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Date: 20000411

Dossier: 96-1319-IT-G

ENTRE :

JANE M. BAPTIST,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1] Il s'agit de l'appel d'une cotisation d'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1993. L'appelante est policière et l'était en 1993. Au cours de cette année-là, son employeur, soit la Police de la communauté urbaine de Toronto (appelée ci-après le “ corps de police ”), lui versait un salaire. De plus, elle a gagné une rétribution pour l'accomplissement de travaux particuliers, soit des affectations rémunérées ou des affectations spéciales rémunérées (“ ASR ”). Dans une déclaration d'impôt pour 1993, elle a indiqué comme revenu d'emploi le salaire qu'elle avait reçu du corps de police. En outre, elle a indiqué comme revenu d'entreprise la rétribution qu'elle avait reçue pour des ASR et elle a déduit des frais d'automobile et des frais de bureau dans la détermination du bénéfice tiré de cette entreprise. Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une cotisation d'impôt fondée sur le fait que le salaire et la rétribution pour ASR étaient des revenus d'emploi et il a donc conclu que les déductions indiquées étaient prohibées par les paragraphes 8(2) et (10) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[2] Dans le présent appel, la principale question est de savoir si la rétribution pour ASR est un revenu provenant d'une charge ou d'un emploi au sens du paragraphe 5(1) de la Loi ou s'il s'agit d'un revenu dont la source est une entreprise. Si l'activité relative aux ASR constitue une entreprise, une question secondaire se pose, à savoir quelle partie des dépenses est déductible.

[3] Il semble que les ASR représentent un régime de prestation de services policiers contre remboursement des frais, soit des services requis en raison des activités d'une personne ou d'un groupe particulier. L'attribution d'ASR résulte d'un processus qui commence par une demande d'un client ayant besoin des services d'un agent de police pour une occasion spéciale. Par exemple, un entrepreneur de pompes funèbres peut demander à ce que des agents motocyclistes escortent un cortège funèbre. Une personne organisant une exposition, un concert ou une compétition sportive comme une partie de hockey ou de baseball susceptible d'attirer une foule importante peut demander à ce que des agents de police dirigent la circulation avant et après l'événement et veillent au maintien de l'ordre pendant l'événement. Des permis délivrés pour la construction d'un immeuble peuvent être assortis d'une condition obligeant le constructeur à faire en sorte que des agents de police soient présents pour assurer la sécurité du public et diriger la circulation lorsque du matériel sur la rue adjacente au chantier de construction peut poser un problème de sécurité pour les automobilistes et les piétons. De telles tâches sont accomplies fréquemment par des agents de police en ASR et elles le sont aux frais du client et non pas aux frais des contribuables en général.

[4] Il pourrait être utile au départ de mentionner les quatre principales caractéristiques qui distinguent les ASR des fonctions quotidiennes dont un agent de police s'acquitte en échange du salaire versé par l'employeur. Premièrement, les agents de police ne sont pas tenus de remplir des ASR. Seuls les agents qui se portent bénévoles pour cela reçoivent de telles affectations. Deuxièmement, les ASR ne sont remplies que pendant des périodes où les agents ne sont pas de service. Troisièmement, la rétribution pour une ASR est versée à l'agent directement par le client dont la demande a mené à l'attribution d'une ASR. Le corps de police ne prend en charge aucune responsabilité pour ce qui est du recouvrement des sommes gagnées par l'agent ayant rempli des ASR. Quatrièmement, le tarif horaire gagné par un agent en ASR n'est pas déterminé par la convention collective de l'Association de police de Toronto[1] et le corps de police; il est fixé par l'Association, unilatéralement.

