Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2015-3969(IT)I

ENTRE :

Mark Smith,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 19 janvier 2017, à Calgary (Alberta).

Devant : L’honorable juge Sylvain Ouimet


Comparutions :

Avocats de l’appelant :

Me Gerald Grenon

Me Kaitlin Gray

Avocat de l’intimée :

Me Gergely Hegedus

 

JUGEMENT

  L’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2011 est rejeté, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d’avril 2017.

« Sylvain Ouimet »

Juge Ouimet


Référence : 2017 CCI 62

Date : 20170421

Dossier : 2015-3969(IT)I

ENTRE :

Mark Smith,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Ouimet

I. Présentation

[1]  Il s’agit d’un appel interjeté par Mark Smith (« M. Smith ») à l’égard de son année d’imposition 2011. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’endroit de M. Smith afin d’ajouter au total de ses revenus un montant s’élevant à 504 $ au titre de l’alinéa 6(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »). Le montant de 504 $ a été ajouté aux revenus de M. Smith en tant qu’avantage imposable reçu dans le cadre d’un emploi. Ce montant correspond à la valeur du permis de stationnement à l’aéroport de Calgary fourni à M. Smith par Jazz Aviation LP (« Jazz »).

II. Question

[2]  La seule question à trancher en l’espèce est la suivante :

Le ministre a-t-il établi avec exactitude que M. Smith a reçu d’une valeur imposable de 504 $, un avantage relié à l'emploi, pour l’année d’imposition 2011?

[3]  Pour répondre à cette question, j’effectuerai une analyse dans le but de déterminer qui, d’entre M. Smith et Jazz, était le principal bénéficiaire du permis de stationnement.

III. Dispositions législatives pertinentes

[4]  La principale disposition de la LIR qui s’applique est la suivante :

6 (1) Éléments à inclure à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi — Sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

a) Valeur des avantages — la valeur de la pension, du logement et de tout autre avantage que reçoit ou dont jouit le contribuable, ou une personne avec laquelle il a un lien de dépendance, au cours de l’année au titre, dans le cadre ou en raison de la charge ou de l’emploi du contribuable, à l’exception des avantages suivants [. . .]

IV. Faits pertinents

[5]  M. Smith, un agent de bord de Jazz, a témoigné au procès. M. Smith a également appelé comme témoin Kirk Newhook (« M. Newhook »), le vice‑président des relations avec les employés chez Jazz. L’intimée a appelé comme témoin Shawnah Whittaker, la directrice générale du transport terrestre et du stationnement de l’administration aéroportuaire de Calgary.

A. Témoignage de Kirk Newhook

[6]  M. Newhook est employé chez Jazz depuis 1993 et a participé à l’établissement de l’horaire de l’équipage de bord, c’est-à-dire les pilotes et les agents de bord. M. Newhook a travaillé au centre des opérations de Jazz et a également participé à la négociation de conventions collectives, notamment celle qui a été conclue entre Jazz Aviation LP et le Syndicat des Agents de Bord du Canada (la « convention collective »).

[7]  Jazz, une filiale d’Air Canada, a été décrite par M. Newhook comme étant un transporteur pour Air Canada. Jazz ne procède pas à la vente de ses propres billets. Elle assure plutôt le transport de passagers pour Air Canada, qui lui offre une rémunération pour ce service. Jazz offre des vols entre de petits aéroports et de grands aéroports internationaux. L’un de ses rôles consiste à assurer la correspondance entre les vols intérieurs, exploités par Jazz, et les vols internationaux, exploités par Air Canada.

[8]  Selon le témoignage de M. Newhook, une bonne partie de la rémunération que reçoit Jazz provient de la mesure incitative liée à la ponctualité, laquelle est établie selon la proportion de vols qui partent à l’heure. Le [traduction] « coût salarial variable lié à l’équipage de bord » représente le coût le plus important pour Jazz. Autrement dit, les coûts liés à l’équipage de bord sont la dépense la plus élevée de l’entreprise. Il est essentiel que les départs des vols se fassent à l’heure, étant donné le rôle de transporteur de Jazz et la mesure incitative liée à la ponctualité. C’est pourquoi il importe que les agents de bord se présentent au travail à l’heure. De plus, si le départ d’un vol est retardé parce qu’un agent de bord ne s’est pas présenté au travail, cela peut créer un effet domino puisque d’autres vols seront retardés.

