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Dossier : 1999-4087(IT)G

ENTRE :

B. W. STRASSBURGER LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu les 20, 21 et 22 juillet 2004 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable Gerald J. Rip

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Mes Franklyn E. Cappell et

Sunita Doobay

Avocate de l'intimée :

Me Suzanne Bruce

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de l'avis de cotisation établi en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 1996 est accueilli, avec dépens, et l'affaire est renvoyée au ministre pour qu'il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la disposition d'actions effectuée par l'appelante en 1996 doit être imputée au capital.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de septembre 2004.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juin 2005.

Sara Tasset


Référence : 2004CCI614

Date : 20040910

Dossier : 1999-4087(IT)G

ENTRE :

B. W. STRASSBURGER LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rip

[1]      B. W. Strassburger Limited (l' « appelante » ) a contesté en appel un avis de cotisation au titre de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 dans lequel le ministre du Revenu national a considéré que la disposition de certains titres de sociétés cotées en bourse avait eu lieu dans le cours des activités de l'appelante. Le ministre a établi une nouvelle cotisation pour l'année 1996 en traitant le profit tiré par l'appelante de 52 transactions de vente de titres réalisées dans l'année comme s'il s'agissait d'un revenu et en imputant au capital les gains obtenus de 32 autres dispositions de titres. La différence de traitement tient au fait que le ministre a considéré les titres détenus pendant moins d'un an comme des éléments d'actif commercial et ceux qui avaient été détenus pendant plus de 365 jours comme des biens en capital. Le ministre a également considéré les titres comme des éléments d'actif commercial si l'appelante en avait fait initialement l'acquisition puis les avaient détenus pendant plus d'un an mais qu'elle avait ensuite fait l'acquisition d'autres actions de la même société qu'elle a détenues pendant moins de 365 jours[1].

[2]      Après avoir entendu les observations des avocats, j'ai déclaré que je ferais droit à l'appel et que mes motifs suivraient en temps opportun.

[3]      M. Jack Segal, comptable agréé, a été le vérificateur de l'appelante jusqu'en 1996 et avait travaillé à la préparation des états financiers de l'appelante pour l'exercice 1996. Il a décrit les origines de l'appelante ainsi que le caractère et les intentions de son fondateur, Barney Strassburger, Senior ( « M. Strassburger père » ).

[4]      M. Strassburger père est un homme qui a réussi à partir de rien. À toutes les dates pertinentes, l'appelante était détenue et contrôlée par des membres de la famille Strassburger. M. Strassburger père a fait l'acquisition d'une franchise de Kentucky Fried Chicken ( « KFC » ) dans les années 50 et, à sa mort, l'appelante exploitait 33 franchises KFC et franchises liées ainsi qu'une société, Key Brand Foods Inc. ( « Key Brand » ), qui prépare des aliments aux fins de la distribution et de la vente aux franchises KFC.

[5]      M. Strassburger père a eu quatre enfants. Seulement un d'entre eux, Barney Strassburger, Junior ( « M. Strassburger fils » ) s'est intéressé à l'entreprise. M. Strassburger fils a commencé à s'impliquer dans l'entreprise à l'âge de 14 ans, selon M. Segal. Bien qu'une des filles de M. Strassburger père ait travaillé pour l'entreprise familiale pendant un certain temps, ni elle ni les deux autres enfants Strassburger n'étaient intéressés à travailler. M. Strassburger père voulait protéger ses enfants qui ne travaillaient pas dans son entreprise et, en même temps, assurer la survie de ses entreprises.

[6]      Avant 1988, tous les éléments d'actif de la famille Strassburger étaient détenus par l'appelante; celle-ci ne détenait pas d'actions de sociétés cotées en bourse. Parmi ces éléments d'actif, il y avait Twins Drive-In Limited ( « Twins » ), qui était propriétaire des franchises KFC, de Key Brand et de biens immobiliers.

