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Date: 19980206

Dossier: 96-1435-IT-G

ENTRE :

PAUL HUNEAULT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1] L’appelant interjette appel de deux cotisations émises par le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d’imposition 1990 et 1991. En soumettant sa déclaration de revenu amendée pour l’année 1990, l’appelant a réclamé entre autres une dépense d’entreprise de 10 000 $ que lui a refusée le Ministre. L’appelant soutient qu’il s’agit d’une dépense de salaire engagée dans le cadre de l’exercice de sa profession de notaire.

[2] En deuxième lieu, l’appelant réclame une perte au titre d’un placement d’entreprise dans sa déclaration de revenu pour l’année 1991 aux termes de l’alinéa 39(1)c) de la Loi, sur une perte alléguée de 26 000 $ qui lui a également été refusée par le Ministre. Ce dernier considère que l’appelant n’a pas effectué un prêt à une société exploitant une petite entreprise mais à un individu. En conséquence, selon le Ministre, s’il y a disposition de la créance, elle ne peut donner lieu à une perte au titre d’un placement d’entreprise. Le Ministre allègue également que puisque le prêt en question ne portait aucun intérêt, il n’a pas été fait dans le but d’en tirer un revenu et donc la perte subie lors de la disposition de la créance est réputée nulle en vertu du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi.

[3] L’appelant soutient que ce prêt a été effectué à une société exploitant une petite entreprise dans le but d’en tirer un revenu.

[4] En cotisant l’appelant, le Ministre s’est fondé sur les faits suivants :

a) Le ou vers le 18 octobre 1993, le Ministre a émis un avis de nouvelle cotisation relativement à l’année d’imposition 1990, et ce faisant a refusé d’accorder à l’appelant une déduction de 10 000 $ de ses revenus de profession libérale, réclamée par l’appelant à titre de dépenses de salaire versées en vue de tirer un revenu d’entreprise;

b) Appelé à plusieurs reprises par le Ministre à justifier ces dépenses de salaire de 10 000 $ pour l’année d’imposition 1990, l’appelant a été incapable de fournir ni la moindre facture ni le moindre chèque comme preuve de ces dépenses;

c) L’appelant a fait, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l’exercice d’une obligation prévue à la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ), un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration d’impôt pour l’année d’imposition 1990, ou y a participé, consenti ou acquiescé, avec pour résultat que le montant d’impôt payable selon les informations fournies dans la déclaration d’impôt de l’appelant était moindre que le montant d’impôt qui devait en fait être payé selon la Loi;

d) En conséquence, le Ministre a imposé à l’appelant une pénalité sur l’excédent de l’impôt payable par l’appelant et qui n’a pas été payé suite au faux énoncé ou à l’omission de l’appelant, conformément au paragraphe 163(2) de la Loi, pour l’année d’imposition 1990;

e) Également, le ou vers le 18 octobre 1993, le Ministre a émis un avis de nouvelle cotisation relativement à l’année d’imposition 1991, et ce faisant a refusé d’accorder à l’appelant la déduction qu’il a réclamée comme perte déductible au titre d’un placement d’entreprise, sur une perte alléguée de 26 000 $;

f) Le ou vers le 7 décembre 1989, l’appelant a prêté un montant de 26 000 $ à monsieur Jean-Rhéal Gauthier, en échange d’un billet promissoire;

g) L’appelant n’a pas fait ce prêt à une corporation,[1] mais à un individu;

h) En conséquence, la disposition de ce prêt par l’appelant ne peut constituer une disposition d’une créance sur une corporation exploitant une petite entreprise;

i) L’appelant a fait ce prêt sans intérêt;

j) L’appelant n’a pas fait ce prêt dans le but d’en tirer un revenu;

k) En conséquence, la perte subie par l’appelant lors de la disposition de ce prêt est réputée nulle au sens de la Loi.

[5] Au début de l’audience, l’avocate de l’intimée a mentionné qu’elle consentait à jugement relativement à la pénalité imposée à l’appelant aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi pour l’année d’imposition 1990.

[6] J’ai aussi entendu les témoignages de messieurs Jean-Rhéal Gauthier (actionnaire unique de la société Les Constructions Janré Ltée ( « Janré Ltée » )), Claude Hachey (qui a agi comme teneur de livres pour les employés de l’appelant de 1983 à 1991) et l’appelant lui-même.

