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Dossier : 2014-2006(IT)G

ENTRE :

KATHLEEN GRIMES ET ERSIN OZERDINC,

FIDUCIAIRES DE LA FIDUCIE FAMILIALE OZERDINC NO 2,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

L’honorable juge Dominique Lafleur

__________________________________________________________________

ORDONNANCE

Après avoir lu les observations écrites des parties concernant les dépens en l’espèce;

Et conformément aux motifs de l’ordonnance ci-joints, la Cour ordonne le versement à l’appelante d’une somme forfaitaire de 52 000 $ et de la TVH applicable, ainsi que de 100 % des débours, qui sont constitués de :

  • a) la somme de 62 570,46 $ au titre d’honoraires d’expert, ainsi que la TVH applicable;

  • b) la somme de 1468,32 $ (TVH incluse) pour les débours effectués par les avocats de l’appelante.

Signé à Toronto (Ontario), ce 15e jour de juin 2017.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour d’août 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2017 CCI 113

Date : 20170615

Dossier : 2014-2006(IT)G

ENTRE :

KATHLEEN GRIMES ET ERSIN OZERDINC,

FIDUCIAIRES DE LA FIDUCIE FAMILIALE OZERDINC NO 2,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DE L’ORDONNANCE

La juge Lafleur

[1]  Dans mes motifs du jugement en l’espèce, la question des dépens est mise en délibéré. Les parties n’étant pas parvenues à s’entendre sur la question des dépens dans le délai prescrit, elles ont présenté leurs thèses respectives dans leurs observations écrites.

A.  L’Appel

[2]  L’appel faisait suite à la nouvelle cotisation établie à l’égard de la fiducie familiale Ozerdinc no 2 (la « fiducie ») pour l’année d’imposition 2011. Le 17 octobre 2013, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de la fiducie, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), avec ses modifications successives (la « Loi »), au titre des règles sur la présomption de disposition prévues aux paragraphes 104(4) et 104(5.8) de la Loi. Il a augmenté le revenu imposable de la fiducie de 4 035 242 $ et a par conséquent inclus l’obligation fiscale correspondante de 1 870 045,22 $ et des intérêts accumulés de 151 483,35 $. Le 15 janvier 2014, Mme Marion Kathleen Grimes et M. Ersin Ozerdinc, à titre de fiduciaires de la fiducie (l’« appelante »), ont déposé un avis d’opposition à l’avis de nouvelle cotisation. Le 5 mai 2014, l’appelante a déposé un avis d’appel en vertu de l’alinéa 169(1)b) de la Loi.

[3]  En l’espèce, il s’agissait de déterminer la juste valeur marchande au 1er février 2011, soit le jour de la disposition réputée (la « date de l’évaluation »), d’une partie des immobilisations de la fiducie, à savoir une action ordinaire de catégorie A et 2 699 900 actions privilégiées de premier rang du capital-actions de 1634158 Ontario Inc. (« Holdco »). Holdco, quant à elle, détenait toutes les actions émises et en circulation d’une société appelée Site Preparation Limited (« SPL »).

[4]  Le ministre a conclu que la juste valeur marchande des actions de Holdco détenues par la fiducie (collectivement les « actions ») s’établissait à 7 993 655 $, ventilée ainsi : 2 699 900 $ pour les 2 699 900 actions privilégiées de premier rang et 5 293 655 $ pour l’action ordinaire de catégorie A.

[5]  L’appelante a retenu les services du cabinet MNP S.E.N.C.R.L., s.r.l., pour qu’il procède à une évaluation, et ce cabinet a déterminé que la juste valeur marchande des actions s’établissait à 2 965 925 $, ventilée ainsi : 2 030 925 $ pour les 2 699 900 actions privilégiées de premier rang et 935 000 $ pour l’action ordinaire de catégorie A de Holdco (« le rapport de MNP et l’addenda »). M. Gerald S. Blackman du cabinet MNP a témoigné à l’audience.

