Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000511

Dossier: 97-1776-IT-G

ENTRE :

AARON BRAUN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Prononcés oralement à l'audience à Toronto (Ontario) le 15 mars 2000)

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel, interjeté contre une cotisation dont l'avis est daté du 29 décembre 1994 et porte le numéro 38854, qui oppose Aaron Braun et Sa Majesté la Reine. En vertu des articles 227 et 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi), le ministre a établi une cotisation à l'égard de l'appelant en sa qualité d'administrateur de Fax-It Canada Corporation par suite de l'omission de cette société de remettre au receveur général un montant d'impôt fédéral conformément à l'article 153 de la Loi. La cotisation exigeant le paiement de ce montant ainsi que les intérêts et les pénalités s'y rapportant.

[2] L'appelant a déposé en l'espèce un avis d'appel, qu'il a adopté au début de son témoignage comme preuve à l'appui de ses conclusions. Il y déclare ceci :

[TRADUCTION]

Pendant les périodes pertinentes, j'étais associé dans une entreprise exploitée en Ontario sous le nom de Fax-It. L'entreprise fournissait à ses clients des services de recherche documentaire par télécopieur.

La demande de nos services allant en s'accroissant, les associés fondateurs ne suffisaient plus à la tâche. Notre capital étant alors limité, nous n'avions pas les moyens d'engager des employés à temps plein pour satisfaire à la demande croissante de nos clients. Pour répondre à la demande, l'entreprise a conclu des contrats avec des tiers autonomes (“ pigistes ”), qui devaient fournir des services directement à nos clients et détourner ainsi une partie du volume de travail.

Les pigistes étaient des entrepreneurs autonomes qui ne travaillaient pas à temps plein pour Fax-It et qui avaient d'autres entreprises. Ils travaillaient indépendamment de la contribuable et n'étaient soumis à aucune supervision directe de la part de celle-ci.

Le ministère du Revenu national a établi une cotisation à l'égard de l'entreprise pour le motif que ces pigistes étaient des employés, et a exigé de moi le paiement de retenues au titre du RPC, de l'assurance-chômage et de l'impôt ainsi que le paiement des pénalités et des intérêts y afférents.

Je soutiens que la cotisation n'est valide ni en droit ni en fait. Les pigistes n'avaient avec l'entreprise aucun contrat de louage de services au sens du Régime de pensions du Canada ou de la Loi sur l'assurance-chômage. Ils étaient plutôt des entrepreneurs indépendants engagés pour fournir des services aux clients de l'entreprise.

[3] Au cours de son témoignage, l'appelant a également passé en revue la réponse de l'intimée et s'est penché plus particulièrement sur les hypothèses y énoncées, dont la première se trouve au paragraphe 3 de la réponse :

[TRADUCTION]

a)                    pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant était un administrateur de la société;

L'appelant a admis cette hypothèse. Il a toutefois rejeté les hypothèses qui la suivent.

[TRADUCTION]

b)                    pendant toutes les périodes pertinentes, la société comptait deux employés; elle a effectué des retenues à la source au titre notamment de l'impôt sur le revenu fédéral sur la rétribution versée à ces employés;

L'appelant a répliqué à cette hypothèse qu'aucune retenue n'avait été faite au titre de l'impôt sur le revenu. Des montants ont été retenus uniquement à la demande des employés ou des travailleurs et ont été détenus pour leur compte.

[TRADUCTION]

c)                    la société a omis de remettre au receveur général l'impôt sur le revenu fédéral retenu sur les salaires versés à ses employés;

Encore une fois, l'appelant a déclaré qu'il n'était pas d'accord car, a-t-il dit, aucun impôt sur le revenu fédéral n'avait été retenu et, en raison de la nature de la relation entre Fax-It et les pigistes, il n'y avait aucune obligation de le faire.

[TRADUCTION]

d)                    la société a omis de payer les pénalités et les intérêts se rapportant à l'impôt fédéral non remis;

L'appelant a déclaré qu'il n'était pas d'accord car, à son avis, les pénalités et les intérêts ne sont pas applicables dans ce cas-ci.

[TRADUCTION]

e)                    le 11 août 1994, un certificat faisant état du montant dû par la société au titre de l'impôt fédéral, des pénalités et des l'intérêts a été enregistré à la Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 223(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications, et la tentative d'exécution forcée de cette dette n'a absolument rien donné;

L'appelant a admis cette hypothèse.

[TRADUCTION]

f)                     l'appelant n'a pas agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir l'omission par la société de remettre le montant en question qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

L'appelant a déclaré que, la société n'étant pas obligée de retenir quelque montant que ce soit, ce moyen de défense n'était à son avis même pas nécessaire ni n'était applicable à son égard.

