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Date : 000221

Dossier : 97-3644-IT-G

ENTRE :

PAUL PEROVICH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1] L’appelant interjette appel des cotisations fiscales établies pour les années d’imposition 1990 à 1993. Les appels portent sur l’achat et la revente, à perte, d’une parcelle de terrain appelée le bien-fonds de Milton. Le nom de l’acheteur figurant dans la convention d’achat était Paul Perovich Company Inc. (“ PPCI ”), société qui n’existait pas au moment de la conclusion de la convention. À partir du moment de l’achat en mai 1990 jusqu'à la vente en juin 1992, le titre du bien-fonds de Milton a été inscrit au nom de PPCI. La première question en litige, dans ces appels, est de savoir si c’est PPCI, la société qui a apparemment acheté le bien-fonds de Milton puis l’a revendu à perte, qui a subi la perte lors de la revente de ce bien-fonds, ou si, comme le prétend l’appelant, PPCI a agi en tant que simple fiduciaire pour l’appelant, auquel cas celui-ci aurait subi la perte. La deuxième question en litige est de savoir si la perte était ou non une perte en capital. La troisième question en litige porte sur le moment où l’appelant a demandé la déduction de la perte.

[2]L’appelant est né en 1942 en Yougoslavie et il a émigré au Canada en 1964. Il est rapidement devenu un entrepreneur polyvalent et dynamique. Il a démarré, en 1966, une entreprise de fabrication de pièces de précision qui a été constituée en société sous la dénomination sociale Truetech en 1982. Truetech fabriquait des outils pour des roues de meuleuses. En 1992, la société a changé de dénomination sociale pour s’appeler Budva et elle a été vendue en 1996. L’appelant s’est ensuite lancé dans la confection de bikinis.

[3]L’appelant a témoigné à l’audition des appels. Il a témoigné qu’il faisait des affaires dans le domaine de l’achat et de la vente de biens immobiliers en vue d’en tirer des bénéfices. Il a fait l’historique détaillé de ses transactions. En 1987, l’appelant et son frère Peter ont acheté un immeuble à Scarborough. L’appelant a déclaré que cet immeuble devait servir à abriter Truetech. Les acheteurs ont versé très peu d’argent comptant et ont vendu l’immeuble six mois plus tard, réalisant un profit d’environ 250 000,00 $. Selon l’appelant, l’immeuble s’était révélé trop petit pour loger Truetech.

[4] En avril 1988, l’entreprise Perovic Holdings Inc. a été constituée en société. Les actions émises de cette société ont été réparties également entre l’appelant et son frère, Peter Perovic. En septembre 1988, Perovic Holdings Inc. a fait l’acquisition d’un terrain vague de cinq acres à Pickering, en Ontario, pour 550 000,00 $. L’appelant a affirmé qu’il avait l’intention de faire rezoner ce bien-fonds et de le vendre. Il a en effet été revendu en janvier 1989 pour 1 075 000,00 $.

[5] Je ferai remarquer ici qu’il semble y avoir peu ou point de corrélation entre, d’une part, la société et les personnes dont les noms ont été utilisés pour effectuer les transactions mentionnées par l’appelant et, d’autre part, les personnes qui, du moins pour autant que l’appelant ait pu s'en souvenir lors du contre-interrogatoire, ont déclaré les gains aux fins de l’impôt sur le revenu. D’après la documentation relative à la transaction de Scarborough, les propriétaires étaient l’appelant et son frère. L’appelant a déclaré que les profits de la revente n’avaient pas été partagés également entre son frère et lui. Il a dit, plutôt énigmatiquement, qu’il avait un associé passif. L’appelant n’a pu dire comment il avait déclaré la transaction sur sa déclaration de revenus.

