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Date: 20000217

Dossier: 98-2335-IT-I

ENTRE :

LAURA FEIGENBAUM,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Toronto (Ontario), le 7 décembre 1999.)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Le présent appel porte sur une cotisation établie en application de la partie XIII de Loi de l'impôt sur le revenu, laquelle partie prévoit l'impôt sur certains revenus provenant du Canada reçus par des non-résidents. De manière générale, ce revenu est de la nature d'un placement tel que les intérêts sur le capital, les dividendes versés à l'égard des actions d'une société, les redevances pour l'exploitation de certains biens, etc. Ces types de paiement sont frappés d'un impôt prévu par la Loi lorsqu'ils sont effectués par un résident canadien à un non-résident. Il s'agit d'un impôt spécial différent de l'impôt perçu sur le revenu de toutes provenances de personnes résidant au Canada. Le paiement de cet impôt spécial est prévu à l'article 212 de la Loi. Le taux a été fixé à 25 p. 100 taux que les experts en fiscalité internationale estiment élevé. Si le gouvernement canadien a ainsi fixé un taux d'imposition relativement élevé, c'est pour favoriser la conclusion de conventions fiscales avec les autres pays; aux termes des conventions fiscales internationales que le Canada a conclues avec d'autres pays, le taux d'imposition applicable au revenu de placements circulant entre les deux pays signataires est habituellement ramené à un taux inférieur, de l'ordre de 10 ou 15 p. 100.

[2] L'appelante a été résidente canadienne jusqu'en 1987, année au cours de laquelle elle s'est installée en Californie. Selon le témoignage de son fils, qui la représentait dans la présente affaire, elle a résidé dans l'État de la Californie de 1987 à la fin de l'année 1995. Les parties ne contestent pas le fait que l'appelante a résidé dans cet État et non au Canada de 1991 à 1995, soit les années d'imposition en cause en l'espèce. Dans chacune de ces années, l'appelante a tiré un revenu en intérêts relativement peu important; en 1991, elle a reçu environ 8 700 $, tandis qu'elle a reçu de 300 à 600 $ dans chacune des quatre années subséquentes. Pour chacune des cinq années en question, ce revenu en intérêts a été frappé d'un impôt des non-résidents en application de la partie XIII de la Loi. L'appelante a interjeté appel de ces cotisations et a choisi de faire régir l'appel par la procédure informelle.

[3] Aux termes de la Convention entre le Canada et les États-Unis en matière d'impôts sur le revenu, le taux applicable à un tel revenu est de 10 ou de 15 p. 100. Cette convention fiscale rend donc inapplicable le taux de 25 p. 100 visé à l'article 212. Pour une raison ou pour une autre, Revenu Canada croyait que l'appelante résidait encore au Canada. Selon la preuve non contredite, le ministère avait commencé, vers 1990 ou 1991, a écrire à l'appelante pour lui demander de produire au Canada une déclaration d'impôt sur le revenu en conformité avec la partie I de la Loi, comme si elle était résidente canadienne. Selon le témoignage de son fils, sa mère avait, après avoir reçu ces demandes, écrit ou téléphoné au ministère pour expliquer qu'elle n'était pas tenue de produire une déclaration visée à la partie I puisqu'elle ne résidait plus au Canada. En d'autres termes, elle n'a ni tenté de tromper le ministère ni fait de déclaration erronée des faits puisqu'elle a avisé Revenu Canada qu'elle ne résidait plus au pays.

