).

29 Soper v. Soper (1985), 67 N.S.R. (2d) 49, à la p. 53 (C.A.).

29 Soper v. Soper (1985), 67 N.S.R. (2d) 49, at 53 (C.A.).

30 Molodowich v. Penttinen (1980), 17 R.F.L. (3d) 376, aux pp. 381 et 382 (C. dist. Ont.). Voir aussi Gostlin v. Kergin (1986), 3 B.C.L.R. (2d) 264, aux pp. 267 et 268 (C.A.).

30 Molodowich v. Penttinen (1980), 17 R.F.L. (3d) 376, at 381-382 (Ont. Dist. Ct.). See also Gostlin v. Kergin (1986), 3 B.C.L.R. (2d) 264, at 267-268 (C.A.).

[21] Dans la présente affaire, l'appelante et monsieur Ross ont indiqué qu'ils étaient conjoints de fait dans leur déclaration de revenu respective pour plusieurs années. L'appelante a fourni à cet égard une explication qui est loin d'être convainquante. Un comptable et fiscaliste, un certain monsieur Quintal, qui s'occupait de leurs placements leur aurait affirmé qu'ils devaient ainsi décrire leur statut afin de ne pas avoir de problèmes avec le fisc. On conçoit difficilement que l'appelante qui paraît être une personne intelligente et instruite qui se dit conseillère en planification de même que monsieur Ross que l'appelante décrit comme un homme également intelligent et instruit aient pu accepter de déclarer ainsi leur statut si tel n'était pas vraiment le cas sans se poser et poser plus de questions sur les conséquences d'une telle description. Il ne s'agit pas là d'une question fiscale complexe et on s'étonne que l'appelante et monsieur Ross aient pu accepter si facilement et sans s'informer davantage de se présenter comme conjoints de fait s'ils étaient convaincus que ce n'était pas le cas.

[22] Si je reviens maintenant aux différents critères permettant d'établir s'il y a ou non union conjugale entre deux personnes, je dois d'abord constater que l'appelante n'a fourni dans son témoignage que peu d'information ou d'explication au regard de plusieurs éléments. Quant à la question du logement, on sait que l'appelante et monsieur Ross habitaient sous le même toit bien que l'appelante affirme que monsieur Ross occupait pour sa part deux pièces distinctes au sous-sol de la maison, soit une chambre et un bureau. L'appelante n'a pas vraiment fait état de l'utilisation par monsieur Ross des autres pièces de la maison. On sait que la maison est une résidence unifamiliale ne comportant qu'une seule entrée ce qui oblige la circulation des personnes. Monsieur Ross avait évidemment aussi accès à la cuisine puisque c'est l'appelante qui préparait et servait les repas. À un moment donné, l'appelante a mentionné que le téléviseur était au sous-sol pour monsieur Ross et les enfants en ajoutant cependant que ceux-ci avaient leur propre téléviseur dans leur chambre. La fille de l'appelante avait elle aussi sa chambre au sous-sol. On ne peut manquer ici d'en inférer la très grande confiance que l'appelante devait certainement avoir en monsieur Ross et qui dépasse à mon avis celle que l'on peut avoir en un collègue de travail qu'on héberge comme pensionnaire. Sur la question du comportement sexuel et personnel, on sait que l'appelante et monsieur Ross ont eu ensemble des relations sexuelles bien que l'appelante affirme en avoir également eu avec d'autres. Du témoignage de l'appelante, on peut retenir que la communication entre eux sur le plan personnel était excellente sans qu'il soit possible pourtant d'établir la véritable nature et la profondeur des sentiments qu'ils pouvaient avoir l'un pour l'autre. On constate par ailleurs une certaine intimité ou une certaine familiarité du fait qu'ils prenaient leurs repas ensemble avec les enfants, qu'ils sortaient ensemble à l'occasion et qu'ils voyageaient également ensemble au travail. L'appelante a admis qu'ils pouvaient aussi s'offrir des cadeaux à l'occasion. Tous ces éléments tendent au fond à démontrer que monsieur Ross était plus qu'un simple pensionnaire ou, à compter de 1995, un simple copropriétaire de la résidence comme l'appelante a tenté de le décrire.

