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Date: 19990129

Dossier: 97-2741-IT-G

ENTRE :

DONALD A. LEET,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Le présent appel interjeté en vertu de la procédure générale a été entendu à Halifax, Nouvelle-Écosse, le 26 janvier 1999. L’appelant est la seule personne qui a témoigné.

[2] En 1994, l’appelant a déduit de son revenu la somme de 60 000 $ payée à son ex-épouse conformément à une ordonnance rendue par la Cour Suprême de la Nouvelle-Écosse. Il a déduit cette somme conformément au par. 60 b) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui permet au contribuable de déduire le montant payé en vertu d’une ordonnance ou d’un jugement et payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire.

[3] Le paiement de 60 000 $ est la seule somme que le juge Boudreau de la Cour suprême de Nouvelle-Écosse a, le 31 mars 1994, ordonné à M. Leet de verser à Mme Leet. M. Leet avait antérieurement versé à son épouse les paiements mensuels prévus dans leur accord de séparation. Ce document contient le paragraphe 4 qui est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

PENSION ALIMENTAIRE DE L’ÉPOUSE :

4. (a) À compter du 6 février 1991 et le sixième jour de chaque mois par la suite, l’intimé paiera à la requérante une pension alimentaire mensuelle de deux mille deux cent cinquante dollars ( 2 250 $ ). L’intimé cessera complètement de verser cette pension alimentaire si la requérante se remarie ou établit une union de fait. Pour l’application de la présente clause, une union de fait sera réputée avoir été établie si la requérante demeure avec un adulte de sexe masculin pour une période ou des périodes qui totalisent six (6) mois ou plus.

b) La requérante reconnaît que :

(i) elle a l’obligation de devenir économiquement indépendante de l’intimé dans un délai raisonnable et de prendre diligemment toutes mesures raisonnables et tous moyens nécessaires à cette fin;

(ii) elle a reçu une part inégale des biens matrimoniaux pour l’aider à devenir économiquement indépendante de l’intimé dans un délai raisonnable. Par conséquent, tous les coûts qu’elle engage pour devenir économiquement indépendante de l’intimé (par exemple, coûts de recyclage et autres) seront payés à mêmes les biens que la requérante reçoit aux termes du présent accord.

c) Lorsqu’il se sera écoulé trois ans à partir de la date du présent accord, l’intimé pourra demander à un tribunal compétent d’examiner la pension versée à la requérante et le droit de cette dernière de recevoir des aliments. Les parties conviennent que le tribunal pourra examiner la question de la pension alimentaire de la requérante qu’il se soit ou non produit un changement dans les ressources, les besoins ou la situation de l’un ou l’autre des époux ou de tout enfant à charge. Au moment de cet examen, il incombera à la requérante de démontrer au tribunal pourquoi elle devrait continuer à recevoir une pension alimentaire.

[4] La partie de l’ordonnance du 31 mars 1994 du juge Boudreau qui porte sur le paiement de 60 000 $ est ainsi rédigée :

[TRADUCTION]

La question, alors, est de déterminer la meilleure manière d’atteindre les objectifs de la Loi sur le divorce, notamment ceux qu’édictent les al. a), b), c) et d) du paragraphe (7) de l’art. 17 en ce qui concerne les époux. À cet égard, les deux époux font valoir que le versement d’un paiement forfaitaire à Mme Leet en règlement complet et intégral de l’obligation de M. Leet de verser une pension alimentaire est la meilleure manière d’atteindre l’objectif qu’ils indiquent viser tous les deux, c’est-à-dire, devenir indépendants l’un de l’autre. Je suis tout à fait d’accord. La preuve démontre que les discussions continuelles entre les parties sur la pension alimentaire sont la principale cause des plaintes actuelles de Mme Leet. La situation actuelle est devenue intolérable pour les deux époux.

