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Dossier : 2016-465(IT)I

ENTRE :

JAMES HUGHES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 20 janvier 2017, à Toronto (Ontario)

Observations écrites supplémentaires présentées après l’audience

Devant : L’honorable juge Gaston Jorré


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Rachel Hepburn Craig

JUGEMENT

  Pour les motifs du jugement ci-joints, l’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) pour l’année d’imposition 2013 est accueilli, sans dépens, et la question est renvoyée au ministre du Revenu national en vue d’un réexamen et d’une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la pénalité fédérale imposée doit être réduite de 25 000 $ [1] .

  Au cours de l’audience, l’appelant a affirmé avoir demandé un allègement pour les contribuables concernant la pénalité en litige et que celui-ci a été refusé. Les demandes d’allègement pour les contribuables sont traitées par l’Agence du revenu du Canada et toute contestation à leur égard doit être faite par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

  L’issue de mon jugement sera de déclencher l’établissement d’une nouvelle cotisation pour assurer sa mise en œuvre. Je n’exprime aucun avis sur ce qui pourrait ou devrait arriver si l’appelant présentait une nouvelle demande d’allègement pour les contribuables à l’égard de ce qui serait alors le solde restant de la pénalité, mais il me semble que l’appelant n’a rien à perdre en faisant cette demande. Comme je l’ai mentionné lors de jugements antérieurs, le paragraphe 220(3.1) de la Loi autorise également le ministre à agir de son propre chef, sans qu’une demande soit présentée. Si le ministre y était disposé, il pourrait renoncer au solde de la pénalité lorsqu’une nouvelle cotisation sera établie en fonction du présent jugement.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 29e jour de mai 2017.

« Gaston Jorré »

Le juge Jorré


Référence : 2017 CCI 95

Date : 20170530

Dossier : 2016-465(IT)I

ENTRE :

JAMES HUGHES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT

(Les présents motifs modifiés du jugement remplacent

les motifs du jugement signés le 29 mai 2017; ils ont pour but de corriger

la première ligne du paragraphe 72, de même que le titre qui précède celui-ci.)

Le juge Jorré

Introduction

[1]  L’appelant interjette appel d’une pénalité qui lui a été imposée pour récidive d’un défaut de production pour l’année d’imposition 2013. L’appelant a produit sa déclaration de revenu un peu plus de huit mois après la date à laquelle elle aurait dû être produite. Une pénalité fédérale de 29 225,45 $ lui a alors été imposée [2] .

[2]  Le paragraphe 162(2) de la Loi prévoit une pénalité pour toute récidive de production tardive. Quelles conditions doivent être réunies pour que la pénalité soit applicable?

[3]  C’est la principale question en litige dans le présent appel. Vu les différences entre les versions française et anglaise de la Loi, répondre à cette question n’est pas aussi simple qu’il y paraît lorsqu’on lit rapidement la version anglaise.

[4]  La présente affaire illustre bien le fait qu’un grand nombre d’affaires visées par la procédure informelle ne sont ni simples ni faciles [3] .

[5]  Avant le début de l’audience, à la lecture de l’avis d’appel et de la réponse à l’avis d’appel, la présente affaire semblait relativement simple. À la fin de la plaidoirie, il semblait qu’il y aurait une question de nature essentiellement factuelle à trancher, à savoir si l’appelant avait fait preuve de diligence raisonnable. Peu après la fin de la plaidoirie, il est devenu évident qu’il y aurait une importante question d’interprétation à trancher. Il s’avère que les surprises étaient loin d’être terminées, car alors que j’avais presque terminé la rédaction du présent jugement, j’ai découvert quelque chose d’assez important.

Contexte

[6]  Le paragraphe 162(1) de la Loi prévoit une pénalité pour production tardive. Cette pénalité s’applique lorsque la personne ne produit pas de déclaration annuelle de revenu dans le délai prévu, soit au plus tard le 30 avril (ou le 15 juin, dans le cas des particuliers) [4] . La pénalité correspond à 5 % de l’impôt payable par cette personne qui était impayé au moment où la déclaration de revenu devait être produite, plus 1 % pour chaque mois entier de retard, jusqu’à concurrence de 17 % – la pénalité maximale [5] .

[7]  Le paragraphe 162(2) de la Loi prévoit une pénalité pour toute récidive de production tardive, la question en litige en l’espèce. Il s’agit d’une lourde pénalité, qui est d’abord établie à 10 % de l’impôt payable qui était impayé au moment où la déclaration de revenu devait être produite si celle-ci a une journée de retard et qui atteint un maximum de 50 % lorsque la déclaration de revenu a plus de 20 mois entiers de retard.

[8]  La version anglaise de la disposition est ainsi libellée :

162 (2) Every person

(a) who fails to file a return of income for a taxation year as and when required by subsection 150(1),

(b) to whom a demand for a return for the year has been sent under subsection 150(2), and

(c) by whom, before the time of failure, a penalty was payable under this subsection or subsection 162(1) in respect of a return of income for any of the 3 preceding taxation years

is liable to a penalty equal to the total of

(d) an amount equal to 10% of the person’s tax payable under this Part for the year that was unpaid when the return was required to be filed, and

(e) the product obtained when 2% of the person’s tax payable under this Part for the year that was unpaid when the return was required to be filed is multiplied by the number of complete months, not exceeding 20, from the date on which the return was required to be filed to the date on which the return was filed.

[9]  Dans la version anglaise, le paragraphe semble indiquer trois conditions qui doivent être réunies avant que la pénalité s’applique :

1.  La personne doit avoir omis de produire sa déclaration de revenu selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1).

2.  Une mise en demeure de produire une déclaration de revenu pour l’année d’imposition doit avoir été envoyée à la personne conformément au paragraphe 150(2).

3.  Avant le moment du défaut, la personne devait payer une pénalité pour production tardive ou pour récidive de production tardive d’une déclaration de revenu pour une des trois années d’imposition précédentes.

[10]  L’appelant ne conteste pas le fait que les conditions, telles qu’elles sont décrites ci-dessus, sont réunies [6] .

[11]  L’appelant soutient qu’il a fait preuve de diligence raisonnable en tentant de produire la déclaration de revenu et que l’appel devrait être accueilli pour cette raison. Il est bien établi que si la diligence raisonnable est démontrée, la pénalité est inapplicable.

[12]  Le calcul du montant de la pénalité n’est pas contesté.

[13]  À la fin des témoignages et de la plaidoirie, je pensais que je serais probablement en mesure de rendre mon jugement plus tard dans la journée. Pendant que j’examinais l’affaire, j’ai conclu que d’importantes questions devaient être soulevées par rapport aux versions anglaise et française de la Loi. Par conséquent, les parties ont été invitées à fournir d’autres observations écrites. Je remercie les parties pour ces observations.

[14]  La première question à trancher est celle-ci : quelles conditions sont nécessaires à l’application de la pénalité pour récidive de défaut de production? La deuxième question à trancher est de savoir si ces conditions sont réunies. Enfin, si les conditions sont réunies, la Cour doit décider si une défense fondée sur la diligence raisonnable a gain de cause.

Quelles sont les conditions nécessaires?

[15]  La première question nécessite un examen minutieux des versions anglaise et française de la Loi :

162(2) La personne qui ne produit pas de déclaration de revenu pour une année d’imposition selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1) après avoir été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2) et qui, avant le moment du défaut, devait payer une pénalité en application du présent paragraphe ou du paragraphe (1) pour défaut de production d’une déclaration de revenu pour une des trois années d’imposition précédentes est passible d’une pénalité égale au total des montants suivants :

162(2) Every person

(a) who fails to file a return of income for a taxation year as and when required by subsection 150(1),

(b) to whom a demand for a return for the year has been sent under subsection 150(2), and

(c) by whom, before the time of failure, a penalty was payable under this subsection or subsection 162(1) in respect of a return of income for any of the 3 preceding taxation years

is liable to a penalty equal to the total of

a) 10 % de l’impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie qui était impayé à la date où, au plus tard, la déclaration devait être produite;

(d) an amount equal to 10% of the person’s tax payable under this Part for the year that was unpaid when the return was required to be filed, and

b) le produit de 2 % de cet impôt impayé par le nombre de mois entiers, jusqu’à concurrence de 20, compris dans la période commençant à la date où, au plus tard, la déclaration devait être produite et se terminant le jour où la déclaration est effectivement produite.

