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Date: 19971017

Dossier: 96-2001-UI

ENTRE :

GHISLAIN GAGNON,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs de l’ordonnance

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Ces requêtes ont été entendues à Rivière-du-Loup (Québec) les 15 et 16 septembre 1997.

[2] Le 4 juillet 1996, le ministre du Revenu national (le “Ministre”) a rendu une décision déterminant que l’emploi de l’appelant chez Gouttières K.R.T. Inc., la payeuse, du 22 octobre au 26 octobre 1990, du 6 mai au 11 octobre 1991, du 4 novembre au 22 novembre 1991, du 4 mai au 25 septembre 1992, du 19 octobre au 6 novembre 1992, du 3 mai au 8 octobre 1993, du 25 octobre au 29 octobre 1993 et du 2 mai au 28 octobre 1994 n’était pas assurable parce que l’appelant contrôlait dans les faits plus de 40 % des actions comportant droit de vote de la payeuse et aussi parce que cet emploi n’était pas exercé en vertu d’un contrat de louage de services.

[3] Le 16 janvier 1997, le Ministre a introduit un avis de requête se lisant ainsi :

PRENEZ AVIS que l’intimé présentera une requête à la Cour canadienne de l’impôt à Rivière-du-Loup, le 11 mars 1997 à 9 h 30 de l’avant-midi, au Palais de Justice au 33, rue de la Cour, salle 4.10, visant le rejet de l’appel produit par l’appelant, au motif que l’appel est prescrit et sans objet puisqu’il n’a pas été déposé dans le délai de quatre-vingt-dix (90) jours prévu au paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. 1985 ch. U-1.

ET PRENEZ AVIS qu’au soutien de cette requête, seront présentés la déclaration sous serment de Yves Fortier, agent des appels au ministère du Revenu National, ainsi que toute autre pièce qui pourrait être jugée utile.

PRENEZ ÉGALEMENT AVIS que si la Cour décide que l’appel de l’appelant a été validement déposé, l’intimé demande par la présente requête d’obtenir une prorogation de délai pour produire sa réponse à l’avis d’appel.”

[4] La déclaration sous serment de Yves Fortier se lit ainsi :

“Je soussigné, Yves Fortier, ayant un bureau au ministère du Revenu national, au 305, boul. René Lévesque ouest à Montréal, et étant dûment assermenté, déclare ce qui suit :

1. Je suis un agent des appels au ministère du Revenu national et après avoir examiné le présent dossier de l’appelant auprès de ce ministère, j’ai une connaissance personnelle des faits ci-après mentionnés;

a) ...

b) L’appelant a déposé un avis d’appel au greffe de la Cour canadienne de l’impôt le 4 octobre 1996, à l’encontre de la notification du ministre datée du 4 juillet 1996, tel qu’il appert du dossier de cette cour.

c) L’avis d’appel relatif aux périodes ci-dessus énumérées a été déposé plus de quatre-vingt-dix (90) jours après la communication à l’appelant de la décision du ministre datée du 4 juillet 1996.

d) À ma connaissance, l’appelante n’a pas, à ce jour, demandé une prorogation de délai pour produire son avis d’appel.

e) Tous les faits allégués dans la présente déclaration sous serment sont vrais.”

[5] Le 11 mars 1997, l’audition de cette requête a été remise et la date du 15 septembre 1997 a subséquemment été fixée pour sa présentation.

[6] Le 12 septembre 1997, Me Jérôme Carrier introduisait l’avis de requête qui suit au nom de son client Ghislain Gagnon :

PRENEZ AVIS QUE :

L’appelant présentera une requête en prorogation de délai à la Cour canadienne de l’impôt à Rivière-du-Loup le 15 septembre 1997 à 9 h 30 de l’avant-midi, au Palais de Justice situé au 33, rue de la Cour, salle 4.10, ladite requête ayant pour objet d’obtenir une prorogation de délai et ce afin de produire un appel à la Cour canadienne de l’impôt, tel que le prévoit le paragraphe 70, alinéa 1 de la Loi sur l’assurance-chômage (L.R.C. 1985, chapitre U1).

PRENEZ ÉGALEMENT AVIS :

Qu’au soutien de cette requête, sera déposée la déclaration assermentée de Monsieur Ghislain Gagnon ainsi que tous les autres documents jugés utiles et nécessaires au soutien de ladite requête.”