[6]  L’intimée a convoqué deux témoins experts à l’audience, à savoir M. Timothy Spencer de l’Agence du revenu du Canada et M. Neil de Gray du cabinet Campbell Valuation Partners Limited (« CVPL »). M. Spencer a déterminé que la juste valeur marchande des actions était de 9 056 863 $, ventilée ainsi : 2 699 900 $ pour les 2 699 900 actions privilégiées de premier rang et 6 356 963 $ pour l’action ordinaire de catégorie A de Holdco (le « rapport Spencer »). Les services de M. de Gray ont été retenus pour qu’il examine et analyse le rapport de MNP et l’addenda, et il a déclaré qu’à son avis, la juste valeur marchande des actions était de 7 415 900 $, ventilée ainsi : 2 699 900 $ pour les 2 699 900 actions privilégiées de premier rang et 4 716 000 $ pour l’action ordinaire de catégorie A de Holdco (le « rapport CPVL »).

[7]  J’ai en fin de compte déterminé que la juste valeur marchande des actions était de 5 341 334 $, ventilée ainsi : 2 699 900 $ pour les 2 699 900 actions privilégiées de premier rang et 2 641 434 $ pour l’action ordinaire de catégorie A de Holdco.

B.  LES Observations des parties

1.  L’appelante

[8]  L’appelante réclame des « dépens d’indemnisation partielle » représentant de 50 % à 75 % des frais réels qu’elle a payés depuis le début de l’instance devant la Cour. Elle estime que, vu le succès relatif de son appel, le travail considérable qui a été accompli tout au long du processus et les efforts qui ont été déployés pour que le procès se déroule le plus efficacement possible, une indemnisation de ce niveau ainsi qu’une indemnisation totale pour les débours devraient lui être accordées. Plus précisément, l’appelante réclame la somme de 155 856,63 $, soit 75 % des frais payés calculés sur une base procureur-client (75 % de 207 809,10 $), plus la somme de 20 261,39 $ représentant la TVH sur la somme réclamée (13 % de 155 856,83 $).

[9]  En outre, l’appelante réclame la somme de 1 468,32 $ pour les débours effectués par l’avocat et la somme de 70 704,62 $ pour ses débours relatifs aux services d’experts du cabinet MNP S.E.N.C.R.L., s.r.l., notamment la préparation de rapports d’expert et la comparution à l’audience, c’est-à-dire 62 570,46 $ pour ces services et 8 134,16 $ pour la TVH sur ces services.

[10]  Le tableau ci-après montre le montant total des dépens réclamés par l’appelante :

Types de dépens réclamés

Montant des dépens

75 % des dépens procureur-client

(75 % de 207 809,10 $)

155 856,83 $

13 % de TVH sur les dépens procureur-client

(13 % de 155 856,83 $)

20 261,39 $

Débours effectués par les avocats de l’appelante

1 468,32 $

Débours et TVH payés par l’appelante relativement aux experts (préparation de rapports d’expert et comparution à l’audience)

70 704,62 $

Total

248 291,16 $

 

2.  L’intimée

[11]  L’intimée croit que l’appelante ne devrait pas avoir droit aux dépens, essentiellement en raison du résultat mitigé de l’appel.

C.  Analyse

[12]  L’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») confère à la Cour un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’adjudication des dépens. Cependant, la Cour doit exercer ce pouvoir en respectant les principes établis et ne doit pas l’exercer d’une manière arbitraire (Canada c. Lau, 2004 CAF 10, [2004] G.S.T.C. 5, au paragraphe 5, et Canada c. Landry, 2010 CAF 135, [2010] D.T.C. 5106, aux paragraphes 22 et 54).

[13]  La partie pertinente de l’article 147 des Règles est rédigée ainsi :

147(1) Règles générales — La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter.