(e) the product obtained when 2% of the person’s tax payable under this Part for the year that was unpaid when the return was required to be filed is multiplied by the number of complete months, not exceeding 20, from the date on which the return was required to be filed to the date on which the return was filed.

[16]  Pour nos besoins, les portions essentielles du paragraphe 150(2) sont indiquent ce qui suit :

Toute personne […] doit, sur mise en demeure du ministre, produire auprès du ministre, dans le délai raisonnable fixé par la mise en demeure, une déclaration de revenu […] pour l’année d’imposition précisée dans la mise en demeure.

[Non souligné dans l’original.]

[17]  Le paragraphe oblige la personne à produire sa déclaration de revenu dans le délai raisonnable fixé. L’avis est simplement le moyen par lequel cette obligation peut être créée.

[18]  Vu l’obligation créée au paragraphe 150(2), l’alinéa 162(2)b) du libellé anglais est surprenant. Il semble seulement exiger que l’avis soit envoyé, sans qu’il soit important que le contribuable se conforme ou non à l’obligation créée. Autrement dit, l’alinéa 162(2)b) semble être centré sur le mécanisme de déclenchement prévu au paragraphe 150(2), et non sur l’obligation de fond créée au paragraphe 150(2). Il est difficile d’imaginer pourquoi il en est ainsi; en utilisant le paragraphe 150(2), le but du ministre est de créer l’obligation [7] .

[19]  Cela dit, je suis d’accord avec l’intimée quant à l’apparent sens ordinaire du libellé anglais. Vu mon analyse subséquente, il n’est pas nécessaire que je décide si ce sens ordinaire est la façon correcte d’interpréter le libellé en tenant compte seulement de la version anglaise. Bien que l’historique du paragraphe 220(3) de la Loi permette de douter fortement de cette conclusion, je vais supposer à ce stade des motifs, sans trancher la question, que cette façon d’interpréter le libellé anglais pris seul est correcte [8] .

[20]  La version française est plutôt différente. Premièrement, je ferais remarquer que les conditions sont divisées en trois paragraphes dans le libellé anglais, ce qui n’est pas le cas en français. Deuxièmement, la version française présente quelques différences importantes qui sont soulignées ci-dessous :

162(2) La personne qui ne produit pas de déclaration de revenu pour une année d’imposition selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1) après avoir été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2) et qui, avant le moment du défaut, devait payer une pénalité en application du présent paragraphe ou du paragraphe (1) pour défaut de production d’une déclaration de revenu pour une des trois années d’imposition précédentes est passible d’une pénalité égale au total des montants suivants :

[…]

162(2) Every person

(a) who fails to file a return of income for a taxation year as and when required by subsection 150(1),

(b) to whom a demand for a return for the year has been sent under subsection 150(2), and

(c) by whom, before the time of failure, a penalty was payable under this subsection or subsection 162(1) in respect of a return of income for any of the 3 preceding taxation years

is liable to a penalty equal to the total of

. . .

[21]  L’intimée est d’avis que le libellé anglais est clair et sans ambiguïté, que l’alinéa 162(2)b) exige seulement que la mise en demeure ait été envoyée à un certain moment dans le passé et qu’il n’exige pas qu’elle soit envoyée avant le délai prévu au paragraphe 150(1). Comme je l’ai expliqué précédemment, sans trancher la question, je vais poursuivre en tenant pour acquis que c’est ainsi que doit être interprété le libellé anglais, lu indépendamment de la version française.

[22]  L’intimée affirme également que dans le libellé français, les mots qui suivent « après avoir » engendrent une certaine ambiguïté et doivent être interprétés d’une façon qui respecte le libellé anglais et que les mots « après avoir été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2) » (non souligné dans l’original) doivent être interprétés comme voulant dire « qui a été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2) » et comme reprenant le sens de l’alinéa 162(2)b) du libellé anglais. Je ne suis pas de cet avis.

[23]  Enfin, l’intimée affirme que l’expression « when the return was required to be filed » utilisée aux alinéas 162(2)d) et e) du libellé anglais (correspondant à la formule « à la date où, au plus tard, la déclaration devait être produite », aux alinéas 162(2)a) et b) du libellé français) fait référence au délai de production prévu au paragraphe 150(1). Compte tenu de mes conclusions, il n’est pas strictement nécessaire de statuer sur le moment auquel le libellé fait référence [9] . Toutefois, je vais aborder la question vers la fin des présents motifs.

[24]  Regardons maintenant si le libellé français est le même que celui de l’alinéa 162(2)b) de la version anglaise et voyons pourquoi je ne suis pas d’accord avec l’intimée.

[25]  Le sens de la phrase « La personne qui ne produit pas de déclaration de revenu pour une année d’imposition selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1) après avoir été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2) » (non souligné dans l’original) est très différent de celui de la version anglaise.

[26]  Tandis que l’alinéa 162(2)b) du libellé anglais est une condition distincte à l’égard de la personne dont il est question dans le préambule « Every person », l’expression « après avoir été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2) » n’indique pas une condition s’appliquant seulement à « La personne ».

[27]  L’expression « après avoir été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2) » est une proposition qui qualifie tout le libellé qui la précède dans le paragraphe.

[28]  En réalité, la structure du paragraphe 162(2), avant l’alinéa d), signifie qu’il doit être lu comme si le préambule « Every person » était repris au début de chacun des alinéas a), b) et c). C’est comme s’il fallait le lire de la manière suivante :

162 (2) Every person

(a) Every person who fails to file a return of income for a taxation year as and when required by subsection 150(1),

(b) Every person to whom a demand for a return for the year has been sent under subsection 150(2), and

(c) Every person by whom, before the time of failure, a penalty was payable under this subsection or subsection 162(1) in respect of a return of income for any of the 3 preceding taxation years

is liable to a penalty equal to the total of...

[29]  En lisant le libellé français de la même façon, on obtient :

162 (2) La personne qui ne produit pas de déclaration de revenu pour une année d’imposition selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1),

la personne après avoir été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2) et

la personne qui, avant le moment du défaut, devait payer une pénalité en application du présent paragraphe ou du paragraphe (1) pour défaut de production d’une déclaration de revenu pour une des trois années d’imposition précédentes

est passible d’une pénalité égale au total des montants suivants […]

[30]  La phrase « la personne après avoir été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2) » n’a simplement aucun sens. Cette phrase et le libellé qui la précède doivent être lus comme un ensemble.

[31]  Par conséquent, le libellé français du paragraphe 162(2) doit être lu ainsi :

162 (2) La personne qui ne produit pas de déclaration de revenu pour une année d’imposition selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1) après avoir été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2)

et qui, avant le moment du défaut, devait payer une pénalité en application du présent paragraphe ou du paragraphe (1) pour défaut de production d’une déclaration de revenu pour une des trois années d’imposition précédentes

est passible d’une pénalité égale au total des montants suivants […]

[32]  Les mots « de le faire » font manifestement référence à la production de la déclaration de revenu et les mots « conformément au paragraphe 150(2) » font référence au fait de se conformer au paragraphe 150(2). Pour se conformer au paragraphe 150(2), il faut produire la déclaration de revenu dans le délai raisonnable fixé dans la mise en demeure.

[33]  Contrairement à l’expression « to whom a demand for a return for the year has been sent » employée à l’alinéa 162(2)b) du libellé anglais, qui s’en tient au simple envoi de la mise en demeure, le libellé français, dont la structure ne reprend pas les alinéas a) et b) de la version anglaise, est axé non seulement sur le non-respect du délai prévu au paragraphe 150(1), mais aussi sur l’inobservation de l’obligation de fond engendrée par la mise en demeure.

