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Date: 19990129

Dossier: 97-2306-GST-I; 97-2307-GST-I; 97-2309-GST-I

ENTRE :

LAWRENCE RAYMOND BOYD, BARBARA BOUDREAU,JOSEPH BOUDREAU,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Les trois appelants ont déposé un avis d’appel commun et présenté une preuve commune.

[2] Les appelants interjettent appel contre les avis de cotisation établis en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise (la “ Loi ”) qu’ils ont reçus en leur qualité d’administrateurs d’une personne morale qui n’a pas versé la taxe sur les produits et services (la “ TPS ”) comme elle était tenue de le faire.

LES FAITS

[3] Les parties ont préparé un exposé conjoint des faits partiel qui est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

1. En tout moment pertinent en l’espèce, Joseph Boudreau, Barbara Boudreau et Lawrence Raymond Boyd (les “ appelants ”) étaient administrateurs de B & B Trailer Supplies Ltd. ( “B & B ”) et ils n’ont jamais démissionné de leur poste d’administrateur.

2. B & B était un inscrit relativement à la TPS depuis le 1er janvier 1991, elle devait produire un rapport et verser la TPS chaque mois. Jusqu’à ce qu’elle soit en défaut en septembre 1992, B & B a régulièrement versé la TPS.

3. Le 6 janvier 1993, B & B a déposé un Avis de l’intention de faire une proposition aux termes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Le 3 février 1993, B & B a déposé une proposition en vertu de Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

4. Le 15 avril 1993, la proposition datée du 3 février 1993 a été annulée et B & B était réputée avoir fait une cession de ses biens le 15 avril 1993.

5. Dans l’Avis de cotisation No SWOL040 daté du 27 mai 1993, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a réclamé à B & B une somme de 215 761,88 $ représentant 209 998,15 $ de TPS, 2 705,08 $ de pénalité et 3 058,65 $ d’intérêt pour la période allant du 1er septembre 1992 au 14 avril 1993.

6. En date du 27 mai 1993, une réclamation de la somme dont B & B était responsable envers le ministre a été établie dans les six mois de la cession de biens de B & B en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

7. Dans les Avis de cotisation Nos 08BP-100430057-01, 08BP-100430057-02 et 08BP-100430057-03, datés du 26 janvier 1996, le ministre a établi la dette fiscale respective de Joseph Boudreau, de Lawrence Boyd et de Barbara Boudreau à 147 570,10 $ comprenant 141 806,37 $ de TPS, 2 705,08 $ de pénalité et 3 058,65 $ d’intérêt pour la période allant du 1er septembre 1992 au 29 février 1993 en ce qui concernait le défaut de B & B de verser la TPS, les intérêts et les pénalités.

8. Dans les Avis de décision datés du 6 décembre 1996, le ministre a confirmé les Avis de cotisation mentionnés au paragraphe 7 ci-dessus se rapportant à la dette fiscale des appelants en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise (la “Loi ”).

LES TÉMOIGNAGES

[4] B & B Trailer Supplies Ltd. (“ B & B ”) vendait des fournitures de roulottes à des détaillants. Initialement, le bureau chef de l’entreprise était situé à Montréal. Durant la période en litige, B & B avait son siège social à London, Ontario. L’appelant Joseph Boudreau occupait le poste de président et l’appelant Lawrence Boyd celui de vice-président. Ils étaient tous les deux administrateurs de B & B et dirigeaient les activités quotidiennes de l’entreprise. M. Boyd était directeur général chargé de l’exploitation et M. Boudreau était responsable des ventes. L’appelante Barbara Boudreau, l’épouse de Joseph Boudreau, était également un administrateur de B & B. En 1992 et 1993, elle n’intervenait pas dans les activités ou dans l’administration de l’entreprise. Elle avait cessé en 1988 de tenir les livres. À compter de cette date, son rôle dans B & B, selon l’intéressée et son mari, visait seulement à lui permettre de recevoir un revenu qui normalement aurait été versé à M. Boudreau.

[5] M. Boudreau et M. Boyd détenaient respectivement soixante-quinze et vingt-cinq pour cent des actions de B & B.