(2) Des dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

a) du résultat de l’instance;

b) des sommes en cause;

c) de l’importance des questions en litige;

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

e) de la charge de travail;

f) de la complexité des questions en litige;

g) de la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance;

h) de la dénégation d’un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

i) de la question de savoir si une étape de l’instance,

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

i.1) de la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

(ii) le nombre, la complexité ou la nature des questions en litige,

(iii) la somme en litige;

j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

[…]

(4) La Cour peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l’annexe II et peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

(5) Nonobstant toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut, à sa discrétion :

a) adjuger ou refuser d’adjuger les dépens à l’égard d’une question ou d’une partie de l’instance particulière;

b) adjuger l’ensemble ou un pourcentage des dépens taxés jusqu’à et y compris une certaine étape de l’instance;

c) adjuger la totalité ou partie des dépens sur une base procureur-client.

[…]

147(1) General Principles — The Court may determine the amount of the costs of all parties involved in any proceeding, the allocation of those costs and the persons required to pay them.

(2) Costs may be awarded to or against the Crown.

(3) In exercising its discretionary power pursuant to subsection (1) the Court may consider,

(a) the result of the proceeding,

(b) the amounts in issue,

(c) the importance of the issues,

(d) any offer of settlement made in writing,

(e) the volume of work,

(f) the complexity of the issues,

(g) the conduct of any party that tended to shorten or to lengthen unnecessarily the duration of the proceeding,

(h) the denial or the neglect or refusal of any party to admit anything that should have been admitted,

(i) whether any stage in the proceedings was,

(i) improper, vexatious, or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution,

(i.1) whether the expense required to have an expert witness give evidence was justified given

(i) the nature of the proceeding, its public significance and any need to clarify the law,

(ii) the number, complexity or technical nature of the issues in dispute, or

(iii) the amount in dispute; and

(j) any other matter relevant to the question of costs.

...

(4) The Court may fix all or part of the costs with or without reference to Schedule II, Tariff B and, further, it may award a lump sum in lieu of or in addition to any taxed costs.

(5) Notwithstanding any other provision in these rules, the Court has the discretionary power,

(a) to award or refuse costs in respect of a particular issue or part of a proceeding,

(b) to award a percentage of taxed costs or award taxed costs up to and for a particular stage of a proceeding, or

(c) to award all or part of the costs on a solicitor and client basis.

...

[14]  L’adjudication des dépens n’a généralement pas pour objet de dédommager pleinement les parties des frais qu’elles ont réellement supportés (Velcro Canada Inc. c. La Reine, 2012 CCI 273, [2012] 6 C.T.C. 2049, au paragraphe 29). L’adjudication des dépens se veut compensatoire et contributive, et non punitive (Mariano c. La Reine, 2016 CCI 161, [2016] D.T.C. 1146, aux paragraphes 23 et 27 [Mariano]). Comme l’a expliqué le juge Boyle dans la décision Martin c. La Reine, 2014 CCI 50, [2014] D.T.C. 1072, au paragraphe 14 :

14  [...] La question qu’il faut se poser est la suivante : quelle serait la contribution appropriée de la partie déboutée aux dépens de la partie ayant eu gain de cause dans l’appel où la position de cette dernière l’a emporté?

[...]

[Non souligné dans l’original.]

[15]  Les observations de la juge Campbell dans la décision Invesco Canada Ltd. c. La Reine, 2015 CCI 92, [2015] G.S.T.C. 52, au paragraphe 5, sont également instructives :

5. […] Le juge Boyle, à l’occasion de l’affaire Spruce Credit Union c La Reine, 2014 CCI 42, 2014 DTC 1063, s’est livré à un examen exhaustif de la jurisprudence à ce jour en matière d’adjudication des dépens. Les grands principes qui ont été soulignés dans ces motifs sont notamment les suivants :

a)  une somme forfaitaire peut être adjugée au regard des sommes en cause, de la complexité et de l’importance des questions en litige, de la charge de travail et de l’issue de l’instance (Scavuzzo c La Reine, 2006 CCI 90, 2006 DTC 2311, Dickie c La Reine, 2012 CCI 327, 2012 DTC 1276, et Blackburn Radio Inc. c La Reine, 2013 CCI 98, 2013 DTC 1098);