[34]  Le libellé français équivaut à peu près à ceci en anglais :

The person who fails to file a return of income for a taxation year as and when required by subsection 150(1) after having been given formal notice to do so in accordance with subsection 150(2) […]

[35]  Le contraste devient encore plus limpide si je remplace les expressions « de le faire » et « conformément au paragraphe 150(2) » par leur signification dans le libellé :

The person who fails to file a return of income for a taxation year as and when required by subsection 150(1) after having been given formal notice to file that return by the day specified in the formal notice […] [10]

[36]  Ce qui précède est manifestement très différent du libellé anglais.

[37]  Les quatre exigences établies dans le libellé français sont les suivantes :

1.  La personne doit avoir omis de produire une déclaration de revenu selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1).

2.  Une mise en demeure de produire une déclaration de revenu pour l’année d’imposition doit avoir été envoyée à la personne conformément au paragraphe 150(2).

3.  La personne doit avoir omis de produire sa déclaration de revenu dans le délai raisonnable fixé dans la mise en demeure.

4.  Avant le moment du défaut, la personne devait payer une pénalité pour production tardive ou pour récidive de production tardive d’une déclaration de revenu pour une des trois années d’imposition précédentes [11] .

[38]  Ainsi, le libellé français impose une condition supplémentaire qui n’est pas énoncée dans le libellé anglais. Les deux libellés sont incompatibles.

[39]  Comme l’indique le paragraphe 18(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, les versions anglaise et française de nos lois ont également force de loi. Nous devons alors avoir recours aux règles d’interprétation des lois bilingues.

[40]  Dans l’arrêt R. c. S.A.C. [12] , la Cour suprême du Canada indique l’approche à adopter pour interpréter les lois bilingues :

14 L’interprétation des lois bilingues commence par une recherche du sens commun des versions française et anglaise. Notre Cour a analysé à maintes reprises l’approche qui doit être adoptée pour déterminer le sens commun des dispositions législatives bilingues : voir, par exemple, R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, 2004 CSC 6; Schreiber c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 269, 2002 CSC 62. Dans ces arrêts, la Cour a adopté une approche en deux étapes.

15 La première étape consiste à déterminer s’il y a divergence entre les versions française et anglaise de la disposition et, dans l’affirmative, s’il est possible de trouver un sens commun. Dans le cas où une disposition peut avoir des significations différentes, le tribunal doit déterminer la nature de la différence en cause. Il existe trois possibilités. Premièrement, les versions française et anglaise peuvent être inconciliables. En pareil cas, il est impossible de trouver un sens commun et, par conséquent, les règles d’interprétation ordinaires s’appliquent : Daoust, par. 27; P.-A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 413. Deuxièmement, une version peut être ambiguë alors que l’autre est claire et non équivoque. Le sens commun est alors celui de la version claire et non équivoque : Daoust, par. 28; Côté, p. 413. Troisièmement, une version peut avoir un sens plus large que l’autre. Selon le juge LeBel dans l’arrêt Schreiber, au par. 56, « lorsqu’une des deux versions possède un sens plus large que l’autre, le sens commun aux deux favorise le sens le plus restreint ou limité ».

16 À la deuxième étape, il faut déterminer si le sens commun concorde avec l’intention du législateur : Daoust, par. 30. Dans le contexte pénal, les tribunaux doivent aussi veiller à dissiper toute ambiguïté en faveur de l’accusé dont la liberté est en jeu (Marcotte c. Sous-procureur général du Canada, [1976] 1 R.C.S. 108).

[41]  Les deux libellés étant incompatibles, pour les besoins de la première étape énoncée au paragraphe 15 de l’arrêt S.A.C., nous nous trouvons dans le premier cas : « il est impossible de trouver un sens commun et, par conséquent, les règles d’interprétation ordinaires s’appliquent ».

[42]  Comme la Cour suprême l’indique dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada [13]  :

10 […] L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[43]  En gardant cela à l’esprit, examinons le contexte des parties pertinentes de la Loi et son objet.

[44]  Dans la première partie de sa plaidoirie, l’intimée affirme ce qui suit concernant l’économie et l’objet de la Loi :

[traduction]

10. L’objet de la mise en demeure peut être déterminé en examinant le paragraphe 162(2) dans son ensemble, ainsi que son interaction avec le paragraphe 150(1). Le paragraphe 150(1) précise les délais de production des déclarations de revenu. Le paragraphe 150(1.1) présente diverses exceptions au délai de production prescrit, notamment une exception pour les personnes qui n’avaient aucun impôt à payer pour l’année.

11. Dans le cas d’un contribuable visé par une exception du paragraphe 150(1.1), le ministre ne peut savoir s’il satisfait la première exigence énoncée à l’alinéa 162(2)a) de la version anglaise de la Loi à moins et avant qu’une déclaration de revenu soit effectivement produite. En outre, le montant de la pénalité ne peut être calculé, puisqu’il est basé sur « l’impôt payable » de la personne pour l’année (conformément aux alinéas 162(2)d) et e) de la version anglaise de la Loi). Par conséquent, une mise en demeure de produire une déclaration, délivrée en application du paragraphe 150(2), peut fournir les renseignements nécessaires.

12. La non-conformité à la mise en demeure n’est pas une condition préalable à l’application d’une pénalité pour récidive de défaut de production. Si elle l’était, un contribuable pourrait ne pas produire sa déclaration selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1), mais éviter néanmoins une pénalité prévue au paragraphe 162(2) en attendant tout simplement de recevoir une mise en demeure et en s’y conformant. Cela aurait pour conséquence tacite et fortuite de proroger le délai de production prescrit au paragraphe 150(1).

[45]  Je ne suis pas en désaccord avec ce que l’intimée affirme aux paragraphes 10 et 11 de sa plaidoirie, mais je ne suis pas certain de comprendre en quoi cela appuie sa thèse.

[46]  Quant au paragraphe 12 de la plaidoirie de l’intimée, il est vrai que si le défaut de se conformer à la mise en demeure est une condition préalable, alors une personne se conformant à la mise en demeure éviterait la pénalité prévue au paragraphe 162(2). Toutefois, s’il s’agit d’une condition de la Loi qu’il faut remplir avant que la pénalité puisse être appliquée, alors cela est simplement l’issue correcte conformément à la Loi.

[47]  En ce qui concerne l’observation selon laquelle [traduction] « [c]ela aurait pour conséquence tacite et fortuite de proroger le délai de production prescrit au paragraphe 150(1) », je ne vois pas pourquoi il en serait ainsi. Rien dans les paragraphes 162(2) ou 150(2) n’indique que le paragraphe 150(1) prévoit une prorogation du délai de production prescrit. Le paragraphe 150(2) n’annule pas l’obligation de produire prévue au paragraphe 150(1); il crée une obligation supplémentaire de se conformer à la mise en demeure [14] . Si une personne produit sa déclaration en retard, elle demeure passible de la pénalité aux termes du paragraphe 162(1) calculée, dans le cas d’un particulier, par exemple, à compter du 30 avril ou du 15 juin.

[48]  L’intimée affirme en outre que la pénalité doit être calculée à partir de la date d’échéance de production prescrite au paragraphe 150(1). Bien qu’il ne soit pas nécessaire que je tranche cette question dans les circonstances, je l’aborderai plus tard [15] .

[49]  Le paragraphe 162(2), dans sa forme actuelle, est réputé être entré en vigueur le 13 septembre 1988 [16] . Avant cette date, le paragraphe 162(2) était assez différent.

[50]  Le texte législatif du paragraphe 162(2) faisait partie d’un plan visant à modifier et à réorganiser les pénalités. Ces modifications ont été apportées dans le contexte de changements bien plus vastes proposés par le Livre blanc « Réforme fiscale 1987 » et sont importantes en vue d’une « analyse textuelle, contextuelle et téléologique » des dispositions législatives.

