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Dossier : 2014-2259(GST)G

ENTRE :

NESTLÉ CANADA INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 26 septembre 2016, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge en chef adjointe Lucie Lamarre

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Chia-yi Chua

Me Wendy Brousseau

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Charles Camirand

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, relativement à la période du 1er au 30 novembre 2008, et dont l’avis est daté du 31 mars 2014, est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mars 2017.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juin 2018.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


 

Référence : 2017 CCI 33

Date : 20170317

Dossier : 2014-2259(GST)G

ENTRE :

NESTLÉ CANADA INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge en chef adjointe Lamarre

[1]  La Cour est saisie d’un appel visant une nouvelle cotisation, dont l’avis est daté du 31 mars 2014 et que le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établie sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »), relativement à la période du 1er au 30 novembre 2008. Lors du calcul de la taxe nette de l’appelante, le ministre a refusé des crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») s’élevant à 109 970,17 $.

[2]  L’appelante avait demandé ces CTI à la suite du paiement de la valeur de bons-rabais instantanés (les « BRI ») applicables à divers produits de Nestlé vendus à prix réduit à des clients par l’intermédiaire de Costco Wholesale Canada Ltd. (« Costco »).

[3]  L’appelante a dit avoir droit aux CTI à l’égard des BRI au titre du paragraphe 181(5) de la LTA, au motif que les BRI sont des bons au sens du paragraphe 181(2) de la LTA.

[4]  Le ministre est d’avis que les BRI ne sont pas des bons, mais plutôt des ristournes promotionnelles, au sens de l’article 232.1 de la LTA, que Nestlé a payées à Costco, et il soutient donc que les CTI demandés à l’égard des BRI en application du paragraphe 181(5) de la LTA ont été refusés à juste titre [1] .

[5]  Les deux parties reconnaissent que, s’il est conclu que les BRI sont des bons et non des ristournes promotionnelles, le paragraphe 181(5) de la LTA autorise l’appelante à demander la fraction de taxe sur les sommes qu’elle a remboursées à Costco à l’égard des BRI (c.-à-d. le montant des CTI demandés qui est en litige devant la Cour).

La question en litige

[6]  La question en litige se résume donc à savoir si les BRI sont des bons au sens des paragraphes 181(1), 181(2) et 181(5) de la LTA ou des ristournes promotionnelles au sens de l’article 232.1 de la LTA.

Les dispositions législatives applicables

[7]  Les dispositions législatives applicables de la LTA sont les suivantes :

Bons et remises

181. (1) Définitions — Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

bon Sont compris parmi les bons les pièces justificatives, reçus, billets et autres pièces. En sont exclus les certificats-cadeaux et les unités de troc au sens de l’article 181.3.

fraction de taxe Quant à la valeur ou la valeur de rabais ou d’échange d’un bon :

a) dans le cas où le bon est accepté en contrepartie, même partielle, d’une fourniture effectuée dans une province participante, le résultat du calcul suivant :

A/B

où :

A  représente la somme du taux fixé au paragraphe 165(1) et du taux de taxe applicable à la province,

B  la somme de 100 % et du pourcentage déterminé selon l’élément A;

b) dans les autres cas, le résultat du calcul suivant :

C/D

où :

C  représente le taux fixé au paragraphe 165(1),

D  la somme de 100 % et du pourcentage déterminé selon l’élément C.

(2) Acceptation d’un bon remboursable Pour l’application de la présente partie, sauf le paragraphe 223(1), lorsqu’un inscrit accepte, en contrepartie, même partielle, de la fourniture taxable d’un bien ou d’un service, sauf une fourniture détaxée, un bon qui permet à l’acquéreur de bénéficier d’une réduction du prix du bien ou du service égale au montant fixe indiqué sur le bon (appelé « valeur du bon » au présent paragraphe) et que l’inscrit peut raisonnablement s’attendre à recevoir un montant pour le rachat du bon, les présomptions suivantes s’appliquent :

a) la taxe percevable par l’inscrit relativement à la fourniture est réputée égale à celle qui serait percevable s’il n’acceptait pas le bon;

b) l’inscrit est réputé avoir perçu, au moment de l’acceptation du bon, la partie de la taxe percevable qui correspond à la fraction de taxe de la valeur du bon;

c) la taxe payable par l’acquéreur relativement à la fourniture est réputée égale au montant calculé selon la formule suivante :

A - B

où :

A  représente la taxe percevable par l’inscrit relativement à la fourniture,

B  la fraction de taxe de la valeur du bon.

(5) Rachat Pour l’application de la présente partie, lorsqu’un fournisseur qui est un inscrit accepte, en contrepartie, même partielle, de la fourniture taxable d’un bien ou d’un service, un bon qui est échangeable contre le bien ou le service ou qui permet à l’acquéreur de bénéficier d’une réduction ou d’un rabais sur le prix du bien ou du service, et qu’une autre personne verse dans le cadre de ses activités commerciales un montant au fournisseur pour racheter le bon, les règles suivantes s’appliquent :

a) le montant est réputé ne pas être la contrepartie d’une fourniture;

b) le versement et la réception du montant sont réputés ne pas être des services financiers;

c) lorsque la fourniture n’est pas une fourniture détaxée et que le bon permet à l’acquéreur de bénéficier d’une réduction sur le prix du bien ou du service égale au montant fixe indiqué sur le bon (appelé « valeur du bon » au présent alinéa), l’autre personne, si elle est un inscrit (sauf un inscrit visé par règlement pour l’application du paragraphe 188(5)) au moment du versement, peut demander, pour sa période de déclaration qui comprend ce moment, un crédit de taxe sur les intrants égal à la fraction de taxe de la valeur du bon, sauf si tout ou partie de cette valeur représente le montant d’un redressement, d’un remboursement ou d’un crédit auquel s’applique le paragraphe 232(3).