[5] L'avocate de l'appelante soutient que celle-ci, lorsqu'elle remplit une ASR, fournit ses services non pas au corps de police, soit son employeur, mais plutôt au client ayant demandé les services. L'avocate de l'appelante affirme que le corps de police et ses agents forment alors une coentreprise dans laquelle le corps de police est le représentant de l'agent de police aux fins de la conclusion d'un contrat avec le client pour la prestation d'un service à ce client par cet agent. Ce service, d'après l'argument de l'avocate, est non pas un service policier, mais plutôt un service qui a le caractère d'un service de sécurité, qui est assuré aux termes de contrats d'entreprise et qui déborde le cadre du contrat de travail.

[6] L'avocate de l'appelante fait référence aux dispositions de la Loi sur les services policiers[2] qui restreignent la possibilité pour un agent de police d'exercer un emploi secondaire. Elle fait remarquer que le paragraphe 49(2) de cette loi permet à des agents de police de fournir leurs services à des tiers à titre privé lorsque les services ont été “ arrangés ” par l'intermédiaire du corps de police. L'article 49 se lit en partie comme suit :

49. (1) Aucun membre d'un corps de police ne doit entreprendre une activité :

[...]

d) qui lui procure un avantage du fait qu'il est membre d'un corps de police.

(2) L'alinéa (1)d) n'empêche pas un membre d'un corps de police de fournir, à titre privé, des services qui ont été arrangés par l'intermédiaire du corps de police.

D'après l'argument de la partie appelante, c'est le paragraphe 49(2) qui permet à des agents de police de remplir des ASR.

[7] L'intimée soutient pour sa part qu'un agent de police remplissant une ASR gagne un revenu d'emploi en tant qu'employé du corps de police.

[8] À l'audition de l'appel, Frank Chen, directeur de l'administration financière des services de police de Toronto, a témoigné. Il a décrit l'ASR comme étant l'affectation à une tâche demandée par un client, soit l'exercice d'une activité policière tout particulièrement pour ce client.

[9] Le régime des ASR est structuré et mis en oeuvre conformément à des règles et à des directives en matière de politiques qui font partie de l'ensemble des directives régissant tous les aspects des activités policières. D'après M. Chen, les règles sont élaborées par le groupe chargé de la planification générale au sein de l'administration policière.

[10] L'article 6 des règles traite des ASR. Une lecture attentive de cet article est essentielle à la compréhension du système. L'article 6 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

6.6.0 AFFECTATIONS SPÉCIALES RÉMUNÉRÉES

6.6.1 AUTORISATION

Sauf directive contraire du chef de police, les demandes d'affectations spéciales rémunérées peuvent être approuvées par le chef d'unité, pourvu que la nature de l'emploi ou de l'activité commerciale ne soit pas incompatible avec les fonctions d'un agent de police, avec les politiques du conseil ou avec le présent règlement.

Seules les affectations spéciales rémunérées qui ont été approuvées par un chef d'unité peuvent être remplies par des agents de police.

6.6.2 DEMANDES ÉCRITES OBLIGATOIRES

Les demandes d'affectations spéciales rémunérées doivent être présentées par écrit. Elles doivent indiquer la nature des fonctions à exécuter, le nombre d'heures en cause, les heures précises pour lesquelles le service est demandé et la raison pour laquelle des agents en affectations spéciales rémunérées sont nécessaires.

6.6.3 ATTRIBUTION ET ENREGISTREMENT DES ASR

Les dirigeants responsables doivent veiller à ce que les affectations spéciales rémunérées :

- soient attribuées aux membres de leur unité d'une manière juste et impartiale;

- n'entravent pas les fonctions policières ordinaires.

Les affectations spéciales rémunérées doivent être enregistrées et traitées conformément à la pratique établie.

6.6.4 RESTRICTIONS RELATIVES AUX HEURES CONSACRÉES AUX ASR

Au cours d'une période de 24 heures, un agent de police ne peut remplir une ou plusieurs affectations spéciales rémunérées d'une durée de plus de 12 heures. Le temps consacré à une affectation spéciale rémunérée ne peut dépasser cinq heures si une période de service ordinaire précède ou suit immédiatement une telle affectation.