[51]  Le nouveau paragraphe 162(2) a remplacé le paragraphe 163(1) en vigueur à l’époque, qui était ainsi rédigé :

163 (1) Omission volontaire de produire une déclaration de revenu – Toute personne qui tente volontairement de se soustraire à l’impôt qu’elle doit payer, en vertu de la présente Partie, en ne produisant pas de déclaration de revenu dans la forme et les délais requis par le paragraphe 150(1), est passible d’une pénalité à 50 % de l’excédent

a) du montant de l’impôt auquel elle a cherché à se soustraire

sur

b) la fraction, qui peut raisonnablement être attribuée au montant visé à l’alinéa a), de la somme qui serait réputée, aux termes du paragraphe 120(2), avoir été payée au titre de son impôt pour l’année en vertu de la présente Partie [17] .

[52]  Aux termes de l’ancien paragraphe 163(1), tenter volontairement de se soustraire à l’impôt payable en omettant de produire une déclaration de revenu était manifestement une question sérieuse. La pénalité était immédiatement de 50 % et les mots « tente volontairement » établissaient un critère élevé. Le fardeau de la preuve pour établir les faits justifiant la cotisation incombait au ministre aux termes du paragraphe 163(3) [18] .

[53]  Aux termes de l’ancienne disposition, le « montant de l’impôt auquel elle [la personne] a cherché à se soustraire » était sans doute une question de fait, mais il ne pouvait pas logiquement inclure un montant qui avait déjà été payé par acompte ou retenu par le payeur et versé au ministre. Ainsi, la pénalité de 50 % qui était prévue s’applique à un montant égal ou inférieur au montant de l’impôt impayé auquel s’applique l’actuel paragraphe 162(2).

[54]  Cela a été remplacé par l’actuel paragraphe 162(2) [19]  :

162 (2) Every person

(a) who fails to file a return of income for a taxation year as and when required by subsection 150(1),

(b) to whom a demand for a return for the year has been sent under subsection 150(2), and

(c) by whom, before the time of failure, a penalty was payable under this subsection or subsection 162(1) in respect of a return of income for any of the 3 preceding taxation years

is liable to a penalty equal to the total of

(d) an amount equal to 10% of the person’s tax payable under this Part for the year that was unpaid when the return was required to be filed, and

(e) the product obtained when 2% of the person’s tax payable under this Part for the year that was unpaid when the return was required to be filed is multiplied by the number of complete months, not exceeding 20, from the date on which the return was required to be filed to the date on which the return was filed.

[55]  Il est utile de comparer les deux paragraphes :

1.  Le paragraphe 162(2) prévoit une pénalité aussi élevée après un retard de 20 mois que celle que prévoyait l’ancien paragraphe 163(1), bien que pendant les 20 premiers mois, un montant moins élevé s’accumule mensuellement.

2.  Il est beaucoup plus facile de démontrer les conditions exigées au paragraphe 162(2) que de démontrer qu’une personne a « tent[é] volontairement de se soustraire à l’impôt qu’elle doit payer, en vertu de la présente Partie, en ne produisant pas de déclaration de revenu », comme l’exige l’ancien paragraphe 163(1).

3.  Il est difficile d’imaginer que l’ancien paragraphe 163(1) ait pu être appliqué avec succès lorsque le contribuable n’avait que quelques mois de retard [20] .

4.  De plus, la responsabilité du ministre qui est créée au paragraphe 163(3) ne s’applique aucunement à la nouvelle disposition de l’article 162.

[56]  Si l’apparent sens ordinaire du libellé anglais est la façon correcte d’interpréter la disposition, alors le législateur a éliminé une pénalité dans le cas d’une personne qui « tente volontairement de se soustraire à l’impôt qu’elle doit payer, en vertu de la présente Partie, en ne produisant pas de déclaration de revenu » et l’a remplacée par une pénalité selon laquelle (i) une déclaration produite tard dans l’année, (ii) une déclaration produite en retard au cours des trois années précédentes et (iii) l’envoi d’une mise en demeure par le ministre, qu’on se soit conformé ou non à cette mise en demeure, entraînent une pénalité qui est presque aussi sévère.

[57]  Ces conditions du libellé anglais élargissent l’application de la pénalité comparativement au libellé français qui impose, en plus, une quatrième condition : que le contribuable ne se conforme pas à la mise en demeure dans le délai raisonnable fixé par la mise en demeure. Bien que le libellé français prévoie une condition supplémentaire qui semble absente du libellé anglais, il est néanmoins beaucoup plus facile à appliquer, lui aussi, que l’ancien paragraphe 163(1). Il est beaucoup plus facile de démontrer qu’une mise en demeure a été envoyée et non respectée que de démontrer que quelqu’un a volontairement tenté de se soustraire au paiement de l’impôt en omettant de produire une déclaration de revenu [21] .

[58]  L’économie de la Loi est que, par exemple, les particuliers doivent produire une déclaration le 15 avril ou le 30 juin. S’ils la produisent en retard et qu’ils ont un solde à payer, ils sont passibles d’une pénalité aux termes du paragraphe 162(1). Conformément au paragraphe 150(2), le ministre peut les mettre en demeure de produire une déclaration de revenu et, dans cette mise en demeure, il doit fixer un délai raisonnable dans lequel les contribuables doivent produire une déclaration de revenu. Cette mise en demeure engendre une autre obligation de produire une déclaration de revenu.

[59]   Lorsqu’un particulier a produit une déclaration tardive au cours d’au moins l’une des trois dernières années, il peut être passible d’une pénalité supplémentaire aux termes du paragraphe 162(2). La pénalité prévue au paragraphe 162(2), qui est plutôt sévère, a été adoptée pour remplacer une pénalité qui était précédemment imposée pour avoir volontairement tenté de se soustraire à l’impôt payable en omettant de produire une déclaration de revenu (le paragraphe 163(1), tel qu’il était rédigé à l’époque). Il est beaucoup plus facile de démontrer les éléments nécessaires à une pénalité prévue au paragraphe 162(2) que ceux de la pénalité précédemment prévue au paragraphe 163(1).

[60]  On peut également constater le sérieux de la pénalité prévue au paragraphe 162(2) par le fait qu’elle peut s’élever jusqu’à 50 %, ce qui constitue le même degré de pénalité que prévoyait le paragraphe 163(2), soit une pénalité imposée à quelqu’un qui fait de faux énoncés délibérément ou dans des circonstances équivalant à faute lourde [22] .

[61]  Le libellé anglais du paragraphe 162(2) semble exiger que la mise en demeure soit envoyée, rien de plus. La version française exige que la personne omette de produire la déclaration de revenu dans le délai fixé dans la mise en demeure.

[62]  Il est difficile de voir à quoi sert ce paragraphe si tout ce qu’il exige, c’est que le ministre envoie la mise en demeure, sans plus [23] .

[63]  Lorsqu’on tient compte de l’économie et de l’objet de ces dispositions, ainsi que de leur historique, le libellé français, axé sur la conformité à la mise en demeure plutôt que sur son seul envoi, y est manifestement plus conforme.

[64]  Par conséquent, suivant « une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble [24]  », la version française reflète l’interprétation adéquate du paragraphe. Le paragraphe 162(2) ne peut s’appliquer à moins que le contribuable ait omis de produire une déclaration dans le délai fixé dans la mise en demeure.

[65]  J’ajouterais que je comprends comment l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) en est venue à appliquer la disposition comme elle l’a fait. En examinant seulement le libellé anglais, je la comprenais initialement de la même façon [25] .

Nedza Enterprises

[66]  Avant de continuer, je voudrais aborder brièvement la décision Nedza Enterprises Ltd. c. Canada Agence du revenu [26] , un jugement intéressant que l’intimée a porté à mon attention.

[67]  Nedza devait produire sa déclaration de revenu de l’année 2007 le 30 novembre 2007. Le 3 juin 2008, l’ARC a mis Nedza en demeure de produire sa déclaration. Nedza a présenté deux demandes de prorogation du délai fixé dans la mise en demeure, qui ont été accordées. Enfin, le 15 novembre 2008, soit la veille du dernier jour du second délai prorogé, Nedza a produit sa déclaration de revenu de l’année 2007.