[7] En ce qui concerne la dépense de salaire de 10 000 $, l’appelant explique qu’il est notaire depuis 1980 et qu’il occupe depuis 1981 un espace dans les bureaux d’un autre notaire, Me Charles Rioux. Il lui verse un loyer qui comprend l’usage de tout l’équipement utile. Au début de sa pratique, l’appelant n’avait aucun employé. Par la suite, ses employés étaient payés par l’intermédiaire du livre de paie de Me Rioux. Ce n’est qu’au mois de juin 1991 que l’appelant a obtenu son propre numéro d’employeur et a commencé à avoir son propre livre de paie (dans une déclaration assermentée antérieure à l’audition (pièce I-4), l’appelant avait parlé du mois de juin 1990). Ainsi de 1983 à 1991, l’appelant aurait remboursé Me Rioux le salaire brut versé à ses employés.

[8] Ce n’est qu’en 1990 (dans la déclaration déposée sous la pièce I-4, l’appelant parlait du mois de juillet 1990 alors qu’à l’audience il a mentionné vers la fin de l’année 1990 ou au début de l’année 1991) que le notaire Rioux a réalisé que son teneur de livres, monsieur Hachey, n’avait pas réclamé à l’appelant toutes les sommes qui avaient été versées par Me Rioux à l’égard des employés de l’appelant. Ces sommes non réclamées correspondaient à la partie payée par l’employeur pour l’assurance-chômage, le Régime des rentes du Québec, l’assurance-salaire et l’assurance-maladie. Me Rioux aurait estimé la somme due par l’appelant en 1990 pour les sommes ainsi versées de 1983 à 1989 à environ 10 000 $. Le tableau récapitulatif de ces sommes déposé en preuve sous la pièce A-4, démontre un total versé à ce titre, de 1983 à 1989, de 9 574,02 $.

[9] L’appelant, ayant reconnu qu’il devait cette somme à Me Rioux, l’a tout de suite réclamée comme dépense de salaire pour l’année 1990 au lieu d’amender ses déclarations de revenus pour les années 1983 à 1989. L’appelant admet toutefois qu’il n’a pas, à ce jour, remboursé Me Rioux.

[10] Selon le témoignage de l’appelant, il n’y a aucune entente formelle de remboursement, sinon que Me Rioux lui demande de façon irrégulière s’il lui remboursera cette somme. Monsieur Hachey n’était pas au courant des modalités de remboursement et Me Rioux n’était pas présent pour donner sa version des faits.

[11] Monsieur Hachey a témoigné pour expliquer qu’il avait omis par erreur de réclamer ces sommes à l’appelant et qu’au moment où Me Rioux lui en a fait part, il a préparé le tableau récapitulatif (pièce A-4) pour établir l’exactitude des sommes dues à partir des livres de paie pour chacune des années.

[12] En ce qui concerne la perte de 26 000 $, il s’agirait d’une somme qui aurait été prêtée à Jean-Rhéal Gauthier le 7 décembre 1989. Selon le billet promissoire signé par monsieur Gauthier (pièce I-1), ce dernier s’engageait à rembourser la somme de 26 000 $ que lui prêtait l’appelant sans intérêt dans un délai de deux semaines, soit le 21 décembre 1989. A l’endos de ce billet promissoire, il y est inscrit « Prêt Const. Janré Ltée et J.R. Gauthier » .

[13] Monsieur Gauthier a témoigné pour dire que son entreprise éprouvait de sérieuses difficultés financières à ce moment. Une requête pour la nomination d’un séquestre intérimaire aux biens de la société Janré Ltée aux termes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité a été présentée devant la Cour supérieure du district de Hull par quatre créanciers de Janré Ltée le 29 novembre 1989 (pièce A-1). Dans cette requête, il était allégué que Janré Ltée était en retard de quatre mois dans ses paiements hypothécaires totalisant plus de 170 000 $. Les co-requérants étaient créanciers pour des montants totalisant environ 65 000 $.

