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Date : 20000328

Dossier : 97-1870-IT-G

ENTRE :

JOHN BIRD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels de cotisations établies pour les années d'imposition 1992 et 1993. Le ministre du Revenu national a refusé la déduction de dépenses pour créances irrécouvrables de 330 650 $ pour 1992, et de 100 192 $ pour 1993. La question en litige consiste à savoir si les dépenses pour créances irrécouvrables relatives à des prêts sont admissibles en vertu des alinéas 18(1)a) ou 20(1)p) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2] La dépense pour créance irrécouvrable de 330 650 $ déduite pour 1992 se rapporte à des avances de 162 000 $ et de 168 650 $ consenties par l'appelant à Adagio Enterprises Ltd. (“ Adagio ”) et à Fremont Investors Ltd. (“ Fremont ”) respectivement. La créance irrécouvrable de 100 192 $ déduite pour l'année d'imposition 1993 était constituée des créances irrécouvrables suivantes :

a) des versements totalisant 81 600 $ à Westpac Banking Corporation en 1993;

b) un versement de 5 000 $ à George Davis, en fiducie, effectué en 1993 pour régler une poursuite éventuelle contre l'appelant, d'autres administrateurs d'Adagio Investments Inc. ainsi que d'autres parties[1];

c) la somme de 13 592 $, représentant le solde des avances consenties à Fremont au cours des années précédentes qui n'avaient pas été déduites en tant que créances irrécouvrables auparavant.

L'appelant était l'unique actionnaire et administrateur de Fremont pendant toute la période pertinente. À partir de 1986, l'appelant a consenti de nombreuses avances à Fremont. Ces avances ont été comptabilisées dans les livres de Fremont en tant que prêts d'actionnaire.

[3] L'appelant a avancé des sommes à Fremont, qui les a ensuite prêtées à Adagio Enterprises Ltd. Le produit des prêts consentis à Adagio Enterprises a été avancé à Adagio Investments Ltd. Je ferai référence aux deux entreprises sous le nom d'Adagio. L'appelant était un actionnaire et un administrateur d'Adagio, mais n'en avait pas lui-même le contrôle. Une requête en faillite a été déposée à l'encontre d'Adagio en juillet 1992.

[4] Fremont a conclu une convention d'aide financière (la “ convention ”)[2] avec Adagio au cours du mois d'août 1986. Les prêts consentis à Fremont étaient garantis par une obligation. La convention, préparée par les avocats de Fremont, énonçait les modalités des ententes financières intervenues entre Adagio et Fremont, mais ne faisait pas référence à un ou des prêts intervenus directement entre l'appelant et Adagio. Adagio oeuvrait dans le domaine de la confection de vêtements. Le passage suivant est tiré de cette convention :

[TRADUCTION]

Objet : Octroi d'une aide financière et de services-conseils par Fremont Investors Ltd. (“ Fremont ”) au profit d'Adagio Enterprises Ltd. (“ Adagio ”)

La présente lettre a pour objectif d'énoncer les modalités de l'entente intervenue entre Fremont, Adagio, L.C.R. Management Ltd. (“ L.C.R. ”), H. E. Johnson (“ Johnson ”) et Mme Patricia Fieldwalker (“ Fieldwalker ”) quant à l'octroi d'une aide financière et de services-conseils de la part de Fremont en faveur d'Adagio.

1. Fremont convient de cautionner, auprès de la Banque Royale du Canada (la “ banque ”), le paiement de facilités de crédit supplémentaires établies par Adagio avec la banque pour un montant en capital total de 150 000 $ (le “ prêt supplémentaire ”).

2. Fremont convient également de donner en gage à la banque, à titre de sûreté accessoire pour son cautionnement du prêt supplémentaire, des dépôts à terme totalisant 150 000 $ (collectivement, le “ dépôt à terme de Fremont ”).

3. Adagio convient de verser à Fremont, en contrepartie de l'aide financière que cette dernière lui consent, une commission au taux annuel de 3 % sur le solde journalier impayé du prêt supplémentaire pour la période qui débute le 8 août 1986 et se termine à la date à laquelle le prêt supplémentaire est remboursé par Adagio (la “ commission ”). La commission sera payable le 30 septembre 1986 et trimestriellement par la suite pendant la période susmentionnée.

