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Dossier : 2015-262(IT)G

ENTRE :

JOHN THOMPSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 17 mai 2017, à Edmonton (Alberta)

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me James Yaskowich

Avocate de l’intimée :

Me Mary Softley

 

JUGEMENT

          L’appel de l’appelant à l’encontre des avis de nouvelle cotisation émis par le ministre du Revenu national pour les années d’imposition 2006 et 2007 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

          L’intimée se verra adjuger un seul mémoire de frais pour le présent appel et pour l’appel de la succession de Denise Thompson qui ont été entendus sur preuve commune.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de juin 2017.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan


Dossier : 2015-265(IT)G

ENTRE :

LA SUCCESSION DE DENISE THOMPSON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 17 mai 2017, à Edmonton (Alberta)

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me James Yaskowich

Avocate de l’intimée :

Me Mary Softley

 

JUGEMENT

          L’appel de l’appelante à l’encontre des avis de nouvelle cotisation émis par le ministre du Revenu national pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

          L’intimée se verra adjuger un seul mémoire de frais pour le présent appel et pour l’appel de John Thompson qui ont été entendus sur preuve commune.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de juin 2017.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan


Référence : 2017 CCI 115

Date : 20170620

Dossier : 2015-262(IT)G

ENTRE :

JOHN THOMPSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Dossier : 2015-265(IT)G

LA SUCCESSION DE DENISE THOMPSON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hogan

I. Introduction

[1]             John Thompson et la succession de sa défunte épouse Denise Thompson (collectivement, les « appelants ») interjettent appel des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») après l’expiration du délai de prescription normal de trois ans.

[2]             Les appels ont été entendus sur preuve commune.

[3]             Les parties ne contestent pas le fait que John Thompson ait omis de déclarer des revenus de 51 836 $ et de 91 970 $ reçus de 1140629 Alberta Ltd. (la « société ») pour des services rendus à la société au cours de ses années d’imposition 2006 et 2007. Il n’est pas non plus contesté que Denise Thompson a omis de déclarer des revenus de 13 994 $, 140 787 $ et 11 392 $ qu’elle a reçus de la société au cours de ses années d’imposition 2006, 2007 et 2008.

[4]             La seule question en litige est de savoir si les erreurs relevées dans les déclarations de revenus des appelants étaient attribuables à la négligence, à l’inattention ou à une omission volontaire de leur part.

[5]             Les appelants soutiennent qu’ils ont fourni tous les renseignements pertinents relatifs au revenu reçu de la société à leur comptable, M. Halford, comptable agréé en Alberta. Ils allèguent qu’ils ignoraient que M. Halford avait omis de déclarer tous les revenus reçus de la société dans leurs déclarations de revenus personnelles. Comme les erreurs dans leurs déclarations de revenus n’étaient pas attribuables à la négligence, à l’inattention ou à une omission volontaire de leur part, ils font valoir que les années d’imposition en litige sont frappées de prescription.

[6]             Bien entendu, l’intimée défend la thèse contraire. L’intimée plaide que les appelants ont fait preuve de négligence et d’insouciance en confiant la préparation de leurs déclarations de revenus à leur comptable sans superviser le travail de ce dernier. Elle soutient que la preuve démontre que les appelants connaissaient le montant d’argent qu’ils tiraient de la société sous forme de salaire au cours des années d’imposition faisant l’objet de l’examen, et que, après avoir examiné leurs déclarations de revenus, ils ont omis de demander à leur comptable de leur expliquer l’importance de l’écart entre les montants déclarés dans leurs déclarations de revenus et le montant réel en espèces reçu de la société.

II. Contexte factuel

[7]             M. Thompson a déclaré avoir joint les rangs de la Banque Canadienne Impériale de Commerce (la « CIBC ») en 2003, dans un poste subalterne. Au fil du temps, il est devenu responsable des prêts, traitant les demandes de prêts hypothécaires pour la banque.

[8]             À la fin de l’année 2003, la CIBC a avisé l’appelant qu’elle entendait rompre sa relation d’emploi avec lui. Selon le témoin, la CIBC entendait impartir une partie de ses activités hypothécaires à des courtiers indépendants qui toucheraient un revenu de commissions pour les nouveaux prêts hypothécaires émis par la CIBC.

