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Dossier : 2014-3457(IT)G

ENTRE :

FENG LIU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 17 février 2017, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Tony Cheung

 

JUGEMENT

  CONFORMÉMENT aux motifs du jugement ci-joints, la COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. L’appel concernant les années d’imposition 2010 et 2011 est accueilli pour les motifs suivants :

  • a) les revenus d’entreprise non déclarés de l’appelant sont de 65 865,63 $ et de 43 011 $ pour les années d’imposition 2010 et 2011, respectivement;

  • b) les dépenses d’entreprise de l’appelant qui ont été refusées s’élèvent à 10 175,18 $ et à 44 156,21 $ pour les années d’imposition 2010 et 2011, respectivement;

  • c) les pénalités pour faute lourde imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1, sont annulées.

  1. Il n’y aura aucune adjudication de dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de juin 2017.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour d’août 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2017 CCI 117

Date : 20170621

Dossier : 2014-3457(IT)G

ENTRE :

FENG LIU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

I. INTRODUCTION ET QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[1]  L’appelant, M. Liu, exploite une entreprise de chauffage et de climatisation, entreprise à propriétaire unique appelée Sun Star Enterprises (« Sun Star »).

[2]  Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. Liu pour les années d’imposition 2010 et 2011. Le nouvel avis de cotisation comprend des revenus non déclarés et des dépenses refusées. Voici les montants faisant l’objet des nouvelles cotisations révisées :

Année d’imposition

Revenus d’entreprise non déclarés

Dépenses d’entreprise refusées

2010

76 665 $

17 297 $

2011

43 011 $

53 782 $

[3]  Le ministre a également imposé des pénalités pour faute lourde en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1, dans sa version modifiée (la « LIR » ou la « Loi »), à l’égard des revenus non déclarés et des dépenses refusées.

a)  Méthode de la nouvelle cotisation établie sur un nouveau fondement

[4]  Le ministre a établi la nouvelle cotisation sur un nouveau fondement en vertu des paragraphes 152(7) et (8) de la Loi. Le ministre soutient qu’il était nécessaire de procéder ainsi, car les livres et registres de M. Liu étaient désordonnés : il n’y avait ni registre fiable des rentrées de fonds ni preuve des dépenses effectuées au titre de paiements aux fournisseurs. Une analyse des dépôts bancaires a été effectuée. Selon le témoin de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») présent au procès, la méthode utilisée était la suivante :

Dépôts inexpliqués dans les comptes bancaires personnel et d’entreprise

Moins

(-)

Revenus d’entreprise déclarés

Moins

(-)

TPS/TVH applicables

Égal

(=)

Montant des revenus non déclarés

[5]  Par ailleurs, lorsque M. Liu a produit des factures, des reçus ou des récépissés pour des débours et des dépenses d’entreprise, le ministre a, en général, révisé la nouvelle cotisation pour réduire les revenus non déclarés ou augmenter les dépenses, selon le cas.

b)  Documents supplémentaires concernant des dépenses précises

[6]  Pendant le procès, M. Liu a affirmé qu’il existait des dépenses supplémentaires précises pour lesquelles il était en mesure de produire (mais pas au cours du procès) des factures payées aux fournisseurs et d’autres factures pour des dépenses liées à l’entreprise. Ces dépenses comprenaient des frais de bureau, de repas et de représentation, de publicité, d’assurance automobile et commerciale, de réparations automobiles, de carburant, de stationnement et de téléphone cellulaire (les « dépenses précises »). Le ministre n’avait par ailleurs pas déduit ces montants.

[7]  À cette étape de l’instance, M. Liu a reconnu sa responsabilité à l’égard des nouvelles cotisations relativement aux revenus non déclarés. Il devait remédier à son défaut de tenir des registres et des livres de manière conforme. En raison des nouvelles cotisations et du processus d’appel, il a appris qu’il devait modifier sa façon de procéder. Toutefois, il a insisté sur le fait qu’il tenait un registre des dépenses précises. En outre, il a mentionné qu’il comprenait maintenant l’importance de produire ces documents. Il a indiqué qu’il produirait des registres pour certaines dépenses précises après la date fixée pour l’audition de l’appel. Bien que cette demande fut assez exceptionnelle, l’avocat de l’intimée ne s’y est pas opposé. Une ordonnance postérieure à l’audience a été rendue enjoignant à M. Liu de produire, dans un délai de 30 jours, des factures et des reçus ainsi que de courtes observations relativement aux dépenses précises mentionnées à l’audience. Il devait remettre des copies identiques à la Cour et à l’avocat de l’intimée.

