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Date: 19971223

Dossier: 96-980-UI

ENTRE :

JEANETTE STUCKLESS,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MEC CONSTRUCTION LTD.

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

QUESTIONS EN LITIGE :

[1] Deux questions en litige sont à considérer :

1. L’appelante, était-elle, au sens du paragraphe 3(1) de la Loi sur l’assurance-chômage (“ la Loi ”), à l’emploi d’un ou de plusieurs employeurs en vertu d’un contrat de louage exprès ou tacite, écrit ou verbal?

2. Dans l’affirmative, l’appelante occupait-elle un emploi exclu au sens du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi puisqu’elle avait un lien de dépendance avec son employeur; et le Ministre du Revenu national (le “ ministre ”), dans le juste exercice de son pouvoir discrétionnaire, est-il convaincu :

... qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance?

FAITS :

[2] L’appelante a déclaré dans son témoignage qu’elle travaillait depuis 1981 pour une société connue sous le nom de MEC Construction Ltd. (“ la société ”), qu’elle détenait 32 p. 100 des actions émises de la société et que son mari possédait 67,75 p. 100 des actions de la société. Le litige porte sur deux périodes de paye, à savoir,

1. du 25 septembre 1991 au 23 avril 1993;

2. du 5 décembre 1993 au 13 janvier 1995.

Elle a affirmé avoir travaillé durant ces périodes et avoir “ retiré du chômage ” alors qu’elle chômait, au cours de la première période et quelquefois au cours de la seconde. Elle a mentionné qu’au cours de ces périodes elle avait travaillé chaque fois qu’on le lui avait demandé. De plus, elle a affirmé avoir été mise à pied étant donné le manque de travail. Selon l’appelante, ses tâches consistaient normalement à signer des chèques, à préparer des dossiers d’appels d’offres, à s’occuper des dessins d’atelier, à traiter avec des corps de métier, à dactylographier tous les documents, à régler toutes les factures, à répondre au téléphone et à traiter avec le comptable. Elle a affirmé qu’au fond elle “ menait la barque ” quand le propriétaire était absent.[1] Elle a donné plus de détails sur ses tâches. Elle a précisé qu’elle ne quittait jamais les lieux sans permission et que le propriétaire la supervisait bien qu’il s’absentait parfois. Elle a mentionné qu’il lui faisait confiance et qu’il exigeait que le travail soit bien fait. Elle a précisé que la société déterminait son traitement ainsi que ses heures de travail et sa charge de travail. Elle a mentionné qu’elle possédait le pouvoir de signature était donné que le propriétaire voyageait à l’occasion. Elle a précisé qu’elle avait reçu diverses sommes d’argent au cours des périodes en question et qu’elle recevait une somme d’argent différente chaque mois. Ainsi, au cours d’un mois donné, il lui est arrivé de recevoir 10 000 $.

OBSERVATIONS DE L’INTIMÉ :

[3] L’avocat de l’intimé a fait valoir devant la Cour que puisque l’appelante avait reçu des sommes d’argent inégales, puisqu’elle n’était pas tenue d’inscrire ses heures de travail et puisqu’elle n’était pas payée selon un tarif horaire, elle n’était pas une employée et il n’existait aucun contrat de travail.

ANALYSE ET CONCLUSION :

[4] En ce qui concerne la première question, le fait qu’elle était actionnaire et signataire autorisée de la société ne l’emporte pas sur le fait qu’elle était une employée. Elle a travaillé pour la société depuis 1981. Le fait qu’elle recevait des sommes inégales pour ses services ne la disqualifie pas, ni celui qu’elle n’était pas payée selon un tarif horaire. Je considère qu’elle était une employée.

[5] Quant à la deuxième question, je dois commenter la réponse à l’avis d’appel. Après avoir invoqué ce qui est décrit comme étant des “ faits ” (lorsqu’ils sont en fait une combinaison de faits et d’hypothèses de fait), l’intimé précise que :

[TRADUCTION]

il n’existait aucun contrat de louage de service entre le payeur et l’appelante;

et

qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, que l’appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance;

Il ne s’agit pas de faits. Il s’agit de conclusions de droit.