[9]             Bien que la preuve à cet égard ne soit pas tout à fait claire, il semble que la CIBC ait encouragé l’appelant à offrir ses services de courtage hypothécaire par l’intermédiaire d’une société. Je présume que cela s’est fait dans le but de rompre la relation d’emploi entre M. Thompson et la banque. Il aurait été difficile d’y parvenir si l’appelant avait continué à travailler lui-même et exclusivement pour la banque.

[10]        M. Thompson a déclaré qu’il avait embauché M. Halford pour l’aider, lui ainsi que son épouse, à comptabiliser correctement le revenu gagné dans le cadre de cette nouvelle entente professionnelle. M. Thompson a quitté l’école secondaire après avoir terminé sa dixième année. Son épouse a terminé ses études secondaires. Ni l’un ni l’autre des appelants n’a reçu une formation de nature financière ou fiscale. M. Thompson souligne que ni lui ni son épouse n’étaient en mesure d’exécuter les tâches imparties à M. Halford.

[11]        Comme leurs compétences en informatique étaient limitées, ils ont adopté un système de rapports financiers simple et manuel. Il semblerait que M. Halford les ait encouragés à procéder de cette façon. Tous les mois, ils enregistraient dans un nouveau calepin à spirale le revenu de commissions, les dépenses engagées par la société et les montants mensuels qu’ils tiraient de la société pour payer leurs frais de subsistance et épargner en vue de leur retraite.

[12]        M. Thompson a fait valoir qu’après avoir examiné sa déclaration personnelle de revenu avec M. Halford, en 2005, il lui a demandé pourquoi le revenu déclaré dans sa déclaration était inférieur au montant en espèces reçu de la société pour la période en question. Selon M. Thompson, M. Halford a expliqué que, puisque la fin de l’exercice de la société était le 31 août, une partie du revenu des appelants pouvait être reportée d’au moins un an (ci-après appelé le « revenu différé »). Cela était possible parce que les montants reçus par les appelants au cours de l’année civile pouvaient être traités initialement comme une avance aux actionnaires. Par exemple, les montants retirés par les appelants en 2005 pouvaient être traités comme des avances de la société jusqu’à 180 jours après le 31 août 2006, date de fin de l’exercice de la société. À la fin de l’exercice de la société, une prime pouvait être accumulée, correspondant aux montants reçus par les appelants au cours de l’exercice financier de la société. Si les montants accumulés à titre de primes étaient versés par la société dans les 180 jours suivant la fin de son exercice, ces montants seraient déductibles dans le calcul du revenu. Le prêt d’actionnaire des appelants devant être versé serait réduit en conséquence du paiement des primes reçues. De cette manière, les appelants pourraient bénéficier, pendant un an, d’un report de l’impôt sur leur revenu.

[13]        Les appelants ont accepté cette explication et se sont fiés à leur comptable pour qu’il déclare le revenu différé dans les périodes subséquentes. Ils n’ont pas posé de questions à leur comptable à cet égard. M. Thompson a déclaré qu’il n’avait aucune raison de le faire, car la question avait déjà été posée à M. Halford, qui y avait répondu. Selon M. Thompson, son épouse et lui n’avaient pas les compétences nécessaires pour faire le suivi du revenu différé. M. Halford avait été embauché pour veiller à ce que les déclarations de revenus des appelants soient préparées correctement.

[14]        La preuve démontre qu’à la fin de 2009 et au début de 2010, M. Thompson a commencé à se demander si M. Halford accordait l’attention voulue aux affaires des appelants et de la société. Selon le témoin, M. Halford arrivait en retard aux réunions. À son arrivée, il était négligé, désorganisé et semblait avoir consommé de l’alcool.

[15]        M. Thompson a soutenu que peu de temps après, il a découvert des erreurs importantes dans les états financiers provisoires préparés par M. Halford pour l’exercice financier 2009 de la société. À ce moment-là, M. Thompson a perdu confiance en M. Halford et a décidé d’embaucher un nouveau comptable pour son épouse, lui-même et la société. Il s’est adressé à Ruben Jeffery, un comptable agréé et associé d’Ernst and Young (« EY ») qui a accepté le mandat.