[6] Dans les années 80, B & B a accru sa part de marché et a agrandi ses locaux. Ses installations ont pris de l’importance et B & B a acquis une entreprise existante dans l’ouest du pays. La Banque Nationale du Canada (la “ Banque ”) a avancé des fonds relativement à ces projets et consenti une marge de crédit à B & B.

[7] Chaque année, B & B et la Banque renouvelaient leurs ententes de financement après avoir convenu des nouvelles modalités.

[8] La récession économique des années 90 a provoqué un ralentissement des activités des entreprises de fournitures de roulottes, qui faisaient partie du secteur des loisirs.

[9] En 1990, la Banque a commencé à s’inquiéter de l’état et de la viabilité des emprunts de B & B et a modifié graduellement ses relations avec sa cliente. La Banque a demandé à B & B d’obtenir d’autres capitaux propres et a réduit son risque relativement à la marge de crédit. La Banque a exigé que B & B embauche des consultants à ses frais et elle a instauré une limite quotidienne sur les marges de crédit à l’exploitation, qui avait une incidence sur l’émission de chèques notamment.

[10] Ces dispositions ont été maintenues jusqu’en août 1992. Pendant toute cette période, les versements de TPS, que la Banque et B & B traitaient comme des créances prioritaires, ont été effectués. Cependant, M. Lawrence Boyd prétend que le représentant de la Banque lui a dit à la fin d’août 1992 de ne plus verser la TPS. M. Boyd a informé M. Boudreau immédiatement et il a transmis la directive de la Banque au teneur de livres. Chaque jour, la liste des chèques proposés et un rapport étaient envoyés à la Banque, et B & B, après consultations avec la Banque, traitait les chèques selon les consignes reçues.

[11] Durant septembre, octobre, novembre et décembre 1992, la Banque a imposé des limites de plus en plus strictes sur le crédit et élaboré une stratégie pour récupérer rapidement les fonds qu’elle avait avancés à B & B.

[12] En décembre l992, les administrateurs Joseph Boudreau et Lawrence Boyd ont cherché à régler autrement les difficultés de B & B. En janvier l993, ils ont préparé une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité aux termes de laquelle la somme de TPS due aurait été payée dans les six mois. De février à la mi-avril, cette proposition a suivi son cours normal jusqu’à ce qu’il devienne évident qu’elle était vouée à l’échec. B & B a alors fait faillite.

[13] B & B a consulté des professionnels et, le 14 avril 1993, a préparé un chèque à l’ordre du receveur général pour une partie importante de la somme de TPS due. Les administrateurs ont été informés que le chèque ne serait pas honoré.

[14] Même avec la faillite, les administrateurs Joseph Boudreau et Lawrence Boyd croyaient que les sommes de TPS dues seraient payées parce que, selon eux, il y avait suffisamment de comptes débiteurs et de stocks pour ce faire. En fin de compte, cependant, cela n’a pas été le cas.

[15] En tout moment pertinent, même si la Banque devait approuver la manière dont les fonds de B & B étaient utilisés, les administrateurs ont tenté d’éviter la faillite et de protéger les emplois des employés.

[16] Les témoignages sont étayés, en grande partie, par les documents produits en preuve.

[17] À compter de 1987, la Banque a communiqué les modalités de crédit à B & B par écrit.

[18] Des documents subséquents établissent que la Banque a exigé l’embauche d’un consultant et la centralisation des services administratifs chez elle. D’autres documents énoncent que la Banque se considère comme un créancier prioritaire et qu’elle se préoccupe de la viabilité financière à long terme de B & B.

[19] Les lettres que B & B a adressées à la Banque exposent la dépendance totale de l’entreprise envers la Banque et son désir de se montrer raisonnable face à la faillite imminente.

[20] Les exemples de rapports quotidiens remis à la Banque et les listes de chèques que B & B voulait émettre, étayent la preuve voulant que la Banque avait la maîtrise des décaissements.

[21] Un des points mis en preuve qui n’est pas étayé par une preuve documentaire est celui qui a trait à la directive de la Banque selon laquelle la TPS ne devait plus être versée après août 1992.

[22] M. Boyd a déclaré sans la moindre équivoque qu’il avait reçu une telle directive. Le représentant de la Banque responsable du dossier a déclaré qu’il ne se souvenait pas avoir donné cette directive mais qu’il est possible qu’elle l’ait été.