b)  la Cour doit tenir compte des facteurs énoncés au paragraphe 147(3) bien que les sommes en cause et la complexité des questions en litige ne constituent pas en elles-mêmes une raison de s’écarter du tarif (Jolly Farmer Products Inc. c La Reine, 2008 CCI 693, 2009 DTC 1040);

c)  les circonstances doivent être sérieuses pour que le juge étudie la possibilité d’adjuger des dépens procureur-client (Sommerer c La Reine, 2011 CCI 212, transcription des motifs rendus oralement par conférence téléphonique le 14 juillet 2011);

d)  la majoration des dépens varie généralement de 50 à 75 pour 100 des dépens procureur-client (Zeller (Succession) c La Reine, 2009 CCI 135, 2009 DTC 1106);

e)  la majoration des dépens n’a pas un caractère punitif (General Electric Capital Canada Inc. v The Queen, 2010 TCC 490, 2010 DTC 1353), mais l’adjudication des dépens n’est pas limitée aux cas d’inconduite (Teelucksingh v The Queen, 2011 TCC 253, [2011] TCJ No 476);

f)  l’existence de circonstances exceptionnelles n’est pas nécessaire pour adjuger des dépens supplémentaires à ceux que prévoit le tarif (Velcro Canada Inc. c La Reine, 2012 CCI 273, [2012] ACI no 219).

[16]  La Cour suprême du Canada a établi, dans l’arrêt Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, à la page 134, 1993 CanLII 34 (C.S.C.), le critère suivant pour l’adjudication de dépens procureur-client : « Les dépens comme entre procureur et client ne sont généralement accordés que s’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties. » En l’espèce, je ne crois pas que l’une ou l’autre des parties ait eu une telle conduite, et l’appelante ne cherche pas à obtenir de dépens sur cette base. En conséquence, je me pencherai maintenant sur les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles pour déterminer si l’appelante devrait se voir adjuger des dépens.

1.  Le résultat de l’instance

[17]  Dans ses observations, l’appelante a déclaré que [traduction« la Cour lui a en grande partie donné gain de cause tant sur la somme en cause et que sur les questions en litige ».

[18]  Toutefois, l’intimée soutient que [TRADUCTION] « l’appel a été accueilli de telle manière que les deux parties ont partiellement obtenu gain de cause quant à la juste valeur marchande, soit une réduction d’environ 50 % de la prétention de l’intimée à l’audience et une hausse de plus de 282 % ou 2,8 fois la valeur proposée par l’appelante. » L’intimée soutient qu’en raison des résultats mitigés de l’appel, aucuns dépens ne devraient être adjugés.

[19]  Je ne souscris pas à l’observation de l’intimée. Mon estimation de la juste valeur marchande des actions à 5 341 334 $ au total était nettement plus favorable à l’appelante. D’un côté, M. Spencer avait conclu que la juste valeur marchande des actions s’élevait à 9 056 863 $, soit près du double de la valeur que j’ai déterminée. De l’autre côté, l’expert de l’appelante avait établi la juste valeur marchande à 2 966 000 $, ce qui était plus proche de ma conclusion. L’estimation de la juste valeur marchande de l’action ordinaire de catégorie A de Holdco s’avère encore plus instructive. J’ai conclu que la juste valeur marchande s’établissait à 2 641 434 $; l’expert de l’appelante avait pour sa part estimé la valeur à 935 000 $, tandis que l’expert de l’intimée avait jugé qu’elle était de 6 356 963 $.

[20]  Dans SWS Communication Inc. c. La Reine, 2012 CCI 377, au paragraphe 34, le juge Hogan a donné des directives précises quant à la partie à laquelle les dépens doivent être adjugés : l’appel devrait être considéré dans son ensemble; un juge ne devrait pas examiner séparément le résultat de chacun des arguments avancés par les parties.