Questions en litige

[4] Il s'agit d'abord de déterminer si les particuliers à qui la société a versé une rétribution étaient des employés de la société ou des entrepreneurs autonomes. Il s'agit ensuite de déterminer si, par suite de l'omission par la société de remettre au receveur général un montant d'impôt sur le revenu fédéral conformément à l'article 153 de la Loi, l'appelant est tenu aux termes du paragraphe 227.1(1) de payer ce montant avec les pénalités et les intérêts s'y rapportant.

Preuve

[5] Le témoignage et les observations de l'appelant ont porté exclusivement sur la question de savoir si les travailleurs étaient des employés de la société ou des entrepreneurs autonomes. J'examinerai maintenant la preuve en conséquence.

[6] L'appelant a appelé comme premier témoin Mary Elliott, qui a déclaré avoir commencé à travailler pour Fax-It Corporation à titre de chef de bureau et de travailleur non spécialisé en 1989. Elle n'avait aucune expérience et a simplement été engagée; elle travaillait dans les locaux de Fax-It Corporation huit heures par jour et effectuait parfois des heures supplémentaires. Elle recevait des instructions de l'appelant, Aaron Braun, en sa qualité de responsable de la société, et elle lui rendait des comptes. Elle n'avait aucun pouvoir de signature. Le travail consistait notamment à effectuer des recherches pour des avocats, à faire des photocopies, à gérer le bureau et, de façon générale, à effectuer des recherches pour le compte de la société. Celle-ci fournissait tout l'équipement, y compris un ordinateur, des télécopieurs et une calculatrice. Mme Elliott travaillait parfois à la maison pour la société en utilisant son propre ordinateur. Il s'agissait alors d'entrer dans l'ordinateur les adresses des clients qu'elle utilisait aux fins des rapports qu'elle dressait tous les mois pour la société. Mme Elliott a cessé de travailler en 1992, lorsque la société a fermé ses portes. Elle a déclaré ne pas avoir reçu ses feuillets T4, bien qu'elle les ait demandés.

[7] Ensuite, l'appelant a témoigné pour sa propre cause. Il a déclaré que Mary Elliott et Craig Beaudro étaient des travailleurs autonomes, qu'ils pouvaient travailler pour d'autres personnes et que c'est ce qu'ils avaient fait. Il a dit que, lorsqu'elle était tombée enceinte, Mme Elliott avait tenté d'obtenir des prestations d'assurance-chômage et que, par suite de cette tentative, elle avait essayé de modifier la relation contractuelle.

[8] L'appelant a déclaré également que les chèques de paie étaient émis par une certaine Charlene Whiteduck, qui travaillait apparemment pour une société liée à l'appelant, appelée Prompt Couriers.

[9] L'intimée a appelé comme premier témoin l'agente d'examen des fiducies de Revenu Canada, une certaine Denise Patterson. Cette dernière a déclaré qu'elle avait communiqué avec Aaron Braun et procédé à un examen des registres de la société. Il en était ressorti que les retenues à la source avaient été effectuées en 1990 et en 1991, mais pas en 1992. L'intimée a appelé également Craig Beaudro, qui travaillait pour Fax-It Corporation en 1990. Il a déclaré qu'il recevait ses instructions de la société par l'entremise de Mary Elliott. Il effectuait lui aussi des recherches pour la société et, comme il l'a dit lui-même, faisait la queue pour la société, versait de l'argent pour des recherches effectuées pour le compte de la société et faisait le va-et-vient pour elle. Pendant qu'il travaillait pour la société, a-t-il déclaré, il ne travaillait pour personne d'autre et il touchait approximativement le même montant chaque semaine. Il n'a investi aucun montant d'argent dans Fax-It Corporation.

Dispositions législatives applicables et jurisprudence

[10] En ce qui concerne les dispositions législatives applicables et la jurisprudence, si une société omet de déduire, de retenir et de remettre ou de payer un montant comme elle est tenue de le faire aux termes de certaines dispositions de la Loi, les administrateurs de cette société sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de la somme due par la société aux termes de la Loi. La responsabilité étant solidaire, chaque administrateur est responsable du paiement du plein montant de l'obligation. Il y a certaines restrictions quant à la responsabilité des administrateurs mais, en l'espèce, aucune de ces restrictions n'a été invoquée ou discutée.

