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Date: 19980202

Dossier: 97-1685-IT-I

ENTRE :

ROBERT LEMAY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s’agit d’un appel par voie de la procédure informelle, d’une cotisation en date du 4 juillet 1996, portant le numéro 09033, établie en vertu du paragraphe 227(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ), à l’égard d’un montant payable par l’appelant sous l’article 227.1 de la Loi. Cet article prévoit la responsabilité solidaire des administrateurs d’une corporation qui ont omis de remettre les déductions à la source faites sur le salaire des employés de la corporation.

[2] Au niveau de l’Avis d’appel, la question en litige était de savoir si l’appelant a exercé la diligence prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi. Toutefois, à la fin de l’argumentation, l’appelant a soulevé la possibilité de la prescription de la cotisation. La prescription est prévue au paragraphe 227.1(4) de la Loi. J’ai permis les représentations écrites à cet égard.

[3] Les deux points soulevés par l’appelant dans son Avis d’appel sont les suivants :

2. Pour les périodes de mai et juin 1994, la compagnie 3099-8413 Québec Inc. faisait affaire avec Services de paie Desjardins, l’appelant était donc en droit de s’attendre à ce que les remises pour les retenues à la source soient effectuées correctement, le tout tel qu’il sera démontré lors de l’audition du présent avis d’appel;

3. En juin 1994, la compagnie 3099-8413 Québec Inc. faisait cession de ses biens, l’appelant était donc en droit de s’attendre à ce que toutes les sommes dues au Ministre soient remises puisqu’il y avait un encaisse d’environ soixante-dix mille dollars (70 000 $), le tout tel qu’il sera démontré lors de l’audition du présent avis d’appel;

[4] Les faits que le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a tenu pour acquis, pour établir sa cotisation, sont décrits au paragraphe 6 de la Réponse à l’avis d’appel (la « Réponse » ) comme suit :

a) En tant qu'employeur, la compagnie 3099-8413 Québec Inc., faisant parfois affaires sous le nom de « Le Vieux Munich » , avait l'obligation légale de déduire, retenir et remettre au Receveur général du Canada les déductions à la source sur les salaires et autres rémunérations de ses employés.

b) Un examen des T4 a révélé que 3099-8413 Québec Inc. avait omis de remettre les déductions à la source pour les mois de février à juin 1994 totalisant un montant de 21 006,19 $.

c) Par avis de cotisation en date du 26 juillet 1994, le Ministre a réclamé à 3099-8413 Québec Inc. le paiement des déductions à la source pour les mois de février à juin 1994.

d) 3099-8413 Québec Inc. a été déclarée en faillite le 25 juillet 1994 avec effet rétroactif au 17 juin 1994, date de l'avis d'intention de déposer une proposition.

e) En date du 3 août 1994, le Ministre expédiait une réclamation de biens au montant de 20 069,86 $ et une réclamation au montant de 4 507,82 $.

f) En date du 5 octobre 1994, un nouvel avis de cotisation avait été émis à la compagnie 3099-8413 Québec Inc.

g) En date du 11 octobre 1994, le Ministre expédie une réclamation de biens amendée de 14 456,55 $ et une réclamation amendée de 6 549,64 $.

h) En date du 2 mai 1995, le syndic à la faillite confirme qu'aucun dividende ne serait payé suite à la réalisation des actifs.

i) L'appelant était, à compter du 2 mai 1994, administrateur de la compagnie 3099-8413 Québec Inc.

j) En sa qualité d'administrateur de 3099-8413 Québec Inc., l'appelant n'a pas agi avec le degré de soin, de diligence et d'habilité pour prévenir les manquements qu'une personne raisonnable et prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

k) L'appelant n'a pas pris les arrangements nécessaires pour prévenir les manquements de 3099-8413 Québec Inc. pour les mois de mai et juin 1994.

[5] Au début de l’audience, l’avocat de l’intimée a réitéré une demande d’ajournement aux fins que le présent appel et celui de monsieur Claude Lemay, également cotisé à titre d’administrateur de la même corporation, soient entendus sur preuve commune. L’appelant s’était opposé à cette demande et s’y opposait encore au moment de l’audience. La demande a été refusée pour les motifs suivants : dans les appels en responsabilité des administrateurs, les rôles de ces derniers pouvant ne pas être identiques, leurs intérêts peuvent être divergents. De plus, sans que la tardiveté de la demande puisse d’aucune manière être imputable à l’avocat de l’intimée, cette demande n’a été faite que quelques jours avant la date fixée pour l’audition. Le temps de la Cour avait déjà été mis de côté pour entendre le présent appel.