[8]  L’intimée s’est vu accorder 15 jours pour répondre une fois qu’elle aurait reçu ces documents, après quoi la Cour rendrait sa décision. Ces dépenses précises concernaient seulement la deuxième question en litige, soit les dépenses refusées.

c)  Retrait de fonds du régime enregistré d’épargne-retraite dans le cadre du régime d’accession à la propriété

[9]  Une question distincte concernant un retrait de fonds du régime enregistré d’épargne-retraite dans le cadre du régime d’accession à la propriété indiqué dans la déclaration de revenus de M. Liu pour l’année 2010 a été soulevée devant la Cour. M. Liu a joint à sa déclaration de revenus de 2010 un feuillet T4RSP indiquant une somme de 8 046,17 $. La déclaration aurait été préparée par un spécialiste en déclarations de revenus. Le montant a été inclus à la ligne 247 de l’annexe 7 mentionnant un retrait de fonds du REER dans le cadre du régime d’accession à propriété de l’appelant. Le feuillet T4RSP correspond à un tel retrait à cet égard. M. Liu a déclaré avoir acheté une maison en 2010 et avoir effectué un retrait de fonds du régime enregistré d’épargne-retraite dans le cadre du régime d’accession à la propriété. La Cour ajoute foi à ce témoignage et s’appuie sur la mention « retrait RAP » sur le feuillet T4. Le témoin de l’ARC a également décrit le montant exact du retrait comme étant un dépôt inexpliqué. L’intimée n’a produit aucune preuve contraire. À l’audience, il est également clairement ressorti des observations de l’intimée et des éléments de preuve soumis par l’ARC que ce retrait avait été inclus dans la cotisation établie sur un nouveau fondement à titre de revenu non déclaré. Ce montant n’a pas par la suite été exclu dans les concessions de l’intimée donnant lieu à une nouvelle cotisation réduite présentée à la Cour. Par conséquent, pour l’année 2010, la Cour réduit le revenu non déclaré ayant fait l’objet d’une cotisation établie sur un nouveau fondement d’un montant de 8 046,17 $, qui, suivant les dispositions de la Loi, ne doit pas être inclus dans le revenu au cours de l’année pendant laquelle le retrait a été utilisé pour l’achat d’une maison.

[10]  Il reste trois autres questions en litige dont la Cour est saisie, soit le revenu non déclaré, les dépenses refusées et les pénalités pour faute lourde.

II. AUDIENCE, PREUVE EN GÉNÉRAL ET QUESTIONS PRINCIPALES

a)  Revenu non déclaré

[11]  Au cours des étapes de vérification, de présentation des observations et d’audition à l’égard de la nouvelle cotisation, M. Liu a eu la possibilité de soumettre des livres et des registres étayant son revenu déclaré. Il n’a produit aucun registre.

[12]  Quant à la méthode précise utilisée par le ministre à l’égard de la cotisation établie sur un nouveau fondement, M. Liu n’a pas contesté les calculs utilisés. Le témoignage du témoin de l’ARC n’a pas faibli et est demeuré incontesté quant à la méthode utilisée par le ministre et à sa nécessité. Même si M. Liu a beaucoup insisté sur les dépôts de loyer liés à un bien immeuble qui lui appartenait, le ministre a pris en compte le revenu de location déclaré. D’autres loyers non déclarés constitueraient tout de même un revenu non déclaré, que ce revenu soit tiré d’un bien ou d’une entreprise. De plus, M. Liu n’a produit en preuve aucune entente de location, aucun reçu de loyer, ni aucune copie de chèques de locataires pour appuyer davantage son affirmation quant à l’existence de dépôts liés à un revenu déclaré.

[13]  Pour ce qui est des sources de revenus non imposables, M. Liu a déclaré avoir emprunté la somme de 22 000 $ en 2011. M. Liu n’a produit aucun billet à ordre, aucun chèque, ni aucune écriture pour mémoire concernant le prêteur, la durée du prêt ou le taux d’intérêt.