[9]  Selon M. Newhook, étant donné que les vols sont pourvus du personnel de vol minimal, un vol auquel il manque un seul agent de bord ne peut pas partir. En conséquence, Jazz peut appeler en tout temps des agents de bord « en attente » qui doivent se présenter dans un délai de deux heures. Lorsqu’un agent de bord ne se présente pas au travail, le centre des opérations peut affecter un agent de bord qui devait travailler sur un vol ultérieur à un vol plus urgent. Il peut ensuite appeler un agent de bord « en attente » pour l’affecter à ce vol ultérieur. Les articles 5.23 et 5.24 de la convention collective prévoient des agents de bord en attente et en attente à l’aéroport qui peuvent remplacer d’autres membres de l'équipage de cabine selon les besoins. Habituellement, environ dix pour cent de la main-d’œuvre nécessaire de Jazz se trouvent en attente, selon la journée de la semaine. Il s’agit de la police d’assurance de Jazz pour se protéger en cas de retards, d’annulations ou de tout manquement des agents de bord à se présenter au travail. Ces employés en attente doivent être disponibles durant l’ensemble des 24 heures où ils assurant cette fonction.

[10]  Lors du processus d’embauche de nouveaux agents de bord, Jazz est à la recherche de personnes fiables et flexibles. Durant la période de formation et d’évaluation, Jazz vérifie la flexibilité et la fiabilité des personnes embauchées. La flexibilité est essentielle étant donné que Jazz doit engager des agents de bord qui peuvent ajuster leur horaire selon les besoins. La fiabilité est essentielle puisque Jazz a besoin d’agents de bord ponctuels. Jazz encourage également la ponctualité des employés en leur offrant des primes d’assiduité. Selon M. Newhook, les employés qui ne sont pas fiables risquent de perdre leur emploi.

[11]  M. Newhook a affirmé que Jazz a pris la décision de laisser les agents de bord choisir le moyen de transport qui assurerait leur ponctualité. Cependant, selon M. Newhook, Jazz a également continué d’offrir à ses agents de bord un permis de stationnement même si cela peut représenter un avantage imposable, et ce, pour éviter que les employés optent pour des solutions moins fiables qui entraîneraient des retards dans le système.

[12]  M. Newhook a confirmé que la possession d’un permis de conduire ou d’une voiture ne constitue pas une condition d’emploi pour les agents de bord de Jazz. M. Newhook explique que posséder une voiture n’est pas une condition d’emploi puisqu’un agent de bord nouvellement engagé risque de gagner environ 23 000 $ par année. Comme une voiture représente un coût important, imposer la possession d’une voiture comme condition d’emploi compliquerait le processus d’embauche. Quoi qu’il en soit, conformément à l’article 7.04 de la convention collective, les agents de bord reçoivent un permis de stationnement payé par Jazz. M. Newhook a déclaré que cette disposition faisait déjà partie de la convention collective lorsqu’il a commencé à travailler pour Jazz en 1993 et qu’il ignorait la raison pour laquelle l’article 7.04 avait été adopté. L’article 7.03 de la convention collective prévoit que Jazz devra fournir le taxi, la limousine ou tout moyen de transport adéquat aux agents de bord qui doivent se présenter au travail, ou qui reviennent d’un voyage, entre 0 h 30 et 4 h 30. Par exemple, Jazz pourra parfois payer le taxi tard le soir pour conduire un employé à sa voiture ou lorsqu’un agent de bord se fait appeler pour travailler durant une journée de congé alors qu’il n’a pas d’autre moyen de se rendre au travail.

B. Témoignage de Mark Smith

[13]  M. Smith occupe le poste d’agent de bord depuis environ vingt-cinq ans. Il travaille depuis l’aéroport de Calgary et demeure dans la même ville.