6.6.5 INCAPACITÉ DE REMPLIR UNE AFFECTATION SPÉCIALE RÉMUNÉRÉE

L'agent de police qui se rend compte qu'il ne pourra remplir une affectation spéciale rémunérée doit immédiatement en aviser le dirigeant responsable de son unité, qui se chargera d'attribuer l'affectation à un remplaçant.

Les agents de police ayant accepté une affectation spéciale rémunérée ne pourront en être dispensés sans raison valable.

6.6.6 RÉTRIBUTION

Le paiement des affectations spéciales rémunérées incombe à la partie demandant de tels services. Un agent de police remplissant des fonctions spéciales rémunérées ne peut recevoir une rétribution supérieure au tarif horaire prévu dans la convention collective uniforme entre le conseil et l'Association de police de l'agglomération de Toronto.

6.6.7 AFFECTATIONS À REMPLIR HORS DES HEURES DE SERVICE ORDINAIRE

Les agents de police ne peuvent accepter une affectation spéciale rémunérée si une partie de l'affectation empiète sur le service ordinaire.

Les agents ayant des fonctions de supervision ne peuvent remplir d'affectations spéciales rémunérées pouvant être remplies par des agents de rang inférieur.

6.6.8 CONTRÔLE DE LA CIRCULATION

L'agent de police qui remplit une affectation spéciale rémunérée ayant trait au contrôle de la circulation sur des rues publiques doit faciliter une circulation ordonnée et non pas retarder inutilement le passage d'automobilistes et de piétons sur des artères publiques.

6.6.9 PRÉSENTATION AU TRAVAIL AVANT ET APRÈS L'AFFECTATION

Sauf instruction contraire, l'agent de police ayant reçu une affectation spéciale rémunérée doit, avant et après l'affectation, se présenter devant le dirigeant responsable de son unité. Le dirigeant responsable doit veiller :

- à ce que l'agent soit adéquatement vêtu et équipé et soit apte au travail;

- à ce que l'agent se présente devant lui avant et après l'affectation, conformément au présent article.

Les dirigeants responsables doivent enregistrer sur le formulaire approprié les heures marquant le début et la fin des affectations spéciales rémunérées.

6.6.10 VISITES D'AGENTS AYANT DES FONCTIONS DE SUPERVISION

Dans la mesure du possible, un agent ayant des fonctions de supervision au sein de l'unité de l'agent de police qui remplit une affectation spéciale rémunérée doit se rendre auprès de l'agent en affectation pour faire une visite d'inspection, et les deux doivent consigner cette visite dans leur carnet de notes.

[11] Les ASR sont remplies aux termes d'un contrat entre le client et le corps de police. L'agent de police n'est pas partie à ce contrat. L'agent de police ne participe pas au processus menant à la conclusion du contrat ou à la détermination des modalités de celui-ci. C'est seulement après que le contrat est conclu conformément aux articles 6.6.1 et 6.6.2 des règles que l'attribution prévue à l'article 6.6.3 a lieu. Le chef d'unité mentionné à l'article 6.6.1 est le chef de l'unité de qui relèverait la question si la fonction policière devait être remplie de la façon habituelle, aux frais du public. Dans le corps de police de Toronto, l'unité peut être une division géographique comme la division 53, dirigée par Selwyn Fernandez, qui a témoigné, ou une division fonctionnelle comme la division de la circulation, dirigée par Gary Grant, qui a également témoigné. Bref, la division administrative compétente qui dirige les activités ordinaires du service de police dirige également toutes les facettes des ASR.