[21]  Dans Donato c. La Reine, 2010 CCI 16, [2010] D.T.C. 1049, aux paragraphes 2 à 4, la juge Woods a mis l’accent sur la somme en litige sur l’ensemble des années d’imposition faisant l’objet de l’appel, et non sur chaque année à titre individuel comme s’il s’agissait de litiges distincts. La Cour d’appel fédérale a confirmé son raisonnement dans l’appel (2010 CAF 312, [2010] D.T.C. 5195).

[22]  Enfin, la décision Succession de Marjorie Zeller, agissant par ses fiduciaires Douglas Zeller et Leon Paroian c. La Reine, 2009 CCI 135, [2009] D.T.C. 1106 (voir le paragraphe 20), portait sur une question très semblable, car il s’agissait d’établir la juste valeur marchande d’actions. Dans son examen, la juge Campbell a comparé sa décision concernant la juste valeur marchande des actions à la valeur alléguée par les parties.

[23]  En conséquence, même si l’appel a été accueilli en partie seulement, on ne peut pas dire que les deux parties ont chacune obtenu partiellement gain de cause ou que le résultat est mitigé. De toute évidence, l’appelante a obtenu davantage gain de cause en ce qui concerne la somme en litige, il n’y a donc aucune raison de lui refuser l’adjudication des dépens.

2.  Les sommes en cause

[24]  La somme en litige en l’espèce s’élevait à 2 021 528,57 $, ce qui est une somme assez importante. Cette somme était constituée d’une dette fiscale de 1 870 045,22 $ et de l’intérêt sur cette somme, qui se chiffrait à 151 483,35 $. Je suis d’avis que ce facteur est favorable à l’appelante.

[25]  À titre de comparaison, dans la décision Guibord c. La Reine, 2011 CCI 53, [2011] D.T.C. 1076, au paragraphe 16 (confirmée par la CAF dans Guibord c. Canada, 2011 CAF 346, [2012] D.T.C. 5030), la juge V.A. Miller a déclaré que les sommes en cause, taxes et pénalités incluses, de 499 960,02 $, due au titre de la Loi, et de 114 034,83 $, due au titre de la Loi sur la taxe d’accise, étaient « importantes ». Dans le présent appel, il est évident que les sommes en litige sont encore plus importantes.

[26]  En outre, dans la décision Scavuzzo c. La Reine, 2006 CCI 90, [2006] 2 C.T.C. 2457, au paragraphe 9, le juge en chef Bowman a estimé que « [l]e montant en cause était considérable. Il s’agissait d’un montant de plus de 2 000 000 $. » Il s’ensuit que la somme en litige en l’espèce est importante, car les deux sommes se situent dans la même plage de valeurs.

3.  L’importance des questions en litige

[27]  L’intimée soutient que l’appel en l’espèce n’a pas de valeur jurisprudentielle importante, car il porte essentiellement sur des faits. L’appelante soutient que la disposition réputée des éléments d’actifs de la fiducie est une question d’importance fondamentale pour elle et également pour la poursuite civile en cours.

[28]  Cependant, comme l’a judicieusement expliqué le juge Hogan dans la décision Klemen c. La Reine, 2014 CCI 369, [2015] 3 C.T.C. 2114, au paragraphe 18, le fait qu’un litige puisse revêtir une importance fondamentale pour une partie ne signifie pas que la cause ait une valeur jurisprudentielle :

18  L’appelant avance qu’étant donné que les questions soulevées en appel revêtaient, pour lui, beaucoup d’importance sur le plan financier, ce facteur milite en faveur d’une adjudication de dépens plus élevés à son endroit. Toutefois, la jurisprudence semble indiquer que la question n’est pas de savoir à quel point les questions soulevées sont importantes pour le contribuable (on pourrait s’attendre à ce qu’un contribuable qui interjette appel devant la Cour canadienne de l’impôt considérerait sa cause comme revêtant une importance capitale sur le plan personnel), mais bien de savoir si la décision concernant les questions soulevées aura une valeur jurisprudentielle importante. Par exemple, voir les décisions Henco [2014 CCI 278, aux paragraphes 7 à 11] et General Electric Capital Canada Inc. v. The Queen [2010 TCC 490, [2010] D.T.C. 1353, aux paragraphes 32 et 33].

