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Date: 19980724

Dossier: 97-2492-IT-I

ENTRE :

MICHAEL NACH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Christie, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance sont interjetés sous le régime de la procédure informelle prévue aux articles 18 et suivants de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt. Les années 1992 et 1994 sont en cause.

[2] Il s'agit de déterminer si, relativement aux années en cause, l'appelant a le droit de déduire dans le calcul de son revenu la totalité des pertes agricoles qu'il a subies. L'intimée soutient qu'aucune des pertes n'est déductible.

[3] L'avis d'appel est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

Avis d'appel est par les présentes donné par l'appelant, résidant au 49, promenade Crawford, Ajax (Ontario) L1S 3A9, à l'encontre des nouvelles cotisations établies à son égard en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) pour les années d'imposition 1992 et 1994, lesquelles nouvelles cotisations ont été ratifiées dans une lettre datée du 27 mai 1997.

Exposé des faits

1. Au cours des années 1992 et 1994, l'appelant a exploité une entreprise de course de chevaux en tant que propriétaire terrien.

2. L'appelant n'avait aucune autre entreprise et consacrait la majeure partie de son temps à son entreprise de chevaux, notamment en entraînant les chevaux et en prenant soin d'eux.

3. L'appelant a subi des pertes agricoles de 9 733 $ en 1992 et de 19 765 $ en 1994, lesquelles ont été déduites du revenu et se rapportaient directement à l'entreprise agricole.

4. L'appelant a exploité son entreprise de course dans l'attente réaliste de réaliser un profit, et il soutient qu'il ne s'agissait pas d'un passe-temps et que, par conséquent, les dépenses engagées étaient liées aux activités de course et ne comportaient aucun élément personnel.

Questions en litige

5. En ce qui concerne les faits exposés ci-dessus, la question est de savoir si l'appelant avait le droit de déduire de son revenu les pertes agricoles de 9 733 $ pour l'année 1992 et de 19 765 $ pour l'année 1994.

Motifs et références législatives

6. L'appelant se fonde sur les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), qui auraient dû lui permettre de déduire les pertes découlant d'une entreprise agricole.

[4] Le paragraphe introductif et les paragraphes 1 à 6 inclusivement de la réponse à l'avis d'appel sont ainsi libellés :

[TRADUCTION]

En réponse à l'avis d'appel pour les années d'imposition 1992 et 1994, le sous-procureur général du Canada déclare ce qui suit :

A. EXPOSÉ DES FAITS

1. Il admet l'authenticité de l'avis de ratification daté du 27 mai 1997 joint à l'avis d'appel.

2. Il nie toutes autres allégations de fait contenues dans l'avis d'appel.

3. Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1992 et 1994, l'appelant a déduit les montants de 9 733 $ et de 19 765 $ respectivement à titre de pertes agricoles.

4. Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une cotisation à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1992 et 1994 dans des avis de cotisations datés du 28 juin 1993 et du 22 juin 1995 respectivement.

5. Dans les nouvelles cotisations établies à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1992 et 1994, dont les avis de nouvelles cotisations simultanés sont datés du 14 juin 1996, le ministre a refusé la déduction des pertes agricoles de 9 773 $ et de 19 765 $ respectivement.

6. Pour ainsi établir de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a) au cours des années d'imposition 1992 et 1994, l'appelant a déclaré un revenu agricole brut de 22 950 $ et de 2 260 $ respectivement, provenant de la prétendue entreprise agricole;

b) au cours des années d'imposition 1992 et 1994, l'appelant a déduit, relativement à la prétendue entreprise agricole, des dépenses de 32 683 $ et de 22 025 $, ainsi qu'en font foi les pièces A et B jointes aux présentes;

c) au cours des années précédentes, l'appelant avait déclaré le revenu brut et déduit les dépenses et les pertes agricoles suivants :

Revenu Pertes

Annéebrut Dépenses agricoles

1986 -- -- 6 982 $

1987 45 401 $ 54 042 $ 8 641 $

1988 -- -- 13 576 $

1989 7 535 $ 28 966 $ 21 431 $

1990 2 000 $ 19 361 $ 17 361 $

1991 20 410 $ 51 787 $ 31 377 $

d) au cours des années d'imposition 1986, 1987, 1988, 1989, 1990 et 1991, le ministre a restreint les pertes agricoles de l'appelant conformément au paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”);

e) pour l'année d'imposition 1995, l'appelant a déclaré un revenu agricole brut de 7 039 $ et il a déduit des dépenses de 23 286 $ et une perte agricole de 16 247 $;

f) les dépenses supérieures aux montants admis par le ministre n'ont pas été engagées ni effectuées, et si elles l'ont été, elles n'ont pas été engagées ou effectuées en vue de tirer un revenu de l'entreprise agricole;

g) au cours des années d'imposition 1992 et 1994, l'appelant ne pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit de l'entreprise agricole;

h) les dépenses supérieures au montant admis par le ministre n'ont pas été engagées en vue de tirer un revenu de l'agriculture; elles étaient plutôt des frais personnels ou de subsistance de l'appelant.[1]

[5] Il incombe à l'appelant d'établir selon la prépondérance des probabilités que les nouvelles cotisations sont erronées.