[6] L’appelant et monsieur Réjean Brasseur ont témoigné pour la partie appelante. Madame Agathe Leboeuf et monsieur Claude Gagnon ont témoigné à la demande de l’avocat de l’intimée.

[7] L’appelant a expliqué à la Cour que la corporation 3099-8413 Québec Inc., ci-après appelée « la corporation » , faisait affaires sous le nom de « Le Vieux Munich » , un restaurant. Le 31 janvier 1994, monsieur Claude Lemay, le frère de l’appelant a acquis les actions de ladite corporation pour 1 $ et autre contrepartie. Selon la pièce I-1, monsieur Claude Lemay a été administrateur unique de la corporation depuis le 30 décembre 1993. Selon cette même pièce, l’appelant a été élu comme autre administrateur de la corporation le 2 mai 1994. L’appelant fut immédiatement nommé le directeur-général de l’entreprise.

[8] La corporation aurait emprunté 100 000 $ de monsieur Bolay, le propriétaire antérieur des actions. Ce dernier est demeuré propriétaire de l’immeuble. La corporation a aussi obtenu un prêt fait en vertu du programme gouvernemental d’aide à la petite entreprise au montant de 250 000 $, prêt octroyé par la Banque Royale. La corporation a fait faillite le 17 juin 1994.

[9] L’appelant a produit comme pièce A-1, une lettre du Service de paie Desjardins, en date du 11 avril 1994, adressée à 3099-8413 Québec Inc. (Le Vieux Munich), a/s Robert Lemay. Le premier paragraphe se lit comme suit :

...

Les Services de paie Desjardins sont heureux de vous accueillir comme nouveau client pour le traitement de votre paie.

...

[10] Comme nous avons vu dans l’Avis d’appel de l’appelant plus haut cité, le traitement de la paie par Desjardins constitue l’un des deux motifs d’appel de l’appelant et certainement celui sur lequel il s’appuie le plus. Toutefois, à part cette lettre de bienvenue, dont il faut noter la date soit avril 1994, alors que l’exploitation du restaurant a commencé en janvier 1994, l’appelant n’a apporté aucune autre documentation expliquant l’étendue du service, ses modalités ni n’a demandé à un agent de ce service de Desjardins de venir témoigner. En ce qui concerne le manque de documentation, l’appelant s’est replié sur le fait que c'était le syndic à la faillite de la corporation qui avait en sa possession tous les documents. À la question à savoir pourquoi il n’avait pas demandé à Desjardins de lui fournir la documentation requise, il a répondu qu’il n’avait pas pensé le demander à Desjardins.

[11] Monsieur Réjean Brasseur a témoigné pour confirmer les affirmations de l’appelant, qu’à la fin, lorsque la corporation était en faillite, c’est l’appelant qui avait lui-même payé les employés à même les recettes de l’entreprise.

[12] Selon le témoignage des agents du Ministre, le 17 juin 1994, un avis d’intention de déposer une proposition a été reçue par Revenu Canada. En juillet 1994, un vérificateur du Ministre s’est rendu au bureau de la corporation pour vérifier les listes de paye. Vu la difficulté d’obtenir des données précises, l’agent du Ministre a d’abord procédé à partir des documents à sa disposition à une cotisation arbitraire en date du 26 juillet 1994 au montant de 24 547,56 $ pour les déductions à la source de l’année d’imposition 1994 (pièce I-5).

[13] En date du 16 août 1994, une lettre est envoyée à l’appelant par un agent de recouvrement de Revenu Canada, l’informant que la corporation n’a pas versé les déductions à la source et qu’il peut être tenu responsable de ces sommes à moins qu’il ne puisse présenter une défense de diligence raisonnable (pièce I-7). En date du 21 septembre 1994, une autre lettre est envoyée à l’appelant pour lui dire qu’il n’y a pas eu de réponse à la précédente et qu’il est possible qu’il soit cotisé (pièce I-8).

[14] Entre temps, l’agent du Ministre, ayant obtenu les T4 remplis par les syndics à la faillite, a établi en date du 5 octobre 1994, la cotisation de façon définitive au montant de 20 976,07 $ pour l’année d’imposition 1994. Comme aucun montant de déductions à la source n’avait jamais été payé, le montant total des déductions est devenu le montant de la cotisation.

[15] L’agent au recouvrement a reçu une lettre de l’avocate d’alors de l’appelant en date du 11 octobre 1994, indiquant qu’il lui était impossible pour l’instant de répondre et demandait un délai de quelques mois (pièce I-9).