[12] En outre, pour ce qui est de l'article 6.6.1 des règles, il est à noter que c'est non pas l'agent de police, mais plutôt le corps de police qui détermine les critères selon lesquels une demande d'ASR doit être jugée. Ainsi, par exemple, la directive en matière de politiques no 20-01 du corps de police prévoit en partie ceci :

[TRADUCTION]

FONCTIONS PROHIBÉES

Conformément à l'article des règles intitulé “ Autorisation ” (6.6.1), des affectations spéciales rémunérées ne pourront être remplies :

- au nom d'un employeur ou d'un syndicat touché par un conflit de travail;

- à l'occasion d'un événement susceptible de donner lieu à un affrontement entre des groupes participants;

- comme service de garde du corps;

- comme service d'escorte pour le transport d'argent.

[13] La directive en matière de politiques no 20-01 du corps de police précise ceci au sujet de l'article 6.6.2 des règles :

[TRADUCTION]

La demande d'affectation spéciale rémunérée doit être faite sur le formulaire prévu à cette fin (TPS 784) et être signée par l'auteur de la demande avant d'être approuvée. L'auteur de la demande peut soumettre l'original ou une télécopie du formulaire TPS 784.

Le formulaire TPS 784 fait état des modalités de l'entente aux termes de laquelle l'ASR est remplie. Ces modalités comprennent la date, l'heure, le lieu et les détails de l'affectation particulière demandée par le client, le nombre d'agents et le matériel policier demandés et, enfin, les éléments standard suivants :

[TRADUCTION]

1. Le paiement intégral des services d'un agent doit être fait à chaque agent une fois terminée l'affectation spéciale rémunérée.

2. Lorsqu'il s'agit d'un événement important et qu'il ne serait pas commode de payer chaque agent individuellement, un dépôt global peut être fait à la coopérative de crédit du corps de police, pour distribution subséquente aux membres participants. Cette option exige l'approbation préalable du chef d'unité en cause et de la coopérative de crédit du corps de police. Lorsqu'une telle option est levée, le paiement intégral doit être déposé avant l'événement prévu, à moins que d'autres dispositions contractuelles aient été prises à l'avance.

3. Taux actuel de rétribution :

constable

43 $ (par agent, compte tenu d'un minimum de trois heures)

sergent

48 $ (par agent, compte tenu d'un minimum de trois heures)

sergent d'état-major (responsable de 14 agents ou moins)

53 $ (par agent, compte tenu d'un minimum de trois heures)

sergent d'état-major (responsable de 15 agents ou plus)

54 $ (par agent, compte tenu d'un minimum de trois heures).

4. Au cours d'une période de 24 heures, un agent de police ne peut consacrer plus de 12 heures à des affectations spéciales rémunérées. Dans les cas où la durée maximale pourrait être dépassée, il pourrait être nécessaire de faire plusieurs réservations.

5. Taux horaire actuel relatif au matériel policier :

voitures /

motocyclettes

35 $ l'heure (compte tenu d'un minimum de trois heures)

embarcation à moteur

330 $ par embarcation (pour les trois premières heures)

100 $ par embarcation (pour chaque heure additionnelle)

chaloupe

50 $ par affectation

remorque ou bicyclette

20 $ par affectation

cheval ou chien

50 $ par affectation

6. Lorsqu'un événement dure plus longtemps que prévu, le tarif horaire s'applique pour chaque agent participant et pour le matériel policier utilisé.

7. Des frais d'administration (15 p. 100) s'appliquent au montant total exigé pour chaque affectation spéciale rémunérée. De plus, les 7 p. 100 de TPS s'appliquent aux frais d'administration ainsi qu'aux frais relatifs à l'utilisation de matériel policier.

8. D'une manière générale, les frais d'administration, les frais relatifs au matériel policier et les frais de TPS sont facturés séparément à une date ultérieure. Ces frais ne doivent pas être payés aux agents ni faire l'objet d'un dépôt à la coopérative de crédit du corps de police. REMARQUE : dans les cas où il s'agit d’événements importants et où l'option relative à la coopérative de crédit du corps de police est utilisée, tous les frais, y compris les frais d'administration et les frais relatifs au matériel, doivent faire l'objet d'un dépôt à l'avance.