[6]Sur la convention d’achat du bien-fonds de Pickering, l’acheteur indiqué était [TRADUCTION] “ P. Perovich en fiducie pour une société à être constituée ”. Le titre a été acquis au nom de Perovic Holdings Inc. Selon l’appelant, ses fils, son frère et son épouse ont déclaré comme gain en capital le bénéfice tiré de cette transaction. Il n’a pas été expliqué pourquoi le gain avait été déclaré de cette manière.

[7]C'est dans ce contexte que le bien-fonds de Milton a été acheté. Le bien-fonds a été acquis aux termes d’une convention d’achat-vente conclue en septembre 1989. L’acheteur nommé dans la convention était PPCI. Or, la société dont la dénomination sociale était Paul Perovich Company Inc. n’a été constituée que le 26 avril 1990, soit quelques jours avant la conclusion de l’achat.

[8] À bien des égards, le témoignage de l’appelant au sujet de l’identité de l’acheteur du bien-fonds de Milton renfermait des contradictions et, à mon avis, était peu fiable. Il a déclaré que l’agent immobilier avait rédigé la convention d’achat. Pendant l’interrogatoire principal, il a affirmé qu’il achetait toujours les biens-fonds en fiducie pour une société à être constituée et que, dans le cas du bien-fonds de Milton, l’agent avait désigné par erreur PPCI comme l’acheteur. Il a soutenu que le vendeur n’avait pas voulu qu’il corrige l’erreur. Pendant le contre-interrogatoire, l’appelant a répété que la convention avait été mal rédigée et que l’acheteur qui y était nommé aurait dû être Paul Perovich en fiducie pour une société à être constituée. Compte tenu de ce témoignage, il est très difficile de conclure que l'appelant entendait que lui, et non une société, soit désigné l’acheteur.

[9]Une photocopie d’une déclaration de fiducie faisant mention du bien-fonds de Milton a été produite en preuve. C’est ce document que l’appelant a invoqué comme preuve du fait que le bien-fonds de Milton devait être détenu en fiducie au bénéfice de lui seulement. Le document est rédigé en partie comme suit :

[TRADUCTION]

La soussignée, Paul Perovich Company Inc., fiduciaire, reconnaît, convient et déclare que les droits, quels qu'ils soient, qu’elle détient sur la partie du lot 15, concession 2, ville de Milton, sont détenus en fiducie au bénéfice de la personne ci-après mentionnée seulement :

Paul Perovich 100 %

[...]

EN FOI DE QUOI les parties aux présentes ont apposé leur signature dûment attestée par la signature des témoins le 13 septembre 1989.

BÉNÉFICIAIRE FIDUCIAIRE

PAUL PEROVICH COMPANY INC.

“ Paul Perovich ” Par : “ Paul Perovich ”

Comme on peut le voir, le fiduciaire désigné dans la déclaration n’existait pas à la date figurant sur le document.

[10]La déclaration de fiducie n’aide guère à éclaircir les choses. À un certain moment au cours de son témoignage, l’appelant a affirmé que ce document n’avait pas été rédigé à la date qui y est indiquée mais quelque neuf mois plus tard, à la date de la conclusion de la vente ou vers cette date. Bien entendu, le prétendu fiduciaire avait, à cette date, été constitué en société. À un autre moment, l’appelant a déclaré que le document avait été signé le 13 septembre 1989. De toute évidence, la déclaration ne pouvait servir à constituer ou à attester une fiducie créée en septembre 1989 parce que le fiduciaire n’existait pas alors. La prétendue signature en mai 1989 d'un document antidaté n'a pas été expliquée de manière claire et convaincante. Je doute que ce document ait été signé ce moment-là.

[11]Je constate qu’il est difficile de concilier le prétendu rôle de PPCI comme fiduciaire et l’intention déclarée de l’appelant d’acheter le bien-fonds en fiducie au nom de cette société.

[12]Selon moi, la position de l’appelant relève de l’article 21 de la Loi sur les sociétés par actions, L. O. 1982, chap. 4., dont les paragraphes (1), (2) et (3) disposent comme suit :

(1) Sous réserve du présent article, la personne qui conclut un contrat oral ou écrit au nom ou pour le compte d’une société avant la constitution de celle-ci est liée personnellement par ce contrat et peut en tirer parti.