[14]  Dans la décision Golden c. La Reine, 2009 CCI 396, le juge Boyle a résumé la stratégie d’un contribuable en vue de contester la cotisation établie sur un nouveau fondement en ces termes :

[11] Dans le cas de la cotisation fondée sur l’avoir net, le contribuable peut contester la nécessité de celle-ci ou faire valoir la méthode la plus appropriée pour calculer le revenu d’une source donnée. En l’espèce, ce n’est pas ce que fait le contribuable. Lorsqu’il conteste effectivement la nécessité d’une cotisation ou la méthode de calcul, il doit réussir à démontrer à la satisfaction de la Cour, documents, registraires et autres éléments de preuve crédibles à l’appui, quels sont ses revenus tirés de la source ou des sources en cause. En l’espèce, le contribuable n’a pas fait cette démonstration ni établi les fondements de sa preuve à cet égard.

[12] Pour le contribuable, le seul autre choix est de contester des aspects précis des calculs de la cotisation fondée sur l’avoir net.

[15]  Dans le présent appel, aucune preuve contraire n’a été présentée par M. Liu afin de contester la méthode utilisée et sa justification ou les sources de revenus non imposables ayant fait l’objet de la cotisation du ministre établie sur un nouveau fondement. Tout bien considéré, la Cour conclut que M. Liu avait des revenus non déclarés s’élevant à 65 865,63 $ (incluant la réduction à l’égard du régime d’accession à la propriété) et à 43 011 $ pour les années d’imposition 2010 et 2011, respectivement.

b)  Dépenses supplémentaires précises

(i)  Dépôt de documents par M. Liu, après le procès, relativement à des dépenses précises

[16]  L’ordonnance de la Cour postérieure à l’audience donnait précisément à M. Liu la possibilité de présenter des documents renvoyant à des dépenses précises liées à des catégories précises, soit les frais de bureau, de repas, de représentation, de publicité, d’assurance commerciale et automobile, de réparations automobiles, de carburant, de stationnement et de téléphone cellulaire (les « catégories décrites »). Ces documents devaient prendre la forme de reçus, de factures ou d’autres documents, tels qu’ils ont été décrits dans le témoignage de M. Liu lors du procès.

[17]  Dès réception des documents liés aux dépenses précises, il était clair que M. Liu avait dépassé le cadre de cette autorisation déjà exceptionnelle qui lui avait été accordée de présenter des documents après la date de tenue de l’audience. À l’audience, la Cour avait limité les dépenses précises à celles figurant dans les catégories décrites. L’avocat de l’intimée a consenti à l’examen par la Cour des documents portant sur les dépenses précises incluses dans les catégories spécifiques, mais rien de plus. M. Liu a également confirmé qu’il était d’accord avec ce processus. En conséquence, les documents et les résumés concernant les frais d’intérêt de cartes de crédit, les livres et les cadeaux ont été exclus de l’examen effectué par la Cour. Les parties ont consenti à une telle démarche et cette dernière a constitué le fondement de l’ordonnance connexe postérieure à l’audience. La Cour abordera séparément la question des frais d’Internet supplémentaires.

(ii)  Examen des dépenses précises

[18]  En ce qui a trait au reste des dépenses précises se rapportant aux catégories particulières, la Cour a effectué un examen des documents supplémentaires par catégorie. Ce faisant, la Cour a admis les dépenses lorsque les documents rattachés suivants prouvaient, selon toute vraisemblance, qu’une dépense avait été engagée pour générer ou gagner un revenu pour Sun Star :

(i)  des paiements effectués au moyen d’une carte de crédit pour l’achat d’une fourniture précise auprès d’un fournisseur, comme des frais de carburant à une station-service;

(ii)  un relevé bancaire identifiant le bénéficiaire d’un paiement lié à une dépense d’entreprise habituelle, comme une assurance commerciale;

(iii)  des factures précises provenant des fournisseurs habituels indiquant des fournitures d’entreprise usuelles, comme de la papeterie, de l’outillage et du matériel informatique;

(iv)  des factures identifiant l’entreprise Sun Star comme l’acquéreur de fournitures ou de services normalement associés à une entreprise, par exemple la publicité dans les pages jaunes.