[7] La requête en prorogation de délai se lit ainsi après un amendement fait à l’audience :

“1. Dans la semaine du 29 juillet 1996, l’appelant recevait ... les notifications ministérielles datées du 4 juillet de la même année, copie de .... des notifications ministérielles étant déposées au soutien de la présente pour valoir comme si ici au long récité sous la cote R-1;

2 À la mi-septembre 1996, l’appelant rencontrait Me Pierrette Lévesque et y confiait, lors de ladite rencontre, mandat de lui loger un appel à la Cour canadienne de l’impôt des décisions datées du 4 juillet 1996;

3. Effectivement, Me Lévesque logeait un appel à la Cour canadienne de l’impôt en date du 3 octobre 1996, copie dudit appel étant déposé au soutien de la présente pour valoir comme si ici au long récité sous la cote R-2;

4. En date du 29 octobre 1996, le greffe de la Cour canadienne de l’impôt faisait parvenir à Me Lévesque un accusé réception de l’avis d’appel, copie de l’accusé réception étant déposée au soutien de la présente pour valoir comme si ici au long récité sous la cote R-3;

5. L’appelant fut sans nouvelles de son procureur, si ce n’est qu’en date du 16 juillet 1997, l’appelant recevait une lettre de Me Jean-Paul Boucher, était annexée à cette lettre une seconde lettre datée du 9 juillet 1997 adressée à Me Boucher par Madame Louise Rivard, coordonatrice des audiences à la Cour canadienne de l’impôt, copies desdites lettres étant déposées au soutien de la présente pour valoir comme si ici au long récité sous la cote R-4;

6. Le 10 septembre 1997, l’appelant contactait le procureur soussigné et l’avisait de son désir d’avoir recours à ses services lors de l’audition prévue le 15 septembre 1997 devant la Cour canadienne de l’impôt;

7. L’appelant n’est nullement responsable du retard dans le dépôt et l’acheminement de l’avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt;

C’EST POURQUOI PLAISE À CETTE COUR :

ACCORDER à l’appelant une prorogation de délai à l’égard du dépôt de l’avis d’appel daté du 3 octobre 1996;

PERMETTRE le dépôt dudit avis d’appel et

ACCORDER à l’appelant le droit de se faire entendre devant cette Cour;...”

[8] Du consentement des parties par leur procureur, les deux requêtes sont entendues en même temps.

[9] L’avis d’appel a été posté, il est vrai, le 3 octobre 1996 suivant la pièce R-5 produite au soutien de la requête en prorogation de délai, mais de l’aveu même du procureur de l’appelant c’était déjà en retard.

La plaidoirie du procureur de l’appelant Ghislain Gagnon

[10] Dans l’arrêt le Procureur général du Canada et André Vaillancourt (A-639-91) l’honorable juge Marceau écrit pour la Cour d’appel fédérale (page 2) :

“Le premier argument du Procureur général est à l’effet que le juge du procès a excédé sa compétence en se prononçant sur le mérite des appels, car ces appels avaient été portés après l’écoulement du délai que le paragraphe 70(1) de la Loi accorde pour ce faire. Il s’agit d’un argument qui nous paraît décisif. Le juge ne pouvait pas ne pas donner effet aux demandes de rejet que le Ministre avait fait valoir. Cette Cour a, en effet, jugé, notamment dans l’affaire Le Procureur général du Canada c. Denyse Blais, (1986), 64 N.R. 378 (CAF), qu’un délai comme celui du paragraphe 70(1) est de rigueur et que la procédure inscrite après son écoulement ne peut qu’être radiée, à moins qu’une prorogation n’ait été préalablement accordée.”

[11] Le paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance-chômage se lit ainsi :

“La Commission ou une personne que concerne le règlement d’une question par le ministre ou une décision sur appel au ministre, en vertu de l’article 61, peut, dans les quatre-vingt-dix jours de la communication du règlement ou de la décision ou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l’impôt sur demande à elle présentée dans ces quatre-vingt-dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt de la manière prescrite.”

[12] Cet article indiquant que la demande de prorogation doit être présentée dans les 90 jours et l’arrêt précité ne reprenant pas ces mots, cela donne une ouverture suffisante pour accueillir la requête de son client.

[13] L’article 82 de la Loi sur l’assurance chômage se lit ainsi :

“L’appel d’une décision d’un conseil arbitral ne peut être formé que dans les soixante jours:

a) soit de la communication de la décision au prestataire;

b) soit de la première communication de la décision, si elle a été communiquée à la fois au prestataire et à l’employeur,

ou dans le délai supplémentaire que le juge-arbitre peut toujours accorder pour des raisons spéciales.”

et il n’y est pas question que la demande de prorogation soit faite dans le délai de 60 jours.

[14] Dans l’ouvrage Pierre-Yves Bourdeau et Claudine Roy “Assurance-chômage Loi et règlement annotés (4e édition) il est écrit (page 447) :

“La Commission doit aussi fournir le dossier, la date à laquelle le conseil a rendu sa décision à la Commission, la date à laquelle la Commission a communiqué à l’appelant, par écrit, la décision du conseil et enfin la donnée la plus importante, la date à laquelle la communication est parvenue au prestataire.

Moropito, CUB 6516, le 27 mars 1981, juge Cattanach

Melis, CUB 6494, le 18 mars 1981, juge Cattanach.”

[15] Il manque à son client une seule journée.

[16] Le paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance-chômage est peut être de rigueur, mais son client a quand même droit le d’être entendu.

La plaidoirie du procureur de l’intimé

[17] Son confrère fait un parallèle entre les articles 70 et 82 de la Loi sur l’assurance-chômage mais l’article 70 est clair et il n’a pas à être interprété.

