Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 19980924

Dossier : 96-2999-GST-G

ENTRE :

FAZAL KHAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 24 septembre 1998.)

MONSIEUR LE JUGE : Le présent appel porte sur une cotisation datée du 4 juillet 1995 et établie en vertu des dispositions de la Loi sur la taxe d’accise qui prévoient le versement de la TPS. Le ministre du Revenu national a réclamé à l’appelant la somme de 110 245,30 $, dans le cadre de sa responsabilité à titre d’administrateur, qui est prévue à l’article 323 de la Loi, à l’égard d’un montant payable par Cankut Developments Incorporated au titre de la TPS qu’elle n’a pas versée en 1991.

L’intimée a soutenu que l’appelant n’avait pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

L’appelant, qui est âgé de 41 ans, est un agent d’assurance intelligent qui vit avec sa femme, ses quatre enfants et son père. Il a déclaré qu’il n'était qu’administrateur prête-nom et qu’il n’avait participé à aucun processus décisionnel de la compagnie. Il a ajouté que toutes les décisions se rapportant aux activités commerciales étaient prises par son père et par le directeur de la compagnie, John Halani, et qu’il agissait strictement en conformité avec les directives de son père et de John Halani.

Le père de l’appelant a déclaré dans son témoignage qu’il avait une vaste expérience du secteur de la construction dans le nord de la Colombie-Britannique et qu’il avait eu de graves difficultés financières au cours du ralentissement économique du début des années 1980. En 1989, il s’est engagé dans une entreprise commerciale avec John Halani en vue de la construction et de la vente de 18 unités condominiales dans le sud de la Colombie-Britannique.

M. Khan devait faire appel à ses compétences pour acheter le terrain, s’occuper du financement hypothécaire et de la construction des unités. M. Halani était l’argentier et devait avancer des fonds lorsqu’on le lui demanderait. Ils ont reçu chacun 50 p. 100 des actions de la société. Comme il se faisait du souci concernant les anciens créanciers, M. Khan a placé ses actions au nom de son fils, l’appelant, et l’a fait nommé administrateur. En tout temps, l’appelant n’a été qu’un fiduciaire et il représentait les intérêts de son père à titre d'administrateur.

Pendant la période de construction, soit d’octobre 1990 à janvier 1991, le projet a nécessité d’autres fonds en plus des avances sur prêt hypothécaire, et M. Halani a présenté des investisseurs, soit Anar Ahamed, qui, plus tard, est devenue sa femme, et Robert Underwood, son employé, un gérant de permanence dans un hôtel qui appartenait à M. Halani.

L’appelant a donné le témoignage suivant et je l’accepte.

Le 16 février 1990 : À la demande de mon père et en son nom, je suis devenu un administrateur de Cankut. J’étais administrateur de nom seulement et je n’ai pas participé à la gestion de la compagnie. Ni mon père ni moi-même n’avons investi de fonds dans l’entreprise. Mon père a fait profiter le partenariat de son expérience dans l’aménagement immobilier et John Halani a offert ses ressources financières de même que son expérience des affaires.

Le 13 août 1990 : La participation de mon père dans l’entreprise a commencé à s'affaiblir en raison de l’ajout de deux nouveaux partenaires, Robert Underwood et Anar Ahamed. Cet ajout résultait du fait que le projet nécessitait plus de fonds que ce qui avait été prévu à l’origine. Le 7 septembre 1990, mon père ainsi que M. Halani, Robert Underwood et Anar Ahamed ont signé une résolution concernant le financement.

Le 15 janvier 1991 : La participation de mon père s’est encore affaiblie, car la compagnie ayant eu besoin d’autres fonds, John Halani et sa future femme, Anar, ont acquis des parts supplémentaires après avoir augmenté leur investissement dans la compagnie. À ce point, la participation de mon père dans la compagnie était pratiquement nulle, puisque M. Halani avait le contrôle effectif de la compagnie. En fait, mon père et moi avons mis un terme à notre engagement dans la compagnie.

Le 10 juin 1991 : La première unité qui a donné lieu à la cotisation de TPS a été vendue. Ni mon père ni moi n’avons été mêlés à la vente des unités, et je n’ai pas eu connaissance de problèmes concernant le versement de la TPS, jusqu’à ce que je reçoive une lettre de Revenu Canada le 4 mars 1994.