9. Un manquement aux obligations financières concernant l'agent de police, concernant l'utilisation de matériel policier ou concernant les frais d'administration pourra donner lieu à la suspension de toute autre affectation spéciale rémunérée.

10. On pourra discuter avec le chef d'unité concerné du nombre requis d'agents de police (de tous les rangs).

11. Une affectation spéciale rémunérée peut être annulée par le chef de l'unité ou par le dirigeant responsable de l'unité si les conditions climatiques se dégradent au point où il serait dangereux ou risqué de continuer.

12. Par ailleurs, une annulation doit être signifiée au moins huit heures avant l'heure prévue pour le début de l'activité. Si l'avis d'annulation n'est pas reçu dans ce délai, un paiement minimum de trois heures par agent sera exigé, ainsi que les frais et taxes connexes. Aucuns frais pour utilisation de matériel policier ne seront exigés.

L'agent de police devant remplir l'ASR ne signe pas le contrat. Le formulaire ne renferme aucune disposition prévoyant que l'agent est partie au contrat.

[14] Les ASR sont très recherchées comme moyen d'augmenter le revenu de membres du corps de police. Il faut donc veiller à ce que les ASR soient attribuées équitablement aux agents qui désirent accomplir le travail. Il n'est pas nécessaire ici d'énoncer les détails du système d'attribution. L'important, aux fins qui nous occupent, c'est que le système est administré par le corps de police lui-même et que ce dernier se réserve le droit de refuser des ASR à des agents. Le témoignage du commissaire Fernandez indique qu'un chef d'unité peut, comme mesure disciplinaire, refuser à un agent la possibilité de remplir une ASR. Aucun élément de la preuve qui a été présentée n'étaye l'argument selon lequel le corps de police est le représentant de l'agent de police aux fins de la conclusion d'un contrat entre l'agent de police et le client. La preuve n'indique pas que le corps de police se présente comme tel ou entend qu'il en soit ainsi.

[15] Les frais administratifs (paragraphe 7 du formulaire TPS 784) visent à recouvrer les salaires versés au personnel policier affecté à l'administration du système d'ASR. Le temps consacré par des employés du service de police à administrer le système d'ASR est considérable. Au début des années 1990, le coût annuel direct total, pour le corps de police, correspondant au temps ainsi consacré par des employés était d'environ 700 000 $. En 1992, la rétribution totale versée à des agents de police à l'égard d'ASR a dépassé 8 800 000 $.

[16] Quand ils remplissent des ASR, les agents de police continuent de relever du corps de police, qui non seulement décide si la tâche sera entreprise, mais encore détermine la manière dont l'agent accomplira son travail et supervise l'agent dans l'accomplissement de son travail. Un exemple du contrôle ainsi exercé figure à l'article 6.6.8 des règles, cité précédemment. Un autre exemple tient à la directive détaillée en matière d'équipement de sécurité qui figure dans le manuel de politiques et procédures :

[TRADUCTION]

Utilisation d'équipement de sécurité approprié

Lorsqu'ils sont chargés de contrôler le passage d'automobilistes ou de piétons, les agents doivent porter un gilet de sécurité d'un orange vif ou un vêtement de dessus comportant un appliqué réflectorisant. Lorsqu'il fait noir, ils doivent également utiliser une lampe de poche. Si des travaux aériens de construction sont effectués, les agents doivent porter un casque de protection approuvé.

Dans la mesure du possible, les agents doivent avoir un radiotéléphone portatif pendant qu'ils remplissent une affectation spéciale rémunérée.

Un autre exemple tient à l'exigence du service de police portant que l'agent de police doit se présenter devant le dirigeant responsable au moins 15 minutes avant l'heure prévue pour le début de l'ASR et qu'il doit, une fois l'ASR terminée, se présenter de nouveau devant le dirigeant responsable de son unité et lui remettre son carnet de notes. Cette mesure permet au dirigeant de veiller à ce que l'agent de police soit convenablement équipé et à ce qu'il soit apte au travail. Un autre exemple du contrôle qu'exerce le corps de police sur la façon dont est remplie une ASR tient à l'ensemble détaillé de directives régissant la conduite d'agents motocyclistes qui escortent des cortèges funèbres.