[68]  Le ministre a établi une cotisation lui imposant à la fois la pénalité pour production tardive que prévoit le paragraphe 162(1) et la pénalité pour récidive du défaut de production que prévoit le paragraphe 162(2). En application du paragraphe 220(3.1), Nedza a présenté au ministre une demande d’allègement de la pénalité prévue au paragraphe 162(2). Elle n’a demandé aucun allègement de la pénalité prévue au paragraphe 162(1).

[69]  Le ministre a refusé la demande et Nedza a sollicité un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, sans succès.

[70]  Je ne suis pas en désaccord avec la décision Nedza, compte tenu des questions soulevées. Toutefois, je ne vois pas en quoi elle aide l’intimée, puisque la question de la différence entre les libellés anglais et français de la Loi, que je viens tout juste d’examiner, n’a simplement pas été soulevée dans l’affaire Nedza.

[71]  Je reviendrai à la décision Nedza dans un moment.

Conclusion quant aux conditions devant être réunies pour qu’une pénalité puisse s’appliquer aux termes du paragraphe 162(2)

[72]  Pour résumer, le paragraphe 162(2) peut s’appliquer seulement lorsque les quatre conditions ci-dessous sont réunies :

1.  La personne doit avoir omis de produire une déclaration de revenu selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1).

2.  Une mise en demeure de produire une déclaration de revenu pour l’année d’imposition doit avoir été envoyée à la personne conformément au paragraphe 150(2).

3.  La personne doit avoir omis de produire sa déclaration de revenu dans le délai raisonnable fixé dans la mise en demeure.

4.  Avant le moment du défaut, la personne devait payer une pénalité pour production tardive ou pour récidive de production tardive d’une déclaration de revenu pour une des trois années d’imposition précédentes.

Les quatre conditions sont-elles réunies?

[73]  L’appelant ne conteste pas le fait que les première, deuxième et quatrième conditions sont réunies. La question qui reste à trancher est de savoir si l’appelant a omis de produire une déclaration de revenu dans le délai indiqué dans la mise en demeure.

[74]  Le contribuable a-t-il produit sa déclaration dans le délai indiqué dans la mise en demeure? L’intimée prétend que rien ne prouve que l’appelant s’est conformé au délai indiqué dans la mise en demeure ni qu’il a demandé ou obtenu une prorogation de délai pour se conformer à la mise en demeure.

[75]  Toutefois, vu que l’intimée n’a plaidé ni une hypothèse ni une conclusion de fait selon laquelle l’appelant a omis de se conformer au délai fixé dans la mise en demeure, il n’incombait pas à l’appelant de prouver qu’il l’avait fait. Il incombait au ministre de démontrer que cette exigence de la pénalité avait été satisfaite.

[76]  De plus, en l’espèce, je ferais remarquer le paragraphe 17 de la réponse du ministre à l’avis d’appel, rédigé ainsi : [traduction] « Après les mises en demeure du ministre, l’appelant a produit sa déclaration de revenu de 2013 conformément au paragraphe [150(2)] de la Loi [27] . »

[77]  Bien que cette phrase se trouve dans la partie C de la réponse, elle semble vraiment être une allégation de fait, et les mots [traduction] « conformément au » permettraient naturellement de conclure que l’appelant a effectivement produit sa déclaration dans le délai indiqué dans la mise en demeure. De toute évidence, une allégation ne prouve pas le fait. Toutefois, du point de vue de l’équité procédurale, vu le paragraphe 17 de la réponse, l’appelant ne pouvait pas s’attendre à devoir prouver qu’il s’était conformé aux mises en demeure dans le délai prévu.

[78]  Il n’a donc pas été démontré que les conditions préalables à l’application du paragraphe 162(2) avaient été réunies; par conséquent, l’appel doit être accueilli.

Diligence raisonnable

[79]  Il n’est pas vraiment nécessaire que je traite la question de la diligence raisonnable, mais j’exposerai dans une brève annexe les motifs pour lesquels je conclus que l’appelant n’a pas fait preuve de diligence raisonnable relativement à la production de sa déclaration de revenu avant la date d’échéance établie au paragraphe 150(1).

[80]  Bien que cela suffise pour trancher l’appel, je crois qu’il est assez important de faire les commentaires supplémentaires qui suivent.

Commentaires supplémentaires découlant de l’évolution du paragraphe 220(3)

[81]  J’ai découvert ce qui suit alors que les présents motifs étaient presque terminés et j’ai été forcé de modifier un peu ce que j’avais déjà écrit, mais les principaux points soulevés sont présentés ci-dessous [28] .

[82]  Par souci d’exhaustivité, j’ai décidé de vérifier s’il existait des affaires dans lesquelles la décision Nedza avait été abordée. Je n’en ai trouvé aucune, mais j’ai trouvé ce qui suit sur le paragraphe 162(2) dans les notes de David Sherman, dans TaxPartner [29]  : [traduction] « […] la CAF a accueilli l’appel sur consentement de l’entreprise après que la Cour a attiré l’attention des parties sur la modification apportée en 2006 au paragraphe 220(3) : A-199-10 » [30] . Sur le site Web de la Cour d’appel fédérale, il est possible de le confirmer en faisant une recherche de renseignements sur les instances. Plus précisément, on trouve ce qui suit :

[traduction]
Directives écrites de la Cour : L’honorable juge Nadon, le 18 janvier 2011, a chargé les parties « d’aborder au cours de l’audience la modification apportée en 2006 au paragraphe 220(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu à la lumière du commentaire suivant, figurant à l’annexe 3, intitulée « Mesures fiscales : renseignements supplémentaires », produite par le ministère des Finances Canada concernant le budget de 2006 : […] ».

[83]  Le paragraphe 220(3) de la Loi a évolué de la façon suivante :

1.  À l’égard des prorogations accordées avant le 19 février 2003, il était rédigé ainsi :

Le ministre peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi.

2.  À l’égard des prorogations accordées après le 18 février 2003, mais avant le 1er avril 2007, il était rédigé ainsi :

Le ministre peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi. Toutefois, il n’est pas tenu compte de la prorogation pour ce qui est du calcul d’une pénalité prévue à l’article 162 si la personne qui est passible de cette pénalité ne fait pas la déclaration dans le délai prorogé.

[Non souligné dans l’original.]

3.  À l’égard des prorogations accordées après le 31 mars 2007, dans la version actuelle, il est rédigé ainsi :

Le ministre peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi.

[84]  Les deux premiers paragraphes des notes techniques relatives à la modification apportée après le 31 mars 2007 sont rédigés ainsi [31]  :

[traduction]

Le paragraphe 220(3) prévoit que bien que la pénalité pour production tardive d’une déclaration de revenu ne soit pas imposée si la personne produit sa déclaration de revenu dans le délai prorogé que lui a accordé le ministre du Revenu national, la pénalité pour production tardive d’une déclaration de revenu sera imposée à partir de la date d’échéance de production habituelle si la déclaration de revenu n’est pas produite dans le délai ainsi prorogé.

Ce paragraphe est modifié de sorte qu’une pénalité pour production tardive d’une déclaration de revenu sera imposée seulement à l’expiration du délai prorogé.

[Non souligné dans l’original.]

[85]  Que nous indique cet historique à propos de l’économie de la Loi? Premièrement, je note que le ministre peut proroger le délai de production de n’importe quelle déclaration de revenu, notamment la déclaration de revenu qu’un particulier doit produire et la déclaration de revenu qui est exigée aux termes d’une mise en demeure. Je mentionnerais que l’obligation de produire, le 30 avril ou le 15 juin dans le cas des particuliers (la date d’échéance de production), et l’obligation de produire en réponse à une mise en demeure sont deux obligations distinctes. L’obligation imposée dans la mise en demeure n’annule pas l’obligation de produire à la date d’échéance de production; la date fixée dans la mise en demeure ne constitue pas une prorogation de la date d’échéance originale.

