Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19980805

Dossier: 96-3882-IT-G

ENTRE :

GESTION B. DUFRESNE LTÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Gestion B. Dufresne Ltée (Gestion Dufresne) conteste un avis de cotisation établi par le ministre du Revenu national (ministre) à l’égard de l’année d’imposition 1991. En vertu du paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi), le ministre a traité comme gain en capital un dividende réputé avoir été reçu par Gestion Dufresne lors d’un rachat d’actions. Le ministre soutient que ce dividende faisait partie d’une série d’opérations dont le résultat a été une augmentation sensible de la participation dans une société (Roger Grenier Inc. (Grenier)) d’une personne (Gestion G. Hamel Ltée (Gestion Hamel)) avec qui la société (Gestion Dufresne) qui a reçu le dividende n’avait aucun lien de dépendance. Quant à elle, Gestion Dufresne soutient qu’il existait un lien de dépendance entre Gestion Hamel et elle et que le paragraphe 55(2) de la Loi ne s’applique pas.

[2] De plus, Gestion Dufresne soutient que le ministre ne pouvait établir une nouvelle cotisation au-delà de la période normale de trois ans et qu’elle n’avait pas produit d’avis de renonciation à la prescription; celui qu’elle a produit ne se rapportait qu’à l’année 1990. Quant au ministre, il soutient que l’avis de renonciation se rapportait réellement à l’année 1991.

Faits

[3] Il n’y a pas vraiment de litige quant aux faits de cet appel. La plupart ont été admis par le procureur de Gestion Dufresne. À la fin de son exercice financier se terminant le 28 février 1990, Gestion Dufresne détenait 466 actions ordinaires de la classe A (466 actions) de Grenier représentant 70 pour 100 de cette catégorie d’actions. M. Bertrand Dufresne était l’unique actionnaire de Gestion Dufresne. Gestion Hamel détenait le reste des actions ordinaires de la classe A, ce qui représentait 30 pour 100 de cette catégorie d’actions de Grenier. M. Gaston Hamel était l’unique actionnaire de Gestion Hamel. Son épouse, Mme Aline Desrochers, est la soeur de Mme Madeleine Desrochers, qui est l’épouse de M. Bertrand Dufresne.

[4] Au cours des exercices financiers 1989 et 1990, Grenier a racheté des actions ordinaires détenues par Gestion Dufresne : pour 100 000 $ en 1989 et pour 380 000 $ en 1990. Le 2 mars 1990, soit dans l’exercice financier 1991, Grenier a racheté les 466 actions restantes détenues par Gestion Dufresne pour la somme de 450 000 $.

[5] Comme le capital versé et le prix de base rajusté des 466 actions étaient de 1 $ chacune, Gestion Dufresne est réputée (selon l’alinéa 84(3)b) de la Loi) avoir reçu au cours de l’exercice financier 1991 un dividende de 449 534 $ (450 000 $ - 466 $)[1]. En vertu du paragraphe 112(1) de la Loi, ce montant était déductible dans le calcul du revenu imposable de Gestion Dufresne. Pour les fins du calcul du gain en capital, le produit de disposition a été réputé être égal à 466 $ en vertu du sous-alinéa 54(h)(i) de la Loi puisque l’on doit soustraire du produit de disposition par ailleurs déterminé le montant du dividende présumé. Le montant du gain en capital est donc nul puisque le produit de disposition devient alors égal au prix de base rajusté.

[6] Comme le revenu gagné après 1971 qui pouvait être attribué aux 466 actions rachetées s’élevait à $364,942, l’un des résultats du rachat a donc été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital que Gestion Dufresne aurait réalisée lors d’une disposition de ces 466 actions à la juste valeur marchande immédiatement avant le rachat et qui pouvait raisonnablement être considérée comme attribuable à autre chose que du revenu gagné après 1971.

[7] Avant d’établir une nouvelle cotisation pour l’année 1991, le vérificateur du ministre a informé les représentants de Gestion Dufresne qu’il allait appliquer le paragraphe 55(2) de la Loi et traiter comme un gain en capital le dividende réputé avoir été reçu lors du rachat des 466 actions. Ces représentants ont demandé au vérificateur, le 22 novembre 1993, de fournir des observations au bureau principal du ministre à Ottawa. Plusieurs mois plus tard, aucune décision n’avait encore été prise et la période normale de nouvelle cotisation allait bientôt expirer, soit le 21 juin 1994. Le vérificateur a alors demandé au mandataire de Gestion Dufresne de produire un avis de renonciation à la prescription.