(2) La société peut, dans un délai raisonnable après sa constitution, par toute mesure ou comportement qui exprime son intention d’être ainsi liée, ratifier un contrat oral ou écrit passé en son nom ou pour son compte, avant sa constitution. Dès cette ratification :

a) la société est liée par contrat et peut en tirer parti comme si elle était déjà constituée à la date du contrat et était partie à celui-ci;

b) la personne qui s’est engagée pour la société cesse, sous réserve des dispositions du paragraphe (3), d’être liée par ce contrat et de pouvoir en tirer parti.

(3) Sous réserve du paragraphe (4), indépendamment de la ratification par la société d’un contrat écrit ou oral conclu avant sa constitution, une partie au contrat peut, par voie de requête, demander à un tribunal de rendre une ordonnance déclarant que la société et la personne qui s’est engagée en son nom ou pour son compte sont tenues solidairement aux obligations résultant du contrat, ou établissant leur part respective de responsabilité. À la suite de la requête, le tribunal peut rendre l’ordonnance qu’il juge opportune.

À mon avis, PPCI a ratifié le contrat qui avait été passé en son nom lorsqu’elle a conclu la convention d’achat du bien-fonds de Milton et a acquis le titre de propriété en son nom. En conséquence, les alinéas a) et b) du paragraphe (2) s’appliquent à la transaction et excluent l’appelant de tous droits ou avantages découlant du contrat.

[13]Pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, les profits tirés d’une entreprise ou les pertes subies constituent, respectivement, le revenu ou la perte du propriétaire. Par conséquent, dans le cas d’une entreprise qui est un projet à risque de caractère commercial, il faut déterminer qui, par suite de l’achat du bien-fonds faisant l’objet du projet à risque, était susceptible de tirer des profits de la revente prévue ou de subir une perte. En l’espèce, c'était PPCI.

[14]Le ministre a établi les cotisations litigieuses en tenant pour acquis que PPCI n’avait pas acheté le bien-fonds de Milton en fiducie pour l’appelant. Il incombait à celui-ci de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que cette hypothèse était fausse. L’appelant n’a pas réussi à s’acquitter de cette obligation. Le témoignage de M. Timothy Saloma ne m’a été d’aucune aide. Il a déclaré qu’il avait été l’avocat de l’appelant jusqu’en 1996, année où il a cessé de pratiquer le droit. M. Saloma n’a pu fournir aucune explication claire concernant l’utilisation de la déclaration de fiducie. À un moment donné, il a affirmé que le document avait été rédigé pour démontrer que l’appelant était le seul propriétaire du bien-fonds, car le frère de l'appelant était inscrit comme propriétaire d’une action ordinaire de PPCI. À la question de savoir pourquoi on n'aurait pas pu donner au vendeur la consigne et l'autorisation de céder le titre à l’appelant plutôt qu’à PPCI, M. Saloma a fait remarquer qu'il aurait fallu qu'une telle consigne vienne de PPCI et que, puisque celle-ci n’avait pas été constituée en société, elle ne pouvait pas signer une consigne destinée au vendeur. Or, la preuve a montré que PPCI avait été constituée en société avant la conclusion de la vente. Malheureusement, je constate que le témoignage de M. Saloma n’est pas plus fiable que celui de l’appelant.

[15]Puisqu’il n’a pas été établi que c'est l’appelant qui avait subi la perte découlant de l’achat et de la vente du bien-fonds de Milton, l’examen des questions relatives à la nature de la perte et au moment où elle a été subie n’est pas nécessaire.

[16]Pour ces motifs, les appels seront rejetés avec frais.

Signé à Toronto, Canada, le 21 février 2000.

“ Michael J. Bonner ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de septembre 2000.

Erich Klein, réviseur

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