[16]        M. Jeffery a été appelé à témoigner. Il a déclaré qu’on lui a demandé de mettre la dernière main aux états financiers de la société pour l’exercice 2009 et de s’assurer que l’ancien comptable avait correctement déclaré le revenu des appelants et celui de la société.

[17]        La transition entre M. Halford et M. Jeffery s’est avérée difficile. M. Halford ne répondait pas aux questions de M. Jeffery quant aux travaux qu’il avait effectués pour les appelants. Lorsqu’il a accepté le mandat, M. Jeffery craignait que M. Halford n’ait pas effectué un suivi approprié du revenu différé. Il a relevé des écarts entre le revenu déclaré dans les déclarations de revenus personnelles des appelants et les frais de gestion inscrits par la société. Les frais de gestion déclarés par la société dépassaient le revenu déclaré par les appelants dans leurs déclarations de revenus.

[18]        Suivant les directives de M. Thompson, M. Jeffery a demandé à M. Halford de rapprocher les frais de gestion de la société avec le revenu déclaré par les appelants. M. Halford a préparé une feuille de calcul Excel qui démontrait que les appelants avaient un revenu non déclaré d’au moins 65 360 $.

[19]        M. Jeffery avait peu confiance en l’exactitude du travail de M. Halford. À ce moment, M. Halford a cessé de répondre aux demandes de M. Jeffery. M. Thompson a tenté de retrouver les documents comptables conservés par M. Halford, sans succès. Le bureau de M. Halford était fermé et un avis de saisie du shérif était affiché sur la porte.

[20]        M. Jeffery a dû reconstituer les documents comptables et refaire le travail de M. Halford. Il a découvert que les appelants n’avaient pas déclaré les montants de revenu dont il est question en l’espèce et sur lesquels les parties s’entendent.

[21]        Comme les services de M. Jeffery ont été retenus dans le but de mettre la dernière main aux états financiers de la société pour l’exercice 2009, M. Jeffery a proposé que les appelants reportent le revenu non déclaré dans leurs déclarations de revenus pour l’année 2009. Il a ajouté le revenu non déclaré au revenu que les appelants ont reçu de la société en 2009. Il a réduit les frais de gestion de la société pour l’exercice 2009 pour refléter le fait qu’il avait passé en charges le revenu non déclaré dans les années antérieures.

[22]        L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») n’a pas accepté le traitement comptable proposé par M. Jeffery. Elle a plutôt ajouté le revenu non déclaré au revenu des appelants pour les années d’imposition pertinentes.

III. Analyse

[23]        L’article 152 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») autorise le ministre à fixer les impôts, les intérêts et les pénalités. Cet article fixe le délai pour établir de nouvelles cotisations. En vertu de l’alinéa 152(3.1)b) de la LIR, le ministre peut établir de nouvelles cotisations à l’égard d’un contribuable sur une période de trois ans suivant la date d’envoi d’un avis de cotisation initial relativement à l’année d’imposition en litige (la « période normale de nouvelle cotisation »). Le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR prévoit une exception à la période normale de nouvelle cotisation. En vertu de cette disposition, une cotisation peut être établie après la période normale de nouvelle cotisation si le contribuable ou la personne qui produit la déclaration a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire.

[24]        Si le ministre souhaite établir une nouvelle cotisation à l’égard d’un contribuable après la période normale de nouvelle cotisation, il incombe à l’intimée d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’une présentation erronée des faits a eu lieu et que cette dernière était attribuable à la négligence, à l’inattention ou à une omission volontaire.

[25]        Les deux parties ont porté à mon attention la décision que j’ai rendue dans Aridi[1]. Bien qu’elles tirent des conclusions différentes de cette affaire, elles soutiennent que cette dernière est pertinente quant à l’issue en l’espèce. Dans la décision Aridi, j’ai conclu qu’un comptable qui fait preuve de négligence ou d’inattention dans la préparation d’une déclaration de revenus, en soi, n’est pas suffisant pour permettre au ministre d’établir une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation. Il doit également être établi que le contribuable a agi de manière négligente et insouciante.