[18] Dans les règles de la Cour canadienne de l’impôt en matière d’assurance-chômage l’article 5 se lit ainsi :

Introduction de l’appel

5. (1) Un appelant peut en appeler du règlement de la question par le ministre ou de sa décision sur appel dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le règlement de la question ou la décision lui est communiqué, ou dans le délai supplémentaire que la Cour peut accorder sur la demande qui lui est faite dans les 90 jours.

(2) Lorsqu’un règlement de la question ou une décision visé au paragraphe (1) est communiqué par la poste, la date de communication est la date à laquelle le règlement de la question ou la décision a été expédié par la poste et, en l’absence de toute preuve du contraire, la date d’expédition par la poste et la date figurant dans le règlement de la question ou la décision...

...

(6) Si l’appel est interjeté par la poste, la date de l’appel correspond à la date d’oblitération de l’enveloppe par le bureau de poste; s’il y a plus d’une date, la date la plus ancienne est réputée être la date à laquelle l’appel est interjeté.”

[19] Le paragraphe 2 de cet article établit une présomption et il faut la respecter.

[20] Dans le Procureur général du Canada c. John F. Bowen [1992] 1 C.F.311, l’honorable juge Stone écrit pour la Cour (page 314) :

“À notre avis, l’obligation qui incombait au ministre aux termes du paragraphe 165(3) correspondait précisément à ce qu’il a fait, c’est-à-dire aviser l’intimé de la ratification de la cotisation par courrier recommandé. Rien, dans ce paragraphe ni dans l’article 169, n’exigeait que la notification soit “signifiée” à personne ou soit reçue par le contribuable. En expédiant l’avis par courrier recommandé, le ministre était en droit de se servir de l’adresse ou des adresses que l’intimé avait lui-même déjà fournies. Le ministre n’était pas tenu de chercher à se renseigner plus avant. En outre, l’exigence de réception de l’avis serait difficile, sinon totalement impossible, à appliquer du point de vue administratif. Le Parlement ne l’a pas exigé; il a simplement prescrit que l’avis devait être envoyé par courrier recommandé.”

[21] En matière d’assurance-chômage, le Ministre n’a même pas l’obligation d’envoyer en pareil cas une lettre par courrier recommandé.

[22] La seule obligation du Ministre, c’est d’envoyer le document concerné à la bonne adresse du destinataire et il l’a fait.

Le délibéré

[23] L’appelant a reçu la lettre ministérielle de détermination du 4 juillet 1996 dans la semaine du 29 juillet 1996 suivant sa déclaration assermentée jointe à sa requête en prorogation de délai et il a attendu jusqu’à la mi-septembre 1996 pour rencontrer sa première avocate Me Pierrette Lévesque et lui confier le mandat de loger un appel de cette décision du 4 juillet 1996, toujours suivant sa déclaration assermentée.

[24] L’appel a été posté le 3 octobre 1996 tel qu’il appert au récépissé du bureau de poste à savoir la pièce R-5 au soutien de la requête en prorogation de délai et a été reçu à la Cour le 4 octobre 1996, à savoir après les 90 jours mentionnés au paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance-chômage.

[25] Le paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance-chômage est clair et en conséquence il n’a pas a être interprété.

[26] L’arrêt Vaillancourt est à l’effet que ce paragraphe est de rigueur et il ne peut donner ouverture à la requête de l’appelant.

[27] L’article 82 de la Loi est là, il est vrai, mais il concerne l’appel d’une décision d’un conseil arbitral et non pas la décision ministérielle rendue en l’instance.

[28] Le législateur n’a pas utilisé les mêmes termes au paragraphe 70(1) et c’est celui-ci qui doit recevoir application en l’instance.

[29] Les affaires Moropito et Melis concernent l’article 82 de la Loi sur l’assurance-chômage et non pas son paragraphe 70(1).

[30] Il est vrai qu’il manque une seule journée à l’appelant mais le délai d’appel est de rigueur.

[31] Sa requête en prorogation de délai n’a pas été introduite dans les 90 jours visés au paragraphe 70(1).

[32] Les Règles de la Cour sont très claires et n’ont pas à être interprétées non plus. C’est bien le 4 juillet 1996 que la décision ministérielle a été communiquée à l’appelant.

[33] L’affaire Bowen fait bien voir qu’en matière d’impôt sur le revenu rien n’exige que la notification soit “signifiée” à personne ou soit reçue par le contribuable.

[34] Il en va de même en matière d’assurance-chômage où au surplus, le Ministre n’a même pas l’obligation d’utiliser le courrier recommandé.

[35] La seule obligation du Ministre c’était d’envoyer sa décision de détermination à la bonne adresse de l’appelant et il l’a fait.

[36] La requête en prorogation de délai doit donc être rejetée et la requête visant le rejet de l’appel accueillie suivant ses conclusions.

“A. Prévost”

J.S.C.C.I.

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