Étant donné les faits en l’espèce et les circonstances dans lesquelles se trouvent les époux, je suis convaincu qu’un paiement forfaitaire serait dans l’intérêt des deux parties et n’irait pas à l’encontre des principes établis dans l’arrêt Messier c. Delage. À mon avis, toute autre mesure serait problématique et, avant de l’établir, la Cour devrait tenir compte de nombreuses hypothèses injustifiables. À mon avis, il n’y a qu’une question à résoudre en ce qui concerne le paiement d’une somme forfaitaire à Mme Leet en règlement de toute pension alimentaire et c’est le montant de cette somme. Dans les circonstances actuelles et d’après mon examen de la preuve, notamment le témoignage de Mme Leet, j’étais porté à mettre fin totalement à la pension alimentaire après le paiement d’avril 1994. Mme Leet réclame un paiement forfaitaire de 200 000 $ sur lequel, bien entendu, elle ne paierait aucun impôt. Accorder une telle somme à Mme Leet équivaudrait à maintenir la pension alimentaire mensuelle actuelle pour un période de plus de dix ans. En outre, elle réclame une pension alimentaire mensuelle de 5 500 $ pour l’enfant, Chelsea. Dans les circonstances, ces deux demandes sont utopiques. Si la Cour faisait droit à ces demandes, elle essaierait de faire ce que, selon ce que la Cour a statué à la p. 416 de l’arrêt Messier c. Delage, est clairement inapproprié. Je cite :

Ce n’est pas à dire que l’obligation de secours entre ex-conjoints doit survivre indéfiniment à la dissolution du lien matrimonial, ni qu’un conjoint peut compter être indéfiniment à la remorque de l’autre ou bénéficier par l’effet de son mariage d’une pension à vie, ou se complaire dans l’indolence aux dépens de l’autre, suivant les expressions que l’on rencontre dans certains écrits sur le sujet.

À mon avis, c’est exactement ce que Mme Leet propose.

J’ai examiné les besoins des parties, toute la preuve, les représentations des parties ainsi que les objectifs de la Loi sur le divorce, notamment l’al. a) du paragraphe 17(7) qui édicte que je dois prendre en compte les avantages ou les désavantages économiques qui découlent pour les deux époux du mariage ou de son échec. J’ai aussi examiné le procès-verbal de la transaction, notamment les paragraphes 4b) et 4c). Au cours de cet examen, je n’ai pas perdu de vue le fait qu’il faut accorder le même poids à chaque objectif de la Loi sur le divorce. En l’espèce, je suis convaincu et je conclus qu’un versement forfaitaire final de pension alimentaire de 60 000 $ constitue le meilleur et le seul moyen d’atteindre les objectifs de la Loi sur le divorce et ceux de l’accord signé par les parties. Ce montant représente une pension équivalente au montant versé en ce moment pour plusieurs années additionnelles. Les versements de pension alimentaire mensuelle cesseront avec celui d’avril 1994, étant donné que nous avons déjà atteint cette date. J’ordonne à M. Leet de payer à Mme Leet un versement forfaitaire final de pension alimentaire de 60 000 $ au plus tard le 1er mai 1994.

En ce qui a trait à la pension alimentaire pour l’enfant, Chelsea, j’ai de nouveau examiné la capacité établie de M. Leet de verser cette pension de même que les besoins raisonnables de Chelsea, comme je l’ai déjà mentionné dans la présente décision. Je suis aussi conscient que la pension de Chelsea a été fixée il y a quelque temps de cela et qu’il y a eu certaines augmentations à cet égard. J’ai aussi pris en considération le fait que les deux époux ont l’obligation de contribuer à l’entretien de Chelsea. Dans les circonstances en l’espèce, je statue qu’une contribution mensuelle de 850 $ de M. Leet pour la pension de Chelsea est raisonnable. Ces paiements commenceront le 1er avril 1994 et devront être effectués le premier de chaque mois par la suite tant que Chelsea sera une enfant à charge selon la définition contenue dans la Loi sur le divorce. Ces paiements devront être versés par l’entremise du tribunal de la famille de la province de Nouvelle-Écosse à Halifax, Nouvelle-Écosse ...

[5] Dans la décision Brian Ambler v. The Queen, 93 DTC 1460 à la p. 1463, le juge Mogan de la C.C.I. énumère les critères qu’il faut examiner en ce qui a trait à la somme dont il est question en l’espèce. Son opinion a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans la décision publiée dans 95 DTC 5401. Le juge Mogan a statué :

Dans l’affaire The Queen v. McKimmon, 90 DTC 6088, la Cour d’appel fédérale a énuméré un certain nombre de critères qui sont utiles pour déterminer si des versements périodiques effectués par un conjoint en faveur de son ex-conjoint ont été faits pour subvenir aux besoins du bénéficiaire ou à titre de paiements de capital. Je résumerai ces critères parce qu’ils s’appliquent directement à la question à trancher en l’espèce.