4. Adagio convient également d'émettre en faveur de Fremont une obligation à charge flottante d'un montant principal de 150 000 $ (l'“ obligation de Fremont ”). L'obligation de Fremont représentera une seconde charge flottante sur tous les éléments d'actif présents et futurs d'Adagio, y compris les stocks et les comptes clients, et portera intérêt au taux annuel préférentiel de la banque majoré de 4 %.

Adagio s'efforcera, dans la mesure du possible, de rembourser intégralement le prêt supplémentaire au plus tard le 31 décembre 1986.

[...]

[5] Fremont a obtenu un contrôle considérable sur Adagio. Les actionnaires d'Adagio ont accepté de transférer 6 2/3 % de leurs actions à Fremont, qui a convenu d'essayer, dans la mesure du possible, de réunir des capitaux d'un montant indéterminé pour Adagio au moyen d'un premier appel public à l'épargne sur les actions d'Adagio. Fremont devait obtenir des actions supplémentaires d'Adagio après avoir organisé une émission publique d'actions.

[6] Adagio avait constamment besoin de fonds de roulement qu'elle ne pouvait obtenir auprès des établissements financiers. De 1986 à 1992, Fremont est devenu un banquier secondaire d'Adagio et lui a offert une marge de crédit renouvelable par le biais de laquelle un montant total de 2 000 000 $ a été avancé au cours des années. Un deuxième investisseur, ainsi que l'appelant, ont également avancé des fonds à Fremont pour que cette dernière les prête à Adagio.

[7] Adagio a procédé à un appel public à l'épargne en avril 1992. Un prêt bancaire d'environ 2 200 000 $ a été remboursé. Une somme d'environ 400 000 $ a été versée à l'appelant et à Fremont; une dette de 168 650 $ restait due à cette dernière[3].

[8] En juin 1992, Fremont a prêté la somme de 160 000 $ à Adagio pour lui permettre de verser à Revenu Canada les charges sociales qu'Adagio devait à ce dernier. Aucun billet n'a été signé. Un montant supplémentaire de 2 000 $ a été prêté pour couvrir divers besoins d'Adagio. Fremont a également avancé la somme de 13 592 $ en 1993 pour payer diverses dépenses d'Adagio. Les parties reconnaissent qu'un montant supplémentaire de 5 000 $, qui a servi à régler une poursuite, n'est pas inclus dans la demande de déduction de l'appelant. En 1993, l'appelant a déduit à titre de dépense un montant de 81 600 $ versé à Westpac Banking Corporation pour régler une garantie personnelle consentie sur un prêt qu'avait contracté Adagio pour payer un intérêt à bail relatif à l'ouverture d'un magasin à Paris, en France. Aucun document, tel une convention d'indemnisation ou un billet à ordre, n'est intervenu entre l'appelant et Adagio. L'appelant a soutenu que certains documents justificatifs ont été détruits par le syndic d'Adagio et par Revenu Canada. Selon lui, Revenu Canada serait responsable de la disparition des documents manquants parce que le vérificateur, qui avait accès à plusieurs boîtes de documents détenues par le syndic, n'a pas relevé leur existence.

[9] L'appelant n'a déclaré aucun revenu brut d'entreprise pour les années 1985 à 1993, autres que les frais d'administration perçus auprès de Transfotech Limited[4], une compagnie détenue et contrôlée par l'appelant. En 1993, l'appelant a indiqué que ses revenus bruts d'entreprise étaient nuls.

[10] Dans ses relevés T1 pour les années d'imposition 1990 à 1993, l'appelant n'a pas déclaré avoir reçu d'intérêt sur les prêts consentis à Adagio, à Fremont ou à toute autre entreprise; il n'a pas déclaré avoir reçu de dividendes imposables de compagnies auxquelles il avait prêté de l'argent et il a déclaré toutes ses aliénations d'actions, y compris l'aliénation des actions d'Adagio, au titre du capital. L'appelant n'a jamais essayé de recouvrer les montants que lui devait Fremont et n'a jamais demandé le remboursement du capital ou des intérêts accumulés sur celui-ci. En fait, la créance irrécouvrable dont l'appelant demande la déduction ne porte pas sur les intérêts accumulés impayés, mais uniquement sur le capital.