[14]  En 2011, M. Smith se rendait au travail en voiture et garait son véhicule dans [traduction] « l’aire de stationnement verte ». Sans embouteillage, le trajet lui prenait environ vingt-cinq minutes. M. Smith a déclaré qu’il n’existait aucune ligne directe de transport en commun entre son lieu de résidence et l’aéroport en 2011. Il n’a jamais fait de covoiturage ni pris le taxi pour se rendre au travail. Son permis de stationnement pour l’aire verte était payé par Jazz, et son coût s’élevait à 40 $ par mois, TPS en sus.

[15]  M. Smith a également affirmé qu’il n’avait pas à utiliser sa voiture dans le cadre de son travail; il l’utilisait seulement pour se rendre au travail. Il a déclaré qu’il [traduction] « aurait envisagé toutes les options possibles » si Jazz n’avait pas payé pour le stationnement, sans toutefois préciser la nature de ces options pour lesquelles il aurait assumé les frais.

[16]  M. Smith a déposé en preuve au procès son résumé de bordereau de paie pour l’année 2011. Le document indique les périodes de travail et de repos de M. Smith. Selon le résumé, il n’avait pas un horaire dit « normal »; ses heures de travail variaient d’une semaine à l’autre et d’un mois à l’autre. L’employeur pouvait exiger de M. Smith qu’il commence son quart de travail tôt et qu’il le termine tard. En 2011, par exemple, il a déjà commencé dès 5 h pour terminer aussi tard que 23 h 36.

[17]  Il était important que M. Smith se présente au travail à l’heure. Il existait une règle des trois fautes : si M. Smith ne se présentait pas au travail à l’heure, il était sanctionné. Si cela se produisait à trois reprises, il perdait son emploi.

[18]  M. Smith a déclaré qu’il a fait usage de son permis de stationnement à deux ou trois reprises pour des raisons personnelles, notamment au moment de partir en vacances. Il n’a pas remboursé Jazz pour l’utilisation de son permis de stationnement.

[19]  Selon la preuve déposée au procès, aucun moyen de transport en commun ne se rendait à l’aéroport pour les vols qui partaient tôt le matin. Toutefois, l’élément de preuve à cet effet était fondé sur l’horaire de transport en commun de 2017, et non selon celui de 2011. Des éléments de preuve montraient également que les circuits examinés lors de l’audience n’auraient pas été offerts en 2011 puisque les circuits et les stations ont changé depuis.

[20]  M. Smith a déposé en preuve une carte du transport en commun de Calgary datant de 2011. La carte montrait que deux autobus se rendaient à l’aéroport de Calgary : les circuits 430 et 57. L’horaire du circuit 430 montrait que, durant la semaine, le premier autobus arrivait à l’aéroport à 5 h 53 et que le dernier départ de l’aéroport se faisait à 0 h 23; l’horaire du week-end était plus limité. L’horaire du circuit 57 n’a pas été déposé en preuve.

[21]  D’ailleurs, un nouveau circuit en direction de l’aéroport, le circuit 300, a été lancé le 27 juin 2011. L’horaire de ce circuit indiquait que, tous les jours de la semaine, le premier autobus arrivait à l’aéroport à 5 h 25 et que le dernier autobus quittait l’aéroport à 0 h 5. Cependant, l’élément de preuve datant de 2017 laissait croire qu’en raison de l’endroit où résidait M. Smith en 2011, il lui aurait été impossible d’utiliser le circuit 300 à cette heure-là le matin puisqu’il lui aurait fallu d’abord prendre un autre autobus.

C. Témoignage de Shawnah Whittaker

[22]  Mme Whittaker est la directrice générale du transport terrestre et du stationnement de l’administration aéroportuaire de Calgary. Dans le cadre de son travail, elle est responsable du stationnement à l’aéroport de Calgary et de tout ce qui a trait au transport terrestre en direction et en provenance de l’aéroport. Mme Whittaker travaille pour le service du transport terrestre et du stationnement de l’administration aéroportuaire de Calgary depuis vingt ans environ.

[23]  Mme Whittaker a déclaré que tous les employés de l’aéroport de Calgary ont droit à un permis de stationnement. Selon elle, la plupart des agents de bord qui travaillent à l’aéroport de Calgary, y compris ceux qui travaillent pour Jazz, se voient fournir un tel permis par leur employeur.