[14] Monsieur Gauthier a évité la faillite de Janré Ltée en trouvant les fonds nécessaires pour en arriver à un règlement avec ses créanciers. C’est ainsi qu’il a approché l’appelant avec qui il faisait affaires depuis très longtemps. L’entreprise de Janré Ltée en était une de construction et l’appelant faisait les contrats notariés reliés à la vente des terrains et des maisons nouvellement construites. Monsieur Gauthier a mentionné que Janré Ltée pouvait bâtir entre 200 et 300 maisons par année. Ce client représentait, pour l’appelant, plus de 50 pour cent de son chiffre d’affaires.

[15] C’est pourquoi lorsque monsieur Gauthier a demandé à l’appelant de lui avancer la somme de 26 000 $, ce dernier aurait accepté en espérant pouvoir garder sur pied cette entreprise qui constituait pour lui sa plus grande source de revenus. L’appelant a expliqué qu’il avait mis une échéance de deux semaines parce que celle-ci correspondait à la date où la Banque Fédérale de Développement ( « BFD » ) devait faire des avances hypothécaires à Janré Ltée sur un centre d’achats à Hull, qui dans les faits fut le dernier projet de cette société. Or, le centre d’achats ne s’est pas loué tel que prévu et la BFD a refusé de faire les avances en question.

[16] Monsieur Gauthier a expliqué que la BFD a par la suite repris possession du centre d’achats et procédé à une vente en justice de laquelle elle en a retiré le produit de la vente. C’est à ce moment que Janré Ltée aurait cessé d’exploiter son entreprise. L’appelant a situé cette vente en justice vers la fin de l’année 1990, ou au début de l’année 1991. Monsieur Gauthier n’a pas donné la date de cette vente en justice.

[17] L’appelant a par ailleurs soumis en preuve une copie d’un chèque (pièce A-2) qu’il a tiré de son compte en fidéicommis le 7 décembre 1989 au montant de 48 738,39 $ à l’ordre de Bélec, Letellier In Trust, lesquels sont les avocats qui agissaient pour le compte de Janré Ltée à cette époque.

[18] L’appelant a également déposé une copie de deux chèques (pièce A-3) tirés du compte de Bélec, Letellier, en date du 11 décembre 1989, l’un au montant de 8 500 $ et l’autre au montant de 45 450,77 $, à l’attention de Me Paul Fréchette, qui agissait pour le compte des co-requérants dans la requête pour la nomination d’un séquestre intérimaire. Selon monsieur Gauthier, ces deux chèques auraient servi à rembourser les créanciers indiqués dans la requête afin d’éviter la mise en faillite.

[19] L’appelant a également soumis en preuve deux copies de documents provenant de la Banque de Nouvelle-Écosse (pièces A-7 et A-8) démontrant qu’il avait versé une somme de 28 738,39 $ dans son compte en fidéicommis le 12 décembre 1989. Monsieur Gauthier aurait également déposé 20 000 $ provenant de son compte personnel dans le compte en fidéicommis de l’appelant le 7 décembre 1989. Le total de ces deux sommes, soit 48 738,39 $ représentait le montant du chèque versé à Bélec, Letellier le 7 décembre 1989 (pièce A-2).

[20] A l’appui de ces divers documents, l’appelant soutient qu’il a effectué un prêt à Janré Ltée et non à monsieur Gauthier personnellement, dans le but de pouvoir continuer à générer des revenus de cette société.

[21] En contre-interrogatoire, l’appelant a reconnu qu’il n’avait pas réclamé cette perte au moment de produire sa déclaration de revenu pour l’année 1991 (l’exercice financier de l’appelant pour ses revenus de profession libérale se termine le 31 juillet). Il a expliqué qu’il ne pensait pas à ce moment qu’il ne recouvrerait pas le montant de sa créance. Il a dit que c’est autour de 1992 ou 1993 qu’il a réalisé l’incapacité de payer de monsieur Gauthier. En réinterrogatoire, il a reconnu candidement qu’il ne savait pas que Janré Ltée était si endettée au moment de la requête en nomination d’un séquestre intérimaire et que c’est peu avant le jour de l’audition devant cette Cour qu’il avait pris connaissance du contenu de cette requête.

[22] L’appelant a dit que c’est au moment où Revenu Canada a procédé à une vérification de ses déclarations de revenu qu’il a réalisé qu’il avait une mauvaise créance. Il ne savait pas toutefois quand cette vérification avait eu lieu.