a.  Inclusion d’un pourcentage des dépenses liées à un véhicule

[19]  À l’audience, M. Liu a déclaré qu’il utilisait son automobile pour l’entreprise 70 % du temps. L’avocat de l’intimée a fait valoir qu’un maximum de 70 % de ces dépenses était déductible à juste titre en tant que dépenses associées à un véhicule. Ces dernières comprennent logiquement l’assurance automobile, les réparations du véhicule, le stationnement et le carburant. Sur cette base, seulement 70 % de la valeur de ces dépenses a été inclus dans la déduction des dépenses précises liées au véhicule automobile.

b.  Inclusion d’un pourcentage pour les repas

[20]  De même, la Loi ne permet de déduire que 50 % des frais de repas puisque le contribuable doit tenir compte du fait qu’il consomme des aliments à titre personnel. Ce taux d’inclusion est expressément prévu au paragraphe 67.1(1) de la Loi.

c.  Inclusion des frais d’Internet

[21]  Pendant le procès, M. Liu n’a pas expressément affirmé que les frais d’Internet étaient inclus dans les dépenses précises. Cependant, il est probable qu’une certaine confusion régnait quant à la provenance de cette dépense. Le fournisseur Internet de M. Liu était également son fournisseur de services de téléphonie cellulaire. Les factures présentent une similitude frappante. Tant les factures d’Internet que celles des services de téléphonie cellulaire ont été soumises. M. Liu est abonné aux deux services. La Cour a également reconnu l’existence d’un montant se rapportant à l’usage personnel d’Internet, également utilisé par d’autres membres de la famille. De nos jours, toutefois, les entreprises ne peuvent pas fonctionner sans Internet. Selon la preuve présentée et en fonction de cette réalité, il est raisonnable que la Cour permette la déduction de 50 % des frais d’Internet engagés par M. Liu pour lesquels il a produit des factures ou d’autres preuves de dépenses.

(iii)  Calculs des dépenses supplémentaires précises

[22]  Le tableau suivant illustre les déductions admises par la Cour relativement aux dépenses supplémentaires d’entreprise engagées par M. Liu au cours des années d’imposition 2010 et 2011.

2010

Catégorie déterminée

Dépenses précises

Taux d’inclusion

Dépenses supplémentaires d’entreprise admises

Carburant

3 842,46 $

70 %

2 689,72 $

Réparation automobile

1 199,45 $

70 %

839,62 $

Assurance automobile

2 265,70 $

70 %

1 585,99 $

Stationnement

59,56 $

70 %

41,69 $

Frais de bureau et fournitures

546,95 $

100 %

546,95 $

Assurance commerciale

204,27 $

100 %

204,27 $

Publicité

56,60 $

100 %

56,60 $

Repas

409,32 $

50 %

204,66 $

Internet

1 149,84 $

50 %

574,92 $

Téléphone cellulaire

377,40 $

100 %

377,40 $

Total

10 111,55 $

-

7 121,82 $

2011

Catégorie déterminée

Dépenses précises

Taux d’inclusion

Dépenses supplémentaires d’entreprise admises

Carburant

7 103,88 $

70 %

4 972,72 $

Réparation automobile

-

70 %

-

Assurance automobile

3 277,08 $

70 %

2 293,96 $

Stationnement

56,85 $

70 %

39,80 $

Frais de bureau et fournitures

21,16 $

100 %

21,16 $

Assurance commerciale

346,90 $

100 %

346,90 $

Publicité

878,67 $

100 %

878,67 $

Repas

342,01 $

50 %

171,01 $

Internet

979,20 $

50 %

489,60 $

Téléphone cellulaire

411,96 $

100 %

411,96 $

Total

13 417,71 $

-

9 625,78 $

[23]  M. Liu a donc le droit de déduire les dépenses supplémentaires d’entreprise susmentionnées. Selon les éléments de preuve, l’ARC n’avait pas autorisé ces dépenses auparavant dans le cadre de la cotisation établie sur un nouveau fondement. M. Liu a produit les factures. L’avocat de l’intimée a convenu avec la Cour que ces factures devraient être acceptées lorsqu’elles indiquent ce qui, tout bien pesé, constitue des dépenses raisonnables d’entreprise. Par conséquent, le témoignage de M. Liu ainsi que les documents étayant ce témoignage sont acceptés.

[24]  Au total, M. Liu a le droit de déduire les dépenses supplémentaires d’entreprise de 7 121,82 $ pour 2010 et de 9 628,78 $ pour 2011.

c)  Pénalités pour faute lourde

[25]  Il reste à trancher la question des pénalités pour faute lourde.