[16] La cotisation de l’appelant, en date du 4 juillet 1996, produite comme pièce A-2, a été établie en fonction du nombre de mois qu’il a été administrateur de la corporation sur l’ensemble des mois où la corporation a agi. Elle est au montant de 8 402,48 $, et les mois indiqués au tableau explicatif qui y est attaché en addendum sont mai et juin 1994. Cette cotisation a aussi été produite comme pièce I-4.

[17] L’appelant a produit comme pièce A-3, la cotisation de monsieur Claude Lemay, également en date du 4 juillet 1996 mais au montant de 21 006,19 $. Les mois indiqués sont également mai et juin 1994. L'agent du Ministre a expliqué qu’il s’agissait d’une erreur et qu’il fallait lire février à juin 1994. Il dit que ceci a été expliqué à l’appelant et à monsieur Claude Lemay lorsqu’ils sont venus le voir à son bureau en août 1996. Il n’a pas jugé bon de faire la correction écrite vu qu’il l’avait mentionné verbalement, que les montants étaient différents, que le restaurant avait été exploité depuis janvier 1994 et qu’aucune déduction à la source n’avait jamais été remise. Toutefois, en rétrospective, il se rend compte qu’il aurait mieux valu procéder à la correction des mois indiqués à la cotisation de monsieur Claude Lemay.

[18] L’appelant produit comme pièce A-4 son avis d’opposition daté du 30 septembre 1996. Ces deux motifs sont les suivants :

...

1èrement: À cette époque le Vieux Munich était administré par des syndics et ils avaient garanti le paiement de leur salaire, puisqu’ils avaient été nommés par la Cour et qu’ils étaient des officiers de justice. Contrairement à leurs allégations, ils se sont payés des honoraires de plus de 70 000 dollars, et n’ont jamais payé les employés, les déductions à la source et les fournisseurs.

2ièment: Tant qu’à la période précédant les syndics, Robert Lemay a toujours agi avec diligence et selon son mandat d’administrateur, de plus j’ai injecté des fonds personnels dans la compagnie pour couvrir les paies.

Comme on le voit, l’appelant avait comme argument principal au stade de l’avis d’opposition que les syndics s’étaient payés des honoraires élevés, argument qui est devenu son deuxième argument dans son Avis d’appel.

[19] La pièce I-2 est le Rapport du syndic sur l’administration préliminaire en date du 24 août 1994, Cour supérieure « En matière de faillite » . Il dit ceci en ce qui concerne les livres et dossiers :

Catégorie 4 Livres et dossiers :

La prise de possession a été faite dès le 26 juillet 1994. La seule comptabilité de la débitrice consiste en rapports journaliers et aucune autre comptabilité n’a été tenue. En prenant comme critère les dispositions de l’article 200(2) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, nous sommes d’avis que cette comptabilité n’est pas adéquate.

[20] La pièce I-3 est une résolution en date du 10 juin 1994, de l’actionnaire unique, autorisant l’administrateur Robert Lemay à vendre une voiture appartenant à la corporation.

[21] Les pièces I-10 et I-11 sont des cotisations antérieures de l’appelant à l’égard de différentes corporations où il agissait comme administrateur. L’une est au montant de 6 211,09 $ et en date du 13 juillet 1989, et l’autre est au montant de 6 807,65 $ et en date du 6 septembre 1989. Ces cotisations sont à ce jour impayées selon les livres du service de recouvrement du ministère du Revenu national (le « Ministère » ).

Arguments et conclusions

[22] L’appelant a fait valoir qu’il avait exercé la diligence requise en demandant à Desjardins de faire la paye des employés de la corporation. Il soumet également qu’il n’est devenu administrateur que les deux derniers mois de la vie de l’entreprise, soit mai et juin, et qu’il ne peut pas être tenu responsable du non paiement des retenues à la source pour ces deux derniers mois. Il soutient aussi que ces déductions à la source auraient pu être payées si les syndics ne s’étaient pas payé des honoraires.