[86]  Vu l’historique du paragraphe 220(3), fourni ci-dessus, il est clair que lorsqu’une prorogation de la date d’échéance de production [32] est accordée, le contribuable qui produit sa déclaration dans le délai prorogé ne peut être passible d’une pénalité. De plus, s’il ne respecte pas la date d’échéance prorogée, la pénalité s’applique seulement à partir de cette date.

[87]  Il est également clair que si une mise en demeure a été effectuée, aux fins d’application d’une pénalité prévue au paragraphe 162(2), une prorogation de délai accordée après le 18 février 2003, mais avant le 1er avril 2007, concernant la date spécifiée dans la déclaration de revenu n’entraînera aucune pénalité si le délai prorogé est respecté [33] .

[88]  Dans la même situation, si la prorogation de délai est accordée après le 31 mars 2007, aucune pénalité ne peut être imposée si le délai prorogé est respecté. De plus, les mots supprimés du paragraphe 220(3) relativement à une prorogation de délai accordée après le 31 mars 2007 et les notes techniques précitées indiquent clairement que si la date d’échéance prorogée n’est pas respectée, la pénalité prévue au paragraphe 162(2) sera calculée seulement à la date d’échéance prorogée.

[89]  L’historique et les notes techniques dont je viens de discuter indiquent aussi clairement que l’économie du paragraphe 220(3) est basée sur un calcul de la pénalité à partir de la date à laquelle le contribuable doit produire sa déclaration selon la mise en demeure ou à partir de la date prorogée.

[90]  Cela est conforme à la conclusion que j’ai déjà tirée ci-dessus.

Conclusion

[91]  En conclusion, les conditions nécessaires à la pénalité prévue au paragraphe 162(2) ne sont pas établies et l’appel devrait être accueilli. Toutefois, parce que la procédure informelle établit une compétence limitée à 25 000 $, je peux réduire la pénalité de 25 000 $ seulement [34] . Par conséquent, l’appel est accueilli et la question est renvoyée au ministre du Revenu national en vue d’un réexamen et d’une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la pénalité imposée doit être réduite de 25 000 $, c’est-à-dire qu’elle doit passer de 29 225,45 $ à 4 225,45 $.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 30e jour de mai 2017.

« Gaston Jorré »

Le juge Jorré


ANNEXE

Diligence raisonnable

1.  Dans l’arrêt Résidences Majeau Inc. c. Canada, 2010 CAF 28, le juge Létourneau affirme ce qui suit :

8 Selon l’arrêt Corporation de l’école polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127, un défendeur bénéficie de la défense de diligence raisonnable s’il établit l’une ou l’autre des deux choses suivantes : soit qu’il a commis une erreur de fait raisonnable, soit qu’il a pris des précautions raisonnables pour empêcher que ne se produise l’évènement qui donne naissance à la pénalité.

[...]

10 Le deuxième volet de la défense requiert, tel que déjà mentionné, que des gestes soient posés ou des mesures prises pour éviter l’événement qui engendre la pénalité.

2.  Étant donné qu’aucune question n’a été soulevée relativement à une erreur de fait, la seule question soulevée pour nos besoins consiste à savoir si l’appelant a pris toutes les précautions raisonnables pour empêcher le défaut de production à la date d’échéance qui lui a été imposée pour sa déclaration de revenu de 2013, soit le 16 juin 2014.

3.  L’appelant a déclaré son revenu des années d’imposition 2010 et 2011 avec environ six mois et demi et environ 10 mois de retard, respectivement.

4.  L’appelant a produit sa déclaration de revenu de 2013 le 23 février 2015, soit environ neuf mois en retard.

5.  L’appelant et son épouse possédaient en Arizona un bien immobilier qu’ils ont vendu le 16 septembre 2013. Il en a reçu le produit net en 2013.

6.  L’appelant a déclaré avoir parlé à son comptable à ce moment, avant la date d’échéance de sa déclaration de revenu de 2013. Les éléments de preuve n’indiquent pas clairement le moment exact de cette conversation.

7.  Son comptable a dit qu’il devait produire une déclaration de revenu américaine avant de pouvoir préparer une déclaration de revenu canadienne. Ce comptable n’entretenait aucune relation avec un cabinet comptable des États-Unis, alors l’appelant a trouvé un second comptable qui avait des liens avec un cabinet comptable américain. Les deux comptables canadiens étaient des comptables agréés.

8.  Le moment auquel l’appelant a communiqué avec le second comptable n’est pas clair. Les éléments de preuve contiennent des courriels d’octobre 2014 dont ce comptable était l’expéditeur ou le destinataire, alors nous savons que la communication a eu lieu avant cela.

9.  L’appelant a également expliqué qu’avant que les comptables puissent déterminer s’il devait payer de l’impôt aux États-Unis et, le cas échéant, à combien cet impôt pourrait s’élever, il devait obtenir un certain formulaire de la compagnie d’assurance des titres de propriété, en Arizona. Le formulaire contient divers renseignements financiers relatifs à la vente.

10.  Il a déclaré ne pas avoir cessé d’appeler la compagnie d’assurance des titres de propriété pour qu’elle lui envoie le formulaire. On ne sait pas exactement à quel moment il a commencé à l’appeler. La compagnie aurait promis d’envoyer le formulaire, mais aurait sans cesse omis de le faire. Elle a finalement envoyé le formulaire par courriel, le 29 septembre 2014.

11.  L’appelant a également témoigné que personne ne lui avait dit qu’il était possible de produire une déclaration estimative. Il a aussi témoigné que pendant une période de six à huit semaines, il a été vraiment occupé parce qu’en plus d’effectuer son travail habituel, il a dû rester à la maison pour aider son épouse, qui se rétablissait d’une intervention chirurgicale, et pour prendre soin de leur petite-fille qui vivait avec eux à ce moment.

12.  Aucun de ses comptables n’a témoigné.

13.  L’appelant savait que la Loi de l’impôt sur le revenu exige de se conformer à la date d’échéance pertinente, vu que des pénalités pour production tardive lui avaient été imposées en application du paragraphe 162(1) pour deux des trois années précédentes. On se serait attendu à ce que l’appelant commence assez tôt les démarches auprès de son comptable. Ceci est d’autant plus vrai qu’il savait qu’il aurait à traiter le gain résultant de la vente de son bien immobilier américain.

14.  On se serait attendu à ce que l’appelant demande ce qu’il pouvait faire pour éviter une pénalité cette année-là, puisque sa première discussion avec le comptable laissait entrevoir un possible problème. Il aurait également pu le demander à l’Agence du revenu du Canada.

15.  On se serait attendu à ce que le comptable, en réponse, lui conseille d’agir rapidement et, au besoin, de produire une déclaration estimative [35] . En effet, on se serait attendu à ce qu’un comptable lui conseille de produire une déclaration estimative, même s’il n’en a pas reçu la demande.

16.  L’appelant avait des renseignements lui permettant de déterminer le montant de son gain en capital qui serait imposable, ou d’en faire une assez bonne estimation. Il savait combien il avait payé la maison, combien d’argent il avait consacré à cette maison, à quel prix il l’avait vendue et quel montant net il avait reçu. Il aurait également connu le montant de la commission de courtage immobilier.

17.  Le seul renseignement clé qui manquait, le cas échéant, était le montant de l’impôt à payer aux États-Unis.

18.  Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincu que l’appelant a pris toutes les mesures raisonnables.