[7]      En 1988, M. Strassburger père était encore actif dans l'entreprise, s'occupant surtout de Key Brand, tandis que M. Strassburger fils était responsable des activités de KFC. M. Strassburger père passait également à peu près quatre mois par année en Floride et M. Strassburger fils le remplaçait chez Key Brand pendant son absence. Les Strassburger gardaient constamment le contact par téléphone et par télécopieur lorsque le père se trouvait en Floride. M. Segal a affirmé que les Strassburger possédaient une solide équipe de gestion et des employés compétents.

[8]      M. Strassburger père voulait protéger ses enfants qui ne travaillaient pas et, en même temps, reconnaître les efforts et la compétence de M. Strassburger fils. Comme l'a raconté M. Segal, il voulait tout arranger de manière à ce que les besoins de ses enfants soient satisfaits et que M. Strassburger fils puisse prendre de l'expansion et en récolter les fruits. Par conséquent, en 1988, l'appelante et Twins, de même que certaines autres sociétés d'importance « mineure » , ont procédé à une fusion (verticale). La société issue de la fusion a poursuivi ses activités pendant une semaine, ce qui lui permettait de se prévaloir d'une déduction pour dépréciation aux fins de l'impôt. À la fin de la semaine, l'appelante a vendu ses magasins, franchises et équipement relatifs à KFC à une nouvelle société, Twins Drive-In Inc. (la « nouvelle société Twins » ); les titulaires d'actions ordinaires de la nouvelle société Twins étaient M. Strassburger fils et sa soeur June, qui détenaient chacun 50 %, alors que M. Strassburger père semble avoir détenu des actions privilégiées. Le prix de vente s'est élevé à 9 500 000 $, juste valeur marchande prétendue des éléments d'actif vendus. Le prix d'achat a été garanti au moyen d'un billet remboursable sur sept ans et demi, portant intérêt au taux de 9 % par année.

[9]      La nouvelle société Twins a eu beaucoup de facilité à rembourser l'emprunt qu'elle avait contracté envers l'appelante. En même temps, Key Brand était extrêmement florissante. L'appelante faisait énormément d'argent. M. Strassburger père se demandait quoi faire avec toutes ces liquidités. Entre-temps, l'arrangement entre M. Strassburger fils et sa soeur June ne donnait pas les résultats escomptés et, en 1990, le père et le fils ont décidé de racheter les actions de June dans la nouvelle société Twins. Cette dernière et Key Brand ont continué de prospérer. M. Strassburger père ne voulait pas se trouver dans une situation de [TRADUCTION] « création de richesses » , au dire de M. Segal, de sorte qu'il a décidé, en 1992, de bloquer les actions de la nouvelle société Twins. Cette société valait environ 8 000 000 $ à ce moment-là. Après le blocage, le père et le fils détenaient chacun 4 000 000 $ en actions privilégiées et M. Strassburger fils était titulaire d'une action ordinaire de la nouvelle société Twins. M. Strassburger père envisageait qu'à sa mort son fils rachète les parts de ses frères et soeurs, soit 1 000 000 $ chacun,ou encore, puisque les actions privilégiées étaient rachetables, que la nouvelle société Twins rachète les actions privilégiées des enfants.

[10]     La nouvelle société Twins a connu énormément de succès sous la gouverne de M. Strassburger fils. Elle a remboursé le billet plus rapidement que prévu. L'appelante disposait d'argent liquide, et M. Strassburger père a continué de se demander quoi faire avec l'argent. Il n'était pas satisfait d'investir dans des certificats de placement garanti, parce qu'il craignait que l'inflation entraîne une perte économique. Il a pensé investir dans des terrains et des sociétés cotées en bourse; il a choisi cette dernière option.