[8] Le 25 mai 1994, Gestion Dufresne a produit un formulaire T2029 (Renonciation à l’application de la période normale de nouvelle cotisation), signé par M. Dufresne, à l’égard de « l’application de l’article 55 relativement à la transaction de rachat d’actions par Roger Grenier Inc. en faveur de “Gestion B. Dufresne Inc.” pour une somme de 450 000 $ » . L’année d’imposition pertinente qui y est indiquée est celle terminée le 28 février 1990. Le vérificateur du ministre a soutenu durant son témoignage que l’avis de renonciation visait plutôt l’année terminée le 28 février 1991. Il n’aurait pas pu accepter un avis de renonciation pour l’année 1990 puisque cette année était déjà prescrite à cette époque.

[9] Le 9 mars 1995, le ministre a établi une nouvelle cotisation en vertu de laquelle il a ajouté au revenu imposable de Gestion Dufresne une somme de 337 151 $ représentant la partie imposable du gain en capital de 449 534 $ (soit les trois quarts du gain en capital).

Analyse

Prescription

[10] Selon le paragraphe 152(4) de la Loi, il est clair que l’avis de nouvelle cotisation du 9 mars 1995 a été établi hors de la période normale de cotisation. La Loi prévoit toutefois des exceptions permettant au ministre d’établir de nouvelles cotisations dans de telles circonstances. Une telle exception existe lorsqu’un contribuable a produit un avis de renonciation à la prescription à l’intérieur de la période normale de nouvelle cotisation.

[11] Ici, Gestion Dufresne a remis au ministre, à l’intérieur de la période normale de nouvelle cotisation, un avis de renonciation dans lequel elle indique clairement qu’elle renonce à la prescription relativement à l’application de l’article 55 au rachat des 466 actions. Toutefois, le procureur de Gestion Dufresne soutient que l’avis de renonciation n’est pas valide puisqu’il fait référence à l’année d’imposition 1990. Dans son avis d’appel, le procureur soutenait que l’interprétation stricte devait prévaloir puisque Gestion Dufresne avait renoncé « uniquement à l’égard de l’année d’imposition terminée le 28 février 1990 et non à l’égard de l’année d’imposition terminée le 28 février 1991 » . Toutefois, Gestion Dufresne n’a offert aucune preuve à l’appui de cette allégation. Notamment, M. Dufresne n’a pas témoigné pour jurer qu’il n’avait aucune intention de renoncer à la prescription pour l’année 1991 lorsqu’il a signé la renonciation du 25 mai 1994.

[12] Malgré les prétentions du procureur de Gestion Dufresne, je suis convaincu par la preuve offerte par l’intimée établissant que Gestion Dufresne avait l’intention véritable de renoncer à la période normale de nouvelle cotisation pour l’année 1991. Tout d’abord, 1991 est la seule année à l’égard de laquelle le ministre a eu l’intention d’appliquer l’article 55 de la Loi. Dans les discussions du vérificateur avec les représentants de Gestion Dufresne, il n’a pas été question de 1990. De plus, il est impossible que Gestion Dufresne ait confondu les années 1990 et 1991, puisque l’avis de renonciation vise un rachat d’actions de 450 000 $. Si Gestion Dufresne avait véritablement visé uniquement l’année 1990, comme le prétend son procureur, elle aurait indiqué que sa renonciation se limitait au rachat d’actions pour une somme de 380 000 $. Le fait qu’on ait mentionné l’année « 1990 » et non « 1991 » dans l’avis de renonciation m’apparaît comme une erreur évidente d’inattention. En conséquence, j’en viens à la conclusion que l’avis de renonciation du 25 mai 1994 vise l’année d’imposition 1991 et que la cotisation a été établie dans les délais prévus par la Loi.

Paragraphe 55(2)

[13] La seule difficulté soulevée par l’application du paragraphe 55(2) de la Loi a trait au sous-alinéa 55(3)a)(ii) de la Loi. Existait-il un lien de dépendance entre Gestion Dufresne et Gestion Hamel? Il n’y a aucun litige quant aux autres conditions d’application de ce paragraphe et du paragraphe 55(2) de la Loi.