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 95

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-465(IT)I

 

INTITULÉ :

JAMES HUGHES c. LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 janvier 2017

 

DATE DE DÉPÔT DES OBSERVATIONS ÉCRITES :

Appelant : Les 22 mars et 15 avril 2017

Intimée: Les 24 mars et 8 mai 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Gaston Jorré

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 29 mai 2017

 

 

DATE DES MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT :

Le 30 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

[EN BLANC]

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimée :

Me Rachel Hepburn Craig

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

[EN BLANC]

 

 

Pour l’appelant :

[EN BLANC]

 

 

Cabinet :

[EN BLANC]

 

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 



[1] Je n’ai aucun moyen de savoir si une pénalité équivalente a été perçue en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu de l’Ontario et, quoi qu’il en soit, je n’ai aucune compétence à l’égard de cette loi. Toutefois, il est probable qu’une pénalité correspondante a été perçue en vertu de cette loi. Selon mon interprétation de la pratique habituelle de l’ARC, dans une situation comme celle-ci, à l’établissement d’une nouvelle cotisation visant à réduire la pénalité fédérale imposée, l’ARC procéderait à un rajustement logique et cohérent en fonction de la pénalité provinciale.

[2] Afin de respecter la limite pécuniaire de la procédure informelle, l’appelant a choisi de limiter sa demande à 25 000 $. Voir l’article 2.1, paragraphe 18(1), et l’article 18.1 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

En rédigeant les présents motifs du jugement, j’ai remarqué qu’aucun élément de preuve, qu’il s’agisse de témoignages ou de documents, ne confirme le montant de la pénalité imposée qui est en litige, apparemment 29 225,45 $. Au paragraphe 4 de l’avis d’appel, l’appelant fait valoir que ce montant est exact. Au paragraphe 32, il déclare également ceci : [traduction] « L’ARC, par voie de cotisation, a imposé une pénalité de 29 225,45 $ pour production tardive. La cotisation indique que le montant de la pénalité correspond à 26 % de l’impôt impayé au 15 juin 2014. » La réponse à l’avis d’appel, qui n’a pas été préparée par l’avocate du ministère de la Justice, n’aborde pas du tout le paragraphe 4. Au paragraphe 2 de la réponse, on peut lire : [traduction] « Il ne connaît aucunement et met en cause les faits soulevés [au paragraphe] […] 32 de l’avis d’appel. »

Étant donné qu’au cours de l’audience, le montant de la pénalité indiqué par le contribuable n’a jamais été contesté et que le paragraphe 18.15(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt dispose que « [p]ar dérogation à la loi habilitante, la Cour n’est pas liée par les règles de preuve lors de l’audition de tels appels; ceux-ci sont entendus d’une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent », je vais simplement supposer que le montant de 29 225,45 $ est exact. Puisque la réponse n’aborde pas le paragraphe 4, mon approche est conforme au paragraphe 49(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), qui est ainsi rédigé : « Les faits allégués que l’intimée ne nie pas dans sa réponse à l’avis d’appel sont réputés admis, sauf le cas où elle affirme ne pas en avoir connaissance. »

Bien que les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle) ne couvrent pas ce point, la règle de la procédure générale est logique et doit être appliquée en l’espèce. Quant à la déclaration figurant dans la réponse selon laquelle l’intimée ne connaît aucunement et met en cause le paragraphe 32 de l’avis d’appel, elle peut être ignorée sans risque pour la simple raison qu’elle est manifestement erronée; le ministre doit savoir ce qui a ou n’a pas fait l’objet d’une cotisation.

[3] À bien des égards, la procédure informelle serait mieux décrite en la qualifiant de procédure accélérée. Cette procédure permet d’éviter des frais et de gagner du temps grâce à l’absence d’interrogatoire préalable. La Loi sur la Cour canadienne de l’impôt prévoit pour le déroulement de l’audience une certaine souplesse que ne permet pas la procédure générale. Toutefois, cela ne nous exempte pas de toutes les difficultés que peut entraîner un procès ordinaire en ce qui concerne la recherche des faits ou l’application de la loi. En outre, étant donné qu’un grand nombre d’appelants ne sont pas représentés par un avocat et qu’il semblerait que l’intimée manque de ressources pour réaliser la tâche qui lui incombe, des difficultés supplémentaires se présentent souvent.

[4] La date limite du 15 juin s’applique aux travailleurs autonomes.

[5] Le paragraphe 162(1) est ainsi libellé :

162 (1) Toute personne qui ne produit pas de déclaration de revenu pour une année d’imposition selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1) est passible d’une pénalité égale au total des montants suivants :

a) 5 % de l’impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie qui était impayé à la date où, au plus tard, la déclaration devait être produite;

b) le produit de 1 % de cet impôt impayé par le nombre de mois entiers, jusqu’à concurrence de 12, compris dans la période commençant à la date où, au plus tard, la déclaration devait être produite et se terminant le jour où la déclaration est effectivement produite.

[6] Comme nous en traiterons plus loin, à première vue, la condition prévue à l’alinéa 162(2)b) de la version anglaise ne semble pas faire de distinction entre le fait que le contribuable se soit ou non conformé au délai prescrit dans la mise en demeure.

[7] Imaginons que la personne est mise en demeure le premier jour et obtient un délai raisonnable pour se conformer à la Loi. Par pure coïncidence, la déclaration de revenu est produite le deuxième jour. D’après le sens ordinaire, la pénalité semble s’appliquer. En effet, puisqu’on peut soutenir que d’après son sens ordinaire, l’alinéa 162(2)b) n’indique pas à quel moment la mise en demeure doit être délivrée, la pénalité est applicable même si la mise en demeure est délivrée après que la déclaration de revenu a été produite, pourvu que les deux autres conditions soient réunies. Je doute que cette interprétation soit correcte, mais elle n’est pas nécessaire pour statuer sur ce point.

[8] Je soulève la question pour la raison suivante. Dans l’arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, la Cour suprême du Canada présente un résumé utile des principes d’interprétation législative tels qu’ils sont appliqués à la Loi :

21 Dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, notre Cour a rejeté l’approche restrictive en matière d’interprétation des lois fiscales et a statué que la méthode d’interprétation moderne s’applique autant à ces lois qu’aux autres lois. En d’autres termes, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (p. 578) : voir l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. Toutefois, le caractère détaillé et précis de nombreuses dispositions fiscales a souvent incité à mettre davantage l’accent sur l’interprétation textuelle : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, par. 11. Les contribuables ont le droit de s’en remettre au

sens clair des dispositions fiscales pour organiser leurs affaires. Lorsqu’il est précis et non équivoque, le texte d’une loi joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation.

22 Par contre, lorsque le texte d’une loi peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, le sens ordinaire des mots joue un rôle moins important et il peut devenir nécessaire de se référer davantage au contexte et à l’objet de la Loi : Trustco Canada, par. 10. De plus, comme la juge en chef McLachlin l’a fait remarquer au par. 47, « [m]ême lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l’objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes. » La Juge en chef a ensuite expliqué que, pour dissiper les ambiguïtés explicites ou latentes d’une mesure législative fiscale, « les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée ».

23 Le degré de précision et de clarté du libellé d’une disposition fiscale influe donc sur la méthode d’interprétation. Lorsque le sens d’une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il suffit de l’appliquer. La mention de l’objet de la disposition [traduction] « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit » : voir P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (5e éd. 2005), p. 569; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622. Lorsque, comme en l’espèce, la disposition peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, il faut accorder plus d’importance au contexte, à l’économie et à l’objet de la loi en question. Par conséquent, l’objet d’une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d’une disposition, mais à donner l’interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë.

[Non souligné dans l’original.]

Vu le contexte législatif et l’objet de la disposition, on pourrait conclure à l’existence d’une « ambiguïté latente » telle que la juge en chef McLachlin l’a présentée au paragraphe 22 précité. Vu la conclusion que je fonde plus loin sur l’examen des libellés anglais et français, il n’est pas strictement nécessaire d’examiner cette question. Toutefois, la discussion qui suit sur l’économie de la Loi montrera pourquoi cette question est soulevée et pourquoi il y a probablement une ambiguïté latente, même en examinant seulement le libellé anglais.

[9] S’il y avait seulement les alinéas 162(2)d) et e) dans le libellé anglais et l’équivalent dans le libellé français, je serais peut-être d’accord. Toutefois, comme je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs, ce serait probablement une conclusion erronée, bien qu’il ne soit pas nécessaire de trancher la question dans les circonstances de l’espèce.