[11] Fremont a continué par la suite d'exploiter son entreprise. Au cours de l'année d'imposition 1994, elle a acheté et vendu des titres et a même fait état d'un profit de plus de 11 000 $.

[12] L'intimée soutient que les dépenses pour créances irrécouvrables dont l'appelant demande la déduction ne sont pas admissibles pour le motif qu'elles n'ont pas été engagées ou effectuées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, et que l'entreprise habituelle de l'appelant n'incluait pas le prêt d'argent. Subsidiairement, elle soutient que si l'entreprise habituelle de l'appelant incluait réellement le prêt d'argent, aucun des prêts n'a été consenti dans le cours normal des affaires de l'appelant, aucun des prêts n'a été inclus dans le calcul du revenu de l'appelant au cours des années d'imposition 1992 et 1993 ou des années d'imposition antérieures et, par conséquent, l'appelant n'a droit à aucune déduction en vertu du sous-alinéa 20(1)p)(i) de la Loi.

[13] Les questions que soulève l'intimée sont les suivantes :

A. Est-ce que les prêts consentis à Adagio au cours de l'année d'imposition 1992 était consentis dans le cours normal des affaires de l'appelant afin de produire un revenu en intérêts, ou est-ce qu'ils avaient été consentis afin de fournir à Adagio un fonds de roulement et de protéger l'investissement de l'appelant dans Adagio ?

B. Est-ce que les prêts consentis à Fremont, qui ont donné lieu aux créances irrécouvrables déduites en 1992 et en 1993, ont été consentis dans le cours normal des affaires de l'appelant afin de produire un revenu en intérêts, ou est-ce qu'il s'agissait de prêts consentis par un actionnaire pour fournir un fonds de roulement à Fremont ?

C. Est-ce que les prêts consentis à Fremont, qui ont donné lieu aux créances irrécouvrables déduites en 1992 et 1993, ont été établis par l'appelant comme étant devenus des créances irrécouvrables au cours de l'année ?

D. Est-ce que les créances irrécouvrables de 81 600 $ et de 5 000 $ déduites en 1993 étaient des créances découlant de prêts, ou est-ce qu'il s'agissait simplement de dettes de l'appelant payées par celui-ci en 1993 ?

[14] Dans son avis d'appel, l'appelant formule la question comme ceci [TRADUCTION] : “ Est-ce que le montant dont on demande la déduction est déductible en vertu de l'alinéa 20(1)p) de la Loi ou de toute autre disposition de la Loi ? ”

Analyse

[15] Les passages pertinents de l'alinéa 20(1)p) de la Loi sont libellés comme suit :

20(1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :

[...]

p) le total des montants suivants :

[...]

(ii) les montants dont chacun représente la partie du coût amorti, pour le contribuable, à la fin de l'année d'un prêt ou d'un titre de crédit qu'un contribuable — qui est un assureur ou dont l'entreprise habituelle consiste en partie à prêter de l'argent — a consenti ou acquis dans le cours normal de ses affaires, qu'il a établie comme étant devenue irrécouvrable au cours de l'année;

Bien que l'alinéa 18(1)a) permette de déduire les dépenses engagées dans le but de tirer un revenu, il existe une présomption selon laquelle les pertes découlant de prêts ou de paiements de cautionnement soient des pertes au titre du capital, et donc des pertes refusées en vertu de l'alinéa 18(1)b)[5].

[16] Pour que l'appelant puisse se prévaloir de la déduction prévue à l'alinéa 20(1)p), il doit établir :

a) que les créances devant être déduites découlent de prêts;

b) que le cours normal des affaires du contribuable inclut le prêt d'argent;

c) que les prêts donnant lieu aux créances irrécouvrables ont été consentis dans le cours normal des affaires du contribuable consistant à prêter de l'argent;

d) que les prêts donnant lieu aux créances irrécouvrables sont devenus irrécouvrables au cours de l'année.