1. L’intervalle auquel les paiements sont effectués. Plus l’intervalle est court (paiements hebdomadaires ou mensuels), plus les paiements sont susceptibles d’être des allocations d’entretien.

2. Le montant des paiements par rapport au revenu et au niveau de vie du débiteur et du bénéficiaire.

3. Les paiements portent-ils intérêt avant leur date d’échéance? On associe l’obligation de payer des intérêts à une somme payable par versements.

4. Les sommes peuvent-elles être payées par anticipation au gré du débiteur ou peuvent-elles être exigibles immédiatement à titre de pénalité au gré du bénéficiaire en cas de défaut de paiement?

5. Les paiements permettent-ils au bénéficiaire d’accumuler un capital important?

6. Les paiements sont-ils censés continuer pendant une période indéfinie ou être d’une durée fixe? Les sommes payables pendant une durée fixe peuvent plus facilement être considérées comme des versements de capital.

7. Les paiements peuvent-ils être cédés et l’obligation de payer subsiste-t-elle pendant toute la vie du débiteur ou du bénéficiaire?

8. Les paiements sont-ils censés libérer le débiteur de toute obligation future de verser une pension alimentaire?

[6] Si j’applique ces critères un à un aux circonstances en l’espèce, j’obtiens ce qui suit :

1. Le juge Boudreau n’a ordonné qu’un seul paiement.

2. Le juge Boudreau ne fait aucune référence au revenu ou au niveau de vie des parties.

3. À toutes fins pratiques, le paiement devait être effectué immédiatement.

4. Le juge ne mentionne pas que le paiement peut être fait par anticipation ou qu’il peut être exigé à titre de pénalité. L’appelant, dans son argument, a comparé la somme de 60 000 $ à un « versement forfaitaire final » relatif à un prêt hypothécaire. Toutefois, l’accord de séparation (déposé sous la cote R-2) ne prévoyait pas de tel versement forfaitaire final, et le juge Boudreau a spécifiquement ordonné dans ses motifs de jugement : « Les versements de pension alimentaire mensuelle cesseront avec celui d’avril 1994,... » De même, à la p. 12 des motifs de jugement, le juge Boudreau ordonne à M. Leet de verser : « une contribution mensuelle de 850 $ ...pour la pension de Chelsea. » En d’autres mots, la somme de 850 $ par mois était versée à titre de pension tandis que les versements de pension mensuelle de M. Leet à son épouse venaient à terme avec le paiement d’avril, mettant ainsi fin aux versements périodiques décrits dans l’accord de séparation.

5. Le paragraphe 4c) de l’accord de séparation, reproduit ci-dessus, imposait à Mme Leet le fardeau de la preuve d’établir pourquoi elle devrait continuer à recevoir une pension alimentaire. Au paragraphe 4a), il est stipulé que M. Leet versera 2 250 $ par mois à titre de pension alimentaire et ces versements ont pris fin en avril 1994.

6. Le juge a ordonné un seul et unique paiement forfaitaire de 60 000 $.

7. Rien n’indique que M. Leet n’aurait pas été obligé de verser la somme de 60 000 $ dans l’éventualité du décès de Mme Leet.

8. M. Leet n’était plus obligé de verser une pension alimentaire à Mme Leet.

[7] Le paiement représentait un « versement forfaitaire final de pension alimentaire à Mme Leet. » En outre, le juge a clairement ordonné : « les versements de pension mensuelle cesseront avec celui d’avril 1994 » et le « versement forfaitaire final de pension alimentaire » sera payé le 1er mai 1994.

[8] Dans les circonstances, le paiement unique de 60 000 $ en exécution de l’ordonnance du tribunal ne constituait pas un paiement périodique. Il s’agissait d’un montant libérant M. Leet de l’obligation d’effectuer des versements périodiques qui lui incombait aux termes de l’accord de séparation. Ce paiement, comme la Cour l’a statué dans M.N.R. v. John James Armstrong (C.S.C.) 56 DTC 1044, était de la nature d’un paiement de capital.

[9] Pour ces motifs, la somme de 60 000 $ n’est pas déductible en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[10] L’appel est rejeté.

[11] J’accorde à l’intimée les dépens entre parties.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de janvier 1999.

« D.W. Beaubier »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour de novembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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