[4] Je n'ai aucune raison de ne pas accorder foi au témoignage du fils de l'appelante. Je retiens également les allégations figurant à l'avis d'appel qui sont compatibles avec la version des faits présentée au cours de la présente audience, soit celle d'une personne qui a tenté de persuader Revenu Canada qu'il faisait fausse route. Vers 1995, le ministère a à un moment donné établi une ou plus d'une cotisation en vertu de la Partie I de la Loi à l'égard de l'appelante et lui a réclamé le paiement d'un impôt comme si elle avait résidé au Canada au cours de certaines années. Je ne sais trop de quelles années il s'agit exactement, mais l'appelante s'est opposée aux cotisations en déposant un avis d'opposition en 1996. Elle a ensuite vraisemblablement demandé des conseils à quelqu'un puisqu'elle a fait ce qui lui apparaissait probablement comme étant la chose pratique à faire. Comme Revenu Canada insistait pour établir des cotisations à son égard en tant que résidente, l'appelante s'est pliée aux exigences du ministère et a produit à l'égard des diverses années en cause des déclarations montrant que son revenu était si bas qu'elle n'aurait pas eu à payer d'impôt au Canada si elle en avait été résidente.

[5] Revenu Canada a par la suite annulé la cotisation (ou les cotisations) qu'il avait établies en 1995 en se fondant sur la partie I de la Loi. Le ministère se souciait de toute évidence du fait qu'aucun impôt n'avait été payé sur de modestes revenus de placements puisqu'il a, vers la fin de l'année 1996, établi des cotisations en vertu de la partie XIII de la Loi en vue de percevoir l'impôt prévu à cette partie telle qu'elle avait été modifiée par la Convention entre le Canada et les États-Unis. Les montants d'impôts visés par les cotisations, montants que le représentant de l'appelante a reconnu comme étant exacts au plan mathématique, étaient les suivants : pour 1991, 1 362 $; pour 1992, 142 $; pour 1993, 204 $; pour 1994, 100 $; enfin, pour 1995, 126 $. Un impôt des non-résidents totalisant 1 935 $ a été levé pour ces cinq années. Revenu Canada n'a établi ces cotisations qu'en octobre 1996. Des intérêts de 891 $ ont en outre été exigés, de sorte que le total de l'impôt des non-résidents et des intérêts s'élevait à environ 2 830 $.

[6] L'appel interjeté devant la présente cour vise ces cotisations. Le litige porte à la fois sur l'impôt et sur les intérêts. L'argument avancé par l'appelante se ramène essentiellement à une question d'équité. Le ministre du Revenu national a tellement tardé à conclure que l'appelante n'était véritablement pas résidente canadienne et, par conséquent, qu'elle pouvait uniquement être assujettie à l'impôt prévu à la partie XIII et non à celui prévu à la partie I, que cette dernière ne savait pas, à l'époque à laquelle elle avait produit ses déclarations d'impôt sur le revenu aux États-Unis, qu'elle aurait à payer un impôt quelconque au Canada. Lorsqu'elle a produit ses déclarations aux États-Unis pour chacune des années visées par le présent appel, l'appelante n'a pas demandé de crédit d'impôt à l'égard de l'impôt des non-résidents que le ministre lui demande maintenant de payer. En d'autres termes, si Revenu Canada avait annuellement établi en temps opportun l'impôt payable par l'appelante en tant que non-résidente, celle-ci aurait su le montant de l'impôt qu'elle aurait dû payer au Canada au moment de produire ses déclarations d'impôt sur le revenu aux États-Unis, et elle aurait pu demander dans ce pays un crédit d'impôt relativement à cette obligation fiscale au Canada.

[7] On saurait difficilement douter que l'appelante a une obligation fiscale au Canada, étant donné que, d'après les faits qui ont été admis, elle était une non-résidente tout au long des périodes pertinentes dans les cinq années visées par les appels et qu'elle tirait un revenu en intérêts provenant du Canada, soit l'une des sources de revenu désignées aux termes de l'alinéa 212(1)b) de la Loi.

[8] Je suis convaincu que l'appelante est redevable de l'impôt sur le revenu en intérêts. Si elle avait été au courant de cette obligation, elle aurait pu demander un crédit d'impôt aux États-Unis lorsqu'elle y produisait ses déclarations d'impôt annuelles. Parce que le ministère a longuement tardé à établir les cotisations à l'égard de l'appelante en sa qualité de non-résidente, il semble qu'il soit aujourd'hui trop tard pour que cette dernière puisse demander un crédit d'impôt aux États-Unis ou dans l'État de la Californie à l'égard de ces modestes montants d'impôt qu'on lui demande de payer au Canada pour les années 1991 à 1995.