(i) Éléments de preuve

a.  Observations et éléments de preuve présentés par l’intimée

[26]  L’avocat de l’intimée a indiqué que le principal facteur servant à trancher la question de la faute lourde dans l’appel est l’importance du revenu non déclaré et des dépenses d’entreprise refusées. Bien que l’intimée ait fait une concession importante concernant le revenu de 2010, une telle concession n’a pas été faite pour 2011.

b.  Changement de l’importance

[27]  En ce qui concerne ces concessions et les conclusions de la Cour, l’importance peut être résumée comme suit :


Année et catégorie

Nouvelle cotisation initiale portée en appel

Concession faite par l’intimée avant ou pendant le procès

Réductions du revenu ou  dépenses supplémentaires précises

Résultat après l’appel

Revenu non déclaré pour 2010

114 830 $

(40 918 $)

(8 046,17 $) Régime d’accession à la propriété

65 865,63 $

Dépenses refusées pour 2010

17 297 $

Zéro

(7 121,82 $) Dépenses supplémentaires précises

10 175,18 $

Revenu non déclaré pour 2011

43 011 $

Zéro

Zéro

43 011 $

Dépenses refusées pour 2011

166 685 $

(112 903,01 $)

(9 625,78 $) Dépenses supplémentaires précises

44 156,21 $

[28]  De façon générale, sauf pour 2011, on constate que, pour chaque année d’imposition, catégorie de revenu non déclaré et dépense refusée, un ajustement assez important des montants ayant fait l’objet d’une cotisation établie sur un nouveau fondement a été apporté en faveur de M. Liu.

  c.  Omission involontaire

[29]  En ce qui a trait aux pénalités restantes, la question est de savoir si le fait d’avoir omis des revenus non déclarés et d’avoir déclaré des dépenses non-engagées était volontaire ou s’il découle de circonstances équivalant à faute lourde. Selon les éléments de preuve présentés par le témoin de l’intimée et confirmés par M. Liu, la question de l’omission volontaire du revenu ou de la présentation erronée des dépenses n’a pas été invoquée. De plus, la preuve n’étayait pas une conclusion d’omission volontaire du revenu ou d’exagération des dépenses. Il reste à déterminer si les actions ou les omissions de M. Liu, dans les circonstances, équivalent à une faute lourde.

(ii) Droit applicable

a.  La Loi

[30]   Le paragraphe 163(2) de la Loi se lit comme suit :

(2) Faux énoncés ou omissions – Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [...].

[31]  Deux éléments doivent nécessairement être prouvés avant de rendre un contribuable passible des pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi :

(i)  un faux énoncé dans une déclaration;
(ii)  une faute lourde.

[32]  L’existence d’un faux énoncé dans la déclaration de revenus n’est pas remise en question. M. Liu a admis ses erreurs.

b.  Sens de l’expression « faute lourde »

[33]  En ce qui concerne la faute lourde, le critère est plus nuancé. Dans la décision Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314, 84 DTC 6247 (C.F. 1re inst.) CTC 223, la « faute lourde » a été définie en ces termes par le juge Strayer :

La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. [Non souligné dans l’original.]

[34]  La décision d’imposer des pénalités dans le cadre de chaque appel découle directement des éléments de preuve soumis à la Cour dans chaque cas. Cette conclusion est entièrement fondée sur les circonstances, les faits et les questions en litige dont la Cour est saisie, à la clôture de la preuve. Le fardeau ou la charge de la preuve de la faute lourde incombe au ministre qui doit appliquer la norme de la prépondérance des probabilités.

c.  La faute lourde inclut l’« aveuglement volontaire »

[35]   Il est également bien établi que la faute lourde peut comprendre l’« aveuglement volontaire ». La notion d’« aveuglement volontaire », bien connue en droit pénal, a été expliquée par le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128, au paragraphe 112. Selon la règle, si une partie qui a des soupçons omet délibérément de se renseigner davantage parce qu’elle désire demeurer dans l’ignorance, elle est réputée être au courant. Il y a « aveuglement volontaire » lorsqu’une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité, préférant rester dans l’ignorance.