John Halani a pris le contrôle de la compagnie après la dilution de la participation de mon père dans celle-ci. M. Halani était et demeure un homme d’affaires très prospère, ancien trésorier et président de la Vancouver Multi-cultural Society, propriétaire de Tropicana Motor Inn sur la rue Robson et, au mieux de ma connaissance, il est millionnaire.

Je pourrais être considéré comme un administrateur externe, étant donné que je n’ai pas participé à la gestion de l’entreprise de Cankut, et que j’étais plutôt engagé dans ma propre entreprise d’assurance. J’ai été administrateur de nom seulement, et je n’ai rien eu à voir avec la gestion de la compagnie; je n’ai pas non plus exercé de fonctions ni eu de responsabilités à titre d’administrateur.

En bref, je crois que je ne devrais pas être tenu d'assumer la responsabilité de Cankut à l’égard de la TPS, et ce, pour toutes les raisons données ci-dessus et principalement pour les deux raisons suivantes : mon consentement à agir à titre d’administrateur prévoit que si je le révoque, ce consentement cesse d’avoir effet à la date de prise d’effet de cette révocation. J’ai révoqué mon consentement au début de l’année 1991. Deuxièmement, je suis devenu administrateur de Cankut pour le compte de mon père et à sa demande.

Il a ajouté :

En raison de ma situation particulière et de certaines ressemblances entre celle-ci et d’autres affaires entendues par la Cour canadienne de l’impôt qui ont été soumises à cette cour, je crois que je ne devrais pas être tenu responsable aux termes du paragraphe 323(3) de la Loi.

Il a cité les décisions suivantes à la Cour : Fitzgerald v. Her Majesty the Queen, 92 DTC 1019; Tyfair v. Her Majesty the Queen, 95 DTC 462, Blackwood v. Her Majesty the Queen, GST Cases 2090, McMartin v. Her Majesty the Queen, GST Cases 3010, et Soper v. Her Majesty the Queen, 97 DTC 5407.

L’intimée s’est fondée notamment sur les faits suivants, lesquels sont pour la plupart tirés de la réponse à l’avis d’appel.

L’appelant a consenti à agir comme administrateur de Cankut, dans la mesure où son consentement continuait d’avoir effet, et il devait demeurer administrateur si les membres le réélisaient au conseil d’administration; il n’a pas révoqué son consentement, pas plus qu’il n’a démissionné de ses fonctions au conseil d’administration de Cankut.

L’appelant n’a jamais présenté sa démission au conseil d’administration de Cankut et n’a jamais révoqué son consentement à continuer d’agir advenant sa réélection au conseil d’administration. L’appelant était toujours inscrit comme administrateur sur le formulaire 10 qui a été rempli le 16 octobre 1990. Il était propriétaire de 50 p. 100 des actions de Cankut lorsqu’il est devenu l’un des deux administrateurs en février 1990.

Le 28 février 1990, l’appelant et l’autre administrateur, John Halani, ont cautionné un prêt consenti à Cankut par la société Granville Savings & Mortgage. Le montant du prêt se chiffrait à environ 1 000 000 $. Il s’agissait d’un type d’hypothèque de premier rang dont les fonds étaient avancés progressivement.

La participation de l’appelant dans Cankut a été réduite à 25 p. 100 en août 1990, au moment où deux autres administrateurs se sont joints au conseil d’administration. Une entente a été conclue le 7 septembre 1990, lorsque les nouveaux administrateurs ont versé une contribution de 50 000 $ chacun. Le 8 octobre 1990, une résolution sur consentement a été signée par les quatre administrateurs ou en leur nom, aux termes de laquelle ils se sont engagés à agir à titre de dirigeants de Cankut. L’appelant était signataire autorisé pour Cankut.

En janvier 1991, deux actions communes ont été émises en faveur de John Halani et d’Anar Ahamed, tous les deux administrateurs de Cankut; cette émission a eu pour effet d’accroître leur participation à 33 p. 100, ce qui, en retour, a réduit la participation de l’appelant et de Robert Underwood à 16,6 p. 100. Le 8 octobre 1991, les trois autres administrateurs ont adopté et signé une résolution dans laquelle on retrouvait les noms des administrateurs de Cankut, soit John Halani, Anar Ahamed, Robert Underwood et l’appelant. Le 29 septembre 1991, Robert Underwood et Anar Ahamed ont tous les deux présenté leur démission. Le rapport annuel du 8 octobre 1991 indiquait le nom de l’appelant comme administrateur de Cankut.