[17] L'article 20.01 du manuel de politiques et procédures du corps de police se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Un agent de police [...]

3. Ne doit pas, pendant qu'il remplit une affectation spéciale rémunérée :

fouiller un membre du public, sauf s'il y est autorisé par la loi ou si cela est conforme à la directive sur la fouille d'individus (01-02);

utiliser son véhicule personnel pour transporter des personnes ou de l'argent pour l'auteur de la demande.

4. Doit, après avoir terminé une affectation spéciale rémunérée :

se présenter devant le dirigeant responsable de l'unité, sauf instruction contraire;

remettre le carnet de notes au dirigeant responsable.

Les commissaires Grant et Fernandez ont clairement indiqué dans leurs témoignages que les agents relevant d'eux doivent suivre les règles et politiques du corps de police de Toronto. J'ai bien l'impression que ni l'un ni l'autre de ces agents supérieurs ne tolérerait que des agents relevant de lui dérogent aux règles du corps de police, que ces agents soient en service ordinaire ou en ASR.

[18] Qu'un agent de police soit en service ordinaire ou en ASR, le régime disciplinaire auquel il est assujetti est le même. Le commissaire Fernandez a témoigné qu'il avait imposé des mesures disciplinaires à des agents parce qu'ils étaient arrivés en retard à des ASR ou qu'ils n'étaient pas convenablement équipés au cours d'une ASR.

[19] L'appelante a témoigné qu'elle relevait du client pendant qu'elle remplissait une ASR. Elle a dit que, lorsqu'elle remplissait une ASR durant une partie de baseball, elle recevait des instructions d'employés de l'équipe ou du stade. Je n'accepte pas ce témoignage. J'ai eu l'impression que, dans son témoignage, l'appelante était plus soucieuse de faire valoir sa cause que d'être sincère. Il est clair que des agents ayant des fonctions de supervision étaient présents lors d'événements importants, conformément aux exigences énoncées dans le manuel de politiques et procédures du corps de police, soit :

[TRADUCTION]

Exigences en matière de supervision

Les normes établies, qui se fondent sur les clauses de la convention collective uniforme applicables aux agents de police, sont les suivantes :

I. au moins un sergent / détective est nécessaire pour un groupe de quatre constables ou plus;

II. lorsque dix agents de police ou plus reçoivent une affectation spéciale rémunérée, ils doivent être supervisés non seulement par un sergent / détective, mais aussi par un sergent d'état-major / sergent-détective.

REMARQUE : lorsque le nombre d'agents de police supervisés est de plus de quinze, les sergents d'état-major / sergents-détectives ont droit à un taux de salaire accru, conformément à la convention collective uniforme.

[20] L'appelante a témoigné qu'elle rencontrait rarement des superviseurs pendant qu'elle remplissait des ASR. Sylvie Guay, qui est agente de police depuis 12 ans, a témoigné que, les fois où elle avait rempli des ASR, jamais un superviseur n'était allé la voir, si ce n'est un superviseur effectuant une patrouille générale. Elle a toutefois reconnu que, en remplissant une ASR, elle serait tenue de respecter les ordres qu'un sergent lui donnerait. Quoique la supervision exercée par le corps de police sur des agents en ASR puisse ne pas être continue, je préfère le témoignage plus objectif des commissaires Grant et Fernandez selon lequel des superviseurs se rendent, du moins occasionnellement, auprès d'agents remplissant une ASR pour veiller à ce que le travail soit bien fait. De plus, c'est le droit d'exercer un contrôle et non l'exercice d'un contrôle qui importe.

