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Date: 19971222

Dossier: 97-849-UI

ENTRE :

SERVICES MULTI-GROUPES INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit de l'appel d'une détermination en date du 4 mars 1997. En vertu de cette décision du Ministre du Revenu national (le “Ministre”), il fut décidé que le travail exécuté par Mme Noëlla Ruel entre le 1er mai 1996 et le 10 septembre 1996, pour le compte et bénéfice de la compagnie “Services Multi-Groupes Inc.”, était un emploi assurable étant donné, selon l'intimé, qu'il existait une relation employeur-employée entre elle et ladite compagnie.

[2] Pour soutenir sa décision, le Ministre s'est appuyé sur les faits suivants :

a) L'appelante, constituée en corporation en mai 1995, offre des services de courtier spécialisé en assurance-collective.

b) Les actions comportant droit de vote de l'appelante étaient détenues à part égales par : la travailleuse, Laurent Roy et Robert Morier (aucun lien entre eux).

c) Les trois actionnaires de l'appelante sont signataires des chèques et deux signatures sont requises sur les chèques.

d) Le bureau de l'appelante était situé au 288, rue Marquette, bureau à Sherbrooke. MM. Roy et Morier partageaient le bureau 302, à la même adresse, avec 3 ou 4 courtiers.

e) MM. Roy et Morier s'occupent de vendre de l'assurance alors que la travailleuse s'occupait de la partie administrative des dossiers.

f) La travailleuse s'occupait de préparer des soumissions et de négocier avec les compagnies d'assurance; elle devait s'asseoir avec le vendeur (M. Roy ou M. Morier) pour préparer les dossiers car il s'agissait d'un travail d'équipe.

g) La travailleuse travaillait aux heures normales d'ouverture du commerce et pouvait travailler jusqu'à 70 heures par semaine.

h) La travailleuse pouvait s'absenter de son travail, mais elle devait en avertir l'un des deux autres actionnaires.

i) Les 3 actionnaires se réunissaient à toutes les semaines pour discuter des dossiers, des prospects, des dépenses hors budget et du compte bancaire; tout se décidait à trois.

j) La travailleuse recevait une rémunération fixe établie à 35 000 $ par année (2 916.67 $ par mois), payable une fois par mois.

k) La travailleuse pouvait aussi faire de la vente; toutes les commissions des ventes étaient versées à l'appelante et réparties entre les 3 actionnaires.

l) Pour ses déplacements, la travailleuse utilisait sa voiture; elle était remboursée par l'appelante pour l'essence et pour ses frais de représentation.

m) La travailleuse possédait une assurance-salaire en cas d'absence ou de maladie.

n) La travailleuse était l'une des actionnaires de l'appelante, mais elle ne pouvait agir sans la collaboration des 2 autres actionnaires; son travail était essentiel à l'appelante qui le contrôlait par l'entreprise des autres actionnaires.

o) Durant la période en litige, il existait une véritable relation employeur-employée entre l'appelante et la travailleuse.

[3] Le représentant de l'appelante, M. Laurent Roy, a admis les faits décrits aux sous-paragraphes a), b), c), d), f), g), h), i), j), k), l) et m).

[4] Le contenu du sous-paragraphe e) a fait l'objet de réserve de la part du représentant du payeur; quant au sous-paragraphe n) il a été ignoré et le sous-paragraphe o) a été nié.

[5] Avant de se joindre au groupe Services Multi-Groupes Inc., Mme Noëlla Ruel avait déjà détenu le permis lui permettant de vendre de l'assurance collective et cela, jusqu'en 1984. À compter de 1984, elle avait évolué dans le même domaine, mais il ne lui était ni nécessaire ni utile de détenir un tel permis. Comme des déboursés importants étaient requis pour le maintien en vigueur dudit permis, elle avait renoncé à assumer les coûts inhérents à son renouvellement et par voie de conséquence avait perdu son permis.

[6] Suite aux discussions avec messieurs Roy et Morier, il était nécessaire qu'elle redevienne détentrice du permis en question. Mme Ruel a donc initié les démarches pour ré-obtenir son permis. Comme il s'était écoulé plus de dix ans depuis l'abandon, elle a dû repartir à zéro ce qui a entraîné de longs délais; elle a obtenu finalement son permis, une copie ayant été produite sous la cote A-1.

[7] Durant la période d'attente et lors de la transition, la compagnie a adopté une façon de procéder dont le but était essentiellement d'éviter d'avoir des problèmes et ennuis avec l'Association des intermédiaires en assurance de personnes du Québec et les compétiteurs.

[8] Il est clairement ressorti des deux témoignages que les trois actionnaires avaient décidé de mettre en commun leur expertise de manière à mieux performer, tant sur le plan de la productivité que sur le plan de la qualité.

[9] La formule retenue pour la rémunération de Mme Ruel n'était pas fonction de la qualité ou quantité du travail exécuté; elle était essentiellement commandée par des préoccupations reliées aux exigences de l'Association et aux inquiétudes du groupe face aux représailles possibles émanant de la compétition.