[9] L'appelante s'oppose également aux intérêts imposés pour les mêmes motifs; c'est-à-dire que si elle avait su qu'elle devait payer l'impôt des non-résidents, soit elle l'aurait payé au Canada soit elle l'aurait fait payer par la personne résidant au Canada qui lui avait versé le revenu en intérêts. Si tel avait été le cas, elle n'aurait eu aucun intérêt à payer sur l'impôt. Il semble, à la lecture de l'alinéa 12b) de la réponse à l'avis d'appel, que les intérêts étaient payables par une personne ayant un lien de dépendance, soit l'une des plus importantes banques à charte canadiennes, et je présume que la banque n'avait pas effectué de retenue au titre de l'impôt des non-résidents puisqu'elle croyait que le bénéficiaire résidait toujours au Canada. Cela arrive à l'occasion lorsque la dernière adresse du client connue par la banque est une adresse canadienne, peut-être une adresse utilisée pour des raisons de commodité, comme par exemple celle d'un parent ou d'une place d'affaires où le revenu en intérêts est expédié. Par conséquent, le payeur qui est résident canadien ne sait pas que le bénéficiaire n'est pas en fait résident canadien. Peut-être s'agit-il là pour une institution financière d'une raison pour ne pas retenir l'impôt payable sur les intérêts qui étaient de fait payables à un non-résident. Une institution financière, telle une banque, aurait normalement prévu des modalités de retenue d'impôt dans le cas des paiements à des clients qu'elle savait ne pas être des résidents canadiens.

[10] Je suis en l'espèce préoccupé par l'important retard dans l'établissement des cotisations fondées sur la partie XIII, étant donné que l'appelante avait apparemment informé Revenu Canada qu'elle n'était pas résidente canadienne et, par conséquent, qu'elle n'était pas tenue de payer l'impôt visé à la partie I, et qu'elle aurait pu être assujettie à l'impôt sous le régime de la partie XIII. Je ne connais cependant ni la teneur des renseignements qu'elle a divulgués ni la façon dont elle les a divulgués. Je retiens la déclaration de son fils selon laquelle elle avait communiqué avec Revenu Canada et avait déclaré qu'elle n'était pas résidente canadienne; toutefois, si l'appelante tirait un revenu en intérêts provenant du Canada, je ne sais pas si elle en avait informé le ministère ou si elle avait indiqué à la banque son statut de non-résident de façon à ce que cette dernière puisse effectuer une retenue d'impôt.

[11] Je n'ai pas eu l'occasion d'entendre le témoignage de l'appelante pour ce qui est des détails exacts des échanges qu'elle avait eus avec Revenu Canada ou avec la banque qui lui versait des intérêts. Même si l'appelante avait divulgué de la manière la plus explicite possible chaque fait pertinent, je ne puis rien faire pour elle en ce qui concerne la partie XIII, en raison des faits admis. Elle n'était pas résidente canadienne mais le revenu en intérêts lui avait été versé par un payeur résidant au Canada. Ces seuls faits sont suffisants pour entraîner l'application de l'article 212 de la Loi de l'impôt sur le revenu et assujettir l'appelante au paiement de l'impôt. La Convention fiscale ramène le taux d'imposition à 10 ou 15 p. 100 et, comme l'a reconnu le fils de l'appelante lors de son témoignage dans la présente affaire, cette dernière ne conteste pas les montants d'impôt ou d'intérêt. En d'autres termes, elle ne conteste pas le fait que l'impôt à percevoir s'élèverait à 1 935 $ et on n'a produit aucun élément de preuve établissant que le calcul de l'intérêt renfermait quelque erreur, compte tenu des dates auxquelles l'impôt visé à la partie XIII aurait dû être payé et de la date à laquelle les avis de cotisation faisant l'objet du présent appel avaient été établis. Les parties ont abordé la question de savoir quel article de la Loi permettait au ministre d'établir une cotisation à l'égard de l'appelante. Je suis convaincu que les cotisations ont été établies en vertu du pouvoir conféré par le paragraphe 227(10.1) et que l'appelante est bel et bien la personne qui est assujettie à l'impôt.