232.1 Ristournes promotionnelles Pour l’application de la présente partie, les présomptions suivantes s’appliquent lorsqu’un inscrit donné acquiert un bien meuble corporel exclusivement en vue de le fournir par vente à un prix en argent dans le cadre de ses activités commerciales et qu’un autre inscrit qui a effectué des fournitures taxables par vente du bien meuble corporel au profit de l’inscrit donné ou d’une autre personne verse à l’inscrit donné, ou porte à son crédit, un montant en échange de la promotion du bien meuble corporel par ce dernier ou accorde un tel montant à titre de rabais ou de crédit sur le prix d’un bien ou d’un service (appelé « bien ou service réduit » au présent article) qu’il lui fournit :

a) le montant est réputé ne pas être la contrepartie d’une fourniture effectuée par l’inscrit donné au profit de l’autre inscrit;

b) si le montant est accordé à titre de rabais ou de crédit sur le prix du bien ou service réduit :

(i) dans le cas où l’autre inscrit a déjà exigé ou perçu de l’inscrit donné la taxe prévue à la section II calculée sur tout ou partie de la contrepartie de la fourniture du bien ou service réduit, le montant du rabais ou du crédit est réputé être appliqué en réduction de la contrepartie de cette fourniture pour l’application du paragraphe 232(2),

(ii) dans les autres cas, la valeur de la contrepartie de la fourniture du bien ou service réduit est réputée égale à l’excédent éventuel de la valeur de la contrepartie déterminée par ailleurs pour l’application de la présente partie sur le montant du rabais ou du crédit;

c) si l’alinéa b) ne s’applique pas, le montant est réputé être une remise relative au bien meuble corporel pour l’application de l’article 181.1.

L’exposé conjoint des faits modifié

[8]  Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits modifié, dont le texte est le suivant (les pièces sont omises) :

[traduction]

  1. Nestlé Canada Inc. (l’« appelante ») est une personne morale résidant au Canada. Son bureau principal est situé au 25, avenue Sheppard Ouest, 19e étage, Toronto (Ontario) M2N 6S8.

  2. L’avis de cotisation porté en appel est daté du 24 décembre 2010. Il vise la période de déclaration du 1er au 30 novembre 2008 et a été établi sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise (Canada) (la « LTA »).

  3. L’appelante fabrique, distribue et vend des aliments et des boissons sur l’ensemble du territoire canadien. Elle est structurée en plusieurs grandes divisions, notamment Chocolat et confiserie, Café et boissons, Gaufrettes et crème glacée de marque Nestlé, dont chacune s’occupe de mettre en valeur et de commercialiser certaines des marques les plus connues au pays. Les produits de l’appelante concernés par le présent appel relèvent de la division Chocolat et confiserie (les « produits de Nestlé ») et ils sont vendus par divers détaillants au Canada, dont Costco Wholesale Canada Ltd. (« Costco »). Des copies certifiées conformes d’emballage de certains produits de Nestlé sont jointes ci-après, en tant que pièce A. Le présent appel concerne des ventes de produits de Nestlé qui ont eu lieu chez Costco.

  4. L’appelante est inscrite au registre de la TPS/TVH à titre de déclarante mensuelle.

  5. Costco est un détaillant qui vend ses produits en gros aux membres de son club. Pour pouvoir acheter des articles dans un entrepôt de Costco, les clients sont tenus de payer des frais d’adhésion, ce qui est attesté par une carte de membre (la « carte de membre »). L’adhésion (et la carte de membre) donne accès aux produits de Costco, qui sont habituellement vendus en gros. L’adhésion se confirme par la carte de membre, que tous les clients doivent présenter à l’entrée de l’entrepôt de Costco, de même qu’à la caisse.

  6. Dans le cadre de l’exploitation de son entreprise au cours de la période de mai 2006 à octobre 2008 (la « période pertinente »), l’appelante a offert des bons papier (les « bons papier ») qui procuraient aux clients un rabais d’un montant fixe sur le prix d’achat de produits de Nestlé, si ces bons étaient acceptés par un détaillant. Les bons papier pouvaient, selon le cas, être : a) postés directement aux clients; b) placés sur les étagères afin que tous les clients achetant les produits puissent les prendre; c) remis aux clients à l’entrée d’un entrepôt de Costco; d) conservés aux caisses du magasin. Dans ce dernier cas, au moment du paiement, le caissier détache le bon pour l’acheteur ou passe le bon papier au lecteur de code-barres.

  7. Pendant la période pertinente, l’appelante a également offert un autre type de rabais d’un montant fixe à l’égard des produits de Nestlé vendus chez Costco et pour lesquels les bons papier n’étaient : a) ni postés directement aux clients; b) ni placés sur les étagères afin que tous les clients achetant les produits puissent le prendre; c) ni conservés aux caisses du magasin. Ce type de promotion était appelé « BRI », ou « bon-rabais instantané », dans les contrats que Nestlé avait conclus avec Costco (les « BRI »). L’emploi du sigle « BRI » et des mots « promotion » et « bons-rabais instantanés » dans le présent exposé conjoint des faits partiel est neutre et ne constitue pas, de la part de l’une ou de l’autre des parties, une admission sur la nature de la transaction, à savoir si elle est un « bon », une « ristourne promotionnelle » ou une « remise ».