[Non souligné dans l’original.]

[29]  Dans ACSIS EHR (Electronic Health Record) Inc. c. La Reine, 2016 CCI 50, [2016] D.T.C. 1047, au paragraphe 13, la juge Campbell a déclaré ceci : « Ma conclusion était fondée principalement sur des constatations de fait, et donc ce facteur seul ne justifie pas des dépens plus élevés ou est neutre. »

[30]  Donc, comme ma conclusion concernant la juste valeur marchande des actions était essentiellement une conclusion de fait, ce facteur ne justifie pas des dépens plus élevés en faveur de l’appelante.

4.  Les offres de règlement présentées par écrit

[31]  Comme l’appelante était partie à un litige civil et qu’elle avait informé l’intimée d’entrée de jeu qu’elle ne pourrait pas présenter d’offre de règlement, je suis d’avis que ce facteur est neutre dans le présent appel.

5.  La charge de travail et la complexité des questions en litige

[32]  L’intimée soutient que la charge de travail était [traduction] « moyenne », car [traduction] « il n’a fallu que deux jours d’audience et la question à trancher était une question de fait ».

[33]  L’appelante soutient que l’appel soulevait des questions d’évaluation complexes et nécessitait la consultation d’experts. De plus, elle affirme que les services des experts ont été retenus très tôt au cours du processus et que beaucoup de travail préparatoire a été accompli avant que l’avis d’appel ne soit déposé à la Cour.

[34]  Déterminer la juste valeur marchande d’actions de sociétés privées est de toute évidence une tâche technique complexe qui demande une grande quantité de travail. Il convient de noter que les parties ont retenu les services de pas moins de trois experts pour aider la Cour.

[35]  Les rapports d’expert qui ont été déposés à l’audience étaient volumineux : le rapport de MNP et l’addenda totalisaient 78 pages, le rapport Spencer comptait 36 pages et le rapport CVPL, 42 pages. La Cour a entendu les trois experts. Mes motifs du jugement comptaient 55 pages et 189 paragraphes et comprenaient des annexes constituées de longs calculs détaillés. Dans l’ensemble, le litige a soulevé des questions très complexes.

[36]  En outre, l’appelante a déboursé au total 207 809,10 $ en services juridiques. Elle a décrit en détail les principales tâches que ses avocats ont accomplies. Elle a également fait état de la contribution des experts, soit un coût total de 70 704,62 $ (TVH comprise), en s’appuyant sur la liste des tâches accomplies et un total estimé de 120 heures consacrées à la rédaction des rapports d’expert et à la préparation de l’audience. Il ne semble pas qu’il y ait eu de manque de communication entre les parties et leurs avocats respectifs qui ait entraîné une hausse de ces coûts. À l’audience, Mme Grimes m’a semblé être une personne à la fois bien organisée et ayant l’esprit pratique.

[37]  On accorde généralement beaucoup d’importance à ce facteur dans l’adjudication des dépens. Comme l’a expliqué la juge Woods dans la décision Blackburn Radio Inc. c. La Reine, 2013 CCI 98, [2013] D.T.C. 1098, au paragraphe 14 :

14  Dans les litiges de nature fiscale, le travail que comportent ces derniers entre de plus en plus en ligne de compte lors de l’adjudication des dépens. Cette question a également été étudiée dans un litige en matière de propriété intellectuelle : Consorzio Del Prosciutto Di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417 (Maple Leaf Meats).

[38]  Il ne fait aucun doute, vu la complexité des questions soulevées dans le présent appel, que chacune des parties a dû travailler considérablement pour bien se préparer à la tenue du procès. En conséquence, la thèse de l’intimée n’est pas fondée.