[24]  Aujourd’hui, il existe un certain nombre d’aires de stationnement à l’aéroport de Calgary. En général, plus une aire de stationnement est située à proximité du terminal, plus son coût est élevé. En 2011, cependant, les seules options offertes aux employés de Jazz étaient les aires verte et blanche. Jazz fournissait à ses employés du stationnement dans l’aire verte, qui comprenait plus de 2500 espaces de stationnement. L’aire n’était jamais complètement occupée. Le coût du stationnement dans cette aire s’élevait à 40 $ en 2011 (42 $ avec la TPS). L’aire était accessible tous les jours, 24 heures sur 24. Pour ce qui est de l’aire blanche, connue comme l’aire de stationnement des gens d’affaires, elle est chauffée et coûte beaucoup plus cher, son coût mensuel s’élevant à 240 $ en 2011.

[25]  Habituellement, en 2011, si les personnes qui travaillaient à l’aéroport de Calgary souhaitaient obtenir un espace de stationnement, elles devaient remplir une demande de permis et la soumettre au bureau du stationnement. En 2011, si l’employeur assumait les coûts du stationnement, il devait approuver le permis et recevait directement la facture. Toutefois, tout employé de l’aéroport de Calgary pouvait payer, s’il le désirait, son propre permis de stationnement si celui-ci n’était pas offert par son employeur. De plus, si un employé voulait se procurer un permis de stationnement à proximité du terminal à un prix plus élevé, il devait lui-même en assumer les coûts. En pareil cas, l’administration aéroportuaire de Calgary ne soustrayait pas de ces coûts le montant que l’employeur était disposé à débourser pour l’espace de stationnement.

V. Analyse

[26]  Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Savage [1] , toute acquisition matérielle dans le cadre d’un emploi qui représente un avantage économique pour le contribuable tombe sous le coup de l’alinéa 6(1)a) de la LIR et constitue conséquemment un avantage imposable, à moins qu’il n’y ait d’exemption. Le juge Dickson a déclaré ceci dans cet arrêt [2]  :

Je partage l'avis du juge Evans de la Cour d'appel de l'Ontario qui, à la p. 738 de l'arrêt R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727, affirme au sujet des avantages qu'une personne a reçus ou dont elle a joui au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi :

[TRADUCTION] Je ne crois pas que ces termes ne visent que les avantages liés à la charge ou à l'emploi en ce sens qu'ils représentent une forme de rémunération pour des services rendus. S'il s'agit d'une acquisition importante qui confère au contribuable un avantage économique et qui ne fait pas l'objet d'une exemption comme, par exemple, un prêt ou un cadeau, elle est alors visée par la définition compréhensive de l'art. 3.

[27]  Dans l’arrêt McGoldrick, [3] la Cour d'appel fédérale (« CAF ») a déclaré qu’une exception à la règle s’applique lorsque l’acquisition matérielle est fournie à l’employé principalement dans le but d’avantager l’employeur. Si tel est le cas, même si l’employé bénéficie personnellement de l’utilisation de cette acquisition, cet avantage n’est pas imposable [4]  :

En règle générale, toute acquisition matérielle liée à un emploi qui confère un avantage économique à un contribuable et ne constitue pas une exception tombe sous le coup de l'alinéa 6(1)a) (voir La Reine c. Savage, 1983 CanLII 32 (CSC), 83 DTC 5409, page 5414 (C.S.C.)) [] Lorsqu'une chose est fournie à un employé principalement pour l'avantage de son employeur, cette chose ne constitue pas un avantage imposable si la satisfaction personnelle est tout simplement accessoire à la fin commerciale (voir Lowe c. La Reine, 96 DTC 6226, page 6230).

[28]  Dans le cas qui nous occupe, M. Smith a avancé l’argument selon lequel le permis de stationnement à l’aéroport de Calgary lui était fourni par Jazz et profitait principalement à Jazz. L’intimée a soutenu que c’était plutôt M. Smith qui tirait principalement avantage du permis de stationnement.