[36]  La notion d’« aveuglement volontaire » est applicable aux affaires fiscales : voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. Villeneuve, 2004 CAF 20, au paragraphe 6, et l’arrêt Panini c. Canada, 2006 CAF 224, au paragraphe 43. Dans l’arrêt Panini, le juge Nadon a clairement indiqué que la notion d’« aveuglement volontaire » est incluse dans celle de la « faute lourde », au sens où cette expression est utilisée au paragraphe 163(2) de la Loi. Il a déclaré ce qui suit :

43 [...] le droit imputera une connaissance au contribuable qui, dans des circonstances qui lui commanderaient ou lui imposeraient de s’enquérir de sa situation fiscale, refuse ou néglige de le faire sans raison valable.

d.  Analyse juridique de la faute lourde

[37]  Il a été décidé que, pour établir la distinction entre la négligence « ordinaire » et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs, à savoir :

a)  l’importance de l’omission relative au revenu déclaré;

b)  la faculté du contribuable de découvrir l’erreur;

c)  le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente;

d)  l’effort réel de se conformer à la loi.

[38]  Aucun facteur n’est prédominant. Il faut accorder à chacun de ces facteurs le poids qui lui convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve (voir la décision DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545, au paragraphe 11; la décision Bhatti c. La Reine, 2013 CCI 143, au paragraphe 24; et la décision McLeod c. La Reine, 2013 CCI 228, au paragraphe 14).

(iii)  Facteurs relatifs à la faute lourde par rapport à la preuve

[39]  Puisqu’aucun facteur ne prédomine, la Cour choisit d’analyser les facteurs dans l’ordre suivant :

a.  Le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente

[40]  M. Liu ne disposait pas des connaissances ou de l’expérience nécessaires en matière de fiscalité et de comptabilité. Il a témoigné en ce sens. Le vérificateur de l’ARC n’avait aucune connaissance de ce fait, ce qu’il a indiqué dans son rapport sur les pénalités. L’intimée n’a présenté aucun élément de preuve à l’audience donnant à penser que M. Liu avait d’autres connaissances ou un niveau de connaissance ou de compétence moyen à ce chapitre. M. Liu a admis qu’il avait dû apprendre dans ce domaine, et qu’il avait depuis appris beaucoup au sujet du respect des obligations fiscales et de la tenue des dossiers d’entreprise. La Cour croit que M. Liu était un commerçant et un fournisseur de services et de systèmes de chauffage et de climatisation compétent. En revanche, on ne peut certainement pas vanter ses compétences en affaires ou ses compétences pour ce qui est de ses systèmes de comptabilité et de tenue de dossiers.

b.  Faculté du contribuable de découvrir l’erreur

[41]  Les erreurs dans les déclarations de revenus et la capacité de déceler ces erreurs doivent être analysées dans le contexte des comparaisons factuelles entre les montants qui ont initialement fait l’objet d’une cotisation établie sur un nouveau fondement par le ministre et les montants définitifs à inclure dans le revenu imposable dont l’existence a été découverte à la conclusion des concessions de l’intimée, du retrait des erreurs de cotisation et de la déduction convenue des dépenses précises du revenu d’entreprise. Parallèlement à la nature pour le moins complexe des déclarations de revenus englobant le revenu d’emploi, le revenu et les dépenses d’entreprise, le revenu de location et les transferts de crédits d’impôt à l’épouse, la possibilité pour M. Liu de découvrir  les erreurs n’était pas une chose simple même après avoir examiné la déclaration de revenus préparée par le tiers.

c.  Effort réel de se conformer à la loi

[42]  M. Liu a déclaré avoir tenté de se conformer au processus dans la mesure de ce qu’il comprenait. Il a embauché un comptable. Il a fourni les renseignements qu’il a recueillis et conservés. Il a produit ses déclarations de revenus. Il a payé l’impôt indiqué. Toutefois, ses lacunes en matière de tenue de livres et de registres étaient évidentes, ce qui a été à l’origine de la cotisation établie sur un nouveau fondement et de l’importance corrélative de la valeur imposable des revenus non déclarés et des dépenses refusées. C’était également la raison pour laquelle M. Liu, grâce à l’indulgence de l’avocat de l’intimée, a pu produire et déduire, à la dernière minute, certaines dépenses précises de l’entreprise. Il était en possession de nombreuses factures justifiant ces dépenses, mais ces factures n’étaient absolument pas organisées. Un tel effort pour s’acquitter de ses obligations est survenu bien après coup, une fois révélés la nécessité et le processus, même si cela découle de la méconnaissance et de la naïveté.

d.  Ampleur de l’omission

[43]  L’ampleur et l’importance de l’omission ont évolué. Le rapport sur les pénalités a souligné l’ampleur des écarts comme étant le fondement principal et primordial de l’imposition de pénalités pour faute lourde. Dans ses observations, l’avocat de l’intimée a déclaré que [traduction] « l’importance est le seul facteur » à prendre en compte en ce qui concerne les pénalités.