M. Halani a été assigné à témoigner. Il a premièrement affirmé qu’il faisait des affaires avec le père de l’appelant et non avec l’appelant. Deuxièmement, vers janvier 1991, il a pris le contrôle effectif des activités de la compagnie, mettant ainsi à l’écart l’appelant et son père. Troisièmement, lui-même s’était senti responsable de 90 p. 100 des dettes de la compagnie et, selon lui, l’appelant ou son père devrait être responsable de 10 p. 100 de la taxe exigible. Quatrièmement, il avait pris des arrangements en ce qui concerne certains paiements. En réalité, à ce moment-ci, la dette due à Revenu Canada a été réduite à environ 88 000 $.

Analyse

Malgré le plaidoyer efficace de l’intimée, à mon avis, il est raisonnable de conclure que l’appelant dépendait de la compétence et des directives de son père et de M. Halani. L’appelant n’a pas été mêlé aux affaires de la compagnie au cours de la période (1990 et 1991) où la responsabilité relative au versement de la TPS a été engagée.

L’intimée a cité avec insistance une décision récente de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Soper v. Her Majesty the Queen, 97 DTC 5407. La Cour examinait le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui est identique à la disposition en cause, soit l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise. Les faits de la présente affaire se distinguent facilement de ceux dans l’affaire Soper.

M. Soper, un homme d’affaires expérimenté, avait été nommé administrateur d’une société pour une courte période, afin de promouvoir les intérêts de cette société en la faisant profiter de son nom et de sa réputation. Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à son égard pour des retenues à la source non versées durant la période au cours de laquelle il avait été administrateur de la société. La Cour d’appel fédérale a conclu que le degré de soin visé au paragraphe 227.1(3) est un critère souple et à la fois objectif et subjectif. M. Soper a été tenu responsable des retenues non versées.

Le juge Robertson a fait la déclaration suivante à la page 5416 :

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l’expérience de l’administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne [...].

Je n’ai aucune difficulté à conclure que l’appelant, Fazal Khan, n’était pas un administrateur réel. Il était un prête-nom pour son père. M. Halani, le père et l’appelant ont confirmé ce fait. J’accepte le témoignage de l’appelant selon lequel il a toute sa vie durant été très près de son père et qu’il a suivi les directives et demandes de son père sans poser de questions, quelquefois à son détriment. Il a vécu avec son père presque toute sa vie, et, en réalité, son père vit actuellement avec lui et sa famille.

En outre, il ne fait aucun doute que, lorsque la dette a été contractée au titre de la TPS en 1991 par la vente des unités condominiales, M. Halani contrôlait complètement la société, à l’exclusion des Khan père et fils. M. Halani était connu de l’appelant comme un homme d’affaires riche et compétent et il avait pris des arrangements pour injecter plus de 100 000 $ de capitaux et prendre le contrôle du projet. Il serait déraisonnable de tenir l’appelant responsable de la dette.

La situation actuelle n’est pas différente de celle dont a été saisi le juge Mogan dans la décision Fitzgerald v. The Minister of National Revenue, 92 DTC 1019, et dans laquelle il déclarait :

[L]orsque l’administrateur passif ou inactif est devenu membre du conseil d’administration dans le cadre d’une entreprise familiale exploitée sous la forme d’une corporation placée sous la férule d’un patriarche inflexible, la responsabilité de préserver l’harmonie au sein de la famille s’entremêle à la responsabilité légale envers les tiers et, dans de telles circonstances, j’estime qu’il n’est pas raisonnable d’imposer la même norme de soin, de diligence et d’habileté à l’“ administrateur familial ” passif qu’à la personne qui est réellement libre de devenir administrateur et choisit de le devenir hors de tout contexte familial.

Appliquant le principe de la prédominance du fond sur la forme, je conclus que le père de l’appelant était l’administrateur réel et, de ce seul fait, l’appelant a satisfait au critère énoncé au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise. De surcroît, je conclus que l’appelant a bien réussi à présenter une deuxième défense selon laquelle il n’était pas déraisonnable pour lui de se fier au jugement de M. Halani, un homme d’affaires puissant et prospère qui, dans les faits, a évincé l’appelant et son père de la société pendant toute la période au cours de laquelle la société a engagé sa responsabilité envers Revenu Canada en vertu de la Loi sur la taxe d’accise.

L’appel est accueilli avec dépens.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour d'octobre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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