[29]  À la lumière de ce qui a été énoncé ci-dessus et dans le but de déterminer si la valeur du permis de stationnement fourni à M. Smith par Jazz représentait un avantage imposable, la Cour doit décider, selon la prépondérance des probabilités, qui d’entre M. Smith et Jazz, l’employeur, en était le principal bénéficiaire [5] .

A. Avantage pour Jazz

[30]  Dans son témoignage, M. Newhook a affirmé qu’il était important que les agents de bord de Jazz se présentent au travail à l’heure pour deux raisons principales :

a)  Une grande partie de la rémunération de Jazz reposait sur la mesure incitative liée à la ponctualité, laquelle était calculée selon la proportion de vols qui partaient à l’heure.

b)  Les vols de Jazz sont pourvus d’un personnel de vol minimal. S’il manque un agent de bord, le départ ne peut être effectué, et cela peut entraîner le retard d’autres vols.

[31]  Par ailleurs, les exigences opérationnelles de Jazz font en sorte que la fiabilité et la flexibilité des agents de bord sont essentielles pour une diversité d’autres raisons commerciales.

[32]  Selon les éléments de preuve, je ne peux pas conclure que Jazz a payé des permis de stationnement dans le but de s’accroître la fiabilité et la flexibilité des agents de bord, y compris celles de M. Smith.

[33]  Selon M. Newhook, étant donné l’importance que Jazz accordait à la ponctualité de ses employés, elle a mis en place une mesure pour s’assurer que, si un agent de bord ne se présentait pas à l’heure au travail pour un quelconque motif, ce dernier pouvait se faire remplacer sans que cela ait d’incidence sur l’horaire des vols de Jazz. Cette mesure ou cette « police d’assurance » consistait à mettre « en attente » environ dix pour cent de la main-d’œuvre requise. Cette exigence se trouve dans les articles 5.23 et 5.24 de la convention collective.

[34]  Conformément à l’article 7.03 de la convention collective, Jazz avait l’obligation de fournir le taxi, la limousine ou tout moyen de transport adéquat aux agents de bord qui doivent se présenter au travail ou qui reviennent d’un voyage, entre 0 h 30 et 4 h 30. Conformément à l’article 7.04 de la convention collective, Jazz devait assumer les coûts des permis de stationnement de ses agents de bord. M. Newhook n’a pas déclaré que les articles 7.03 et 7.04 étaient des mesures ou des polices d’assurance pour se protéger contre le manquement des agents de bord à se présenter au travail à l’heure, contrairement à ce qu’il a affirmé au sujet des articles 5.23 et 5.24. M. Newhook a affirmé que l’article 7.04 a été ajouté dans la convention collective il y a longtemps, c’est-à-dire en 1993, avant qu’il ne soit à l’emploi de Jazz.

[35]  M. Newhook a également affirmé que Jazz avait décidé de laisser les agents choisir du moyen de transport qui leur convenait afin de s’assurer de leur ponctualité. Selon le témoignage de M. Newhook, Jazz ne payait pas les permis de stationnement des agents de bord en raison de réalités commerciales de l’industrie du transport aérien, ou de tout autre facteur lié à cette industrie, contrairement à ce qu’avait prétendu l’avocat de M. Smith.

[36]  Il importe de souligner que, même si les agents de bord de Jazz devaient être fiables, flexibles et ponctuels, rien n’indique que ces derniers, en vertu de la convention collective ou d’une autre entente, devaient se rendre au travail en voiture, ou même posséder un permis de conduire.

[37]  Toutefois, cela ne veut pas dire que Jazz ne bénéficiait pas du fait que les agents de bord utilisaient les permis de stationnement. Par conséquent, je dois évaluer si des éléments de preuve montrent une corrélation entre l’utilisation des permis de stationnement et l’existence de tout avantage pour Jazz.