6.  La conduite des parties

[39]  L’appelante soutient qu’elle a pris des initiatives afin [traduction« d’accélérer le déroulement de l’instance ». Elle ajoute que [traduction] « [l]es parties ont convenu de préparer un exposé conjoint des faits ». En outre, l’appelante déclare qu’elle [traduction] « a consacré beaucoup de temps et de ressources à la présentation d’un dossier documentaire complet et d’observations à toutes les étapes de la vérification et de l’appel » et que, même si [traduction] « les dépenses se rapportant à une période antérieure à l’avis d’appel ne sont habituellement pas pertinentes pour les observations liées aux dépens », le travail fait à ce moment s’est avéré assez important et a influé sur les arguments présentés lors du procès.

[40]  En fait, la Cour encourage vivement cette façon de faire et sait gré aux parties d’agir ainsi. Cependant, dans le présent appel, cela ne suffit pas, en soi, à justifier l’adjudication des dépens.

[41]  Comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c. Martin, 2015 CAF 95, [2015] 4 C.T.C. 73, aux paragraphes 18 à 21 (demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada rejetée avec dépens ([2015] C.S.C.R. no 233)), la conduite des parties avant l’instance n’est généralement pas un facteur dont la Cour tient compte au moment de déterminer les dépens :

18  La jurisprudence est bien fixée : dans certains cas exceptionnels, il est possible de tenir compte d’un comportement antérieur à l’instance, si ce comportement a pour effet de prolonger indûment et inutilement l’audience. Voir, par exemple : Merchant c. Canada, 2001 CAF 19, 267 N.R. 186, paragraphe 7; Canada c. Landry, 2010 CAF 135, 404 N.R. 255, paragraphe 25.

19  Ainsi, à l’occasion de l’affaire Merchant, la Cour de l’impôt a tenu compte, au moment de l’adjudication des dépens, de la conduite du contribuable lors des étapes de la vérification et de l’opposition, étant donné les répercussions que cette conduite avait eues sur le déroulement de l’audience. Le juge de première instance a conclu qu’une audience qui n’aurait dû durer qu’un jour s’était prolongée pendant sept jours : Merchant c. Canada, [1998] A.C.I no 278, 98 DTC 1734, paragraphe 59.

20  Ce pouvoir discrétionnaire de prendre en compte le comportement antérieur à l’instance doit cependant être exercé dans le cadre des règles de la Cour de l’impôt. En l’espèce, il convient d’appliquer l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a.

21  L’article 147 est reproduit en annexe des présents motifs. En résumé, l’article 147 autorise la Cour de l’impôt à fixer les frais et dépens à l’égard des parties à l’« instance » (paragraphe 147(1)). Le terme « instance » est défini à l’article 2 comme étant « [u]n appel ou un renvoi ». Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière de dépens, la Cour de l’impôt peut tenir compte de nombreux facteurs, y compris la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’« instance » (alinéa 147(3)g)) et la question de savoir si une étape de l’« instance » était inappropriée, vexatoire ou inutile (sous‑alinéa 147(3)i)(i)). La Cour de l’impôt peut, à sa discrétion, adjuger ou refuser d’adjuger les dépens à l’égard d’une question ou d’une « partie de l’instance » (alinéa 147(5)a)).

[Non souligné dans l’original.]

[42]  Le présent appel ne présentait aucune « circonstance exceptionnelle » justifiant la prise en compte de la conduite des parties avant le début de l’instance devant la Cour, puisque cette conduite n’a pas eu de répercussions importantes sur le procès. Par conséquent, la thèse de l’appelante à cet égard ne peut être retenue.