  8. Les BRI donnaient aux acheteurs un rabais d’un montant fixe sur le prix d’achat de produits de Nestlé taxables.

  9. Dans l’entrepôt de Costco, sur l’étagère où se trouvait un produit auquel s’appliquaient les BRI, une affiche de 8½ po x 14 po indiquait clairement le prix d’achat du produit de Nestlé, le code-barres du produit ou de Costco s’appliquant au produit de Nestlé, le montant fixe du rabais prévu par le BRI, le montant que l’acheteur aurait à payer à la caisse après l’application du rabais et un avis indiquant que les taxes applicables seraient calculées sur le prix avant rabais. Quand un programme de BRI était en vigueur, les ventes des produits de Nestlé visés augmentaient considérablement.

  10. Une liste de tous les BRI offerts pendant la période pertinente est jointe ci‑après, avec des copies certifiées conformes, en tant que pièce B. De plus, la pièce B dresse la liste des bons papier, désignés par l’inscription manuscrite « ‑P », ainsi que des promotions d’Halloween, désignées par l’inscription manuscrite « WC HALLOWEEN », qui ont été offerts au cours de la période pertinente.

  11. Le système informatique de Costco liait les BRI au produit de Nestlé visé, de sorte que, quand le code-barres apposé sur les produits de Nestlé était passé au lecteur de code-barres à la caisse, la valeur fixe du BRI était lue par la base de données centrale de Costco et automatiquement appliquée, et ce, que le client ait demandé le rabais ou non.

  12. La carte de membre de Costco elle-même ne contenait aucune information matérielle, électronique ou autre, sur le BRI proprement dit.

  13. Le reçu de caisse remis au client de Costco indiquait clairement le prix d’achat du produit de Nestlé, le montant du BRI et le montant de la TPS/TVH (appliquée au prix d’achat brut avant rabais des produits de Nestlé). Le montant du BRI appliqué était expressément indiqué sur les reçus de caisse par les marques « bon » et « bons présentés ». Un exemple de copie certifiée conforme d’un tel reçu de caisse est joint ci-après en tant que pièce C. L’exemple de reçu concerne un rabais semblable applicable à des serviettes de plage (pas un produit de Nestlé), mais, pour les besoins du présent litige, les parties conviennent que le reçu de caisse ne serait pas sensiblement différent.

Le reçu présenté à la pièce B C fait état de l’achat de 8 serviettes pour un total de 111,92 $. Un rabais de 24 $ (8 fois un rabais de 3 $ semblable au programme de BRI) a été autorisé par Costco. Le prix des articles taxables achetés s’élève à 236 $ (100 $ + 6,59 $ + 111,92 $ + 17,49 $). La TPS a été calculée sur la somme de 236 $, sans qu’il soit tenu compte du rabais de 24 $.

  1. À part ce qui est indiqué ci-dessus, les clients n’avaient rien d’autre à faire pour obtenir le BRI.

  2. Comme c’était le cas pour l’entente entre l’appelante et Costco, chaque BRI était distribué et documenté conformément aux modalités d’un contrat particulier intitulé « Contrat relatif aux bons CN », lequel était assujetti aux clauses types de Costco (les « contrats »). Ce sont les mêmes contrats qui ont également été utilisés quand l’appelante et Costco ont conclu une entente relative aux bons papier, la seule différence étant que la case « Papier », sous la rubrique « Bon », du contrat relatif aux bons CN était cochée. Une copie certifiée conforme de certains des contrats particuliers concernant les BRI, pour la période pertinente, sont joints ci-après en tant que pièce D, et une copie certifiée conforme des clauses types de Costco est jointe ci-après en tant que pièce E. Les contrats régissaient les ententes relatives à la fois aux BRI et aux bons papier conclues entre l’appelante et Costco. Les exemples de contrats figurant à l’annexe D n’ont pas été signés par Costco, mais, pour les besoins du présent litige, les parties conviennent que les contrats ont été signés et que, une fois signés, Costco a attribué un « No de contrat » et un « No de bon » pour ses propres dossiers.

  3. Le contrat spécifie les produits de Nestlé auxquels s’appliquent les BRI et il inclut la valeur du BRI, la période durant laquelle il est distribué (c.-à-d., la date de début et la date de fin), les succursales de Costco où les BRI sont acceptés, ainsi que le montant du rabais et du remboursement. Au cours de la période pertinente, Costco s’est servie du même type de contrat pour les BRI que pour les bons papier.

  4. Rien dans le contrat n’indique qu’une partie quelconque des remboursements que l’appelante a payés à Costco l’a été au titre de la taxe.

  5. Pour ce qui est des BRI et des bons papier, Nestlé était tenue par contrat de rembourser à Costco la totalité de la valeur des BRI ou des bons papier qu’acceptait cette dernière.

  6. Lorsqu’elle a vendu ses produits de Nestlé à Costco, l’appelante :

a)  a perçu la TPS/TVH sur le prix global, sans tenir compte des BRI;

b)  n’a pas  remboursé à Costco ou porté à son crédit le montant de la TPS/TVH qui a été perçu sur la part de la contrepartie que les BRI ont réduite.

  1. Costco a facturé à l’appelante la valeur des BRI au moyen d’une note de débit appelée Facture détaillée, qui indiquait le « No de bon » (le numéro attribué par Costco à chaque contrat relatif aux bons CN), le type (c.-à-d. les BRI, appelés « bons‑I », ou les bons papier, appelés « bons‑P », « promotion WC-Nestlé Halloween » ou « promotion 2 $ en moins WC-Halloween »), le montant de la valeur du BRI ou du bon papier, de même que les dates auxquelles ceux-ci sont en vigueur. Une liste de toutes les notes de débit relatives aux BRI pour la période pertinente (de même que les promotions « bons papier » et « WC‑Nestlé Halloween ») sont jointes ci-après, avec des copies certifiées conformes, en tant que pièce F.