[14] Avant d’exposer la position de chacune des parties, il est d’abord utile de rappeler les dispositions pertinentes de l’article 55 de la Loi :

55(2) Lorsqu’une corporation résidant au Canada a reçu, après le 21 avril 1980, un dividende imposable à l’égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d’une opération ou d’un événement ou d’une série d’opérations ou d’événements [...] (ou, dans le cas d’un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l’un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n’est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971 et avant l’opération ou l’événement ou le début de la série d’opérations ou d’événements visés à l’alinéa (3)a), nonobstant tout autre article de la présente loi, le montant du dividende [...]

a) est réputé ne pas être un dividende reçu par la corporation;

b) lorsqu’une corporation a disposé de l’action, est réputé être le produit de disposition de l’action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit; et

[. . .]

55(3) Le paragraphe (2) ne s’applique pas à un dividende reçu par une corporation,

a) sauf si ce dividende faisait partie d’une opération ou d’un événement ou d’une série d’opérations ou d’événements dont le résultat a été

(i) une disposition de biens en faveur d’une personne avec qui cette corporation n’avait aucun lien de dépendance, ou

(ii) une augmentation sensible de la participation dans une corporation d’une personne avec qui la corporation qui a reçu le dividende n’avait aucun lien de dépendance;

[. . .]

55(5) Aux fins du présent article,

[. . .]

e) pour déterminer si deux ou plusieurs personnes ont un lien de dépendance, deux personnes sont réputées n’avoir aucun lien de dépendance et ne pas être liées entre elles si l’une est le frère ou la soeur de l’autre.

[Je souligne.]

[15] On retrouve aux articles 251 et 252 de la Loi les règles générales définissant les circonstances dans lesquelles existe un « lien de dépendance » entre des personnes ou quand elles sont des « personnes liées » . Voici les dispositions pertinentes :

251(1) Aux fins de la présente loi,

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance; et

b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’avaient aucun lien de dépendance à une date donnée est une question de fait.

251(2) Aux fins de la présente loi, des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles, sont

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l’adoption;

[. . .]

c) deux corporations quelconques

[. . .]

(ii) si chacune des corporations est contrôlée par une personne et si la personne contrôlant l’une des corporations est liée à la personne qui contrôle l’autre corporation [...]

251(6) Pour l’application de la présente loi:

a) des personnes sont unies par les liens du sang si l’une est l’enfant ou un autre descendant de l’autre ou si l’une est le frère ou la soeur de l’autre;

b) des personnes sont unies par les liens du mariage si l’une est mariée à l’autre ou à une personne qui est ainsi unie à l’autre par les liens du sang [...]

252(2) Dans la présente loi, les mots se rapportant au père ou à la mère d’un contribuable comprennent une personne dont le contribuable est l’enfant, dans l’année d’imposition relativement à laquelle l’expression est employée, au sens du paragraphe (1), ou dont le contribuable a été l’enfant au sens de l’alinéa (1)b), et

a) « frère » comprend beau-frère [...]

d) « soeur » comprend belle-soeur[2].

   [Je souligne.]

Pour que Gestion Hamel et Gestion Dufresne soient considérées comme ayant un lien de dépendance entre elles, elles doivent être liées[3]. Ces deux sociétés peuvent être liées si elles sont contrôlées chacune par une personne qui est liée à la personne qui contrôle l’autre société. En l’occurrence, il s’agit de déterminer si M. Dufresne qui contrôle Gestion Dufresne est lié à M. Hamel qui contrôle Gestion Hamel.