[43]  Enfin, selon l’appelante, l’intimée a prolongé inutilement l’instance :

1)  en faisant abstraction des observations de fait de l’appelante;

2)  en insistant pour que le témoin de l’appelante soit soumis à un second interrogatoire préalable;

3) en refusant la tenue d’une réunion préalable au procès des experts en évaluation retenus par les parties;

4)  en faisant valoir à la dernière minute des points qui auraient pu être soulevés avant, de sorte que [traduction] « l’appelante s’est vue placée dans l’impossibilité de contester effectivement les observations formulées ».

[44]  Je ne suis pas convaincue que la conduite de l’intimée était déraisonnable (Henco Industries Limited c. La Reine, 2014 CCI 278, [2014] D.T.C. 1205, au paragraphe 20).

[45]  Dans ses observations, l’avocat de l’intimée a affirmé que l’appelante avait prolongé inutilement la durée de l’audience à cause, dans ses mots, d’un contre-interrogatoire redondant, d’une objection sans fondement relativement à la compétence de l’expert de l’intimée travaillant à l’Agence du revenu du Canada, ainsi que du témoignage excessivement long de Mme Grimes.

[46]  Je ne suis pas d’accord. Le contre-interrogatoire mené par les avocats de l’appelante a été plutôt efficace; en outre, le témoignage de Mme Grimes n’était pas long.

7.  Le caractère justifié des témoignages d’expert

[47]  L’intimée n’a pas présenté d’observations à la Cour relativement à ce facteur.

[48]  L’appelante a déclaré que [traduction] « [l]es deux parties s’étaient beaucoup appuyées sur les témoignages des experts. L’utilité de ces témoignages ne semble pas être contestée ».

[49]  Comme je l’ai mentionné précédemment, dans le présent appel, l’aide des experts était nécessaire et s’est avérée extrêmement utile en raison de la complexité des questions soulevées et de l’importance des sommes en jeu. Ce facteur fait également pencher la balance en faveur de l’adjudication de dépens à l’appelante.

[50]  En outre, le nombre d’experts qui ont témoigné n’était absolument pas déraisonnable, là encore en raison de la complexité des questions soulevées et de l’importance des sommes en jeu.

D.  Conclusion

[51]  Compte tenu de tous les facteurs examinés ci-dessus et puisque les dépens ne devraient pas être adjugés sur une base procureur-client, je conclus que l’appelante a droit à des dépens supérieurs à ce que prévoit le tarif.

[52]  Je conclus également que les dépens pour les honoraires des experts réclamés par l’appelante sont raisonnables eu égard au temps de préparation nécessaire en raison de la complexité des questions en litige et à la contribution des experts à l’issue du présent appel (General Electric Capital Canada Inc. v. The Queen, 2010 TCC 490, [2010] D.T.C. 1353, aux paragraphes 41 à 43; Mariano, précitée, au paragraphe 15).

[53]  L’appelante demandait 75 % des dépens procureur-client, plus les débours et la TVH. Dans les circonstances, il me paraît raisonnable, approprié et juste de lui adjuger environ 25 % des dépens procureur-client plus les débours. Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’appelante a droit à une somme forfaitaire de 52 000 $, plus la TVH applicable, ainsi qu’à 100 % des débours qui sont constitués d’une somme de 62 570,46 $ pour les honoraires des experts ainsi que la TVH applicable et d’une somme de 1 468, 32 $ (TVH incluse) pour les débours effectués par l’avocat de l’appelante.

Signé à Toronto (Ontario), ce 15e jour de juin 2017.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour d’août 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 113

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-2006(IT)G

INTITULÉ :

KATHLEEN GRIMES ET ERSIN OZERDINC, FIDUCIAIRES DE LA FIDUCIE FAMILIALE OZERDINC NO 2 c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 8 et 9 juin 2016

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Dominique Lafleur

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 15 juin 2017

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Paul C. LaBarge

Me Estelle Duez

Avocats de l’intimée :

Me Pascal Tétrault

Nicholas MacDonald (stagiaire)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Noms :

Me Paul C. LaBarge

Me Estelle Duez

Cabinet :

LaBarge Weinstein LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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