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Date: 19991201

Dossier: 98-1219-IT-I

ENTRE :

VALERIE D. BURTON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I

[1] Au moyen d'un Avis de prestation fiscale pour enfants daté du 20 mai 1997, le ministre du Revenu national (le ministre) a établi que l'appelante avait reçu un paiement en trop de prestation fiscale pour enfants de 4 323,89 $ pour la période allant du mois d'octobre 1996 au mois d'avril 1997 à l'égard de l'année de base 1995. L'appelante, Valerie Burton, a interjeté appel de cette décision pour le motif qu'elle était un particulier admissible à l'égard de personnes à charge admissibles au cours de cette période et, plus précisément, qu'elle était la personne qui, au cours de la période pertinente, résidait avec les personnes à charge admissibles et que c'est elle, la mère, qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation des enfants.

Faits

[2] L'appelante et son ex-époux, Blair Burton, sont les parents naturels de sept enfants, Amanda, Candy, Jason, Ellery, David, Trevor et Kevin, qui tous, au cours de la période en question, étaient des personnes à charge admissibles. Jusqu'au début d'octobre 1996, la famille résidait à Kelwood (Manitoba). À partir du moment où elle s'est mariée en 1980, et jusqu'à ce que le plus jeune des enfants commence l'école en août 1995, l'appelante était une femme au foyer. En 1995, elle est retournée sur le marché du travail à temps plein. Le 9 octobre 1996 ou vers cette date, l'appelante et son ex-époux se sont séparés, et elle a quitté la résidence de Kelwood. Elle s'est initialement installée à St. Rose, où elle travaillait, et est demeurée avec un ami pendant deux semaines avant d'emménager dans un appartement loué, qu'elle a habité pendant environ un mois. L'appelante a ensuite emménagé avec Cory Garrard, avec lequel elle « cohabite toujours » .

[3] Dans son témoignage, l'appelante a déclaré qu'au cours de la période en cause elle retournait au domicile familial à Kelwood presque tous les jours, une fois sa journée de travail terminée, pour faire la cuisine, le ménage, le lavage, conduire les garçons à leurs parties de hockey et s'occuper d'eux lorsqu'ils étaient malades. Son ex-époux a convenu qu'elle exécutait certes certaines de ces tâches, mais pas dans la mesure où elle l'affirmait et pas de façon quotidienne. D'après leurs témoignages, il était évident qu'il existait une grande animosité entre eux, et chacun s'est efforcé dans une certaine mesure d'embellir sa contribution pour ce qui est des soins et de l'attention accordés aux enfants. Je crois on ne peut plus indiqué de mentionner que l'hostilité entre les deux parties était exacerbée par le fait que l'appelante était représentée dans l'appel en l'instance par la personne avec laquelle elle cohabite.

[4] Vers la fin de la période de prestation en question, l'appelante et son ex-époux ont rencontré un médiateur dans le but principalement de limiter le temps que l'appelante passait au domicile familial. Elle a fait observer que « les choses continuaient exactement comme avant sauf que je ne dormais pas à la maison » et qu' « il nous a fallu fixer des limites » . Selon Blair Burton, c'en était rendu au point où elle était trop souvent à la maison et il « ne voulait pas d'elle aux alentours » . Ils ont finalement convenu qu'elle se rendrait à la résidence de Kelwood :

[TRADUCTION]

... deux soirs par semaine, pour les surveiller après l'école jusqu'à 20 h le premier soir (après quoi elle ira passer la nuit chez elle et conduira les enfants à l'école le lendemain) et jusqu'à 22 h le deuxième soir. En outre, les enfants passeront le weekend avec leur mère toutes les deux semaines. Le reste du temps, c'est le père qui s'occupera des enfants.

Question en litige

[5] La question en litige consiste à déterminer si Valerie Burton était un particulier admissible à l'égard des personnes à charge admissibles. La partie pertinente de la définition de particulier admissible se trouve à l'article 122.6 et elle est ainsi libellée :

122.6. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente sous-section.

« particulier admissible » — « particulier admissible » S'agissant, à un moment donné, du particulier admissible à l'égard d'une personne à charge admissible, personne qui répond aux conditions suivantes à ce moment :

a) elle réside avec la personne à charge;

b) elle est la personne — père ou mère de la personne à charge — qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de cette dernière;

[...]

[6] Il y a deux questions de fait à trancher en l'espèce. Premièrement, l'appelante résidait-elle avec les personnes à charge admissibles au cours de la période pertinente? Deuxièmement, était-elle la personne – le père ou la mère –qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de ses enfants?

Conclusion

[7] Les articles 122.6 à 122.64 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) ont été adoptés en 1992 afin de grouper les prestations qui étaient alors versées pour les enfants à charge. La prestation est payable à l'égard des « personnes à charge admissibles » . Une personne à charge admissible doit être âgée de moins de 18 ans au moment pertinent, ce qui était en fait le cas de ses enfants. La prestation est payable à un « particulier admissible » . Afin d'être considéré comme un particulier admissible, le particulier doit, à ce moment a) résider avec la personne à charge; b) être la personne — père ou mère — qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de l'enfant. Dans l'appel en l'instance, l'appelante doit faire la preuve qu'elle a satisfait aux deux critères.