Position des parties

[16] Pour déterminer s’il existait un lien de dépendance entre Gestion Hamel et Gestion Dufresne aux fins de l’article 55 de la Loi, il faut appliquer, en plus des règles générales des articles 251 et 252, la règle spéciale énoncée à l’alinéa 55(5)e) de la Loi en vertu de laquelle deux soeurs sont réputées ne pas être liées entre elles. Les deux parties s’entendent sur cette démarche. Ce qui différencie fondamentalement leur position respective, c’est la portée à donner à cette dernière présomption. Pour l’intimée, si les deux soeurs sont « réputées ne pas être liées entre elles » , cela signifie aussi qu’il faut les traiter en quelque sorte comme des étrangères; de façon plus technique, cela signifie qu’elles sont réputées ne plus être « unies par les liens du sang » . D’après Gestion Dufresne, la présomption de l’alinéa 55(5)e) de la Loi se limite strictement à la notion de « personnes liées » et elle n’entraîne pas comme conséquence que les deux soeurs sont réputées ne pas être unies par les liens du sang ou, en d’autres mots, qu’elles sont réputées ne plus être des soeurs. Voyons de quelle manière s’applique ces deux interprétations aux faits de cette affaire.

[17] Le procureur de Gestion Dufresne soutient que la détermination quant à l’existence d’un lien de dépendance implique une analyse en trois étapes. Lors de la première, il faut déterminer si des personnes sont unies par les liens du sang ou du mariage. Lors de la deuxième, il faut déterminer si ces personnes constituent des personnes liées. Finalement, lors de la troisième, il est à déterminer si ces personnes ont entre elles un lien de dépendance. Cette interprétation se fonde sur le fait que la Loi définit trois notions bien distinctes : i) l’union par les liens du sang ou par les liens du mariage; ii) les personnes liées; et iii) le lien de dépendance.

[18] Voici comment le procureur de Gestion Dufresne s’y prend pour conclure qu’il existe un lien de dépendance entre Gestion Hamel et Gestion Dufresne. Lors de la première étape, il faut déterminer si MM. Dufresne et Hamel sont unis par les liens du sang ou les liens du mariage. Parce que M. Hamel est le beau-frère de Mme Dufresne, il est réputé être son frère (alinéa 252(2)a) de la Loi). Étant réputés frère et soeur, ils sont réputés unis par les liens du sang (alinéa 251(6)a) de la Loi). Finalement, puisque M. Dufresne est marié à Mme Dufresne qui est réputée unie par les liens du sang à M. Hamel, M. Dufresne est uni par les liens du mariage à M. Hamel (alinéa 251(6)b) de la Loi). Évidemment, la même analyse pourrait être faite du point de vue de M. Hamel, puisqu’il est marié à Mme Hamel qui est réputée être la soeur de M. Dufresne.

[19] Le procureur de Gestion Dufresne fait remarquer que, pour arriver à cette conclusion, il n’a pas été nécessaire d’avoir recours à la notion de « personnes liées » telle qu’elle est définie au paragraphe 251(2) de la Loi. Par conséquent, la présomption de l’alinéa 55(5)e) de la Loi, en vertu de laquelle Mmes Hamel et Dufresne sont réputées ne pas être liées entre elles, ne s’applique pas ici.

[20] Ayant déterminé que MM. Dufresne et Hamel sont unis par les liens du mariage, il faut passer à la deuxième étape et examiner s’ils sont des personnes liées. Selon l’alinéa 251(2)a) de la Loi, des particuliers unis par les liens du mariage sont des personnes liées. Par conséquent, M. Dufresne et M. Hamel sont des personnes liées. La présomption de l’alinéa 55(5)e) de la Loi ne s’applique pas ici non pas parce qu’ils ne sont pas réputés être des frères mais plutôt parce qu’ils sont réputés être des particuliers unis par les liens du mariage.

[21] Lors de la troisième étape, il est facile de déterminer si Gestion Dufresne et Gestion Hamel ont entre elles un lien de dépendance. Comme la première est contrôlée par M. Dufresne qui est lié à M. Hamel qui, lui, contrôle Gestion Hamel, les deux sociétés sont liées selon le sous-alinéa 251(2)c)(ii) de la Loi et il existe de ce fait un lien de dépendance entre elles selon l’alinéa 251(1)a) de la Loi. Par conséquent, le paragraphe 55(2) de la Loi ne s’applique pas au rachat des 466 actions.