[23] Le 1er juin 1994, monsieur Gauthier signait un document (pièce I-2) par lequel il reconnaissait être le débiteur d’un billet promissoire en faveur de l’appelant en date du 7 décembre 1989 et que ce prêt avait été effectué « pour les fins de [sa] compagnie » . Dans ce même document, il indique que « la compagnie [Janré Ltée] ... n’a pas remboursé ledit prêt » .

Analyse

[24] C’est à l’appelant que revient le fardeau de démontrer selon la prépondérance des probabilités que les cotisations portées en appel sont erronées.

[25] Pour ce qui est de la dépense de 10 000 $ que l’appelant réclame au titre d’une dépense engagée dans le cadre de l’exploitation de sa profession libérale, je suis d’avis qu’il n’a pas réussi à démontrer qu’il avait droit à une telle dépense. Dans un premier temps, je reconnais que cette somme est attribuable, selon la preuve, à des sommes payées par Me Rioux en relation avec des salaires versés à des employés. Je tire une conclusion négative toutefois de l’absence du témoignage de Me Rioux. Je rappellerai ici les propos que l’on retrouve dans « The Law of Evidence in Civil Cases » , par Sopinka et Lederman et qui sont cités par le juge Sarchuk de notre Cour dans l’affaire Enns v. M.N.R., 87 DTC 208 à la page 210 :

[TRADUCTION][2]

Dans l’ouvrage de Sopinka et Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases, les auteurs font remarquer ce qui suit au sujet des conséquences de l’omission de faire comparaître un témoin, je cite :

Dans l’affaire Blatch v. Archer, (1774), 1 Cowp. 63, p. 65, Lord Mansfield a déclaré :

« Il existe certainement un principe voulant que tous les faits soient appréciés à la lumière de la preuve que l’une des parties était en mesure de produire et que l’autre partie était en mesure de réfuter. »

L’application de ce principe a conduit à établir une règle bien connue selon laquelle l’omission d’une partie ou d’un témoin de produire une preuve que la partie ou le témoin était en mesure de produire et qui aurait peut-être permis d’élucider les faits, fonde la Cour à déduire que la preuve de la partie ou du témoin en question aurait été défavorable à la partie à laquelle l’omission a été attribuée.

Dans le cas d’un demandeur auquel il incombe d’établir un point, l’effet de cette déduction peut être que la preuve produite sera insuffisante pour s’acquitter du fardeau de la preuve. (Levesque et al. c. Comeau et al. [1970] R.C.S. 1010, (1971), 16 D.L.R. (3e) 425.) (Souligné par mes soins.)

[26] L’appelant a été très vague quant à l’entente qu’il avait conclue avec Me Rioux pour le remboursement des sommes qui auraient été avancées par ce dernier. Rien ne me prouve que Me Rioux n’aurait pas lui-même déjà réclamé dans ses dépenses d’exploitation le montant qu’il réclamerait maintenant de l’appelant. Ce dernier n’a pas remboursé cette somme et il n’a apporté aucun élément de preuve indiquant qu’il avait l’intention de rembourser ce montant. Il n’est pas suffisant de dire qu’il reconnaît devoir cette somme sans corroborer outre mesure son témoignage. Monsieur Hachey a bien reconnu qu’il avait omis de réclamer cette somme à l’appelant mais il n’a pu nous éclairer davantage sur l’entente qui avait été convenue entre Me Rioux et l’appelant. Je conclus donc que l’appelant a apporté une preuve insuffisante pour démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il a lui-même engagé une dépense de 10 000 $ dans le but de tirer un revenu de sa profession libérale.

[27] En ce qui concerne la perte au titre d’un placement d’entreprise au montant de 26 000 $, pour y avoir droit, l’appelant doit rencontrer les conditions énoncées à l’alinéa 39(1)c) de la Loi qui se lit en partie comme suit :

39: Sens de gain en capital et de perte en capital.

(1) Pour l’application de la présente loi :

c) une perte au titre d’un placement d’entreprise subie par un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien quelconque s’entend de l’excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l’année résultant d’une disposition, après 1977 :

(i) soit à laquelle le paragraphe 50(1) s’applique,

(ii) soit en faveur d’une personne avec laquelle il n’avait aucun lien de dépendance,

d’un bien qui est :

(iii) soit une action du capital-actions d’une société exploitant une petite entreprise,

(iv) soit une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien (sauf une créance, si le contribuable est une société, sur une société avec laquelle il a un lien de dépendance) qui est :

(A) une société exploitant une petite entreprise,

...