[26]        Il n’y a aucun élément de preuve quant à l’identité de la personne qui a produit les déclarations de revenus pour les années d’imposition en litige. Pour les besoins des présentes, je tiendrai pour acquis que les déclarations de revenus pertinentes ont été préparées par le comptable des appelants, mais que ces derniers les ont produites. Même si les appelants admettent que le comptable a fait preuve de négligence et d’insouciance, ce motif ne suffit pas à ne pas tenir compte de la période normale de nouvelle cotisation. L’intimée doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que les appelants n’ont pas fait preuve de diligence raisonnable au moment d’examiner leurs déclarations de revenus en litige avant de les produire.

[27]        J’analyserai maintenant la preuve dans le présent contexte. Il ressort de la preuve que les appelants savaient qu’ils devaient rendre compte du revenu différé au cours des années d’imposition subséquentes. M. Halford avait expliqué cette situation à M. Thompson en 2005. M. Thompson a admis que son épouse avait adopté la pratique qui consiste à mettre de côté 25 % du montant de leurs retraits en espèces de la société dans leur compte d’épargnes afin de disposer des fonds suffisants pour payer l’impôt à échéance.

[28]        M. Thompson a également admis qu’il n’avait pas examiné ses déclarations de revenus pour les années d’imposition en litige pour vérifier si le revenu différé avait bel et bien été comptabilisé. La preuve démontre qu’il était en mesure de comprendre les répercussions que pourrait avoir le revenu différé sur ses impôts annuels à payer. Le couple avait mis de l’argent de côté afin d’avoir les fonds nécessaires pour payer l’impôt différé. M. Thompson a mesuré l’incidence du report sur son impôt à payer en 2005 et a interrogé son comptable à ce sujet. Selon la preuve, il ne l’a pas fait pour les années subséquentes, au moment où le revenu différé devait être déclaré.

[29]        L’avocat des appelants soutient qu’il était parfaitement raisonnable pour les appelants de confier à leur comptable la responsabilité de bien comptabiliser le revenu différé, car les appelants étaient incapables de le faire ou d’en assurer le suivi eux-mêmes. Tout en reconnaissant que les appelants n’avaient pas les compétences requises pour faire le suivi du revenu différé, ils ont sûrement eu la possibilité de demander à leur comptable si le travail avait été effectué convenablement. Ils auraient pu demander au comptable de faire un rapprochement entre les frais de gestion de la société et le revenu qu’ils déclaraient chaque année.

[30]        Je remarque également que M. Thompson était beaucoup plus en mesure de détecter les erreurs que son avocat l’a laissé entendre. Il ressort de la preuve que M. Thompson a pu relever les erreurs dans les états financiers provisoires pour l’exercice 2009, lorsqu’il s’est penché sur la question.

[31]        Lorsqu’un contribuable retient les services d’un comptable pour préparer sa déclaration de revenus et qu’il est conscient qu’une planification fiscale impliquant une stratégie de report d’impôt, comme celle adoptée par les appelants, sert à obtenir un avantage fiscal en sa faveur, il doit prêter un minimum d’attention au travail du comptable et exercer une surveillance sur ce travail. En l’espèce, la preuve démontre que les appelants ont exercé une surveillance en 2005, mais que par la suite, ils n’ont pas prêté l’attention qui s’imposait à la déclaration du revenu différé. Je suis d’avis que l’absence de surveillance équivaut à de l’insouciance de la part des appelants. S’ils avaient porté une attention à l’affaire en posant des questions, les erreurs dans leurs déclarations auraient pu être évitées.

[32]        Considérant l’ensemble de la preuve, je conclus que les appelants ont aussi été négligents et insouciants relativement aux erreurs commises dans leurs déclarations de revenus. Par conséquent, les appels sont rejetés, et un seul mémoire de frais est adjugé à l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de juin 2017.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan


RÉFÉRENCE :

2017 CII 115

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-262(IT)G

2015-265(IT)G

INTITULÉ :

JOHN THOMPSON, la succession de DENISE THOMPSON c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mai 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 20 juin 2017

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me James Yaskowich

Avocate de l’intimée :

Me Mary Softley

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me James Yaskowich

 

Cabinet :

Felesky Flynn LLP

Edmonton (Alberta)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Aridi c. La Reine, 2013 CCI 74 [Aridi].

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