Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000204

Dossiers: 98-539-UI; 98-100-CPP

ENTRE :

L’OKANAGAN UNIVERSITY COLLEGE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

__________________________________________________

Représentante de l’appelant : Dre Claire Budgen

Avocate de l’intimé : Me Elizabeth Junkin

__________________________________________________

Motifs du jugement

(rendus oralement à l’audience à Penticton (Colombie-Britannique), le 16 octobre 1998)

Le juge en chef adjoint Garon, C.C.I.

[1] Les deux présents appels ont été entendus sur preuve commune. Le premier de ces appels porte sur une évaluation de cotisations accrues des intérêts établie par le ministre du Revenu national aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi. Le deuxième appel porte sur une évaluation visant des cotisations accrues des intérêts établie par le ministre du Revenu national aux termes du Régime de pensions du Canada.

[2] Les deux évaluations portent sur des services fournis à l’appelant en 1996 et 1997 par dix personnes, ci-après appelées les “ travailleurs ” (leurs noms figurent à l’annexe “ A ” jointe à chacune des réponses à l’avis d’appel), dont la rémunération n’a fait l’objet d’aucune remise au receveur général du Canada.

[3] En bref, le ministre du Revenu national a conclu que l’emploi des travailleurs, pendant les périodes qui nous occupent, était assurable et ouvrait droit à pension aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada, respectivement. L’appelant soutient que ces travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants.

[4] En établissant les évaluations de l’appelant conformément aux lois susmentionnées, le ministre du Revenu national a invoqué les hypothèses de fait énoncées au paragraphe 6 de chaque réponse à l’avis d’appel. Le paragraphe 6 de la réponse à l’avis d’appel portant sur l'évaluation établie aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

6. En établissant ainsi l'évaluation de l’appelant et en confirmant les évaluations, l’intimé a invoqué les hypothèses de fait suivantes :

(a) l’appelant est un établissement d’enseignement postsecondaire offrant ses services à l’intérieur de la Colombie-Britannique;

(b) l’appelant et le South Okanagan Health Unit ont mis sur pied conjointement des centres du mieux-être sur les campus de l’appelant;

(c) le ministère provincial de la santé subventionne le programme;

(d) les travailleurs, des infirmières et infirmiers autorisés, ont été embauchés pour fournir une gamme de services de soins infirmiers spécialisés;

(e) les travailleurs ont été embauchés à contrat pour un montant forfaitaire réparti en un nombre d’heures précis par mois, au taux horaire de 26,00 $;

(f) les travailleurs étaient payés mensuellement après approbation, par le gestionnaire du budget des services de santé du campus, d’une pièce justificative de paiement;

(g) les travailleurs étaient tenus d’effectuer le nombre d’heures qui leur était assigné pendant les heures normales d’activité du collège;

(h) les travailleurs étaient tenus de remplir régulièrement des rapports qui comprenaient le nombre d’étudiants traités et le genre de service fourni;

(i) les travailleurs étaient tenus de fournir eux-même les services et pouvaient se faire remplacer seulement par les infirmières ou infirmiers du groupe travaillant pour l’appelant;

(j) les travailleurs étaient défrayés des dépenses qu’ils pouvaient engager pour fournir les services;

(k) l’appelant avait le droit d’exercer un contrôle sur le travail effectué par les travailleurs;

(l) les travailleurs n’avaient aucune chance de bénéfice ni ne risquaient de subir de perte en fournissant les services;

(m) pendant la période en cause, l’appelant employait les travailleurs en vertu d’un contrat de louage de services et leur emploi était assurable;

(n) l’appelant a omis de déduire à la source les montants correspondant aux cotisations d’assurance-emploi prévus par la Loi et a omis également de verser au receveur général du Canada les montants correspondant aux cotisations des employés et de l’employeur, comme l’exige la Loi. Il est donc tenu d'acquitter des montants non versés accrus des intérêts.

[5] La partie appelante a admis les alinéas (a), (b), (c) et (d) mais a réfuté en partie ou en totalité les autres alinéas du paragraphe 6.

[6] Le paragraphe 6 de la réponse à l’avis d’appel portant sur la cotisation établie aux termes du Régime de pensions du Canada est identique au paragraphe 6 de la réponse à l’avis d’appel portant sur la cotisation établie aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi sauf pour les alinéas (m) et (n), qui traitent d’emplois ouvrant droit à pension et de cotisations au Régime de pensions du Canada dans un dossier, et d’emplois assurables et de cotisations d’assurance-emploi dans l’autre dossier.

[7] La représentante de l’appelant, Dre Claire Budgen, et un travailleur, M. Stanley Ivan Marchuk, ont témoigné pour l’appelant. Personne n’a témoigné pour le compte de l’intimé.

