Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19981218

Dossier: 97-3611-IT-I

ENTRE :

JAMES M. FRANK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] James M. Frank porte en appel sa cotisation d’impôt pour l’année d’imposition 1996, selon laquelle le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a inclus dans son revenu pour cette année la somme de 1 057 $, au motif que cette somme représentait un revenu tiré d’un emploi aux termes de l’article 3 et du paragraphe 5(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”). L’appelant prétend que la somme de 1 057 $ ne représentait pas un revenu mais des dommages-intérêts obtenus en règlement d’un grief exercé contre son employeur, et qu’elle ne doit donc pas être incluse dans son revenu.

[2] Le revenu d’un contribuable pour une année comprend le revenu tiré d’une charge, d’un emploi, d’une entreprise, d’un bien ou d’une autre source : articles 3 et 4 de la Loi. Le revenu d’un contribuable, pour une année, tiré d’un emploi est le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l’année : paragraphe 5(1). Sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour l’année, d’un emploi, la valeur d’autres avantages quelconques qu’il a reçus ou dont il a joui au cours de l’année au titre (in respect of dans la version anglaise), dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi : alinéa 6(1)a).

[3] L’appelant faisait partie des quelques inspecteurs employés par la Commission des droits de la personne qui ont déposé un grief en raison du classement inapproprié de leur emploi et de la rémunération insuffisante qui y est rattachée. Un nouveau classement donnerait lieu à une augmentation de salaire. M. Frank a déposé un grief au mois de janvier 1992. Dans le cadre de sa loi sur le contrat social, le gouvernement de l’Ontario a empêché que la procédure de règlement du grief ne suive son cours normal. Le gouvernement a créé un fonds de prévoyance de 20 000 000 $ devant être distribué aux plaignants à titre de paiement intégral en règlement de grief. Des représentants du Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l’Ontario (SEEFPO) et du gouvernement ont été nommés pour agir à titre d’agents payeurs. Ceux-ci ont établi les critères ou la formule en vertu desquels les plaignants devaient être payés. Ces critères tenaient compte du grief même, de la date de dépôt du grief de l’employé et des heures travaillées par le plaignant. Les premiers à avoir déposé un grief ont obtenu un meilleur montant en règlement de leur grief. M Frank a obtenu 1 057 $ sur le fonds[1], somme qu’il a reçue en 1996.

[4] M. Frank soutient qu’il a reçu un dédommagement général, car il ne pouvait pas aller de l’avant avec son grief. Le montant du dédommagement ne représentait pas un rajustement de son salaire. Lors du contre-interrogatoire, il a déclaré qu’il avait perdu plus de 9 000 $, somme à laquelle il croyait qu’il aurait eu droit si son poste avait fait l’objet d’un nouveau classement, et la somme qu’il a reçue ne constituait qu’une “ simple fraction ” de la somme à laquelle il avait droit. Il a affirmé que cet argent ne lui a pas été versé en reconnaissance d’un travail exécuté ni au titre de (in respect of) son emploi. L’argent portait en quelque sorte le message suivant du gouvernement de l’Ontario : “ allez-vous-en et laissez-nous tranquilles ”.

[5] Le montant que le syndicat et le comité de gestion ont attribué à M. Frank et que lui a versé le gouvernement de l’Ontario, représenté par le ministère des Affaires civiques, de la Culture et des Loisirs, le ministère qui employait M. Frank à l’époque du versement, constituait un avantage reçu au titre de (in respect of) son emploi au sein de la Commission des droits de la personne. Dans l’arrêt The Queen v. Elizabeth Joan Savage, 83 DTC 5409, page 5414, le juge Dickson, tel était alors son titre, a déclaré que l’expression “ avantages de quelque nature que ce soit [...] ” qui se trouve à l’alinéa 6(1)a) de la Loi, a “ nettement un sens très large ”. Il a également affirmé qu’un employé peut recevoir un paiement devant être inclus dans son revenu, sans qu’il ne s’agisse d’une rémunération pour des services rendus.