  2. Les sommes que l’appelante a payées à Costco ou portées à son crédit pour les BRI n’étaient pas assorties d’une indication écrite portant qu’une partie quelconque du paiement a été versée au titre de la taxe.

  3. Au cours de la période pertinente, Costco a facturé à ses clients la TPS/TVH sur le plein prix d’achat des produits de Nestlé, avant application du BRI (p. ex., Costco a facturé la TPS/TVH comme si les BRI étaient des bons). Costco a fait de même pour les bons papier. Un exemple représentatif de facture comportant une telle transaction est joint ci-après en tant que pièce C.

  4. Les deux parties reconnaissent que si la Cour conclut que les BRI sont des « bons », le paragraphe 181(2) de la LTA s’appliquerait et la TPS/TVH s’appliquerait de la manière dont Costco l’a calculée.

  5. Dans son calcul de la taxe nette pour la période pertinente, l’appelante a demandé des crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») en considérant que les BRI sont des bons.

  6. Les deux parties reconnaissent que si la Cour conclut que les BRI sont des « bons », le paragraphe 181(5) de la LTA s’appliquerait et l’appelante pourrait ainsi déduire la fraction de taxe des sommes qu’elle a remboursées à Costco à l’égard des BRI (les « CTI demandés »).

  7. Par un avis de (nouvelle) cotisation daté du 24 décembre 2010 (la « cotisation »), le ministre a établi à l’endroit de l’appelante une cotisation portant sur la période pertinente par laquelle il a refusé les CTI demandés à l’égard de […] tous [les] BRI qu’elle avait remboursés à Costco, à l’exception des CTI liés aux bons papier. Le montant de taxe nette ainsi refusé par la cotisation s’élevait à 109 970,17 $.

  8. Au cours de la période pertinente, le ministre a accordé les CTI demandés à l’égard des bons papier, qui s’élevaient à 11 812,33 $. Cette somme n’est pas en litige dans la présente instance.

  9. Nestlé s’est opposée à la cotisation et, par une lettre datée du 31 mars 2014, dont une copie certifiée conforme est jointe ci-après en tant que pièce G, de même que par un avis de (nouvelle) cotisation daté du 31 mars 2014, l’Agence du revenu du Canada a rejeté l’opposition.

Les observations de l’appelante

[9]  De l’avis de l’appelante, les BRI ne sont pas différents des bons papier, à l’égard desquels le ministre n’a pas refusé les CTI. Selon elle, les BRI sont une version électronique des bons papier, car ils offrent aux acheteurs un rabais d’un montant fixe sur le prix d’achat de produits de Nestlé taxables. Les BRI étaient électroniquement liés aux produits de Nestlé correspondants par le système informatique de Costco quand le code-barres de ces produits était passé au lecteur à la caisse. Au moyen du code-barres, la base de données centrale de Costco trouvait le bon et le rabais offert par le bon était approuvé.

[10]  Tant pour les bons papier que pour les BRI, Nestlé était tenue par contrat de rembourser à Costco la totalité de la valeur des bons acceptés par cette dernière.

[11]  L’appelante soutient que les BRI sont visés par la définition du terme bon qui figure au paragraphe 181(1) de la LTA parce qu’ils sont des « autres pièces ». L’appelante s’appuie sur la décision Société Télé-Mobile c. La Reine, 2012 CCI 256 (confirmée par 2013 CAF 149), dans laquelle la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») a fait l’analyse ci‑après de l’emploi du mot « pièce » (quoique, dans cette affaire, le rabais de la contribuable ne fût pas un bon au sens de la LTA) :

[27]  Dans la version anglaise de la LTA, le terme « device » apparaît comme équivalent du terme « pièce ». Ce terme générique, défini dans le dictionnaire Webster’s Online comme [traduction] « un mécanisme conçu pour servir à un usage spécial ou accomplir une fonction spéciale [...] un dispositif électronique », élargit considérablement toute idée qui voudrait qu’un « bon » se limite à un sens traditionnel. L’emploi du mot « device » donne à penser que le législateur reconnaissait que le commerce était entré dans une ère technologique où le papier pouvait en fait devenir totalement anachronique. Comme l’a indiqué l’appelante, les pratiques commerciales ont évolué avec l’arrivée du commerce électronique et, au lieu de remettre un bon en papier, une entreprise peut conférer à un client le droit de bénéficier d’une réduction du prix d’achat par Internet. Je ne vois cependant pas en quoi cette manière de voir favorise l’appelante, puisqu’elle n’a rien signalé qui soit détenu par le client, de façon informatique ou autre, qui lui donne le droit au crédit. Le client obtient tout simplement ce crédit.

[12]  Pour ce qui est de l’exigence, énoncée au paragraphe 181(2), selon laquelle le bon doit être d’un montant fixe, et au sujet de ce qui constitue un bon, la CCI a établi ce qui suit, au paragraphe 35 :

[…] Je n’interprète pas l’exigence étroitement au point qu’il faille absolument qu’un bon écrit indiquant un montant fixe soit présenté à TELUS pour que l’exigence soit remplie. Nous sommes arrivés à l’ère du commerce électronique et nous employons aujourd’hui des dispositifs d’achat et de vente que nous n’imaginions pas il y a 20 ans, et je suis d’avis que, lorsque le montant fixe est manifestement connu des deux parties, et lorsqu’il est attesté par écrit, sur papier ou électroniquement, et offert par un client comme contrepartie partielle, alors l’exigence est remplie. […]

[Non souligné dans l’original.]

La Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a souscrit à cette interprétation, au paragraphe 11 de ses motifs.

[13]  L’appelante soutient que les BRI répondent à toutes les exigences prescrites pour être considérés comme des bons. Tant que le montant fixe de la valeur du bon est manifestement connu des deux parties (ce qui est le cas en l’espèce, grâce à l’affiche sur l’étagère et au reçu de caisse remis aux clients) et que ce montant est attesté par écrit, sous forme imprimée ou électronique, on peut dire qu’il existe un [traduction] « système de bons ».

[14]  L’appelante fait observer qu’il n’est nullement exigé à l’article 181 que l’acheteur des produits détienne concrètement un bon tangible qui soit matériellement distinct du produit fourni ou que l’acheteur doive présenter ce bon distinct à un détaillant pour que cette disposition s’applique.

[15]  De l’avis de l’appelante, sur les plans commercial et économique, le bon électronique est l’équivalent moderne : a) soit de placer des bons papier sur l’étagère du produit pour que tous les clients qui achètent les produits de Nestlé les prennent et les présentent à la caisse; b) soit de garder les bons papier à la caisse pour que le caissier puisse les détacher pour l’acheteur ou en passer le code-barres au lecteur  au point de vente (observations de l’appelante, au paragraphe 72).

[16]  L’appelante estime que les BRI présentent les caractéristiques des bons papier : ils ont été offerts en vertu du même contrat entre Costco et Nestlé; pour l’application de la TPS/TVH, ils ont été traités de la même façon par Costco; l’affiche sur l’étagère portait à l’attention du client les bons électroniques ainsi que le rabais d’un montant fixe – la seule différence était que le client n’avait pas à présenter un bout de papier en plus du produit de Nestlé et de sa carte de membre (observations de l’appelante, au paragraphe 84).

Les observations de l’intimée

[17]  L’intimée fait valoir que les BRI ne sont pas des bons mais plutôt des ristournes promotionnelles au sens de l’article 232.1 de la LTA. Elle se fonde sur le fait que, dans le cas des BRI, l’acheteur ne produisait pas de bon pour avoir droit à la réduction du prix d’un produit de Nestlé taxable. Le client n’avait pas à avoir en main de pièce, électronique ou autre, pour avoir droit à la réduction. Il recevait cette réduction tout simplement. Se reportant à la décision Société Télé-Mobile, précitée, au paragraphe 32, la Couronne fait valoir que, pour le client, ce qui donnait droit à la réduction n’était pas un bon mais la simple existence de cette réduction. Le rabais indiqué sur l’étagère n’était rien de plus que l’annonce d’une promotion.

[18]  Aux termes de l’article 181, un bon doit être une pièce matérielle ou électronique que l’acheteur peut présenter pour acceptation à titre de contrepartie complète ou partielle d’une fourniture taxable d’un bien et qui donne à l’acheteur le droit à une réduction du prix du bien qui est égale au montant fixe indiqué sur la pièce matérielle ou électronique. De l’avis de l’intimée, un rabais annoncé, sans plus, ne répond pas aux exigences de la loi.

[19]  Ni le code-barres figurant sur le produit de Nestlé ni la carte de membre de Costco ne faisaient référence à un rabais d’un montant fixe, ce qui est une exigence de l’article 181 pour qu’il y ait bon. Le reçu de caisse et l’annonce sur l’étagère faisant état du rabais ne sont pas des bons parce qu’ils ne sont pas présentés par le client pour acceptation. Ils font seulement état du rabais accordé à l’acheteur. Enfin, le contrat relatif aux bons entre Costco et Nestlé (paragraphe 15 de l’exposé conjoint des faits modifié) a été conclu à l’insu du client et, manifestement, celui-ci ne pouvait pas le présenter pour acceptation.

Analyse

[20]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, la présente affaire se résume à déterminer si le rabais que Nestlé a offert sur ses produits aux clients de Costco au moyen des BRI satisfait aux exigences relatives aux bons qui sont énoncées à l’article 181 de la LTA ou s’il faut le considérer comme une ristourne promotionnelle au sens de l’article 232.1 de la LTA. Dans ce dernier cas, Nestlé se verra refuser les CTI parce qu’elle n’a pas structuré ses transactions d’une manière qui soit conforme au cadre des ristournes promotionnelles. En revanche, si les BRI sont considérés comme des bons au sens de l’article 181 de la LTA, Nestlé aurait droit à ses CTI pour tout montant de TPS/TVH excédentaire que le client de Costco a payé en achetant un produit de Nestlé.

Interprétation des lois

[21]  Selon la règle moderne d’interprétation des lois de Driedger, [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » [2] . Dans la mesure où le fait de ne pas exiger du client qu’il présente un bon pour acceptation permettrait de considérer presque tout rabais annoncé comme un bon, comme l’a déclaré la CAF dans l’arrêt Société Télé-Mobile, au paragraphe 11, cela rendrait redondant le régime des ristournes promotionnelles prévu à l’article 232.1. Une interprétation qui rend des dispositions législatives redondantes semblerait aller à l’encontre des intentions du législateur et, de ce fait, elle serait habituellement fautive [3]  :

[traduction]
La présomption veut que chacune des caractéristiques d’un texte législatif ait été choisie de façon délibérée et qu’elle ait un rôle particulier à jouer dans l’économie de la loi. Le législateur n’utilise pas dans ses lois de mots dépourvus d’utilité ou de sens; il n’utilise pas des mots uniquement par éloquence ou pour le style; il ne dit pas deux fois la même chose. C’est ce qu’il faut comprendre quand on dit que le législateur « ne parle pas pour ne rien dire ».