[22] À l’appui de cette interprétation stricte qu’il adopte, le procureur de Gestion Dufresne soutient que si le législateur avait voulu que le paragraphe 55(2) de la Loi s’applique dans des circonstances comme celles de cet appel, il aurait fallu que les frères et soeurs soient réputés en vertu de l’alinéa 55(5)e) de la Loi ne pas être unis par les liens du sang. Si tel avait été le cas, il aurait été impossible d’établir des liens du mariage entre M. Dufresne et M. Hamel puisque M. Dufresne n’aurait pas été marié « à une personne [Mme Dufresne]qui est ainsi unie à l’autre [M. Hamel] par les liens du sang » (alinéa 251(6)b) de la Loi). En effet, même si M. Hamel avait été réputé être le frère de Mme Dufresne parce qu’il est son beau-frère et que l’expression « frère » comprend « beau-frère » , ils auraient été réputés selon l’alinéa 55(5)e) de la Loi non seulement ne pas être des personnes liées mais aussi ne pas être unis par les liens du sang.

[23] Selon l’analyse faite par l’intimée pour établir qu’il existait un lien de dépendance entre Gestion Hamel et Gestion Dufresne, il faut donner une portée plus large à la présomption de l’alinéa 55(5)e) de la Loi. Lorsque deux soeurs sont réputées ne pas êtres liées entre elles, cela signifie qu’elles cessent aussi d’être unies par les liens du sang, ce qui a comme conséquence qu’il ne peut plus exister d’union par les liens du mariage pour leur conjoint respectif. En quelque sorte, M. Hamel ne peut plus être le beau-frère de Mme Dufresne. Ainsi, M. Hamel ne peut plus être marié à « une personne [Mme Hamel] qui est ainsi unie à l’autre [M. Dufresne] par les liens du sang » (alinéa 251(6)b) de la Loi). Conséquemment, si MM. Hamel et Dufresne ne peuvent pas être unis par les liens du mariage, ils ne peuvent pas être liés entre eux. Ceci signifie que leurs sociétés de gestion ne peuvent pas non plus être liées et avoir un lien de dépendance entre elles.

L'interprétation à retenir

[24] De prime abord, je crois que les deux positions avancées par les parties dans cette affaire peuvent être aussi persuasives l’une que l’autre. J’ajouterais qu’au tout début la position de Gestion Dufresne m’a même semblé plus persuasive. Il est vrai qu’à l’alinéa 55(5)e) de la Loi on retrouve deux présomptions : tout d’abord celle selon laquelle les personnes n’ont entre elles aucun lien de dépendance et, deuxièmement, celle selon laquelle elles ne sont pas liées entre elles. Il n’y a aucune présomption selon laquelle elles ne sont pas « unies par les liens du sang » .

[25] Lorsqu’une disposition législative veut créer une fiction juridique, il est important que l’étendue de cette fiction soit clairement énoncée. On retrouve dans la Loi de nombreux exemples illustrant ce point. Par exemple, à l’alinéa 55(5)e) de la Loi, le législateur ne s’est pas contenté de disposer que deux soeurs sont réputées ne pas être liées entre elles, mais il a aussi jugé nécessaire d’ajouter qu’elles sont réputées ne pas avoir de lien de dépendance entre elles. On a probablement voulu s’assurer que l’argument suivant ne soit pas invoqué : même si deux soeurs sont réputées ne pas être liées — ce qui a pour conséquence qu’elles ne peuvent pas être réputées avoir entre elles un lien de dépendance —, on peut quand même soutenir qu’il existe, sur le plan des faits, un lien de dépendance entre elles et que ce lien influe sur la détermination quant à savoir s’il existait, pour les fins du sous-alinéa 55(3)a)(ii) de la Loi, un lien de dépendance entre la société recevant le dividende et la personne qui a augmenté sensiblement sa participation dans une société.

[26] Comme l’a fait remarquer le procureur de Gestion Dufresne, il est possible d’établir qu’il existe entre des personnes des liens du mariage et des liens du sang en vertu du paragraphe 251(6) de la Loi sans qu’il ne soit nécessaire de faire référence à la notion de personnes liées. Par exemple, l’alinéa 251(6)a) édicte que des personnes sont unies par les liens du sang si l’une est le frère ou la soeur de l’autre. Peu importe que les soeurs Desrochers soient réputées ne pas être liées entre elles pour les fins de la Loi, elles demeurent en réalité des soeurs. Si le législateur désirait modifier cette réalité pour les fins d’une loi et créer une fiction juridique, il était important de bien préciser la portée d’une telle fiction. Selon Gestion Dufresne, le fait que des personnes soient réputées ne pas être liées ne signifie pas nécessairement qu’elles ne sont plus unies par les liens du sang.