[23] À la fin de sa plaidoirie, l’appelant s’est questionné et en même temps interrogeait la Cour à savoir si la preuve, telle que présentée par l’avocat de l’intimée, était légale. Il se posait surtout cette question en regard de la lecture faite par l’agent de recouvrement, qui en plus de ses propres notes, utilisait également les notes de fonctionnaires antérieurs. Un témoin peut utiliser ses propres notes pour se rafraîchir la mémoire en autant que ces notes aient été faites au moment de l’événement. En ce qui concerne les notes d’autres employés, un témoin ne peut s’en servir à moins qu’il ne s’agisse de notes qui aient un caractère de dossiers d’affaires. Dans ce cas-ci, l’agent de recouvrement s’est servi des notes d’autres employés pour confirmer que les cotisations antérieures de l’appelant, à titre d’administrateur, qui ont été produites comme pièces I-10 et I-11, n’avaient pas été payées. Cette information est recevable puisqu’il s’agit d’une entrée objective faite dans le cours normal des affaires du service de recouvrement du Ministère.

[24] L’avocat de l’intimée fait valoir que l’appelant n’a pas expliqué les modalités de l’entente avec Desjardins et que même si cette entente existait, ce qui n’est pas admis, l’appelant n’a pas montré qu’il a exerçé le contrôle administratif requis sur son délégataire, relativement au devoir de remise des déductions à la source.

[25] Le paragraphe 227.1(3) de la Loi se lit comme suit :

Un administrateur n’est pas responsable de l’omission visée au paragraphe (1) lorsqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[26] Je suis d’avis que l’appelant n’a pas fait la preuve qu’il a agi avec la diligence requise pour prévenir le manquement des remises des déductions à la source. L’appelant n’a pas été administrateur de la corporation dès le début mais il en était le directeur-général. Il n’a pas décrit ce qui a été fait concernant les déductions à la source de janvier à avril, date de la lettre de bienvenue de Desjardins. Il n’y a pas eu non plus de description de ce qui s’est passé après cette lettre de bienvenue. L’appelant avait été administrateur d’autres compagnies, il connaissait les obligations d’un employeur à cet égard. Or, dans cet appel, il s'agit d’un état de non paiement total des déductions à la source. Les agents du Ministre, ainsi que les syndics de la corporation, ont tous été du même avis : les livres, pour ceux qui l’étaient, étaient mal tenus. En ce qui concerne l’argument relatif aux honoraires que les syndics se seraient payés, ce n’est pas un argument pertinent. Il s’agit de faits qui ont eu lieu après les événements qui ont donné naissance à la cotisation dont il y a appel. Ce qui est pertinent à la défense, selon le paragraphe 227.1(3) de la Loi, c’est la mise en place d’un système fiable de remise des déductions à la source au début et au cours des opérations d’une entreprise. Cette preuve n'ayant pas été faite, l’appel ne peut donc pas réussir en ce qui concerne la défense prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi.

[27] En ce qui concerne l’argument de la prescription de l’action du Ministre, le paragraphe 227.1(4) de la Loi se lit comme suit :

L’action ou les procédures visant le recouvrement d’une somme payable par un administrateur d’une société en vertu du paragraphe (1) se prescrivent par deux ans à compter de la date à laquelle l’administrateur cesse pour la dernière fois d’être un administrateur de cette société.

[28] L’appelant fait valoir qu’il a cessé d’être administrateur le 17 juin 1994, date de la faillite de la corporation. La cotisation est en date du 4 juillet 1996.

[29] L’avocat de l’appelant se réfère à la décision de la Cour d’appel fédérale dans La Reine c. Kalef, 96 DTC 6132, qui dit que le moment où un administrateur cesse de l’être doit être déterminé en fonction de la loi constitutive de la corporation :

La Loi de l'impôt sur le revenu ne définit pas le terme « administrateur » et elle n'établit pas de critère en ce qui concerne le moment où une personne cesse d'occuper ce poste. Compte tenu du silence de la Loi de l'impôt sur le revenu, il est logique de se tourner vers la loi régissant la constitution en personne morale de la compagnie pour y trouver une réponse. ...

[30] Dans ce cas-ci, la loi constitutive est la Loi sur les compagnies, L.R.Q. c. C-38. Nulle part n’y est-il dit dans cette loi qu'un administrateur cesse d'être un administrateur par la faillite de la corporation dont il est administrateur. Il n’y a pas eu de preuve de démission de l’appelant à titre d’administrateur. En fait, la preuve selon son témoignage même est qu’il a continué à agir comme administrateur après la mise en faillite de la corporation. Je prends pour exemple le fait qu’il ait payé lui-même les salaires nets des employés à même certaines recettes de l'entreprise. L’appel de l’appelant ne peut donc pas non plus réussir sous le chef de la prescription de la cotisation prévue au paragraphe 227.1(4) de la Loi.

[31] L’appel est en conséquence rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de février 1998.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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