[12] Par conséquent, je conclus que les cotisations d'impôt sont justifiées aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu. Rien ne vient restreindre le pouvoir du ministre de fixer les montants d'impôt et d'intérêt. La demande de redressement présentée par l'appelante est essentiellement fondée sur l'équité et je discuterai maintenant de cette question. Par souci d'équité, je recommanderais que le ministre exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la Loi et qu'il renonce à l'intérêt sur l'impôt des non-résidents. Le ministre aurait dû clairement savoir bien avant l'établissement des cotisations que l'appelante ne résidait pas au Canada mais plutôt aux États-Unis. Si les cotisations avaient été établies plus tôt, l'appelante aurait payé l'impôt pour éviter des intérêts; celle-ci aurait en outre peut-être pu demander un crédit d'impôt aux États-Unis à l'égard de certaines de ces années à tout le moins. Je recommande donc au ministre d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 220(3.1) en renonçant à l'intérêt, étant donné que l'appelante ne pouvait plus demander le crédit d'impôt aux États-Unis et qu'elle doit payer de l'intérêt parce que Revenu Canada n'a pas reconnu plus tôt qu'elle n'était pas résidente canadienne.

[13] Pour ce qui est de la question de l'impôt lui-même, il n'existe aucun redressement équitable. Aux termes de la Convention entre le Canada et les États-Unis en matière d'impôts sur le revenu, un contribuable peut présenter à une “ autorité compétente ” une demande en vue d'être soustrait à la double imposition, le cas échéant. Il ne fait aucun doute que les opérations conclues par des résidents canadiens avec des résidents américains peuvent à l'occasion donner lieu à une double imposition. L'“ autorité compétente ” est là pour accorder une mesure de redressement mais, au plan pratique, compte tenu de la multiplicité des opérations outre-frontière conclues par des résidents, je crois comprendre qu'elle n'accorde généralement pas de redressement lorsque les montants en cause sont relativement peu importants même s'ils peuvent avoir une certaine incidence sur les affaires du particulier en cause. En l'espèce, les montants sont relativement petits, puisqu'ils ne sont que de l'ordre de 2 000 $ à 3 000 $, comparativement à de nombreuses opérations internationales.

[14] Par conséquent, il se peut qu'il soit inutile ou impossible d'obtenir de l'“ autorité compétente ”, aux termes de la Convention entre le Canada et les États-Unis en matière d'impôts sur le revenu, un redressement relativement à la double imposition qui pourrait très bien découler de ma décision de rejeter les présents appels et de confirmer les cotisations portant sur l'impôt des non-résidents. La présente cour est un tribunal de droit et non un tribunal d'équité. Je n'ai pas le pouvoir d'accorder un redressement équitable à l'égard de quelque type de litige qui soit. Je suis tenu d'appliquer la loi aux faits qui me sont présentés. D'après les faits établis en l'espèce, je conclus que la Loi s'applique et autorise le ministre à établir les cotisations en cause et à percevoir un impôt et des intérêts puisque le paragraphe 227(10.1) prévoit nommément l'application des articles 150 à 163, donc l'article 161, autorisant ainsi le ministre à imposer des intérêts sur l'impôt qui n'est pas payé dans le délai prescrit. Pour ces motifs, je rejette les appels. Dans mon jugement formel, j'inclurai une note indiquant que je recommande qu'il soit accordé au contribuable, comme le permet le paragraphe 220(3.1) de la Loi, une forme quelconque de redressement pour ce qui est des intérêts.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mars 2000.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour d'octobre 2000.

Benoît Charron, réviseur

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