[23] Le représentant en question n’avait qu’un objectif : recouvrer l’argent de la Banque. D’ailleurs, la Banque l’a félicité en lui retournant le dernier relevé de compte dans le bas duquel était écrit : “ le centre mérite des félicitations pour avoir fermé ce compte avec succès ”.

[24] Un autre employé de la Banque, qui a joué un rôle avant août 1992, a déclaré qu’il avait de temps à autres demandé à B & B de mettre certains chèques dans “ le tiroir ”, la directive était claire, les chèques en question ne devaient pas être émis. Ce témoignage étaye la conclusion selon laquelle la Banque décidait qui devait être payé.

[25] La véracité et la crédibilité du témoignage de M. Boyd sont inattaquables. Il ressort donc de la preuve que la Banque lui avait ordonné après le mois d’août 1992 de ne pas verser la TPS. Dans les circonstances, et, étant donné la dépendance financière totale de B & B envers la Banque, les administrateurs n’avaient pas le pouvoir d’agir autrement.

[26] Un autre question mise en preuve qui a fait l’objet de discussions est celle de savoir dans quelle mesure Barbara Boudreau était au courant de la situation de B & B et intervenait dans les activités de l’entreprise. Elle a déclaré qu’elle était “ épuisée ” quand elle a quitté B & B en 1988, qu’elle a appris à sa belle-fille les rudiments de la tenue de livres et qu’elle a alors cessé de jouer un rôle dans les activités de l’entreprise. Durant la période pertinente, c’est-à-dire à la fin de 1992 et au début de 1993, elle demeurait en Floride et non à London, en Ontario. M. Joseph Boudreau a indiqué qu’il avait laissé son épouse dans l’ignorance de la grave situation dans laquelle se trouvait B & B. Elle n’était pas au courant des événements et elle a appris ce qui se passait seulement lorsque son mari est venu en Floride, en janvier 1993, lui annoncer qu’il fallait vendre leur unité condominiale à cet endroit parce que les affaires tournaient mal.

ANALYSE

[27] La loi édicte la responsabilité des administrateurs de la personne morale qui perçoit la TPS mais ne la verse pas au receveur général comme l’exige la loi.

[28] Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette en vertu de la Loi, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

[29] Comme l’édicte le paragraphe 323(3) de la Loi, l’administrateur qui peut établir qu’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances ne sera pas tenu responsable du remboursement de la somme due en vertu du paragraphe 323(1).

[30] Le récent arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Soper v. The Queen, 97 DTC p. 5407[1] est maintenant considéré comme la décision de principe sur la question de la responsabilité fiscale des administrateurs en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la Loi sur la taxe d’accise.[2] Dans l’arrêt Soper, la Cour examine les principes régissant la conduite des administrateurs lorsqu’elle doit déterminer si les administrateurs ont satisfait aux exigences de la défense de diligence raisonnable. Parmi les principes qui s’appliquent, il y a, entre autres, les suivants :

·          la norme de prudence est souple, et, dans son analyse, la Cour doit examiner toutes les circonstances;

·          la norme de prudence relative à la responsabilité fiscale d’un administrateur est partiellement objective et partiellement subjective;

·          l’administrateur a une obligation expresse d’agir du moment qu’il prend ou qu'il devrait prendre conscience que les versements posent problème;

·          la norme de prudence qui incombe à un administrateur interne est plus importante que celle qui incombe à un administrateur externe.

[31] Il ressort d’autres décisions que les administrateurs ne sont pas responsables des versements dans les cas où ils n’exercent aucun contrôle sur la gestion financière de la personne morale.

[32] Dans la décision Fancy v. M.N.R., 88 DTC 1641 (C.C.I.) rendue par le juge en chef Couture de la C.C.I., la banque de la personne morale en l’espèce avait commencé à exercer un suivi sur tous les chèques émis par cette dernière et elle n’autorisait que certains paiements. La banque avait refusé d’approuver les versements à Revenu Canada, et les administrateurs-appelants en avaient informé l’intéressé. La Cour a statué que les administrateurs avaient été victimes de circonstances et qu’ils ne pouvaient être tenus responsables parce qu’ils avaient fait preuve de diligence raisonnable.