[8] La preuve a établi que les travailleurs visés par les deux appels ont fourni des services pendant les périodes en cause dans le cadre du projet des services de soins de santé du campus (Campus Health Services Project). Il s’agit d’un projet mis en oeuvre conjointement par l’appelant et le South Okanagan Health Unit, selon l'hypothèse à l’alinéa 6 (b) de la réponse à l’avis d’appel, reproduite précédemment au complet. Le ministère de la santé de la Colombie-Britannique a subventionné le projet.

[9] Au cours des dernières années, le projet de services de soins de santé du campus a reçu une subvention annuelle de 100 000 $ pour le personnel, les fournitures et l’équipement. L’Okanagan University College fournissait les locaux pour la prestation des services demandés. L’objectif souhaité du projet, selon le document intitulé “ Executive Summary ”, déposé à la Cour, consistait à améliorer la santé des quelque 7 000 étudiants, en majorité âgés de 18 à 24 ans.

[10] Comme l’indique le document susmentionné :

[TRADUCTION]

Le but visé est d’améliorer sensiblement, et à long terme, la santé des personnes et de la collectivité universitaire en général.

[11] Il me semble, d’après la preuve, que le projet de soins de santé du campus se concentrait principalement sur la promotion de la santé et la prévention des blessures et des maladies. La preuve a également révélé que le Okanagan University College ne disposait d’aucun service de santé avant la mise en place de ce projet.

[12] Par ailleurs, la plupart des campus universitaires de la Colombie-Britannique offraient des services de soins de santé. Cependant, les services dispensés dans le cadre du projet susmentionné sont propres au collège. Le personnel ne compte aucun médecin.

[13] Les activités prévues dans le cadre de ce projet ont commencé en 1993. Deux contrats de travail passés entre l’administration du Okanagan University College et Mme Kathy Turner le 24 septembre 1996 et le 29 septembre 1998 ont été déposés à la Cour. Mme Turner est l’un des dix travailleurs dont le nom figure à l’annexe “ A ” de la réponse à l’avis d’appel de chaque dossier.

[14] Le contrat de travail du 24 septembre 1996 prévoit que Mme Turner :

[TRADUCTION]

[...] devra fournir des services à titre d’infirmière clinicienne aux centres de mieux-être conformément aux conditions du présent contrat et à la lettre du 24 septembre 1996 ci-jointe.

[15] La durée du contrat allait du 1er septembre 1996 au 30 avril 1997. Le montant forfaitaire s’élevait à 9 568,00 $ et le tarif horaire était de 26,00 $ pour 46 heures de travail par mois. Vis-à-vis les dates de facturation, la mention “ à la fin de chaque mois ” était inscrite.

[16] En ce qui concerne les dépenses, le travailleur devait, aux termes du contrat :

[TRADUCTION]

[...] être défrayé des dépenses engagées pour l’achat de fournitures de clinique approuvées par le gestionnaire du budget des services de santé du campus.

[17] L’annexe “ E ” du contrat est ainsi libellée :

[TRADUCTION]

L’infirmière clinicienne sera rémunérée mensuellement à compter du 30 septembre 1996. Le service des finances lui versera la rémunération à la réception d’une pièce justificative de paiement dûment approuvée par le gestionnaire du budget des services de santé du campus.

[18] Les stipulations suivantes revêtent un certain intérêt. Je renvoie aux stipulations 1(b), (i), (k), (l), (o) et (p), ainsi qu’aux stipulations 6 et 7 :

[TRADUCTION]

(b) fournir toute la main-d’oeuvre, tout le matériel et toutes les approbations nécessaires pour dispenser les services à ses frais ;

[...]

(i) être un entrepreneur indépendant et non pas le préposé, l’employeur ou le mandataire du collège;

[...]

(k) accepter les directives du collège en ce qui concerne les services, à la condition que l’entrepreneur ne soit pas soumis au contrôle du collège quant à la manière d’exécuter ces directives, sous réserve d’une disposition du contrat en ce sens ;

[...]

(l) veiller à ce que tout le personnel embauché par l’entrepreneur pour fournir les services soit le personnel de l’entrepreneur et non pas celui du collège ;

[...]

(o) indemniser le collège, ses employés et ses mandataires et les garantir contre tous dommages et pertes qu’ils peuvent subir et tous frais, dépenses, réclamations, actions et causes d’action auxquels ils peuvent faire face, tant avant qu’après la fin ou l'expiration de ce contrat, causés directement ou indirectement par l’action de l’entrepreneur aux termes de ce contrat ou son omission d’agir, sauf dans le cas où la responsabilité découle d’un acte distinct de négligence du collège;

(p) pendant la durée du contrat, souscrire et payer l’assurance du type, du montant et soumis à la franchise prévus à l’annexe “ D ”, modifiés à l’occasion en conformité avec les directives du collège ;

[...]