[27] La position du ministre est tout aussi persuasive. Si le législateur s’est donné la peine d’adopter une règle selon laquelle deux soeurs sont réputées ne pas être liées entre elles, il faut lui donner son plein effet. Dans cet esprit, il faut déterminer la relation entre M. Hamel et M. Dufresne en tenant pour acquis que leurs épouses sont étrangères l’une par rapport à l’autre. Selon cette hypothèse, les maris de ces dernières ne peuvent plus être des beaux-frères (par rapport à elles). D’un point de vue plus technique, les expressions « personnes liées » et « personnes liées entre elles » sont définies comme visant des personnes qui sont unies par les liens du sang. (Voir l’alinéa 251(2)a) de la Loi). Lorsque des personnes sont réputées ne pas être liées entre elles, cela signifie en même temps qu’elles sont réputées ne pas être unies par les liens du sang.

[28] Alors, quelle interprétation retenir? À mon avis, la solution dépend de la réponse à la question suivante : laquelle des deux interprétations s’harmonise davantage avec le but poursuivi par le législateur lorsque ce dernier a adopté en 1981 les paragraphes 55(2) et suivants de la Loi? Cette approche correspond à celle adoptée par monsieur le juge Cartwright dans l’affaire Highway Sawmills Ltd. v. M.N.R., 66 DTC 5116, 5120, dans laquelle il affirmait :

The answer to the question what tax is payable in any given circumstances depends, of course, upon the words of the legislation imposing it. Where the meaning of those words is difficult to ascertain it may be of assistance to consider which of two constructions contended for brings about a result which conforms to the apparent scheme of the legislation.

Voir aussi Cree Enterprises Ltd. v. M.N.R., 66 DTC 5158 et Trans-Canada Investment Corp. Ltd. v. M.N.R., 53 DTC 1227, aff’d [1956] S.C.R. 49, 55 DTC 1191.

[29] Il ressort du libellé de l’article 55 de la Loi, en tant qu’il s’applique aux faits de cet appel, que le législateur désirait empêcher qu’un contribuable puisse — dans un sens large — « transférer indirectement » , sans réaliser un gain en capital imposable, une participation dans une société (société transférée) à des tiers (tiers étrangers) avec lesquels le contribuable n’a pas de lien de dépendance. Le paragraphe 55(2) de la Loi fait en sorte que le dividende non imposable que le contribuable a reçu à la place du gain en capital soit quand même traité comme un gain en capital.

[30] À certaines condition, ce transfert peut être réalisé en franchise d’impôt s’il s’effectue en faveur de certaines personnes (personnes étroitement liées) avec qui le contribuable a un lien de dépendance. Par exemple, si le contribuable est une société appartenant à un père et que le transfert de la participation dans la société transférée se fait en faveur de l’enfant de ce père, alors le paragraphe 55(2) de la Loi ne s’applique pas. Le résultat serait le même si, dans le scénario que je viens d’esquisser, on remplaçait le père par un mari et l’enfant par l’épouse du mari. Également, un transfert à l’intérieur d’un même groupe de sociétés contrôlées par un particulier échapperait à l’application du paragraphe 55(2) de la Loi.

[31] Il est clair, en raison de l’alinéa 55(5)e) de la Loi, que d’une part les frères et soeurs et, en raison de l’alinéa 252(2)a) de la Loi, que d’autre part les proches beaux-frères et proches belles-soeurs, sont réputés ne pas être liés entre eux. L’effet de cette règle est donc d’inclure dans le groupe des tiers étrangers ces personnes, qui, sans cet alinéa auraient été des personnes liées, et de les exclure du groupe des personnes étroitement liées.