[11]     Pour son premier investissement, l'appelante a fait l'acquisition d'une participation de 2 000 000 $ en actions de Pepsico en 1992. Pepsico était le franchiseur de KFC à cette époque, et M. Strassburger père se sentait à l'aise avec ce placement. Au fur et à mesure que l'appelante accumulait des liquidités, il y a eu d'autres investissements en actions. Le 17 juillet 1995, M. Strassburger père a été victime d'un AVC et a cessé d'être actif dans Key Brand et l'appelante.

[12]     Au 28 avril 1996, date de clôture de l'exercice 1996 de l'appelante, les titres négociables de celle-ci valaient 5 865 394 $. L'appelante détenait aussi des prêts hypothécaires et des prêts (faisant suite à des transactions avec ou sans lien de dépendance) totalisant 3 145 697 $; le plus gros prêt, soit 2 530 107 $, était celui de la nouvelle société Twins. M. Segal estimait que l'appelante valait 34 000 000 $ environ à la fin de l'exercice 1996.

[13]     Avant son AVC, M. Strassburger père a passé en revue les investissements possibles et choisi les actions dont l'appelante ferait l'acquisition. Il favorisait les émetteurs dont il connaissait et comprenait les activités. Il achetait des titres de qualité sur les bourses de Toronto et de New York; il n'investissait pas dans les petites sociétés minières ou pétrolières, par exemple. De temps en temps, il sollicitait l'opinion de M. Segal, mais ce dernier lui répondait qu'il ne suivait pas le marché boursier. M. Segal a maintenu que M. Strassburger père voulait créer un fonds qui permettrait à ses trois autres enfants de subvenir à leurs besoins après son décès. Il est mort en 2002.

[14]     À un moment donné, avant 1995, M. Strassburger père s'est inscrit à un cours sur le commerce des valeurs mobilières. M. Segal croyait que le cours portait sur les options d'achat et de vente. Il semble que M. Strassburger père s'en soit désintéressé ultérieurement.

[15]     L'appelante a présenté à l'audience un relevé des actions qu'elle a vendues entre le 1er mai 1995 et le 28 avril 1996. Le document se divise en quatre rangées, les trois premières décrivant les actions vendues durant l'exercice qui ont été détenues pendant moins de 90 jours, moins de 180 jours et moins de 365 jours respectivement; la rangée du bas décrit les actions vendues qui ont été détenues pendant plus d'un an. Les colonnes du document précisent le nom de l'investissement, le nombre d'actions détenues au début de l'exercice, les dates d'achat d'actions à partir du 2 mai 1995 jusqu'à la fin de l'exercice, le nombre d'actions achetées, les dates où des actions ont été vendues durant l'exercice et le nombre d'actions vendues à diverses dates, le nombre de jours pendant lesquels les actions vendues ont été détenues, le profit ou la perte résultant de chaque vente ainsi que les dividendes reçus dans l'exercice sur chaque titre vendu durant l'exercice.

[16]     D'après M. Segal, dans la première section, soit celle des actions détenues pendant moins de 90 jours, seulement cinq des 11 actions donnaient droit à des dividendes, mais elles ont été vendues avant le versement de dividendes; parmi les actions détenues moins de 90 jours, il y avait sept options d'achat. Les actions vendues à l'intérieur d'une période de 90 jours avaient été émises par Compaq, Bowater, Sun Microsystems, Singer, Tembec, Lotus Development, Bethlehem Steel et Advanced Gravis. Les options d'achat visaient le dollar canadien et des actions de Chemical Bank, Advanced Microsystems et Silicon Graphics. L'appelante a tiré un gain net de 491 176 $ des actions détenues pendant moins de 90 jours.

[17]     Les actions détenues pendant moins de 180 jours avaient été émises par Walgreen, Cobra Golf, Sybase, Gentra, Elpaso, Nova Scotia Power, Multi-Corp, Weldwood, Enserve Corp, Advanced Microsystems, General Motors et Dycom. L'appelante a tiré un gain net de 702 506 $ des actions détenues entre 90 et 179 jours.