[17] Les documents déposés indiquent que les activités de prêt ont été effectuées par Fremont. L'appelant et un investisseur lui ont fourni les fonds nécessaires. Un grand nombre de chèques tirés des comptes de l'appelant et de l'investisseur en faveur de Fremont ont été déposés en preuve. Fremont a ensuite avancé les fonds à Adagio, qui a émis à Fremont des billets à ordre, une obligation assortie d'une sûreté et des actions[6]. Les états financiers de Fremont font état des opérations d'Adagio comme si elles étaient les siennes propres. Il n'y a aucune preuve d'un lien de droit contractuel entre Adagio et l'appelant. Seule Fremont, et non l'appelant, pouvait faire valoir les prêts. Aucun document ne soutient l'allégation voulant que l'appelant ait travaillé dans le domaine des prêts d'argent à l'égard de Fremont. L'ensemble de la preuve mène à la conclusion que les avances consenties par l'appelant à Fremont avaient un caractère de capital (prêts d'actionnaire). Il n'existait aucun billet à ordre et aucune sûreté, aucun intérêt n'a été exigé ou versé, et Fremont n'a effectué aucun remboursement sur le capital que lui a avancé l'appelant. Dans les états financiers de 1992, il existe une preuve à l'effet que Fremont a remboursé à l'investisseur le montant que ce dernier lui avait avancé.

[18] Le contribuable s'est représenté lui-même et n'a appelé aucun témoin. Personne n'a témoigné pour le compte de l'intimée. L'appelant soutenait être personnellement engagé dans une entreprise de prêt d'argent. Malheureusement, il a traité les actions de Fremont comme les siennes propres lorsque cela lui était profitable. Par contre, il semble avoir scrupuleusement traité Fremont comme un contribuable distinct lorsque cela était financièrement à son avantage. Aucune preuve n'indique que Fremont agissait à titre de fiduciaire pour l'appelant; en fait, le contraire a été démontré. L'appelant avait constitué plusieurs sociétés et semble les avoir beaucoup utilisées dans le cadre de l'organisation de ses opérations financières. L'appelant était à tout le moins l'administrateur qui détenait le contrôle de Transfotech Limited, si ce n'est le seul administrateur ou dirigeant de celle-ci. Cette société offrait des services de consultation; l'appelant étant son seul consultant. La plus grande partie des revenus de l'appelant provenait de Transfotech. Au cours des années pertinentes, la plus grande partie des revenus de consultation de Transfotech provenait d'Adagio. Les relevés T1 de l'appelant n'indiquaient pas qu'il oeuvrait dans le domaine de prêts d'argent, ni, en fait, dans aucune entreprise quelle qu'elle soit. Transfotech et Fremont sont des entités distinctes et étaient considérées comme telles par l'appelant. Il ne fait aucun doute que Fremont exploitait une entreprise de prêt d'argent à l'égard d'Adagio, mais l'entreprise de Fremont est distincte de celle de l'appelant. Dans l'affaire Loman Warehousing Ltd. c. La Reine[7], le juge Bowman de notre cour a conclu que le contribuable doit réellement exploiter une entreprise de prêt d'argent pour remplir les conditions énoncées à l'alinéa 20(1)p). Je conclus qu'il est établi que l'appelant n'exploitait pas une entreprise de prêt d'argent.