[38]  M. Newhook a affirmé dans son témoignage que Jazz avait décidé de continuer à payer les permis de stationnement malgré la possibilité que ceux-ci puissent représenter un avantage imposable. Selon M. Newhook, cela s’explique par le fait que Jazz voulait éviter que les agents de bord n’optent pour des solutions moins fiables. Je n’ai reçu aucun élément de preuve qui permet de conclure que les agents de bord qui utilisaient une voiture pour se rendre au travail à l’aéroport de Calgary étaient plus fiables que ceux qui utilisaient d’autres moyens de transport. Durant l’année d’imposition 2011, la convention collective qui exigeait que Jazz paye pour les permis de stationnement était en place. Pendant l’année d’imposition 2011, Jazz avait l’obligation de payer les permis de stationnement conformément à la convention collective, peu importe si ceux-ci constituaient ou non un avantage imposable.

[39]  Après avoir étudié la preuve, je suis arrivé à la conclusion que rien ne montre une corrélation entre l’utilisation des aires de stationnement de l’aéroport de Calgary par les agents de bord et l’existence d’un avantage pour Jazz. La preuve ne permet pas de conclure que les agents de bord qui se rendent à l’aéroport avec leur voiture sont plus fiables et flexibles que ceux qui utilisent d’autres moyens de transport. Selon les éléments de preuve, je conclus que Jazz a reçu la même qualité de service de la part de ses agents de bord indépendamment de la façon dont chacun se rendait au travail.

[40]  Dans le cas de M. Smith, il devait se rendre en voiture à l’aéroport de Calgary. Par conséquent, il avait besoin d’un permis de stationnement afin de pouvoir travailler pour Jazz à partir de l’aéroport de Calgary et, de toute évidence, pour pouvoir se présenter au travail à l’heure. Donc, grâce au fait que M. Smith utilisait un permis de stationnement, Jazz a pu compter M. Smith parmi ses employés.

[41]  Les éléments de preuve portent à croire que M. Smith devait se rendre à l’aéroport de Calgary en voiture, car il ne pouvait pas utiliser le transport en commun, le service n’étant pas offert durant les heures où il en avait besoin. Dans certains cas, le transport en commun était offert, mais son usage se serait avéré peu pratique pour M. Smith.

[42]  M. Smith a déclaré que si Jazz n’avait pas payé son permis de stationnement, il aurait envisagé d’autres options. Bien qu’il ait affirmé qu’il aurait envisagé d’autres solutions, il n’a pas précisé lesquelles, à l’exception de la possibilité de payer lui-même son permis de stationnement. Selon les éléments de preuve, je me retrouve dans l’impossibilité de déterminer la nature des autres options envisageables, mis à part le fait pour l’appelant d’assumer lui-même les coûts du stationnement. À mon avis, et selon les éléments de preuve présentés, M. Smith, vu la distance qui sépare sa résidence de l’aéroport de Calgary, et son horaire de travail, n’avait d’autre choix que d’utiliser sa propre voiture pour se rendre au travail ainsi que de faire usage de l’espace de stationnement disponible, sans égard au fait que Jazz en assume ou non les coûts.

[43]  En fin de compte, rien ne montre une corrélation entre l’utilisation du stationnement de l’aéroport de Calgary et tout avantage pour Jazz, qu’il soit question des agents de bord en général ou de M. Smith en particulier. Étant donné que les éléments de preuve n’indiquent pas que M. Smith ne remplissait pas les mêmes tâches ni les mêmes fonctions que les autres agents de bord, il m’est impossible de conclure que son travail en particulier a procuré un quelconque avantage à Jazz comparativement au travail des autres agents de bord. De plus, rien ne montre que le remplacement de M. Smith à la suite d’une cessation d’emploi hypothétique serait coûteux ou difficile à effectuer.

[44]  Finalement, l’avocat de M. Smith a affirmé que le paiement du permis de stationnement a aidé Jazz à poursuivre la réalisation de son objectif de ponctualité et à accroître la fiabilité, la flexibilité et la ponctualité des agents de bord. Cela s’est traduit par une augmentation des profits et une diminution des coûts, le résultat net de Jazz s’en trouvant bonifié. Il a également avancé qu’une amélioration de la fiabilité, de la flexibilité et de la ponctualité des agents de bord a contribué à la ponctualité de Jazz et, par le fait même, à l’augmentation de la rémunération versée par Air Canada. Je n’ai pas reçu d’éléments de preuve qui peuvent appuyer ces conclusions ou qui permettent de mesurer l’incidence de l’utilisation du permis de stationnement de M. Smith, ou de tout membre de l’équipage de cabine, sur les profits ou les coûts de Jazz.