[6] Voici les commentaires au sujet des faits :

a) L’appelante était inscrite sur la liste de paye depuis 1981 alors que l’intimé a affirmé qu’elle ne l’avait été qu’à compter de 1991.

b) L’intimé affirme que l’appelante a reçu des paiements du payeur qui n’étaient “ ni un salaire, ni un traitement ”. Cette affirmation ne constitue pas un fait. Pourquoi la mentionner?

c) L’appelante a nié qu’elle décidait elle-même du montant de son paiement hebdomadaire. Elle a dit que c’était le propriétaire qui prenait cette décision. Il semble que sa position lui permettait, à tout le moins, d’avoir son mot à dire sur la question.

d) L’appelante a affirmé, contrairement à ce qui était indiqué dans les “ faits ”, qu’elle ne décidait pas du moment où elle touchait son paiement pour les services rendus.

e) Les “ faits ” mentionnent que le salaire de l’appelante était trop élevé étant donné la nature et l’importance du travail. Il s’agit là d’une hypothèse.

f) L’appelante a nié que c’est elle qui décidait des tâches à accomplir et du moment de leur exécution. Elle a précisé clairement que le propriétaire lui disait quoi faire et qu’elle respectait ses ordres.

g) Elle a réfuté le “ fait ” exposé selon lequel

l’appelante travaillait sans supervision.

h) Elle a réfuté le “ fait ” selon lequel elle n’avait pas besoin d’obtenir une permission pour prendre congé ou pour modifier ses heures de travail.

En somme, il y a des lacunes dans l’exposé des faits.

[7] Dans l’examen de la deuxième question, malgré les lacunes, déjà signalées, dans la réponse qui établissent les faits qui ont influencé le ministre dans sa prise de décision, je conclus que je ne dois pas entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. J’ai déjà déterminé que l’appelante était une employée. Si elle n’avait pas été une employée, l’intimé n’aurait pas exercé son pouvoir discrétionnaire. Il est fort peu probable qu’un contrat de travail conclu par des parties n’ayant pas de lien de dépendance donne à un employé la liberté de mouvement et la rémunération données à l’appelante par son mari. Il a été démontré que l’énoncé du “ fait ” suivant, à savoir que

[TRADUCTION]

l’appelante a accordé les services sans obtenir de rémunération du payeur tant avant qu’après les périodes durant lesquelles elle était inscrite sur la liste de paie du payeur

était exact. De fait, l’appelante tirait des chèques à l’ordre d’autres employés lorsqu’elle retirait des prestations d’assurance-chômage. Il semble, si l’on se fie à son témoignage, qu’elle considérait normal de faire des retenues à la source quand elle était en chômage puisqu’elle en avait fait quand elle travaillait. Un employé congédié n’accomplirait normalement pas ces services sans rétribution.

[8] Par ailleurs, le mari de l’appelante, son employeur, n’a pas témoigné. Dans une cause intitulée Estate of John Sedelnick v. The Minister of National Revenue, 86 DTC 1563, page 1565, la Cour affirme

[TRADUCTION]

À cet égard, il est opportun de citer le passage suivant de l’ouvrage intitulé Evidence in Civil Cases de Sopinka et Lederman, aux pages 535 et 536 :

Dans l’arrêt Blatch v. Archer, ((1774), 1 Cowp. 63 à la p. 65) lord Mansfield a déclaré ce qui suit :

“ Il existe un principe établi selon lequel la preuve doit être appréciée dans son ensemble en tenant compte des preuves qu’une partie était en mesure d’établir et que l’autre partie était en mesure de réfuter ”

Or, l’application de ce principe est à l’origine de la règle reconnue que si une partie ou un témoin omet de faire une déposition alors qu’il était en mesure de le faire et qu’il aurait ainsi pu préciser les faits, le tribunal peut à juste titre conclure que ladite déposition n’aurait pas été en faveur de la partie à laquelle l’omission est attribuée. Dans le cas d’un demandeur à qui il incombe d’établir un fait, il se peut, compte tenu de pareille conclusion, que la preuve présentée ne soit pas suffisante pour lui permettre de s’acquitter de l’obligation qui lui incombe.

[9] Le même discours s’applique dans la cause Markakis, 86 DTC 1237, et aux commentaires à la page 1241

J’ai du mal à croire M. Markakis lorsqu’il dit qu’il a dû se rendre à Chicago pour convertir de l’argent grec en devises canadiennes et, comme Mme Tsimiklis n’a pas témoigné au sujet de cette somme de 10 800 $, je suis porté à conclure que son témoignage n’aurait pas été favorable à M. Markakis.

Et il continue en disant

M. Markakis ne m’a pas convaincu que Revenu Canada a eu tort d’ajouter la somme de 10 800 $ à son revenu en 1977.

M. Giannoukos n’a pas été convoqué comme témoin, ce qui m’a également semblé étrange.

[10] Cette absence de preuve, à laquelle s’ajoute ce qui précède, me porte à conclure que le ministre n’a pas fait un usage inapproprié de son pouvoir discrétionnaire compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli.

[11] L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada ce 23e jour de décembre 1997.

“ R.D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour de mars 1998

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Elle faisait constamment référence à son mari comme étant “ le propriétaire ”.

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