[6] Dans l’arrêt Nowegijick v. H.M.Q., 83 DTC 5041 de la Cour suprême du Canada, le juge Dickson, tel était alors son titre, a fait la déclaration suivante à la page 5045 :

The word “in respect of” [in paragraph 6(1)(a)] are, in my opinion words of the widest possible scope. They import such meanings as “in relation to”, “with reference to”, or “in connection with”. The phrase “in respect of” is probably the widest of any expression intended to convey some connection between two related subject matters[2]

Le juge Dickson a souscrit aux propos du juge Evans de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727, à la page 738, [72 DTC 6329, aux pages 6335 et 6336], en ce qui concerne la signification de l’expression “ avantages qu’une personne a reçus ou dont elle a joui au titre (in respect of), dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi ” :

[traduction]

Je ne crois pas que ces termes ne visent que les avantages liés à la charge ou à l’emploi en ce sens qu’ils représentent une forme de rémunération pour des services rendus. S’il s’agit d’une acquisition importante qui confère au contribuable un avantage économique et qui ne fait pas l’objet d’une exemption comme, par exemple, un prêt ou un cadeau, elle est alors visée par la définition compréhensive de l’art. 3[3].

[7] En outre, dans l’affaire Merrins v. H.M.Q., 94 DTC 6669 (C.F. 1re inst.), un contribuable ayant perdu son emploi et déposé un grief en vertu d’une convention collective, l’arbitre a ordonné à l’employeur du contribuable de lui verser une somme forfaitaire de 60 000 $; on a décidé avec justesse que cette somme devait être incluse dans le revenu du contribuable à titre d’allocation de retraite. La Cour a conclu que le contribuable avait reçu la somme de 60 000 $ “ au titre de ” (in respect of) son emploi.

[8] Dans l’affaire Norman v. M.N.R., 87 DTC 556, la somme de 5 000 $ qu’un employé a reçue de son employeur en échange du retrait d’un grief a été incluse dans le revenu du contribuable.

[9] Dans une autre affaire, un employeur ayant violé une convention collective conclue entre lui et le syndicat du contribuable, on a décidé que l’indemnité versée au contribuable par l'employeur à la suite de cette violation était un revenu tiré d’un emploi, malgré la prétention du contribuable selon laquelle cette indemnité lui avait été versée pour le préjudice qu'il avait subi en perdant des avantages par suite de la violation de la convention collective par l’employeur : Vincent v. M.N.R., 88 DTC 1422, le juge Sarchuk de la C.C.I. s’est penché sur la question, soulevée ici par l'appelant, selon laquelle un montant accordé au titre de dommages-intérêts n’est pas inclus dans le revenu. Après avoir examiné l’affaire, il a tiré la conclusion suivante à la page 1428 :

[traduction]

[dans] les affaires relatives à l’impôt sur le revenu, la réception d’une indemnité représentant des “ dommages-intérêts ” a un caractère neutre, et il n'est pas nécessaire de produire de preuve quant à la nature et à la qualité de la rétribution. Un montant reçu au titre de “ dommages-intérêts ” peut ou non être inclus dans le revenu imposable. (Voir la décision Donald Hart v. M.N.R., 59 DTC 1134, page 1135.)

[10] Il est évident que la somme de 1 057 $ versée à M. Frank représentait un avantage qu’il a reçu au titre de (in respect of) son emploi au sein du gouvernement de l’Ontario et qu'elle doit être incluse dans son revenu pour 1996 en tant que revenu tiré d’un emploi.

[11] L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 1998.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour d’août 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Le montant de 1 057 $ semble inclure la somme de 940,30 $ en règlement du grief, plus l’intérêt. M. Frank a également laissé entendre qu’il a peut-être reçu un montant supérieur à 1 057 $. Chaque plaignant ayant reçu la somme à laquelle il avait droit selon la formule, la somme qui restait dans le fonds a été répartie parmi les plaignants. Toutefois, son témoignage à ce sujet n’est pas clair et n’est pas pertinent dans le cadre de son appel.

[2] Voir également la décision Savage, précitée, page 5414.

[3]               Savage, précitée, page 5414

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