[18]     Les actions vendues après une période variant entre 180 et 365 jours comprenaient les titres de Maple Leaf Farms, Silicon Graphics, Mountain Province Diamonds, Cott's Beverages, Calloway Golf, Onex, Wal Mart, Boston Chicken, MHI Group, Nova Corp, Investor's Group et Laidlaw. Cinq des émetteurs ont versé des dividendes à l'appelante durant l'année. Les gains nets tirés des actions détenues pendant plus de 180 jours mais moins de 365 jours se sont élevés à 969 773 $. L'appelante a tiré un gain net de 479 606 $ des actions détenues pendant plus d'un an qui ont été vendues en 1996.

[19]     Dans la réponse à l'avis d'appel, l'intimée a précisé que le ministre, au moment d'établir la cotisation de l'appelante, avait posé certaines hypothèses de fait, dont les suivantes :

[TRADUCTION]

15.        ...

e)          à la fin de 1995, l'appelante a embauché Terry Rocke à titre de conseiller en placements à temps plein;

f)           Barney Strassburger père et Barney Strassburger fils ont autorisé M. Rocke à faire l'achat et la vente de titres sur la base de ses études des marchés boursiers et de ses enquêtes au sujet d'acquisitions éventuelles d'actions;

g)          Barney Strassburger père et Barney Strassburger fils se sont fiés à l'expérience et aux connaissances qu'avait M. Rocke relativement au marché des valeurs mobilières;

h)          à toutes les dates importantes, M. Rocke n'a pas cherché la croissance à long terme des titres acquis par l'appelante et sa stratégie consistait à faire l'achat de titres puis à les vendre rapidement;

[20]     Les témoignages de MM. Segal, Rocke et Strassburger fils sont unanimes : le rôle de M. Rocke ne s'est même jamais approché de celui d'un conseiller en placements. Le ministre a apparemment présumé que M. Rocke était un conseiller par suite des rencontres entre ses fonctionnaires et M. Rocke. Ce dernier a affirmé dans son témoignage que les déclarations qu'il avait faites aux fonctionnaires à propos de son rôle et de ses responsabilités auprès de l'appelante étaient exagérées. Aucun représentant de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) n'a interviewé les Strassburger. M. Rocke a expliqué qu'il avait produit des déclarations de revenus où il précisait qu'il exploitait une entreprise et craignait que les autorités fiscales ne lui refusent des dépenses d'entreprise à l'égard desquelles il avait demandé des déductions. Afin de convaincre les autorités fiscales qu'il exploitait effectivement une entreprise, il a raconté que l'appelante, par exemple, achetait, vendait et détenait des actions en s'appuyant sur l'analyse qu'il faisait de l'évolution du marché et des titres en question. En d'autres termes, il s'est présenté comme un « brasseur d'affaires » . Rien n'était plus éloigné de la vérité, comme l'a avoué M. Rocke lui-même. Il a dit avoir menti aux fonctionnaires de l'ADRC. Après avoir observé M. Rocke, j'ai conclu qu'il n'était pas le genre de personne dont les conseils auraient été suivis par M. Strassburger père. Les hypothèses du ministre concernant M. Rocke sont erronées.

[21]     M. Rocke a fait la connaissance de M. Strassburger fils socialement au début des années 90. M. Strassburger fils a ensuite retenu ses services pour effectuer certaines études de marché sur la circulation routière et sur le débit de la circulation à proximité de restaurants avec service au volant dans le but de mieux déterminer où les nouveaux restaurants KFC devaient être construits. Auparavant, M. Rocke avait réalisé des mandats de toutes sortes auprès de divers employeurs. En 1994, M. Strassburger fils a demandé à M. Rocke d'aider son père à entrer à l'ordinateur le portefeuille d'actions de l'appelante. M. Strassburger fils était trop occupé par les activités des restaurants pour s'en charger. M. Strassburger père savait apparemment ce qu'un ordinateur pouvait faire. M. Rocke l'a aidé à acheter un ordinateur, une imprimante et un télécopieur ainsi que des logiciels. M. Rocke a affirmé avoir aussi écrit quelques programmes sur DOS pour l'appelante. Le portefeuille d'actions a été informatisé entre décembre 1994 et juin 1995. M. Rocke a reçu 2 000 $ pour son travail. Il pouvait également utiliser les bureaux de l'appelante lorsqu'il se cherchait du travail pendant ce temps.