L’article 181 : les bons

[22]  Le terme « bon » est défini au paragraphe 181(1); il inclut la « pièce justificative », le « reçu » et d’« autres pièces ». Il exclut le « certificat-cadeau » ou l’« unité de troc ».

[23]  L’appelante soutient que les BRI sont visés par la définition du terme « bon » parce qu’ils sont inclus dans les mots « autres pièces ».

[24]  Dans la décision Société Télé-Mobile, le juge C. Miller (CCI) a fait observer que l’emploi du mot « device » [pièce] donne à penser que le législateur a reconnu que le commerce était entré dans une ère technologique où le papier pouvait en fait devenir totalement anachronique (au paragraphe 27).

[25]  Cette position est également celle de la Cour suprême du Canada, selon laquelle, de façon générale, on juge que « des catégories générales contenues dans des lois incluent des choses inconnues au moment de l’adoption de ces lois » (Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, à la page 265).

[26]  De plus, la définition du terme « bon » prévoit que les « autres pièces » sont comprises parmi les bons. L’emploi, par le législateur, des mots « sont compris parmi » dénote que la définition est censée être extensive (La Reine c. Mansour, [1979] 2 R.C.S. 916, à la page 920).

[27]  Cependant, dans les décisions Société Télé-Mobile, la CCI et la CAF ont conclu qu’un « bon » doit être une pièce matérielle ou électronique que l’acheteur peut présenter pour acceptation. Appliquons maintenant cette interprétation à la situation en l’espèce : pour que la partie qui rembourse le bon (Nestlé) obtienne l’avantage d’un CTI pour la TPS/TVH payée sur le montant correspondant la réduction qui excède le prix de vente, il faudrait que l’acquéreur de la fourniture (un client de Costco) présente un bon. Il s’agit là d’une exigence qui établit une distinction entre le régime des bons prévu à l’article 181 et le régime des ristournes promotionnelles prévu à l’article 232.1. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la CAF, dans l’arrêt Société Télé-Mobile, a conclu que le fait de ne pas exiger que le client présente un bon « permettrait de considérer à peu près n’importe quel rabais annoncé comme un “bon” au sens de l’article 181 de la Loi sur la taxe d’accise » (arrêt de la CAF, au paragraphe 11).

[28]  Ce qui prête à confusion en l’espèce, c’est que, au cours de la période pertinente, Nestlé a mis à la disposition des clients de Costco des bons papier (qui leur étaient remis à leur entrée dans les entrepôts de Costco, comme le précisent les observations écrites de l’appelante, au paragraphe 12), et il n’est pas contesté que Nestlé considérait que les BRI présentaient les mêmes caractéristiques que les bons papier. La preuve en est que la TPS/TVH facturée aux clients de Costco qui profitaient des BRI était facturée sur le prix avant rabais, comme l’exige le paragraphe 181(2) dans le cas où un inscrit accepte à titre de contrepartie pour une fourniture taxable un bon qui permet à l’acquéreur de cette fourniture de bénéficier d’une réduction de prix égale au montant fixe indiqué sur le bon. De plus, l’opération entre Nestlé et Costco semble donner à penser qu’un système de bons s’appliquait à la fois aux bons papier et aux BRI, car les deux étaient régis par les modalités du même contrat entre Nestlé et Costco.

[29]  Cependant, le fait que Nestlé et Costco aient traité les BRI comme des bons ne suffit pas à en faire des bons. Pour que ce soit le cas, les conditions de l’article 181 doivent être remplies. Dans l’arrêt Société Télé-Mobile, la CAF a clairement indiqué qu’il ne peut y avoir de bon que si l’acquéreur présente quelque chose pour acceptation en contrepartie totale ou partielle de la fourniture taxable, et le bon ainsi présenté, qu’il soit matériel ou électronique, doit permettre à l’acquéreur de bénéficier d’une réduction de prix qui est égale au montant fixe indiqué sur la pièce matérielle ou électronique.

[30]  En l’espèce, quand le client achetait le produit de Nestlé, il ne présentait aucun bon (matériel ou électronique) à la caisse. La carte de membre de Costco, même si elle donnait accès aux produits de Costco, ne contenait aucune information précise sur les BRI, car aucune réduction d’un montant fixe applicable au produit de Nestlé en question n’y figurait.

[31]  Dans la décision Société Télé-Mobile, le juge C. Miller a conclu que, lorsque le montant fixe est manifestement connu des deux parties et qu’il est attesté par écrit, sur papier ou électroniquement, et offert par client comme contrepartie partielle, alors l’exigence est remplie (au paragraphe 35). Il est vrai qu’il y avait en l’espèce une annonce de 8½ po x 14 po sur l’étagère et un reçu d’achat qui faisaient état du prix d’achat et du montant fixe du rabais qu’offrait le BRI sur le produit de Nestlé.

[32]  Cependant, pour paraphraser ce que le juge C. Miller a déclaré dans la décision Société Télé-Mobile, au paragraphe 39, cela représente ce que Nestlé offrait au client; il ne s’agissait pas d’une chose que le client remettait au fournisseur du produit de Nestlé. Je suis également réticente à conclure que les renseignements susmentionnés, de pair avec la carte de membre, doivent être considérés comme l’équivalent d’un bon (sinon, les bons papier seraient parfaitement inutiles). À mon avis, Costco ne faisait qu’annoncer le rabais. Je ne suis pas disposée à souscrire à l’observation de l’appelante selon laquelle ces deux éléments combinés seraient visés par la définition du terme « bon » du fait qu’ils constitueraient d’« autres pièces ».