[45]  À la lumière de mon analyse des éléments de preuve, je ne peux pas conclure que Jazz a retiré un quelconque avantage de l’utilisation par M. Smith du permis de stationnement qui lui avait été fourni.

A. B. Avantage pour M. Smith

[46]  Comme il a été mentionné précédemment, j’en suis venu à la conclusion que M. Smith devait utiliser sa voiture et, par conséquent, avait besoin d’un permis de stationnement afin d’être en mesure de travailler pour Jazz depuis l’aéroport de Calgary; il en aurait été ainsi que Jazz paye ou non le permis de stationnement. En raison de ce facteur et selon les éléments de preuves fournis, j’en suis venu à la conclusion que M. Smith a retiré un seul avantage du fait que son permis de stationnement était payé par Jazz. Il s’agissait d’un avantage économique calculable du point de vue pécuniaire. La valeur de cet avantage équivaut à la valeur totale du permis de stationnement pour l’année d’imposition 2011, soit 504 $. Quoi qu’il en soit, M. Smith aurait bénéficié de tous les autres avantages potentiels découlant de l’utilisation du permis de stationnement puisqu’il aurait de toute façon fait usage d’un tel permis même si Jazz n’en avait pas assumé les coûts. Si les éléments de preuve portaient à croire, par exemple, qu’il aurait pris l’autobus dans le cas où Jazz n’aurait pas payé le permis de stationnement, j’aurais tiré une tout autre conclusion puisqu’il aurait sans doute profité d’autres avantages découlant de l’utilisation d’une voiture au lieu de l’autobus.

VI. Conclusion

[47]  Selon les éléments de preuve, j’en suis venu à la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, M. Smith était le principal bénéficiaire du permis de stationnement à l’aéroport de Calgary. M. Smith a obtenu un avantage économique qui est mesurable du point de vue pécuniaire. La valeur de cet avantage équivaut à la valeur du permis de stationnement pour l’année d’imposition 2011, qui est de 504 $.

[48]  Je ne peux pas conclure que Jazz a payé le permis de stationnement à des fins commerciales. L’obligation de payer le permis de stationnement se trouve dans la convention collective, mais aucune explication ne m’a été donnée quant à la raison pour laquelle celle-ci y a été ajoutée. La seule conclusion que je peux tirer, c’est que Jazz assumait les coûts du permis de stationnement parce qu’il s’agissait simplement d’une exigence de la convention collective. Pour ce qui est de la possible amélioration de la fiabilité et de la flexibilité des agents de bord, notamment celles de M. Smith, les éléments de preuve ne démontrent pas l’existence réelle de cette amélioration en raison du fait que les employés se rendaient au travail en voiture. En fin de compte, rien n’indique que Jazz a tiré profit de l’utilisation du permis de stationnement par M. Smith.

[49]  Pour l’ensemble de ces motifs, l’appel est rejeté, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d’avril 2017.

 

« Sylvain Ouimet »

Juge Ouimet


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 62

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-3969(IT)I

INTITULÉ :

MARK SMITH c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Sylvain Ouimet

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 avril 2017

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelant :

Me Gerald Grenon 

Me Kaitlin Gray

Gerald Grenon

Kaitlin Gray

Avocat de l’intimée :

Me Gergely Hegedus

Gergely Hegedus

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Noms :

Me Gerald Grenon 

Me Kaitlin Gray

 

Cabinet :

Osler, Hoskin & Harcourt s.r.l.

Calgary (Alb.)

Pour l’intimée :

Me William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]   R c Savage, [1983] 2 RCS 428, [1983] CTC 393.

[2]   Ibid. à 441.

[3]   McGoldrick c Canada, 2004 CAF 189.

[4]   Ibid. au par. 9.

[5]   Voir Lowe c R, [1996] 2 CTC 33 à 42, 96 DTC 6226 à 6230 (CAF).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.