[23] Pour ce qui est de l'aspect des services, l'appelante affirme qu'elle faisait tout elle-même. Elle s'occupait des enfants et de la maison. Elle préparait et servait les repas et faisait la lessive y compris pour monsieur Ross. Celui-ci contribuait une somme de 125,00 $ par semaine non seulement pour le logement et la nourriture mais pour l'ensemble des services rendus par l'appelante pour la préparation des repas, la lessive et le transport. Il s'agit là d'un arrangement qui est tout aussi compatible avec une vie de couple sinon plus qu'avec une relation de simple pensionnaire. Monsieur Ross contribuait sa part et n'avait pas à payer pour l'appelante et ses enfants.

[24] L'appelante n'a pas vraiment apporté d'éléments significatifs touchant la question des faits que l'on pourrait regrouper sous les titres « Relations sociales » et « Attitude de la société » (les titres 4 et 5 énoncés par le juge Kurisko). Quant à la question des enfants, l'appelante a affirmé qu'il y avait en quelque sorte bonne entente, que monsieur Ross ne s'en occupait pas et que chacun, si l'on veut, respectait ses espaces réservés. Il n'y a ici rien non plus qui tende à démontrer que monsieur Ross n'était considéré que comme un simple pensionnaire bien que l'appelante ait affirmé qu'elle n'avait jamais démontré aux enfants que monsieur Ross était son conjoint ou son compagnon de vie.

[25] J'en arrive finalement à la question du soutien économique et des arrangements financiers entre les parties, points sur lesquels l'avocat de l'intimée a particulièrement insisté comme démontrant une relation s'apparentant à une union conjugale. À la réflexion, je crois qu'il faut en effet accorder à ces éléments plus d'importance que je n'étais porté à le faire initialement. L'achat par l'appelante et monsieur Ross en 1995 de la partie indivise de la résidence appartenant à l'ex-conjoint de l'appelante de même que l'ouverture d'un compte bancaire commun ou conjoint sont des gestes concrets qui traduisent en effet un niveau de relation qui dépassent, à mon avis, celle fondée sur la bonne entente, le respect mutuel et même l'amitié. La confiance, l'engagement et la volonté de partage que ces gestes expriment sont tels que même des personnes légalement mariées ou faisant officiellement vie commune hésitent ou se refusent souvent à les poser. Il ne s'agit pas généralement de gestes spontanés. Ils sont plutôt issus d'une mûre réflexion et témoignent généralement de liens très étroits entre deux personnes, particulièrement lorsqu'il s'agit de personnes ayant déjà eu l'expérience d'une séparation et d'un divorce, ce qui est le cas de l'appelante. Malgré les circonstances spéciales et le court délai qu'avait l'appelante pour racheter la part de son ex-conjoint dans la résidence, je crois que d'avoir décidé de faire cet achat et d'emprunter avec monsieur Ross pour le faire est significatif et tend à démontrer un niveau de relation plus important que l'appelante a bien voulu l'admettre. L'ouverture d'un compte bancaire conjoint traduit aussi une volonté de mise en commun et de partage de certaines ressources financières, bien que les contributions de chacun aient pu être à part inégales. Que l'appelante ait payé plus que monsieur Ross notamment pour la nourriture apparaît tout à fait normal puisque l'appelante avait également deux enfants à sa charge qui n'étaient pas les enfants de monsieur Ross.

[26] Ainsi, au delà des subtilités concernant le respect mutuel des espaces réservés à chacun, ce qui de toute façon est un besoin pour tous, même dans les meilleures familles, il reste que les arrangements financiers entre l'appelante et monsieur Ross tendent plutôt à démontrer une relation qui se rapproche plus d'une union conjugale que de celle qu'on pourrait entretenir avec un simple pensionnaire ou même un copropriétaire.

[27] Dans les circonstances de la présente affaire, il incombait à l'appelante de démontrer, par prépondérance des probabilités, qu'elle ne vivait pas avec monsieur Ross en union conjugale durant la période en litige, soit durant les années 1994, 1995 et 1996.

[28] À la lumière des critères à considérer, j'estime que la preuve apportée par l'appelante ne permet par d'en arriver à une telle conclusion. Au contraire, j'estime que l'ensemble des éléments relatés ci-haut sont plutôt indicatifs qu'une telle relation existait entre l'appelante et monsieur Ross au cours de ces années. J'ajouterai que les faits soumis en preuve par l'appelante ne sont pas suffisants pour me permettre d'en arriver à une conclusion différente.

[29] En conséquence de ce qui précède, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d'octobre 1999.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.

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