L’article 232.1 : les ristournes promotionnelles

[33]  Bien qu’il manque une condition importante pour qu’il y ait bon au sens de l’article 181, soit une pièce matérielle ou électronique que l’acheteur peut présenter à Costco pour acceptation, le libellé de l’article 232.1, qui a trait aux ristournes promotionnelles, semble s’appliquer en tous points aux faits en l’espèce.

[34]  En effet, l’article 232.1 s’applique quand « un inscrit donné [Costco] acquiert un bien meuble corporel [les produits de Nestlé] exclusivement en vue de le fournir par vente à un prix en argent dans le cadre de ses activités commerciales [celles de Costco] ». Cette exigence a été remplie. L’article 232.1 exige par ailleurs qu’« un autre inscrit [Nestlé] qui a effectué des fournitures taxables par vente du bien meuble corporel [les produits de Nestlé] au profit de l’inscrit donné ou d’une autre personne [Costco] verse à l’inscrit donné [Costco], ou porte à son crédit, un montant en échange de la promotion du bien meuble corporel [les produits de Nestlé] par ce dernier [Costco] ou accorde un tel montant à titre de rabais ou de crédit sur le prix d’un bien ou d’un service ».

[35]  En l’espèce, Nestlé n’a pas contesté l’affirmation du ministre selon laquelle les remboursements qu’elle a effectués au titre des BRI ont été portés au crédit de futurs achats de produits de Nestlé par Costco (transcription, aux pages 36 et 37, et les factures détaillées produites en preuve avec l’exposé conjoint des faits modifié, à l’onglet F). C’est donc dire que la deuxième condition établie à l’article 232.1 est également remplie.

[36]  Je souligne que, en l’espèce, même si l’article 232.1 autorise que des montants soient portés au crédit d’un inscrit pour des achats futurs, une interprétation légaliste de l’article 181 semblerait interdire à Nestlé de porter des montants au crédit de Costco en vue de futurs achats de produits de Nestlé (car, comme l’indique le paragraphe 181(2), « l’inscrit [Costco] peut raisonnablement s’attendre à recevoir un montant pour le rachat du bon [par Nestlé] »).

[37]  La conclusion selon laquelle les BRI répondent mieux aux critères de la définition du terme « ristourne promotionnelle » que du terme « bon » est également logique en principe.

[38]  Au titre du paragraphe 181(2), Costco est tenue de percevoir la TPS/TVH sur le prix avant rabais des produits de Nestlé.

[39]  Le paragraphe 181(2) exige donc que le client paie un montant excédentaire de TPS/TVH sur les produits de Nestlé et il considère ensuite que le client n’a payé la TPS/TVH que sur le prix après rabais. La raison pour laquelle cette pratique a été mise en œuvre a été expliquée par L’avocat de l’intimée a expliqué les raisons de la mise en œuvre de cette pratique dans ses observations orales, dans lesquelles il a invoqué devant la Cour les principes à l’origine du traitement des bons-rabais. La pratique avait pour but de simplifier le traitement des bons pour les petits épiciers qui, dans les années 1990, n’avaient pas facilement accès à des caisses enregistreuses qui, pour la perception de la TPS/TVH, pouvaient faire la distinction entre les bons applicables à des fournitures taxables et les bons applicables à des fournitures non taxables (ou détaxées) [4] .

[40]  La TPS/TVH payée en trop n’est toutefois pas destinée au gouvernement. Le paragraphe 181(5) autorise plutôt le fournisseur du bon, Nestlé en l’occurrence, à obtenir des CTI pour la TPS/TVH payée en trop par le client de Costco.

[41]  L’avantage que représente ces CTI additionnels, reçus aux dépens des clients, est la raison pour laquelle Nestlé demande que ses transactions soient considérées comme ayant été faites sous le régime des bons prévu à l’article 181, plutôt que sous celui des ristournes promotionnelles prévu à l’article 232.1. Par contraste, sous le régime des ristournes promotionnelles prévu à l’article 232.1, le client paie la TPS/TVH sur le prix réduit de la fourniture [5] .

[42]  En l’espèce, Nestlé et Costco ont considéré que le rabais relevait du régime des bons, aux dépens des clients.

[43]  Dans l’arrêt Société Télé-Mobile, la Cour d’appel fédérale a dit s’inquiéter qu’un assouplissement de l’exigence de présentation du bon permette que n’importe quel type de rabais soit considéré comme un bon [6] , ce qui, par ricochet, obligerait le client à payer un montant excédentaire de TPS/TVH et permettrait au fournisseur du bon de bénéficier de ces paiements en trop grâce à des CTI. Une telle interprétation atténuerait l’importance de la formalité – symbolique, pourrait-on dire – que représente l’exigence de présentation du bon, qui doit être remplie pour que le fournisseur obtienne les CTI. C’est donc dire que les clients paieraient toujours trop de TPS/TVH et que les fournisseurs de bons obtiendraient toujours l’avantage des CTI, ce qui, sous un certain angle, s’assimilerait à une quasi-subvention accordée par le gouvernement aux fournisseurs de bons au moyen du régime de TPS/TVH. Une telle interprétation de la loi dépouillerait aussi de tout sens, ou presque, une disposition – l’article 232.1 en l’occurrence – et serait donc contraire aux lignes directrices en matière d’interprétation des lois qu’a établies la Cour suprême du Canada (voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., précité).