[22]     Lorsque M. Strassburger père est revenu de Floride en 1995, M. Rocke lui a demandé de l'aider dans l'acquisition d'une entreprise. M. Strassburger père lui a plutôt offert un emploi à raison de 20 heures par semaine. M. Rocke avait pour tâche de recueillir l'information demandée par M. Strassburger père. Il pouvait faire ce qu'il voulait le reste du temps. Il pouvait également se servir du téléphone et du télécopieur du bureau pour se chercher un poste permanent.

[23]     M. Rocke fournissait simplement les renseignements que M. Strassburger père demandait. Il n'avait aucune expérience en matière de placements. Sauf pour des actions de Bell Canada que son père avait achetées pour lui quand il était jeune, il ne détenait aucune action avant 1994. M. Rocke n'a conçu aucune stratégie de financement. Il n'a jamais suivi de cours sur les valeurs mobilières. Les Strassburger, le père comme le fils, ne lui ont jamais donné le pouvoir d'acheter ou de vendre des actions de sa propre initiative. M. Rocke suivait leurs instructions. L'appelante n'a pas acheté ni vendu de titres en s'appuyant sur l'analyse que M. Rocke faisait de l'évolution du marché ni sur ses enquêtes au sujet d'acquisitions éventuelles d'actions.

[24]     M. Rocke a soutenu que son travail consistait à faire en sorte que M. Strassburger père connaisse la valeur du portefeuille de l'appelante « rapidement » . M. Strassburger, précise-t-il, suivait les choses lui-même de très près.

[25]     Dans les bureaux de l'appelante, M. Rocke regardait les émissions de nature financière à la télévision avec M. Strassburger père. Il lisait aussi des journaux comme le Globe & Mail, le Financial Post, Investors News et le Kitchener-Waterloo Record; s'il croyait qu'un article pouvait intéresser M. Strassburger, il le lui montrait. M. Rocke recueillait des renseignements pour lui; il n'effectuait pas de recherche et n'avait pas non plus les compétences pour le faire.

[26]     L'appelante était également abonnée au service Money Line, de l'agence Reuter; pour 10 $, M. Strassburger père pouvait commander un rapport et le recevoir en ligne. M. Rocke faisait alors imprimer le document et le lui remettait. M. Rocke le lisait aussi pour pouvoir donner son avis à M. Strassburger père s'il souhaitait en discuter. M. Rocke se rappelle qu'il attendait que M. Strassburger père lui dise quelque chose, puis il réagissait. M. Rocke ne donnait pas de renseignements spontanément à M. Strassburger père; il a pu arriver que ce dernier lui demande s'il savait à quoi se consacrait une société en particulier, et M. Rocke trouvait l'information pour lui.

[27]     M. Rocke rédigeait des rapports quotidiens et hebdomadaires sur le portefeuille à l'intention de M. Strassburger père : les actions détenues en portefeuille, leur nombre, le coût, la valeur actuelle et le nombre d'actions négociées pendant la période.

[28]     L'appelante a acheté des titres de Tenneco et Bowater, par exemple, en suivant la recommandation d'un courtier, après s'être informée de l'histoire des entreprises, des cours et des ratios historiques, etc. Lorsque les cours ont atteint la valeur visée par le courtier en quelques semaines au lieu d'une année, les actions de Tenneco et Bowater ont été vendues, a précisé M. Rocke. Celui-ci n'a influé en rien sur les décisions d'achat ou de vente.