[6] Dans l'arrêt The Queen v. Donnelly, 97 DTC 5499, le juge Robertson, se prononçant pour la Cour d'appel fédérale, résume ainsi le droit relatif aux pertes agricoles :

Même s'il s'est écoulé vingt ans depuis que l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, a été rendu, nous continuons d'entendre des appels concernant des contribuables qui gagnent leur revenu à la ville et le perdent à la campagne. Dans le présent appel, le contribuable intimé est un médecin qui a cherché à déduire de son revenu de profession libérale la totalité des pertes agricoles qu'il a subies au cours des années d'imposition 1986, 1987 et 1988. Selon l'arrêt Moldowan, le contribuable doit satisfaire à deux critères pour avoir gain de cause. Il doit démontrer, en premier lieu, que son exploitation agricole avait une “ expectative raisonnable de profit ” et, en second lieu, que l'agriculture est sa “ principale source de revenu ” (communément appelé l'agriculteur “ à temps complet ”). Si le contribuable est incapable de satisfaire au premier critère, il ne peut déduire aucune perte (communément appelé l'agriculteur “ amateur ”). S'il satisfait au premier critère mais pas au second, il peut déclarer une perte agricole restreinte de 5 000 $ (maintenant 8 500 $) par application de l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu (communément appelé l'agriculteur “ à temps partiel ”).

[7] Au fil des ans, on a beaucoup dit et beaucoup écrit sur l'attente raisonnable de profit. J'ai déjà affirmé ce qui suit dans d'autres affaires au sujet de cette notion. Pour être admises, les pertes d'entreprise doivent être liées à une activité commerciale motivée par le profit qui peut être considérée comme une source de revenu. Dans l'arrêt Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, le juge Dickson (plus tard juge en chef), au nom de la Cour suprême du Canada, a écrit ceci à la page 5215 :

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une “source” de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise : Dorfman c. M.N.R., 72 DTC 6131.

Plus loin à la même page, il s'est exprimé dans les termes suivants :

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise: La Reine c. Matthews.

Ce que le juge Dickson a dit au sujet du fait de “ déterminer objectivement ” est des plus importants dans les cas de la nature de celui qui nous occupe. Dans l'affaire Kerr and Forbes v. Minister of National Revenue, 84 DTC 1094 (C.C.I.), on peut lire ceci à la page 1095 :

[TRADUCTION]

L'existence d'une attente raisonnable de profit ne doit pas reposer sur des espoirs ou des aspirations subjectifs, aussi sincères soient-ils. La question doit être tranchée en fonction de critères objectifs.

[8] Après que la Cour d'appel fédérale eut prononcé ses motifs de jugement dans l'arrêt Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001, de sérieuses questions ont été soulevées quant à savoir si cette affaire modifiait censément le droit énoncé dans l'arrêt Moldowan. Il ressort cependant clairement de la décision subséquente que la Cour d'appel fédérale a rendue dans The Attorney General of Canada v. Mastri, 97 DTC 5420, que l'arrêt Tonn ne doit pas être interprété de cette façon.

[9] Compte tenu des actes de procédure et de l'ensemble de la preuve, je suis d'avis que l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit en 1992 ni en 1994. À cet égard, je mentionne particulièrement la preuve suivante que l'appelant a produite sous la cote A-1. En 1985 et en 1993, les revenus agricoles excédaient les pertes de 5 758 $ et de 4 032 $ respectivement. Autrement, l'appelant a subi depuis 1986 une série de pertes dont les montants sont les suivants : 1986 : 6 982 $, 1987 : 8 641 $, 1988 : 14 299 $, 1989 : 27 722 $, 1990 : 30 361 $, 1991 : 18 377 $, 1992 : 9 733 $, 1994 : 19 765 $, 1995 : 16 247 $ et 1996 : 6 069 $.

[10] Au cours des années en question, les revenus agricoles représentaient la proportion suivante, en pourcentage, des dépenses : 1986 : 88,9; 1987 : 72,4; 1988 : aucun revenu, et des dépenses de 14 299 $; 1989 : 21,4; 1990 : 6,2; 1991 : 52,6; 1992 : 70,2; 1994 : 10,3; 1995 : 30,2; 1996 : 58. La moyenne des pourcentages est de 41. Le revenu, les dépenses et les pourcentages correspondants montrent bien qu'il n'existait pas d'attente raisonnable de profit. L'issue des appels en l'instance est à mon avis conforme à l'affaire Joudrey c. La Reine, [1997] A.C.I. no 74, qui est citée et approuvée dans l'affaire Mastri, à la page 5424.

[11] Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juillet 1998.

“ D. H. Christie ”

J.C.A.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour de mars 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Puisqu'aucune dépense n'a été admise par le ministre, l'avocate de l'intimée au procès a reconnu que la mention des dépenses excédant les montants admis par le ministre aux alinéas 6 f), g) et h) était superflue.

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