[32] Reste à déterminer dans lequel de ces deux groupes nous devons classer les beaux-frères et les belles-soeurs éloignés. Si l’on retient l’interprétation proposée par Gestion Dufresne, les beaux-frères éloignés — de même que les belles-soeurs éloignées — seraient des personnes liées qui échappent à l’application de l’alinéa 55(5)e) et ils feraient donc partie du groupe des personnes étroitement liées. S’agit-il là d’un résultat correspondant à l’intention du législateur? Je ne le crois pas. En effet, pourquoi le paragraphe 55(2) de la Loi s’appliquerait-il lors d’un transfert à des tiers étrangers, à des frères et à des proches beaux-frères, mais non dans le cas d’un transfert à des beaux-frères éloignés? Pourquoi les beaux-frères éloignés seraient-ils plus avantagés fiscalement que les frères ou les proches beaux-frères? Cela n’a pas de sens. Les beaux-frères éloignés ont généralement entre eux une relation ressemblant davantage à une relation de tiers étrangers qu’à une relation de personnes étroitement liées. Je ne vois pas de raison pour laquelle les beaux-frères éloignés seraient plus avantagés que les frères dans l’application du paragraphe 55(2) de la Loi. L’interprétation du ministre est donc plus conforme au but poursuivi par la Loi alors que celle de Gestion Dufresne donne, à mon avis, des résultats absurdes et incompatibles avec ce but.

[33] La procureure du ministre soutient aussi que l’adoption de l’interprétation de Gestion Dufresne pourrait ouvrir la porte à certaines planifications ayant pour objet d’éviter l’application du paragraphe 55(2) de la Loi. Par exemple, si une société de gestion était contrôlée par un homme et l’autre par son frère, ces frères auraient pu transférer leurs actions à leur épouse (entre elles des belles-soeurs éloignées) et on se serait retrouvé dans la même situation que celle dans laquelle nous nous retrouvons en l’espèce. S’agit-il là d’une planification qui tomberait sous le coup de règles anti-évitement tel l’article 245 de la Loi?Je n’ai pas à trancher cette question. Par contre, il s’agit ici d’une raison de plus de retenir l’interprétation du ministre.

[34] Même si c’était à tort que je retenais l’interprétation du ministre quant à la portée de la présomption à l’alinéa 55(5)e) de la Loi, je pourrais pour un autre motif conclure à l’applicabilité du paragraphe 55(2) de la Loi. Comme je l’ai constaté à la note 2 ci-dessus, le mot « beau-frère » peut avoir deux sens : le sens étroit qui ne vise que le proche beau-frère ou le sens large qui vise aussi le beau-frère éloigné. Si l’on adoptait le sens large du mot « beau-frère » , MM. Hamel et Dufresne seraient considérés comme des beaux-frères et ils seraient alors réputés être des frères. Étant réputés être des frères, ils seraient réputés ne pas être des personnes liées, ce qui aurait comme effet que les deux sociétés de gestion ne pourraient pas avoir entre elles un lien de dépendance[4].

[35] Je dois mentionner que cette interprétation serait contraire non seulement à celle défendue par le procureur de Gestion Dufresne dans sa plaidoirie, mais aussi à celle de la procureure du ministre. Cette dernière a défendu en effet la position exprimée dans le Bulletin d’interprétation IT-419 en date du 10 juillet 1978, où le ministre adopte le sens étroit du mot « beau-frère » . Voici comment le paragraphe 5 du Bulletin IT-419 se lisait:

5. L’alinéa 252(2)a) stipule que « frère » comprend « beau-frère » , c’est-à-dire le frère du conjoint ou l’époux de la soeur. « Frère » ne comprend pas l’époux de la soeur du conjoint. De même, l’alinéa 252(2)d) stipule que « soeur » comprend « belle-soeur » , c’est-à-dire la soeur du conjoint ou l’épouse du frère. « Soeur » ne comprend pas l’épouse du frère du conjoint. Ainsi, si monsieur A et monsieur B, ne sont pas autrement liés, et qu’ils ont épousé des soeurs, ils ne sont pas liés par les liens du sang aux termes de l’alinéa 251(6)a). De même, si monsieur A et madame B sont frère et soeur, madame A et monsieur B ne sont pas liés par les liens du sang.

[36] De son côté, le procureur de Gestion Dufresne a cité plusieurs décisions reconnaissant qu’un bulletin d’interprétation peut avoir une certaine force persuasive lorsqu’il existe une ambiguïté dans l’application d’une loi. Dans Mattabi Mines Ltd. c. Ont. (Min. du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175, à la page 196, madame la juge Wilson affirme :

[...] Les bulletins d’interprétation ont cependant une certaine force persuasive lorsqu’il existe une ambiguïté dans la loi.