[33] Dans l’affaire Robitaille v. The Queen, 90 DTC 6059 (C. F. 1re inst.), décision rendue par le juge Addy, la banque avait nommé un contrôleur et aucun chèque, y compris ceux représentant des remises à Revenu Canada, n’étaient émis sans son autorisation. La Cour a statué que l’administrateur ne peut être tenu responsable du défaut d’effectuer un versement s’il n’exerçait aucun contrôle sur les activités de la personne morale au moment où l’obligation de faire le versement a pris naissance. Le juge Addy écrit aux pp. 6062 et 6063 :

De plus, lorsqu’une banque a assumé le contrôle effectif d’une société comme c’est le cas en l’espèce, sans que les administrateurs lui aient demandé d’agir de la sorte ni l’aient invité à le faire, et lorsque c’est exclusivement la banque qui décide quels chèques seront ou ne seront pas rédigés sans consultation du conseil d’administration, à partir de ce moment les actions de la société en ce qui concerne le versement ou la retenue des deniers sont essentiellement celles de la banque et je serais disposé à statuer que même abstraction faite du paragraphe 227.1(3), les administrateurs n’auraient aucune responsabilité en vertu du paragraphe 227.1(1) car cette disposition envisage clairement la situation où la société agit librement par le truchement de son conseil d’administration. La responsabilité personnelle de l’administrateur ne saurait être engagée que s’il jouit d’une pleine et entière liberté de choix.

[34] De même dans les décisions Champeval et al. v. M.N.R., 90 DTC 1285 (C.C.I.), rendue par le juge en chef Couture de la C.C.I. et Worrell et al. v. The Queen, 98 DTC 1783 (C.C.I.), rendue par le juge McArthur de la C.C.I., la Cour a statué que, dans les cas où la banque et non les administrateurs décident quels chèques seront payés, les appelants ne disposaient d’aucune liberté de choix en la matière et ils ne pouvaient pas être tenus responsables du défaut de la personne morale d’effectuer les versements.

CONCLUSION

[35] Les appelants Lawrence Boyd et Joseph Boudreau ne jouissaient pas de la faculté de verser la TPS que B & B devait au receveur général parce que la Banque avait la haute main sur les fonds de B & B.

[36] Face au refus de la Banque de permettre l’émission des chèques, les appelants Lawrence Boyd et Joseph Boudreau ont tenté de résoudre la difficulté relative à la TPS en discutant d’une proposition concordataire avec leurs créanciers entre janvier et avril 1993. Ils ont aussi, en fin de compte, tenté d’émettre un chèque en avril 1993 pour payer la dette. Ils croyaient même qu’une faillite et que la cession de biens qui en découle permettraient à B & B de payer la TPS. Je conclus que les administrateurs Lawrence Boyd et Joseph Boudreau ont fait preuve de diligence raisonnable autant qu’ils le pouvaient et malgré les restrictions imposées par la Banque.

[37] Quant à l’appelante Barbara Boudreau, l’épouse de Joseph Boudreau, elle était un administrateur externe et passif et n’était pas au courant du défaut de verser la TPS. Elle n’a occupé un poste d’administrateur que pour une seule raison : recevoir un revenu et ainsi réduire celui qui était versé à son mari. Elle a été tenue dans l’ignorance des difficultés de B & B à dessein et induite en erreur par omission sur la situation financière de B & B. Quand elle a appris en janvier 1993 que B & B n’était plus en mesure de respecter ses obligations financières, elle ne pouvait prendre aucune mesure conservatoire, car B & B avait déjà déposé une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

DÉCISION

[38] Les appels sont accueillis et les cotisations annulées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de janvier 1999.

“D. Hamlyn”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 4e jour d'octobre 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Dans l’arrêt Soper, le jugeLinden a appuyé les motifs du juge Robertson. Le juge Marceau a rendu un jugement concordant distinct.

[2]                Dans l’arrêt Drover v. The Queen, 98 DTC 6378 (C.A.F) à la p. 6379, le juge Robertson, écrit à propos de l’arrêt Soper : “ Sont exposés dans cet arrêt les principes applicables en matière de responsabilité des administrateurs et de défense fondée sur la diligence raisonnable ”.

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