[19] L'entreprise de consultation était exploitée par Transfotech. Au cours des années pertinentes, l'appelant n'a pas gagné d'honoraires d'expertise ni d'intérêt provenant d'une entreprise de prêt d'argent. La dépense pour créance irrécouvrable de 330 650 $ déduite pour 1992 comprenait la somme de 162 000 $. La récompense que devait recevoir Fremont en contrepartie des avances qu'elle avait consenties antérieurement devait lui être versée sous forme d'intérêts, de frais de financement et, surtout, d'actions d'Adagio. Puisqu'il avait déjà procédé à des opérations de ce genre auparavant, l'appelant détenait l'expertise nécessaire pour guider des sociétés à travers les maintes difficultés que représente un appel public à l'épargne. Lorsqu'il a finalement réussi à faire d'Adagio une entreprise publique, en avril 1992, ses sociétés et lui-même détenaient 20,9 % des actions d'Adagio, d'une valeur estimée de 1,7 million de dollars. Il s'agit évidemment de la récompense principale versée à Fremont en contrepartie des sommes qu'elle avait avancées à Adagio. En juin 1992, la somme de 160 000 $ que l'appelant a avancée à Adagio a servi à verser les remises sur le salaire à Revenu Canada, permettant ainsi à Adagio de continuer à exploiter son entreprise. Aucun billet ni aucune sûreté n'a été consenti. Aucune entente exécutoire n'énonçait les modalités du prêt. Il ne s'agit pas ici de gestes posés par un prêteur d'argent. Cela rejoint plutôt la thèse de l'intimée voulant que l'argent ait été avancé dans un geste désespéré pour préserver la participation en actions de l'appelant et de ses sociétés.

[20] Quant au quatrième critère, il ne fait aucun doute que le montant était irrécouvrable.

[21] Quant à l'avance de 330 650 $ consentie à Adagio par Fremont et déduite par l'appelant à titre de dépense pour créance irrécouvrable en 1992, j'en arrive à la conclusion que ce montant n'a pas été prêté par l'appelant à Adagio dans le cours normal de ses affaires avec pour objectif d'en tirer un revenu en intérêt.

[22] Pourrait-on affirmer que l'appelant a prêté cet argent pour tirer un revenu du fonds commercial de toute entreprise dans laquelle il participait ou pour protéger de tels fonds commerciaux ? Selon les relevés T1 de l'appelant, on peut douter qu'il exploitait une entreprise, et encore plus que le prêt d'argent faisait partie intégrante de son entreprise.

[23] Les propos du juge LeDain dans l'affaire Charles Chaffey c. M.R.N.[8] sont pertinents en l'espèce. À la page 8 (DTC : à la page 6179), il écrit ce qui suit :

[...] les avances d'actionnaires ne peuvent être assimilées à une entreprise consistant à prêter de l'argent; elles constituent une manière particulière de placer un capital dans une compagnie. Les prêts consentis par la société n'avaient pas pour objectif principal de rendre service à des personnes en retour d'un revenu versé sous forme d'intérêts; ces prêts étaient simplement une façon de financer des projets mis sur pied dans le but de réaliser des bénéfices par d'autres moyens.

Pour avoir gain de cause, l'appelant devait prouver que son activité d'entreprise habituelle comprenait le prêt d'argent. Il ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve. Qu'a-t-il fait exactement ? Il a consenti de nombreuses avances à Fremont à titre d'actionnaire. Il demande la déduction de 168 650 $ à titre de créance irrécouvrable pour 1992 par suite de la faillite d'Adagio. Comment pourrait-on soutenir que l'appelant procède à des opérations de prêt auprès de Fremont ? C'est Adagio qui a mis fin à son entreprise en 1992, pas Fremont. Fremont a continué à exploiter son entreprise et a fait un léger profit en 1994 sans jamais rembourser, au cours des années pertinentes, de capital ou d'intérêt à l'appelant. Aucune preuve documentaire n'établit une relation débiteur/créancier entre l'appelant et Fremont. La conclusion s'impose : la somme de 168 650 $ n'est pas une perte au titre du revenu.

[24] En juin 1992, l'appelant a avancé la somme de 162 000 $ à Adagio, dont 160 000 $ ont servi à rembourser Revenu Canada. Si les retenues des employés ne lui avaient pas été versées, Revenu Canada aurait fermé l'entreprise d'Adagio. Je ne considère pas cette avance comme un prêt consenti dans le cours normal des affaires de l'appelant[9]. Aucun billet ni aucune sûreté n'a été consenti. Il n'y a eu qu'une lettre d'accompagnement faisant état des modalités arrêtées par l'appelant, et cette lettre n'était pas signée et aucun accusé de réception n'a été donné. Je conclus que cette avance avait pour objectif premier de préserver la participation en actions de l'appelant et de ses sociétés dans Adagio. Celle-ci a fait l'objet d'une requête en faillite une semaine plus tard. Adagio n'était évidemment pas un emprunteur à qui l'appelant aurait prêté la somme de 162 000 $ à un taux d'intérêt réduit. L'objectif de ce dernier n'était pas de percevoir des intérêts dans le cadre d'une entreprise de prêt d'argent.