[29]     Après l'AVC de M. Strassburger père, en juillet 1995, son fils a demandé à M. Rocke de continuer de travailler, mais à temps plein, et d'accomplir les mêmes tâches qu'il effectuait auparavant pour son père. M. Strassburger fils voulait préserver une certaine continuité, selon les dires de M. Rocke. Les responsabilités de ce dernier ne sont pas devenues plus lourdes ou plus nombreuses. Il ne pouvait toujours pas acheter ni vendre d'actions par lui-même.

[30]     M. Rocke a reconnu que l'appelante a intensifié en 1996 ses achats et ses ventes d'actions.

[31]     Avant l'AVC de M. Strassburger père, M. Strassburger fils avait connaissance des investissements de l'appelante mais ne s'y intéressait pas. Son seul intérêt touchait l'entreprise. Après l'AVC, il a dû s'occuper des investissements ainsi que de Key Brand. Sur les conseils d'un courtier, il a fait en sorte que l'appelante achète des options d'achat en décembre 1995 et en janvier 1996, mais l'appelante a perdu de l'argent sur ces options. M. Strassburger fils n'a pas répété l'expérience.

[32]     En qualité d'employé à temps plein de l'appelante après l'AVC de M. Strassburger père, M. Rocke informait M. Strassburger fils de tout changement important de la valeur des actions en portefeuille. Le courtier de M. Strassburger fils lui conseillait quand acheter ou vendre. M. Rocke faisait le lien entre le courtier et M. Strassburger fils. Il s'occupait aussi de téléphoner aux services d'investissement Ligne Verte de la Banque TD et donnait des ordres de bourse pour l'appelante d'après les instructions de M. Strassburger fils. Avant son AVC, M. Strassburger père faisait les appels à la Ligne Verte lui-même.

[33]     M. Strassburger père, selon M. Rocke, se plaignait de ne pas pouvoir obtenir de réponse claire de M. Rocke. M. Strassburger fils s'est plaint de la même chose dans son témoignage. Il a déclaré qu'il aimait recevoir un oui ou un non clair quand il posait des questions, ce dont M. Rocke était incapable. Ce dernier a aussi hésité fréquemment à donner une réponse directe durant son témoignage.

[34]     M. Strassburger fils a corroboré la majeure partie des témoignages de M. Segal et de M. Rocke. Cet homme d'affaires accompli est devenu responsable, à la mort de son père, de toutes les activités économiques de la famille. Il m'a impressionné par son ardeur au travail.

[35]     M. Strassburger fils a confirmé que M. Rocke avait été embauché par son père pour entrer le portefeuille d'actions à l'ordinateur. Cette tâche n'était pas pour lui une grande priorité, a-t-il dit. M. Strassburger fils n'avait pris aucune décision en matière de placements avant l'AVC de son père. Par la suite, M. Rocke a continué de n'avoir aucun pouvoir d'achat ou de vente d'actions.

[36]     D'après M. Strassburger fils, M. Rocke jouait un rôle de surveillant et de coordonnateur pour son père. Lui-même éprouvait des craintes face au portefeuille. Il ne savait pas exactement comment gérer un portefeuille d'actions. C'était nouveau pour lui. C'est pour cette raison, entre autres, qu'il a demandé à M. Rocke de continuer à travailler à temps plein. M. Strassburger fils demandait des conseils à son courtier, qui s'occupait aussi d'évaluer le marché boursier et de recommander les achats et les ventes. M. Rocke restait en communication avec les courtiers au nom de M. Strassburger fils. Toutes les mesures prises après le 17 juillet se fondaient sur les conseils du courtier ou de M. Strassburger fils.