[44]  Selon l’interprétation de l’article 181 qui ressort des décisions Société Télé-Mobile, le législateur exige, comme condition déterminante pour rendre le fournisseur du bon admissible à bénéficier de CTI pour la TPS/TVH payée en trop par les clients, que ces derniers produisent une sorte de bon. Si cette condition n’est pas remplie, la transaction relèvera du régime des ristournes promotionnelles, qui constitue une catégorie résiduelle.

[45]  Je conclus donc que les BRI étaient des ristournes promotionnelles, et non des bons. Nestlé ne pourra donc pas demander des CTI sur les BRI et le client ne recouvrera pas la taxe payée en trop. Dans le contexte des ristournes promotionnelles, il n’aurait fallu percevoir la TPS/TVH que sur le prix après rabais. Je n’ignore pas que, dans ces circonstances, le ministre a reçu un gain fortuit. Le juge C. Miller, de la Cour canadienne de l’impôt, s’est penché sur cet aspect dans la décision Société Télé-Mobile, affirmant (au paragraphe 30) que, même s’il était troublé par ce gain fortuit (appelé « manne » dans la décision), cela ne justifiait pas que l’on « dénatur[e] le texte » de la loi :

[…] Ce résultat me trouble, car l’État pourrait bien recueillir une manne dans cette situation. Mais on n’aboutira pas au résultat souhaité en dénaturant le texte, comme si on tentait de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille. Ce que dit l’article 181 de la LTA, c’est que, bien que la taxe soit percevable sur le prix exigé par un vendeur pour un service ou une fourniture, si ce prix est partiellement assumé par le vendeur, il sera déraisonnable de considérer cette portion du prix comme faisant partie de la contrepartie reçue de l’acquéreur pour la fourniture, mais encore faut‑il que l’inscrit se plie aux règles et puisse produire un bon ou une pièce. Je crois que l’inscrit, dans le cas présent, cherche à étirer les règles pour empêcher un résultat dont il est l’auteur par suite de la création d’un programme qui ne tient nullement compte de la TPS [7] .

[46]  Je conclus que les BRI n’étaient pas des bons au sens de l’article 181 de la LTA et, de ce fait, l’appelante n’a pas droit aux CTI sur les BRI.

[47]  L’appel est rejeté, avec dépens à l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mars 2017.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juin 2018.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 33

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-2259(GST)G

INTITULÉ :

NESTLÉ CANADA INC.

c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

L’honorable juge en chef adjointe
Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 17 mars 2017

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Chia-yi Chua

Me Wendy Brousseau

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Charles Camirand

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Chia-yi Chua

Wendy Brousseau

Cabinet :

McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]   L’appelante n’ayant pas remboursé à Costco ou porté à son crédit la TPS/TVH perçue sur le montant de la réduction du prix de la contrepartie attribuable aux ristournes promotionnelles, il semblerait que, au titre de l’alinéa 232(3)b) de la LTA, elle n’ait pas le droit de demander de déduction de la taxe nette, mais là n’est pas la question que la Cour doit trancher.

[2]   Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto, Butterworths, 1983), à la p. 87. La règle moderne a été réitérée à des fins fiscales dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au par. 10 (« L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. »). Son application large en matière fiscale a été confirmée par les arrêts Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, et Cie pétrolière Impériale ltée c. Canada, 2006 CSC 46, [2006] 2 R.C.S. 447.

[3]   Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd. (Toronto, Irwin Law, 2016), à la p. 43; voir aussi l’arrêt Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30, [2007] 2 R.C.S. 610, au par. 87.

[4]   Voir le cahier conjoint de doctrine et de jurisprudence, onglet 22, à la p. 480, Communiqués de presse du ministère des Finances, TM1289, Modifications techniques de décembre 1989 (« Un certain nombre de groupes sectoriels ont indiqué, dans le cadre des consultations portant sur le fonctionnement de la TPS, que les règles proposées à l’égard des remboursements des coupons de fabricants et des coupons de valeur monétaire seraient dans la pratique assez lourdes à observer. Le système poserait en particulier des difficultés aux petits magasins d’alimentation qui seraient obligés de séparer les coupons détaxés (pour les produits alimentaires de base) et les coupons taxables, sans qu’il en résulte un gain net de recettes pour le Trésor fédéral. Parallèlement au traitement des escomptes pour paiement au comptant, on proposait une méthode plus simple, consistant à ne pas tenir compte du tout des remboursements de coupons dans le cadre de la TPS. »); cahier conjoint de doctrine et de jurisprudence, onglet 24, à la p. 486, Communiqués de presse du ministère des Finances, 90‑133, « D’autres détails sur la TPS annoncés » (« […] le gouvernement a entrepris de vastes consultations avec les entreprises, particulièrement celles du secteur de l’alimentation au détail, afin de s’assurer que l’application de la taxe soit la plus simple possible pour les consommateurs, les détaillants et les émetteurs de coupons.  La mise au point de l’application de la TPS dans ce domaine visait précisément à éviter que les caissiers aux points de vente au détail aient en plus à séparer les coupons des articles taxables des coupons des articles détaxés. »)

[5]   Le fait que le client paie la TPS/TVH sur le montant après rabais seulement se déduit du fait que l’art. 232.1, contrairement à l’art. 181, n’indique pas que le client paie la TPS/TVH sur le montant avant rabais. Voir aussi la transcription, à la p. 71.

[6]   Société Télé-Mobile, CAF, au par. 11.

[7]   Société Télé-Mobile, CCI, au par. 30.

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