[21] Les agents de police qui remplissent une ASR portent leur uniforme dans la plupart des cas. Les uniformes sont la propriété du corps de police. L'équipement transporté et utilisé par un agent qui est de service, par exemple les armes, les radios et les téléphones cellulaires, appartient aussi au corps de police. Les véhicules comme les motocyclettes et les voitures de patrouille qu'utilisent parfois des agents remplissant une ASR sont également la propriété du corps de police. Dans ce qui est utilisé pour remplir une ASR, presque rien n'appartient à l'agent de police.

[22] L'appelante a témoigné qu'elle avait chez elle une pièce avec bureau, téléphone et bibliothèque pour la tenue de registres concernant les ASR. Encore là, je crois que le témoignage de l'appelante est insincère. Je ne suis pas convaincu que cette pièce ou le mobilier de cette pièce jouent réalistement un rôle dans le processus consistant à gagner un revenu. Le corps de police tient pour chaque agent un registre complet des heures consacrées aux ASR et des gains ainsi réalisés et il en fournit une copie à l'agent. Rien d'autre n'est réellement nécessaire.

[23] Le service de police a délivré des feuillets T4 à ses agents à l'égard de revenus d'ASR pour certaines années, mais pas pour d'autres. J'ai l'impression que les variations dans les pratiques relatives à la délivrance de feuillets T4 représentaient plutôt, d'une part, la force relative variable des demandes de Revenu Canada en matière de délivrance de feuillets et, d'autre part, la résistance de l'association de police à cet égard. Je suis certain que chaque organisation était sincère dans les points de vue inhérents à sa position sur la délivrance de T4, mais je ne trouve pas que les pratiques en la matière aident de quelque manière à trancher la question maintenant soumise à la Cour.

[24] Comme l'indiquent l'article 6.6.6 des règles et le paragraphe 1 des modalités standard du contrat TPS 784, la rétribution de l'agent de police à l'égard d'ASR est versée directement à l'agent par le client (ou déposée dans le compte de l'agent à la coopérative de crédit du corps de police). L'agent assume le risque de ne pas être payé, et cela lui est rappelé par des écrits qui sont affichés dans les postes de police et qui indiquent carrément que le corps de police n'est pas une agence de recouvrement. Dans les cas relativement rares où des clients omettent effectivement de payer une ASR, il arrive que des agents supérieurs écrivent officieusement des lettres sur du papier à en-tête du corps de police pour relancer ces clients afin de leur faire payer leurs dettes.

[25] Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N.[3], la Cour d'appel fédérale a statué que le critère permettant de distinguer un contrat de louage de services d'un contrat d'entreprise est “ [...] un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci-dessus “ l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations ”, et ce, même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés. ”[4] Les quatre éléments du critère approuvé sont le contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de perte et, enfin, l'intégration (critère d'organisation). Dans l'arrêt Wiebe Door, la Cour d'appel précise que c'est probablement le juge Cooke qui, “ parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse ”[5] dans les motifs qu'il rendait dans l'affaire Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security[6] :

[TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : “ La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte ”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[26] À mon avis, la preuve présentée dans la présente affaire ne permet pas de conclure que, lorsqu'elle remplit une ASR, l'appelante agit “ en tant que personne dans les affaires à son compte ”. De la manière dont je vois les choses, l'appelante offre ses services au corps de police et non au client. C'est le corps de police qui conclut avec le client le contrat de prestation de services policiers. Il le fait dans le cadre d'un processus auquel l'agent de police ne prend pas part. L'agent n'est choisi qu'après la conclusion du contrat avec le client. C'est le corps de police et non l'appelante qui exploite l'entreprise consistant à fournir le service.

[27] En acceptant une ASR, l'appelante ne s'engage pas, comme le fait habituellement un entrepreneur indépendant, à atteindre un objectif défini. Comme l'indique clairement l'article 6.6.5 des règles, elle s'engage à travailler personnellement pour un certain temps. L'appelante n'a pas le droit de s'acquitter de son obligation en envoyant un remplaçant. C'est le corps de police qui détient ce droit.