[37]     M. Strassburger fils ne consultait pas tous les jours les rapports quotidiens dressés par M. Rocke. Il se consacrait davantage à la gestion de l'entreprise. Si quelque chose d'important survenait, M. Rocke était censé lui téléphoner. M. Strassburger fils le rencontrait régulièrement pour discuter du portefeuille. Il demandait à M. Rocke d'obtenir des rapports sur une entreprise donnée ou lui demandait s'il avait lu quoi que ce soit d'intéressant. Il pouvait également s'agir d'articles liés aux activités de l'appelante dans le domaine de la restauration. Relativement au portefeuille, M. Strassburger fils privilégiait la liquidation des titres et, à un moment donné, la famille a accepté de le faire et de recevoir des dividendes réguliers en espèces de l'appelante au lieu que celle-ci effectue des placements. À la date du procès, le portefeuille d'actions de l'appelante contenait les actions d'une seule société cotée en bourse.

[38]     M. Strassburger fils a confirmé que M. Rocke n'établissait pas de stratégies, qu'il coordonnait simplement les activités entre lui et le courtier. M. Rocke n'a jamais formulé d'opinion, bien qu'il ait assisté aux rencontres entre le courtier et M. Strassburger fils.

[39]     M. Strassburger fils a discuté de la stratégie de « retrait du marché » de l'appelante avec le courtier peu après l'AVC de son père. Le portefeuille d'actions de l'appelante traversait une période difficile. En 1995, le marché était peu favorable; l'appelante a subi 690 000 $ de pertes non réalisées et une perte de 1 000 000 $ l'année suivante. M. Strassburger fils a expliqué dans son témoignage qu'il a décidé de conserver le portefeuille en espérant que le marché remonte. Au même moment, l'appelante a fait l'acquisition d'actions de manière à étaler les coûts et à réduire les pertes. À toutes les dates pertinentes, les dispositions ont été imputées au capital, qu'elles aient donné lieu à des gains ou à des pertes.

[40]     Les preuves présentées par l'appelante sont convaincantes : ses activités d'achat et de vente d'actions ne sont pas celles d'un négociant en valeurs mobilières, comme l'a prétendu la Couronne. Je n'ai rien trouvé à redire sur la façon dont l'appelante a traité les dispositions d'actions; elle a été cohérente depuis le début : peu importe qu'elles aient donné lieu à une perte ou à un gain, toutes les dispositions ont été imputées au capital, et rien dans les éléments de preuve ne m'indique que cette démarche était erronée.

[41]     Je me demande pourquoi les autorités fiscales ont adopté la position qu'elles ont présentée ici. Il ne fait aucun doute que les fonctionnaires se sont appuyés sur les déclarations exagérées faites par M. Rocke dans son propre intérêt et qu'ils n'ont pas eu la courtoisie de confirmer ces déclarations auprès d'un représentant de l'appelante. En outre, la décision d'imputer au revenu les actions détenues pendant 365 jours ou moins et d'imputer au capital celles qui ont été détenues pendant plus de 365 jours était arbitraire et dénuée de tout fondement raisonnable.

[42]     Pour ces motifs, j'admets l'appel, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de septembre 2004.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juin 2005.

Sara Tasset


RÉFÉRENCE :

2004CCI614

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

1999-4087(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

B. W. Strassburger Limited c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Les 20, 21 et 22 juillet 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable Gerald J. Rip

DATE DU JUGEMENT :

Le 10 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :

Mes Franklyn E. Cappell

et Sunita Doobay

Avocate de l'intimée :

Me Suzanne Bruce

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Mes Franklyn E. Campbell et

Sunita Doobay

Cabinet :

Cappell Parker LLP

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Les titres en cause avaient apparemment une valeur marchande à la fin de l'année d'imposition 1996 de l'appelante qui était inférieure à leur coût. Puisque le ministre a présumé que l'appelante exploitait une entreprise en ce qui concerne ces titres, lorsqu'il a calculé le revenu de l'appelante pour 1996, il a déduit la somme de 1 528 847 $ en se fondant sur le paragraphe 10(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

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