Il n’est pas nécessaire d’examiner la troisième condition, établie à l’alinéa 162(2)c) du libellé anglais, tout simplement parce qu’il n’y a aucune différence entre les deux libellés.

[10] Je ferais remarquer qu’il faut écarter toute interprétation absurde lorsqu’on interprète le libellé français. Ainsi, on écarte l’idée que l’expression qui commence par « après » exige que la mise en demeure soit délivrée avant la date de production prévue au paragraphe 150(1). Vu l’économie de la Loi, selon laquelle une personne doit produire sa déclaration sans avis, à moins qu’elle ne doive pas d’impôt, cette idée n’a aucun sens. De même, vu que le défaut consiste en un défaut de produire après avoir été avisé de produire la déclaration de revenu au plus tard à la date fixée dans l’avis officiel, la date de défaut qui est pertinente doit être la date, fixée dans l’avis officiel, à laquelle la déclaration de revenu doit être produite pour l’application du paragraphe 162(2). Interpréter le libellé français autrement – comme exiger que la déclaration soit produite au plus tard le 30 avril ou le 15 juin de l’année suivant l’année d’imposition en question – reviendrait à exiger que la personne qui reçoit la mise en demeure fasse ce qui est impossible à réaliser au moment de la mise en demeure.

[11] Une autre question pourrait être soulevée dans une affaire donnée, à savoir si le délai fixé dans la mise en demeure était raisonnable. En l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner cette question.

[12] 2008 CSC 47.

[13] 2005 CSC 54. De manière plus générale, on trouve une réflexion utile sur les principes de l’interprétation législative dans le chapitre 19 de l’ouvrage de P.W. Hogg, J.E. Magee et J. Li, intitulé Principles of Canadian Income Tax Law, 8e édition – TaxPartner 2017 sur CD-ROM, version 4.

[14] Le paragraphe 150(2) prévoit ce qui suit :

Toute personne, qu’elle soit ou non assujettie à l’impôt prévu par la présente partie pour une année d’imposition et qu’une déclaration ait été produite ou non en vertu du paragraphe (1) ou (3), doit, sur mise en demeure du ministre, produire auprès du ministre, dans le délai raisonnable fixé par la mise en demeure, une déclaration de revenu sur le formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits pour l’année d’imposition précisée dans la mise en demeure.

[15] Je remarque que l’intimée a porté à mon attention une décision intéressante : Nedza Enterprises Ltd. c. Canada Agence du revenu, 2010 CF 435. Je traiterai de la décision Nedza plus tard.

[16] L.C. 1988, ch. 55, art. 141.

[17] Voir les notes techniques de 1988 obtenues dans TaxPartner 2017 sur CD-ROM, version 4. La note visant le paragraphe 162(1) indique ce qui suit :

[traduction] Le paragraphe 162(1) impose une pénalité pour le défaut de produire une déclaration de revenu conformément au paragraphe 150(1). La pénalité est fixée à 5 % de l’impôt impayé à la date où la déclaration de revenu devait être produite, plus 1 % dudit impôt impayé par mois de défaut, sans excéder 12 mois. Le paragraphe 163(1) impose une pénalité de 50 % de l’impôt auquel on a cherché à se soustraire par l’omission volontaire de produire une déclaration de revenu. Les paragraphes 162(1) et 163(1) en vigueur sont modifiés afin de prévoir une pénalité à deux niveaux en cas de défaut de produire une déclaration de revenu conformément au paragraphe 150(1). Le nouveau paragraphe 162(1) est identique à celui qui est en vigueur, à l’exception de modifications grammaticales.

[18] À ce moment, le paragraphe 163(3) était substantiellement le même qu’aujourd’hui. Il était ainsi libellé :

(3) Dans tout appel interjeté, en vertu de la présente loi, au sujet d’une pénalité imposée par le ministre en vertu du présent article, le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

[Non souligné dans l’original.]

[19] La seule différence entre le paragraphe dont la modification est entrée en vigueur le 13 septembre 1988 et l’actuel paragraphe est le remplacement du mot « sent » par le mot « served » dans la version anglaise de l’alinéa 162(2)b).

[20] Des circonstances inhabituelles auraient probablement été nécessaires, comme l’aveu du contribuable.

[21] Par souci d’exhaustivité, je note que la disposition criminelle qui couvre le défaut de produire une déclaration selon les modalités et dans le délai prévus par la Loi – le paragraphe 238(1) de la Loi – est rédigée ainsi :

238 (1) Toute personne qui omet de produire, de présenter ou de remplir une déclaration de la manière et dans le délai prévus par la présente loi ou par une disposition réglementaire, qui contrevient aux paragraphes 116(3), 127(3.1) ou (3.2), 147.1(7) ou 153(1), à l’un des articles 230 à 232, 244.7 et 267 ou à une disposition réglementaire prise en vertu du paragraphe 147.1(18) ou qui contrevient à une ordonnance rendue en application du paragraphe (2) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et outre toute pénalité prévue par ailleurs :

a) soit une amende de 1 000 $ à 25 000 $;

b) soit une telle amende et un emprisonnement maximal de 12 mois.

[Non souligné dans l’original.]

Bien que le paragraphe prévoie une possibilité d’emprisonnement, l’amende maximale prévue, fixée à 25 000 $, est inférieure à l’amende en l’espèce. Toutefois, elle s’ajoute à toute autre amende.

[22] La pénalité prévue au paragraphe 163(2) est passée de 25 % à 50 % avec la L.C. 1988, ch. 55, art. 142 – la même loi par laquelle a été adopté le paragraphe en cause, soit le paragraphe 162(2).

[23] Si le défaut de répondre à la mise en demeure n’a pas d’importance, quelle est alors l’utilité de la condition énoncée à l’alinéa 162(2)b)?

[24] Hypothèques Trustco Canada, 2005 CSC 54, paragraphe 10.

[25] Ce qui m’a incité à lire la version française, c’est qu’à un certain moment, en lisant le libellé anglais, peu après la fin de la plaidoirie, il m’a paru étrange qu’on exige qu’une mise en demeure soit envoyée, mais qu’on ne se préoccupe pas de savoir si son destinataire s’y était conformé.

[26] 2010 CF 435.

[27] Bien que le ministre fasse référence au paragraphe 152(2) de la Loi dans sa réponse, le premier chiffre « 2 » est manifestement une erreur typographique, puisque le paragraphe 152(2) n’est pas pertinent au débat en l’espèce. Par conséquent, j’ai corrigé ladite erreur.

[28] Dans un monde idéal, j’aurais invité les parties à soumettre leurs commentaires. Toutefois, vu que ce qui suit ne pouvait pas changer l’issue, mais l’appuyait, et compte tenu du paragraphe 18.15(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, j’ai décidé que la meilleure chose à faire était simplement d’ajouter les présents commentaires.

[29] CD-ROM 2017, version 4.

[30] Bien entendu, ni la décision Nedza ni le fait que l’appel a été accueilli sur consentement ne sont contraignants pour moi dans le contexte du présent appel. Toutefois, le paragraphe 220(3), que la Cour d’appel fédérale a soulevé, est très pertinent.

Bien qu’il soit probablement plutôt rare qu’un appel d’une décision de première instance soumis à la Cour d’appel soit accueilli sur consentement, cela arrive. Il y a des années, j’ai représenté une partie dans Akman Management Ltd. v. M.N.R., 85 D.T.C. 7, une décision dans laquelle l’appel a été accueilli, en partie, sur consentement.

[31] Voir les notes techniques de juin 2006 obtenues dans TaxPartner 2017 sur CD-ROM, version 4.

[32] C’est-à-dire la date exigée au paragraphe 150(1).

[33] Je note que les mots supprimés du paragraphe 220(3) en vigueur après le 31 mars 2007 faisaient référence à l’ensemble de l’article 162, et non au seul paragraphe 162(1).

[34] Voir le premier paragraphe de la note de bas de page 1.

[35] Sinon, au moins, demander une prorogation de délai.

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