[44]  Le tableau ci-dessous illustre l’évolution des montants de revenus non déclarés et de dépenses refusées, depuis la préparation du rapport sur les pénalités jusqu’à la décision finale rendue par la Cour. Le tableau comprend les pourcentages arrondis mis en corrélation avec l’obligation fiscale finale constatée par la Cour en lien avec la dette fiscale initialement établie par le ministre.

Année d’imposition et catégorie

Cotisation  initiale établie sur un nouveau fondement d’après le rapport sur les pénalités

Montant de la réduction du revenu et de l’augmentation des dépenses

Montant total des revenus non déclarés et des dépenses refusées

Revenus d’entreprise et dépenses déclarés

Pourcentage des montants non déclarés par rapport aux montants déclarés

Réduction en pourcentage de la cotisation initiale après l’appel

Revenu non déclaré pour 2010

114 830 $

(48 964,17 $)

65 865,63 $

47 577,19 $

138 %

43 %

Dépenses refusées pour 2010

17 297 $

(7 121,82 $)

10 175,18 $

18 806,55 $

54 %

41 %

Revenu non déclaré pour 2011

43 011 $

Zéro

43 011 $

186 663 $

23 %

0 %

Dépenses refusées pour 2011

166 685 $

(122 528,79 $)

44 156,21 $

168 752 $

26 %

74 %

[45]  Comme toujours, il est difficile pour la Cour de déterminer les pénalités en l’absence de preuve de connaissance ou d’intention véritable de la part du contribuable. Les calculs ci-dessus et la preuve soumise à la Cour révèlent les efforts vains d’un petit entrepreneur qui travaillait dur et qui était complètement perdu dans la comptabilité et les registres d’une entreprise qu’il possédait et exploitait seul. À la fin de la présentation de la preuve et des conclusions, les omissions de déclaration de revenus et l’inclusion de dépenses et de frais sans pièces justificatives subsistent. Toutefois, les montants déclarés initialement (admis par l’intimée et prouvés par l’appelant) minent, par accumulation, une conclusion selon laquelle, de fait, il existait un degré élevé d’insouciance et d’indifférence.


Conclusion

[46]  Compte tenu de l’analyse des facteurs susmentionnés, la Cour hésite à conclure que M. Liu ne se souciait pas du respect de la loi ou faisait preuve d’une insouciance allant jusqu’au comportement répréhensible. C’est un homme simple qui a admis ses manquements et a tenté de se conformer à la loi, mais qui, en raison de son ignorance, de son manque de connaissances et de son inexpérience, n’y est pas parvenu. Les registres et les factures existent bel et bien, mais ils ont été égarés ou mal conservés, sans être triés ni classés. C’est ce qui ressort de la fin de l’audience, lorsque M. Liu a réalisé que ces documents existaient, qu’ils auraient pu être produits et qu’ils ont effectivement été produits. Grâce aux explications fournies concrètement à l’audience, M. Liu a fini par comprendre ce qu’il était tenu de fournir. Cette révélation a convaincu la Cour que l’inexactitude des déclarations de revenus était due à un grand manque de compréhension, et non à une faute lourde. Cette mauvaise compréhension de la part de M. Liu empêche de conférer à son comportement un degré suffisamment élevé de négligence pour conclure à un acte intentionnel ou à une intention coupable. Par conséquent, les pénalités sont annulées.

III. DÉPENS

[47]  Compte tenu des résultats mitigés, de l’état général des documents de M. Liu qui n’étaient pas prêts au début de l’audience, ainsi que des efforts très utiles déployés par l’avocat de l’intimée, la Cour se prévaut de son pouvoir discrétionnaire et n’attribue aucuns dépens dans le cadre du présent appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de juin 2017.

« R. S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour d’août 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 117

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-3457(IT)G

 

INTITULÉ :

FENG LIU c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 février 2017 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall

S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 juin 2017

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Tony Cheung

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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