6. Si une partie omet de manière importante de se conformer aux dispositions du contrat, l’autre partie peut y mettre fin en donnant un préavis écrit de 5 jours.

7. Par un préavis écrit de 10 jours, le collège peut mettre fin au contrat et se dégager de toutes ses responsabilités aux termes de celui-ci à l’égard de l’entrepreneur par le paiement des montants prévus à l’article 8.

[19] Le contrat de travail passé entre l’Okanagan University College et M. Stanley Marchuk, le 29 septembre 1998, a également été déposé en preuve. Ce contrat n’a pas été passé pendant les périodes qui nous occupent. Cependant, on a informé la Cour que ses conditions étaient semblables à certaines des conditions des contrats passés pendant les périodes en cause.

[20] J’aimerais ajouter que, en principe, les travailleurs déterminaient le moment du versement de leur rémunération. Aucune déduction à la source n’était effectuée si un travailleur était parfois malade.

[21] Le document intitulé “ Position Statement: The Self-Employed Nurse ” et publié par la Registered Nurses' Association of British Columbia a été déposé à la Cour. La définition qui y est donnée des services fournis par une infirmière ou un infirmier autorisé autonome revêt un certain intérêt.

[22] Il ressort clairement du témoignage de la Dre Claire Budgen et de M. Stanley Marchuk que les travailleurs ne faisaient l’objet d’aucune supervision journalière. Les travailleurs n’étaient pas tenus d’effectuer un nombre fixe d’heures pendant, disons, une période d’un mois. Ils pouvaient choisir, par exemple, d’effectuer plus d’heures pendant un mois donné et moins d’heures le mois suivant.

[23] Si un travailleur ne pouvait travailler aux heures précisées au campus auquel il était affecté, il pouvait prendre lui-même les dispositions nécessaires pour se faire remplacer par un collègue qualifié. Il pouvait même retenir temporairement les services d’une infirmière ou d’un infirmier autorisé qui avait déjà travaillé pour le projet et s’occuper lui-même de lui verser une rémunération.

[24] Chaque travailleur devait soumettre des rapports d’évaluation occasionnellement, soit au moins un rapport par semestre. D’après les témoignages entendus, cette condition était posée, en partie à tout le moins, pour conserver le financement du projet.

[25] La supervision très générale qu’exerçait le gestionnaire du budget était conforme à celle exercée à l'égard d'un entrepreneur indépendant.

[26] En ce qui concerne la propriété des instruments de travail, le collège fournissait la plupart des instruments ou du matériel. Les travailleurs pouvaient déterminer s’ils avaient besoin de ressources de base supplémentaires. Le cas échéant, ils étaient personnellement responsables de leur achat.

[27] Quant au critère ayant trait aux chances de bénéfice et aux risques de perte, la preuve a clairement établi que le travailleur n’avait aucune chance réelle de réaliser des bénéfices. Il ne risquait pas non plus de subir une perte sauf, peut-être, dans des situations d’urgence.

[28] L’application du critère de l’intégration me semble favoriser les travailleurs. La prestation du genre de services envisagés dans le cadre du projet m’apparaît accessoire à la mission du Okanagan University College, du moins d’un point de vue historique dans le cas de cet établissement.

[29] Je conclus que le rapport entre le travailleur et le Okanagan University College ressemble davantage, globalement, à la situation d’un entrepreneur indépendant qu’à une relation employeur-employé.

[30] Le fait qu’aucune supervision journalière n’était exercée pour vérifier la qualité des services fournis par le travailleur a fortement influencé ma réflexion et m’a amené à cette conclusion.

[31] J’ai de plus tenu compte du fait que les travailleurs déterminaient la nature des services à fournir en fonction de ce qu’ils estimaient constituer les besoins des étudiants. Je suis d’avis que le critère du résultat spécifique s’applique en l’espèce aux services que devaient fournir les travailleurs.

[32] Par conséquent, j’estime que les cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada doivent être annulées puisque l’emploi des dix travailleurs dont le nom figure à l’annexe “ A ” de la réponse à l’avis d’appel de chaque dossier n’est pas assurable aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi et n’ouvre pas droit à pension aux termes du Régime de pensions du Canada.

[33] Pour ces motifs, les appels à l’égard des évaluations établies en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada sont admis et les évaluations sont annulées.

Signé à Ottawa, Canada, le 4 février 2000.

“ Alban Garon ”

J.C.A.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour de septembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.