[25] La troisième dépense pour créance irrécouvrable d'envergure dont l'appelant demande la déduction est la somme de 81 600 $ qu'il a versée en 1993 pour régler un différend soulevé par Westpac Banking Corporation quant à l'argent que l'appelant ou Adagio avait emprunté relativement au bail pour des locaux devant abriter un commerce de détail à Paris. L'appelant était responsable du prêt à titre de caution. Il n'existait aucun document entre Adagio et lui. Encore une fois, il ne s'agissait pas ici d'un prêt de la nature de celui qu'aurait consenti une entreprise effectuant des opérations de prêt tel que l'envisage l'alinéa 20(1)p).

[26] Ma conclusion rejoint l'analyse du juge Bowman dans l'affaire Loman Warehousing Ltd. (précitée). Il indique aux pages 12 et 13 (C.T.C.: à la page 2059) :

L'expression “ son activité d'entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l'argent ” nécessite que l'on détermine exactement ce qu'est l'“ activité d'entreprise habituelle ” du contribuable. En l'espèce, l'activité d'entreprise habituelle de l'appelante est l'entreposage et non le prêt d'argent à d'autres compagnies du groupe. Il faut donner un sens au terme “ habituelle ”. Il suppose que l'entreprise de prêt d'argent est l'une des sources de revenu de la compagnie dans le cours normal de ses activités commerciales. Il suppose également que le prêt d'argent peut être caractérisé comme une entreprise. Je conviens que la participation à l'ACP, aux termes duquel une compagnie du groupe, selon qu'elle a un solde positif ou un solde négatif un jour donné, peut prêter ou emprunter des fonds, est un élément accessoire de son entreprise. Par son argument, l'appelante assimile l'expression “ son activité d'entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l'argent ” aux termes “ son activité d'entreprise consiste de façon accessoire à prêter de l'argent ”. Je ne crois pas que ces deux expressions englobent la même notion.

Cette conclusion est étayée par les derniers mots de la division 20(1)p)(ii)(A) :

[...] consenti ou acquis dans le cours normal des activités de son entreprise [...] de prêt d'argent,

[La version anglaise de cet extrait était libellée dans les termes suivants :]

[...] made or acquired in the ordinary course of the taxpayer's business of [...] the lending of money.

[27] La preuve démontre clairement que l'appelant n'exploitait pas une entreprise de prêt d'argent. Les avances ont peut-être été faites “ dans le cours normal des activités d'une entreprise ”, puisque le fait d'aider Fremont et de permettre à Adagio de continuer à fonctionner était accessoire à l'entreprise de l'appelant, mais on ne peut dire qu'elles ont été consenties dans le cours normal des activités d'une entreprise de prêt d'argent.

[28] Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mars 2000.

“ C. H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour d'octobre 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]               À l'audience, l'appelant a admis que cette somme n'était pas une créance irrécouvrable.

[2]               Pièce A-1, onglet 9.

[3]               Le total des deux montants de 168 650 $ et de 160 000 $ est inclus dans la somme de 330 650 $ déduite par l'appelant en 1992.

[4]               Au cours des années pertinentes, Adagio représentait la source de revenu principale de Transfotech.

[5]               Centre Parking Inc. c. La Reine, C.C.I., no 96-1829(IT)G, 21 septembre 1999 (inédit).

[6]               Les actions provenaient d'actionnaires existants d'Adagio.

[7]               C.C.I., no 98-201(IT)G, le 9 juin 1999 ([1999] 4 C.T.C. 2049).

[8]               C.A.F., no A-254-74, 24 février 1978 (78 DTC 6176).

[9] Sous-alinéa 20(1)p)(ii).

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