[10] Il s'agit d'un dossier où les critères édictés par la jurisprudence sont les bienvenus pour qualifier la nature du contrat de travail qui liait Mme Ruel à la compagnie “Services Multi-Groupes Inc.”. Encore là, l'application des critères aux faits révélés par la preuve, dont le fardeau incombait à l'appelante, ne fournit pas automatiquement une réponse facile et rapide.

[11] Le critère de l'intégration milite pour un contrat de louage de services. Celui de la propriété des outils ne permet pas de tirer une conclusion déterminante puisque la preuve a été incomplète sur cet aspect. Certains outils étaient la propriété de la compagnie mais chacun devait fournir son automobile, un outil cependant important quant à la valeur et quant à son utilité pour l'exercice de la fonction.

[12] Quant aux critères du risque de pertes et de chance de profits, la preuve n'a pas été très élaborée; je retiens cependant que, durant la période en litige, il ne semblait pas y avoir de risque de pertes puisque messieurs Roy et Morier avaient en quelque sorte garanti des revenus minimaux de 35,000 $ à Mme Ruel. Cela devait lui permettre de faire face à ses obligations durant la période transitoire, étant donné qu'elle était habituée de recevoir une rémunération fixe et régulière lors de sa précédente expérience de travail comme salariée.

[13] En l'espèce, comme dans beaucoup de dossiers de cette nature, le principal critère, soit celui du contrôle du payeur sur le travail exécuté, devient le procédé ultime pour déterminer la nature de la relation juridique ayant existé entre les parties.

[14] Le fondement de la détermination de l'intimé quant à l'existence du pouvoir de contrôle prend sa source dans les faits allégués aux sous-paragraphes e), f) et h), exprimés comme suit :

e) MM. Roy et Morier s'occupent de vendre de l'assurance alors que la travailleuse s'occupait de la partie administrative des dossiers.

f) La travailleuse s'occupait de préparer des soumissions et de négocier avec les compagnies d'assurance; elle devait s'asseoir avec le vendeur (M. Roy ou M. Morier) pour préparer les dossiers car il s'agissait d'un travail d'équipe.

h) La travailleuse pouvait s'absenter de son travail, mais elle devait en avertir l'un des deux autres actionnaires.

[15] Évidemment ces faits peuvent soutenir une conclusion à l'effet qu'il existait une relation employeur-employée. Par contre, ces mêmes faits perdent de leur pertinence dès qu'ils sont appréciés dans le contexte des explications fournies par M. Roy et Mme Ruel.

[16] En effet, il devient alors très difficile sinon impossible d'identifier un quelconque mécanisme permettant de contrôler le travail exécuté par Mme Ruel.

[17] Il s'agissait de trois personnes détenant une expertise particulière dans un champ d'activités spécialisées. La fusion des expertises détenues par chacune d'elles générait plus d'efficacité et une productivité accrue. Peut-on parler de contrôle ou d'autorité dans un tel contexte? Les trois associés étaient parties prenantes de toutes les décisions ayant trait à leurs activités commerciales.

[18] Le travail s'exécutait dans la collégialité. Je ne crois pas que le fait de devoir avertir l'un ou l'autre des actionnaires lors d'une absence puisse signifier que l'un d'eux avait, de ce fait, l'autorité de contrôler le travail exécuté par Mme Ruel. Il s'agit là de détails sans pertinence dont la seule raison d'être est la bonne marche de l'entreprise.

[19] Certes, la jurisprudence a répété, au fil des décisions, que la seule existence du pouvoir de contrôle suffisait pour créer une relation employeur-employé. Il faut toutefois que ce pouvoir soit réellement disponible et exerçable. En l'espèce, la preuve a démontré que le travail s'exécutait en collégialité. Mme Ruel, ainsi que messieurs Roy et Morier, étaient juridiquement dépendants de la compagnie, en ce qui a trait au produit de leur travail respectif. Cette même compagnie n'avait prévu ni délégué quelqu'autorité que ce soit à l'un ou l'autre des associés, qui constituaient un tout. La dépendance financière des associés à l'endroit de la compagnie ne leur conférait pas le pouvoir de réglementer les faits et gestes de Mme Ruel.

[20] La prépondérance de la preuve constituée des témoignages de Mme Ruel et de M. Roy a démontré, à la satisfaction de ce tribunal, qu'il n'y avait, lors de la période en litige, aucun élément significatif constituant un quelconque droit de contrôler le travail exécuté par Mme Ruel. Elle était autonome lors de l'exécution de son travail.

[21] Les contraintes et l'encadrement apparent auxquels Mme Ruel était assujettie étaient marginaux et opposables aux autres associés composant le Groupe. Cet encadrement était voulu de tous et respecté par tous dans un but d'efficacité et de rentabilité.

[22] Pour ces motifs, l'appel est accueilli en ce que le travail exécuté par Mme Ruel n'était pas un contrat de louage de services au sens de la Loi sur l'assurance-chômage.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de décembre 1997.

“Alain Tardif”

J.C.C.I.

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