Dans une autre décision de la Cour suprême du Canada, Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la page 37, le juge Dickson déclarait :

Les politiques et l’interprétation administratives ne sont pas déterminantes, mais elles ont une certaine valeur et, en cas de doute sur le sens de la législation, elles peuvent être un « facteur important » .

[37] À mon avis, s’il était nécessaire d’adopter le sens large de l’expression « beau-frère » pour respecter l’intention du législateur au paragraphe 55(2) et à l’alinéa 55(5)e) de la Loi, je l’adopterais. Ce facteur m’apparaît beaucoup plus important que celui de l’interprétation administrative.

[38] J’en viens donc à la conclusion que MM. Dufresne et Hamel ne sont pas liés et comme, en conséquence, Gestion Hamel et Gestion Dufresne ne sont pas liées, il n’existait pas de lien de dépendance entre elles. Le paragraphe 55(2) de la Loi s’applique au rachat des 466 actions.

[39] Pour ces motifs, l’appel de Gestion Dufresne est rejeté et l’avis de cotisation est confirmé, le tout avec dépens en faveur du ministre.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d’août 1998.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.



[1] Ce traitement fiscal ne tient pas compte des dispositions du paragraphe 55(2) de la Loi.

[2] La Loi ne définit pas les termes beau-frère et belle-soeur. Le Petit Robert définit « beau-frère » de la façon suivante :

10 Frère du conjoint, pour l’autre conjoint. 20 Mari de la soeur ou de la belle-soeur d’une personne.

De plus, dans le Shorter Oxford Dictionary, le mot « brother-in-law » est défini de la façon suivante :

The brother of one’s husband or wife, the husband of one’s sister. Occas., the husband of one’s wife’s (or husband’s) sister.

On peut donc noter qu’il existe deux sens possible du mot « beau-frère » . Le premier, que l’on pourrait qualifier de sens étroit, est celui qui, dans les faits de cet appel, ne ferait de M. Dufresne que le beau-frère de Mme Hamel, et selon lequel M. Hamel ne serait que le beau-frère de Mme Dufresne. M. Dufresne ne serait pas le beau-frère de M. Hamel. Pour faire référence à un beau-frère ou à une belle-soeur selon ce sens étroit, j’utiliserai dans ces motifs les expressions « beau-frère » , « belle-soeur » , « proche beau-frère » ou « proche belle-soeur » . Au sens plus large, M. Hamel pourrait être le beau-frère à la fois de M. et de Mme Dufresne. Selon ce sens, M. Dufresne serait le beau-frère de M. Hamel. J’utiliserai dans ces motifs les expressions « beau-frère éloigné » ou « belle-soeur éloignée » pour décrire un beau-frère ou une belle-soeur qui ne le serait pas selon le sens étroit de ces expressions (ici, MM. Hamel et Dufresne).

Il est à noter que le paragraphe 252(2) a été modifié par L.C.1993, chap. 24, art. 140(1) applicable après 1992. Dorénavant, il est clair que la Loi ne vise que les proches beaux-frères et belles-soeurs. À compter de cette date, les alinéas 252(2)b) et c) se lisent ainsi :

252(2) Dans la présente loi, les mots se rapportant :

[...]

b) au frère d’un contribuable comprennent les personnes suivantes :

(i) le frère du conjoint du contribuable,

(ii) le conjoint de la soeur du contribuable;

c) à la soeur d’un contribuable comprennent les personnes suivantes :

(i) la soeur du conjoint du contribuable,

(ii) le conjoint du frère du contribuable.

[3] Gestion Dufresne n’a pas soutenu qu’il existait entre Gestion Hamel et elle un lien de dépendance factuel et la preuve n’a pas révélé de faits établissant l’existence d’un tel lien. Il est aussi intéressant de noter que, à la suite d’une modification de l’alinéa 55(3)a) de la Loi entrée en vigueur à l’égard de dividendes reçus après le 21 février 1994, le critère du « lien de dépendance » a été remplacé par celui de la « personne liée » .

[4] Sauf, évidemment, la possibilité qu’il existe, sur le plan des faits, un lien de dépendance (alinéa 251(1)b) de la Loi).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.