[11] Toujours en ce qui concerne les dispositions législatives et la jurisprudence applicables ainsi que la façon dont elles ont été traitées en l'espèce, l'appelant cherchait à démontrer que les travailleurs étaient des entrepreneurs autonomes et non pas des employés. Il y a donc lieu de déterminer si, en l'espèce, il existait un contrat de louage de services ou bien un contrat d'entreprise. Dans le cadre d'une telle analyse, il faut prendre en considération quatre critères fondamentaux. Le premier est celui du contrôle et de la supervision. Qui a le droit de contrôler le travailleur et le droit de le diriger? Ce droit existe-t-il même s'il n'est pas exercé? Enfin, qui a le droit de suspendre ou de congédier le travailleur? Le deuxième critère concerne les bénéfices et les pertes. La chance de réaliser des bénéfices et le risque de subir des pertes sont fondés sur la notion selon laquelle, dans une relation employeur-employé, en général l'employé n'engage aucune dépense et n'assume aucun risque financier, et il n'a aucune chance de réaliser des bénéfices. Le troisième critère est celui de la propriété des instruments de travail. De façon générale, si l'employeur fournit les outils, cela indique qu'il contrôle le travailleur, bien qu'il y ait certaines exceptions. Le quatrième critère est celui de l'organisation ou de l'intégration : l'analyse en fonction de ce critère vise à résoudre la question fondamentale de savoir à qui appartient l'entreprise. Il ne faut pas se contenter d'examiner la relation en surface; il faut examiner la relation intrinsèque.

[12] De façon générale, aucun critère pris isolément n'est déterminant. Tous les éléments de preuve doivent être examinés, et tous les critères doivent être appliqués dans chaque cas, tant au travailleur qu'à la personne qui engage le travailleur. Tout cela permet de déterminer comment le travail effectué s'intègre à l'ensemble des éléments qui entrent dans le cadre des opérations.

[13] L'avocat de la Couronne m'a renvoyé à l'arrêt Wiebe Door. Le juge MacGuigan y a examiné les différents critères appliqués par les tribunaux pour établir une distinction entre l'entrepreneur et l'employé. Dans l'affaire Wiebe Door Services c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025), le juge MacGuigan s'est reporté, dans ses motifs du jugement, aux observations faites dans la décision Market Investigations v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, où, aux pages 738 et 739, le juge Cooke a déclaré ceci :

[TRADUCTION]

[...] le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “ La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte? ” Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel.

Analyse

[14] Le contrôle et la supervision de Mme Elliott, en ce qui concerne l'exécution de ses tâches, étaient exercés par l'appelant, M. Braun, pour le compte de la société. Dans le cas de M. Beaudro, ce contrôle et cette supervision étaient exercés par Mme Elliott pour le compte de la société. Je conclus que c'est M. Braun, pour le compte de la société, qui avait le droit d'engager et de congédier M. Beaudro et Mme Elliott. Ces derniers ont eu des heures de travail fixes pendant un certain nombre d'années et n'ont fait aucun investissement dans la société; ils étaient payés pour une journée de travail qui commençait à 8 h et se terminait à 17 h, mais pouvaient à l'occasion effectuer des heures supplémentaires. En outre, je conclus qu'ils n'avaient pas la possibilité de réaliser des bénéfices et ne risquaient pas non plus de subir des pertes dans l'exécution de leurs tâches. Les instruments de travail étaient fournis par la société. Cependant, il est parfois arrivé à Mme Elliott d'utiliser son propre ordinateur chez elle pour dresser des listes d'adresses aux fins des rapports mensuels destinés aux clients au travail.

[15] Compte tenu de l'ensemble de la relation en cause, je conclus, pour ce qui est de l'analyse visant à déterminer à qui appartenait l'entreprise, que le travail effectué par les travailleurs était complètement intégré à l'entreprise de la société, dont il constituait un élément répétitif et structuré. Je conclus que les travailleurs étaient employés aux termes d'un contrat de louage de services.

Conclusion

[16] En conclusion, les particuliers à qui la société a versé une rétribution étaient pendant toutes les périodes pertinentes des employés de la société et non des entrepreneurs autonomes. Le ministre a correctement établi, en vertu des articles 227 et 227.1 de la Loi, une cotisation à l'égard de l'appelant en sa qualité d'administrateur de Fax-It Canada Corporation par suite de l'omission de cette société de remettre au receveur général un montant d'impôt sur le revenu fédéral conformément à l'article 153 de la Loi, laquelle cotisation exigeait le paiement de ce montant ainsi que les intérêts et les pénalités s'y rapportant.

Décision

[17] L'appel est rejeté et les frais sont adjugés à l'intimée.

Ottawa, Canada, ce 11e jour de mai 2000.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour de novembre 2000.

Erich Klein, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.