[8] En ce qui concerne la question de savoir si l'appelante résidait avec les personnes à charge admissibles au cours de la période pertinente, je me dois de préciser que très peu d'affaires traitent en substance de la définition de la phrase « réside avec la personne à charge » . Cependant, dans l'affaire Eliacin v. Canada[1], le juge Rip s'est penché sur les termes « réside avec » . Dans cette affaire, le juge devait déterminer si l'appelante avait le droit de déduire les frais d'entretien de son enfant aux termes de l'article 63, ce qu'elle pouvait faire uniquement si l'enfant « résidait » avec elle. Étant donné que la question à trancher dans l'affaire Eliacin est identique à celle dont je suis saisi, les observations suivantes du juge Rip sont pertinentes en l'espèce :

L'avocate de l'intimée s'est basée sur l'arrêt Thomson c. M.R.N., [1946] R.C.S. 209, [1946] C.T.C. 51, 2 DTC 812, un jugement de la Cour suprême, qui a confirmé le principe selon lequel un contribuable peut avoir plus d'une résidence. À mon avis cet arrêt n'a aucune application aux faits de cet appel. L'alinéa 63(3)d) emploie les mots « ...le conjoint...a résidé avec le contribuable... » . ( « "resided with" dans la version anglaise de la Loi » ). Dans l'affaire Thomson on a discuté si le contribuable a résidé au Canada.

Le Petit Robert 1 définit le mot « avec »

1. (Marque le RAPPORT : présence physique simultanée; accord moral, entre une personne et qqn ou qqch.). En compagnie de (qqn). V. préf. Co-. Aller se promener avec qqn. Mon plus grand plaisir est de sortir avec vous. Il a toujours son chien avec lui. – Être avec qqn : en sa compagnie. Ils sont toujours l'un avec l'autre. V. Auprès (de). « Elle était maintenant avec un homme très riche » (FLAUB.) : elle vivait avec lui...

Le même dictionnaire dit que le mot « à » comprend « ...position dans un lieu » .

En anglais, il y a aussi une différence entre les mots "in" et "with". The Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles définit le mot "in" à comprendre "... the preposition expressing the relation of inclusion, situation, position, existence, or action within limits of space...". Le mot comprend aussi "...within the limits or bounds of, within (any place or thing)..."

The Shorter Oxford English Dictionary définit le mot "with" comme suit :

...II. Denoting personal relation, agreement, association, union, addition. ...13. Following words expression accompaniment or addition, as associate, connect, join, marry, share, unite vbs. ... 19.Expressing association, conjunction, or connection in thought, action or condition. ... 25. Indicating an accompanying or attendant circumstance, or a result following from the action expressed by the verb.

La jurisprudence anglaise avait à définir les mots « résider avec » ("reside with") qui apparaissent au paragraphe I(4) du Summary Jurisdiction (Separation and Maintenance) Act, 1925, (15 & 16 Geo. 5, c. 51). Ce paragraphe stipule qu'une ordonnance de pension alimentaire n'est pas exécutoire si la femme « réside avec » son mari. Les mots « résider avec » ont été définis comme étant « vivre dans la même maison avec » ("residing in the same house as") (voir Evans v. Evans, [1948] 1 K.B. 175, à la page 182) or (living in the same house with") (voir Hewitt v. Hewitt, [1952] 2 Q.B. 627, à la page 631). [...].

On peut dire à la lumière de cette jurisprudence que les mots « résider avec » ont une définition plus large et ne signifient pas vivre dans une relation conjugale; ils signifient seulement vivre dans la même maison que quelqu'un d'autre. [...].

[Les caractères gras sont de moi]

[9] Je fais également remarquer que le Black's Law Dictionary définit le mot "residence" [ « résidence » ] de la façon suivante : [TRADUCTION] « présence personnelle dans un lieu d'habitation quelconque sans intention actuelle de quitter ce lieu de manière définitive et prématurée et aux fins d'y demeurer pour une période indéterminée autrement que de façon sporadique, mais pas nécessairement dans le but avoué d'y demeurer de façon permanente » .

[10] Compte tenu de la preuve qui m'a été présentée, il n'est pas possible de conclure que l'appelante « viv[ait] dans la même maison » que les personnes à charge admissibles. Lorsque l'appelante a déclaré qu'elle avait commencé à cohabiter avec M. Garrard, elle voulait certainement dire qu'ils vivaient ensemble non seulement comme « deux personnes vivant dans la même maison » mais également « en tant que mari et femme » . Je ne peux faire autrement que conclure que l'appelante, au cours de la période pertinente, résidait avec Cory Garrard; par conséquent, on ne peut dire qu'elle « résidait avec les personnes à charge » au sens où ces mots sont utilisés à l'article 122.6 de la Loi.

[11] Compte tenu de la conclusion que j'ai tirée relativement à cette exigence, il ne m'est pas nécessaire de déterminer si l'appelante était la personne qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation des personnes à charge admissibles. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de décembre 1999.

« A. A. Sarchuk »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 9e jour d'août 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           [1993] 2 C.T.C. 2635 (C.C.I).

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