[28] Le paragraphe 50(1) se lit en partie comme suit pour l’année qui est concernée :

50: Créances reconnues comme mauvaises et actions d’une corporation en faillite.

(1) Aux fins de la présente sous-section,

a) lorsqu’un contribuable établit qu’une créance qui lui est due à la fin d’une année d’imposition (autre qu’une créance qui lui serait due du fait de la disposition d’un bien à usage personnel) s’est révélée être au cours de l’année une mauvaise créance,

...

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l’action, selon le cas, à la fin de l’année et l’avoir acquise de nouveau immédiatement après à un coût nul.

[29] Mettant de côté pour l’instant la question de l’existence d’une perte en capital ou non au sens du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi, l’appelant devait en premier lieu prouver que le prêt avait été effectué à Janré Ltée et non à monsieur Jean-Rhéal Gauthier personnellement. A priori, le billet promissoire (pièce I-1) et la reconnaissance de dette (pièce I-2) établissent que l’appelant a effectué un prêt à monsieur Gauthier personnellement. Toute la preuve de l’appelant a tenté d’établir que ce prêt avait été effectué pour éponger en partie les dettes de Janré Ltée.[3] C’est peut-être le cas, mais ceci n’est pas suffisant pour démontrer que le prêt n’a pas été effectué à monsieur Gauthier personnellement. Janré Ltée étant sur le point de faire faillite, il est fort probable que c’est de façon délibérée que l’appelant et monsieur Gauthier ont convenu de faire un prêt directement à monsieur Gauthier afin que ce dernier puisse contrôler l’attribution de cette somme. Si le prêt avait été effectué directement à la société, compte tenu de la requête déjà en cours pour la nomination d’un séquestre judiciaire, monsieur Gauthier en perdait le contrôle.

[30] De plus, en matière fiscale, la forme requiert une certaine importance. Je citerai à cet égard la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire La Reine c. Friedberg, 92 DTC 6031 à la page 6032; [1991] A.C.F. no 1255 pages 5 et 6 (Q.L.) (C.A.) :

En droit fiscal, la forme a de l’importance. Une simple intention subjective, en l’espèce comme dans d’autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d’une opération aux fins de l’impôt. Lorsqu’un contribuable prend certaines dispositions formelles à l’égard de ses affaires, il peut s’ensuivre d’importants avantages fiscaux, quand bien même ces dispositions seraient prises principalement dans le but d’éviter des impôts (voir La Reine c. Irving Oil, 91 DTC 5106, le juge Mahoney, J.C.A.). Toutefois, si un contribuable omet de prendre les mesures formelles appropriées, peut-être que des impôts devront être payés. S’il n’en était pas ainsi, Revenu Canada et les tribunaux se livreraient à des exercices interminables pour établir les intentions véritables derrière certaines opérations. Les contribuables et la Couronne chercheraient à restructurer des opérations après coup afin de profiter de la législation fiscale ou d’amener les contribuables à payer des impôts qu’ils pourraient autrement ne pas avoir à payer. Bien que la preuve de l’intention puisse parfois aider les tribunaux à clarifier des marchés, elle est rarement déterminante. En résumé, la preuve d’une intention subjective ne peut servir à « rectifier » des documents qui s’orientent clairement vers une direction précise.

[31] De plus, même si j’étais convaincue que l’appelant a prêté la somme de 26 000 $ à Janré Ltée, je ne suis pas convaincue que la créance est devenue mauvaise au cours de l’année 1991. L’appelant a lui-même reconnu candidement qu’il n’avait pas réclamé cette perte au moment de faire sa déclaration de revenu pour l’année 1991 parce qu’il ne croyait pas à ce moment qu’il ne serait jamais payé. C’est au moment de la vérification par Revenu Canada qu’il en a eu la certitude. Il ne sait pas toutefois quand a eu lieu cette vérification.