[28] En remplissant une ASR, l'appelante n'a pas à exercer son jugement comme entrepreneur. Elle ne peut rien faire pour maximaliser les revenus, si ce n'est, évidemment, travailler un plus grand nombre d'heures, et même cela est dans une large mesure indépendant de sa volonté. Elle ne peut pratiquement rien faire pour minimaliser les dépenses; une ASR n'implique guère de dépenses et, à cet égard, ressemble à un emploi ordinaire.

[29] Au paragraphe 4 des présents motifs, j'ai mentionné les quatre principales caractéristiques qui distinguent une ASR d'une fonction ordinaire. Un emploi entrepris volontairement n'en demeure pas moins un emploi. Un travail accompli pour un employeur au cours d'une période qui serait par ailleurs du temps libre pour l'employé peut néanmoins être régi par le contrat de travail, comme dans le cas d'heures supplémentaires effectuées volontairement. La façon dont le client effectue le paiement est sans aucun doute une caractéristique exceptionnelle du système d'ASR. Dans certaines circonstances, cela pourrait indiquer l'existence d'un certain type de contrat entre l'agent de police et le client pour qui une ASR doit être remplie. Dans le contexte de la présente affaire, tel n'est pas le cas. Il faut se rappeler que des revenus d'emploi ne proviennent pas toujours de l'employeur. Des personnes exerçant un emploi dans le domaine de la restauration ou de l'hôtellerie, par exemple, tirent souvent une partie très importante de leur revenu des pourboires. Enfin, le fait que l'association de police fixe unilatéralement le taux horaire de rétribution, en vertu d'un droit prévu dans la convention collective entre l'association et le corps de police, n'aide pas l'appelante. Le fait que ce droit est prévu dans une convention collective tend à indiquer que les ASR peuvent être considérées comme faisant partie de la relation commettant-préposé, qui est régie par la convention collective.

[30] Tous les éléments du critère composé de quatre parties intégrantes amènent à conclure que, lorsqu'elle remplit une ASR, l'appelante agit en tant qu'employée du corps de police. Elle n'a pas sa propre entreprise. Elle accomplit du travail aux termes d'un contrat entre le corps de police et le client, soit un contrat auquel elle n'est pas partie. Le corps de police a le droit de contrôler la façon dont est accompli le travail, et il exerce ce droit. Ce droit n'est pas illusoire. Le travail de l'appelante consistant à remplir des ASR est en fait contrôlé par le corps de police. De plus, ce travail implique l'utilisation d'équipement qui est fourni par le corps de police.

[31] L'alinéa 49(1)d) de la Loi sur les services policiers ne s'applique pas. De toute évidence, cette disposition ne vise pas à empêcher un membre du corps de police d'accomplir des tâches comme employé du corps de police et, à mon avis, c'est exactement ce que font des agents de police quand ils remplissent des ASR.

[32] Je reconnais que ma décision ne cadre pas avec le jugement Gordon c. La Reine[7], soit un jugement de notre cour rendu sous le régime de la procédure informelle. Dans cette cause-là, il semblerait que la Cour n'ait pas eu l'avantage que représentent les éléments de preuve qui m'ont été présentés.

[33] Pour les motifs énoncés précédemment, l'appel est rejeté, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'avril 2000.

“ Michael J. Bonner ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour d'octobre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur



[1] Organisation dont l'objet inclut l'amélioration des conditions de travail et de la rémunération des agents de police.

[2] L.R.O. 1990, ch. P-15.

[3] [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025).

[4] Il s'agit ici de ce que lord Wright avait dit dans l'affaire Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd. et al., [1947] 1 D.L.R. 161.

[5] à la page 564 (DTC : à la page 5030).

[6] [1968] 3 All E.R. 732, aux pages 738 et 739.

[7] C.C.I., no 92-2830(IT), 22 avril 1993 (97 DTC 1529).

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