[32] L’avocat de l’appelant tente de s’appuyer sur la requête pour la nomination d’un séquestre intérimaire (pièce A-1) pour démontrer que dès 1989 l’appelant pouvait savoir que Janré Ltée pourrait difficilement rembourser le prêt. D’une part, si c’était le cas, il me semble que l’appelant n’aurait pas prêté une telle somme d’argent. D’autre part, l’appelant a reconnu que ce n’est que peu de temps avant le jour de l’audition devant cette Cour qu’il avait pris connaissance du contenu de cette requête.

[33] L’avocat de l’appelant s’appuie également sur le fait que ce dernier ne devait plus s’attendre à se faire rembourser sa créance à partir du moment où la BFD a repris possession du centre d’achats qui appartenait à Janré Ltée. Encore une fois, la preuve devant moi est insuffisante pour conclure du moment dans le temps où cet événement s’est passé ou du moment où Janré Ltée a cessé d’exploiter son entreprise. Seul l’appelant a témoigné à ce sujet et sa mémoire des dates était plutôt défaillante (si l’on considère par exemple la divergence entre son témoignage et la déclaration antérieure (pièce I-4) relativement à la première somme en litige de 10 000 $).

[34] De plus, c’est en 1994 que l’appelant faisait signer une reconnaissance de dette à monsieur Gauthier, et les cotisations ont été émises le 18 octobre 1993. Ceci laisse sous-entendre que ce n’est probablement pas avant l’année 1992 ou 1993, tel qu’il le mentionnait à un moment donné dans son témoignage, que l’appelant a réalisé que sa créance était vraiment devenue mauvaise.

[35] Il y aura une créance irrécouvrable[4] dans une année d’imposition si l’appelant peut prouver qu’au cours de cette même année, il considérait, selon son sens des affaires, qu’il ne pourrait pas recouvrer la créance (voir Picadilly Hotels Ltd. c. La Reine, 78 DTC 6445, [1978] A.C.F. no 803 (Q.L.) (1re inst.); Greensteel Industries Ltd. v. M.N.R., 75 DTC 63 (C.R.I.)). Je suis d’avis ici que l’appelant n’a pas prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’il croyait sa créance irrécouvrable au cours de l’année 1991. En conséquence, l’appelant n’a pas prouvé qu’il y a eu disposition présumée en 1991 d’une créance qu’il détenait sur une société privée exploitant une petite entreprise aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi.

[36] Compte tenu de ma conclusion précédente, je n’ai donc pas à me prononcer sur la question d’une perte en capital qui serait nulle aux termes du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi.

[37] En conséquence, l’appel pour l’année d’imposition 1990 est admis et la cotisation déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le Ministre consent maintenant à annuler la pénalité imposée aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi. A tout autre égard,
l’appel de la cotisation pour cette même année est rejeté. L’appel pour l’année d’imposition 1991 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de février 1998.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.



[1]           L’alinéa 39(1)c) de la Loi fait maintenant référence à une « société » au lieu d’une « corporation » depuis l’entrée en vigueur du 5ième supplément des Lois révisées du Canada (1985) le 1er mars 1994, incluant tous les amendements ayant reçu la sanction royale avant le 1 décembre 1991. L’alinéa 39(1)(c) dans la version actuelle que j’ai repris plus loin dans mon jugement, a été modifié par L.C. 1994 ch. 7, ann. II, par. 22(2) applicable aux années d’imposition 1987 et suivantes.

[2]           Traduit par le bureau des traductions du Secrétariat d’état, pages 3 et 4 de la version française.

[3]           L’avocate de l’intimée s’est opposée au dépôt de cette preuve en s’appuyant sur l’article 1234 du Code civil du Bas-Canada. La prohibition de la preuve testimoniale pour contredire les termes d’un écrit valablement fait édictée par l’article 1234 du Code civil du Bas-Canada n’a pas d’application en matière fiscale puisque cette restriction n’est applicable qu’à l’égard des parties contractantes et ne vaut donc pas à l’égard d’un tiers comme le Ministre. (Voir la décision rendue par le juge Dussault de cette Cour dans Brigitte Tanguay c. La Reine, [1997] A.C.I. no 16 (Q.L.) (C.C.I.) pages 14 et 15, avec toutes les références appropriées).

[4]           Une créance irrécouvrable est une mauvaise créance au sens de la Loi (voir la décision de la Cour d’appel fédérale dans Jean Marie Déom c. La Reine, 97 DTC 5037).

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