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Date: 19990908

Dossier: 98-379-UI

ENTRE :

LISE LAVERGNE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel d'une détermination en date du 12 mars 1998. En vertu de cette détermination, l'intimé a conclu que le travail exécuté par l'appelante, lors des périodes allant du 28 septembre 1992 au 2 avril 1993, du 18 octobre 1993 au 22 avril 1994 et du 26 septembre 1994 au 14 avril 1995, pour le compte et bénéfice de la compagnie Les Entreprises Dalin Services Inc., n'était pas assurable à cause du lien de dépendance entre cette dernière et la compagnie payeuse.

[2] L'intimé a décidé que les circonstances, modalités et conditions reliées à l'exécution du travail exécuté par l'appelante auprès de la compagnie payeuse, avaient été influencées par le lien de dépendance. En d'autres termes, l'intimé a conclu que le contrat de travail n'était pas comparable ou similaire à celui que des tiers auraient conclu dans une situation semblable.

[3] Les faits pris pour acquis pour soutenir la détermination ont été décrits au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel. Il y a lieu de les reproduire.

a) Le payeur, constitué en corporation en 1986, exploite une entreprise offrant un service de surveillance périodique de systèmes de chauffage pour le secteur commercial et industriel; il fait également l'entretien, la réparation et le nettoyage des systèmes de chauffage à la vapeur.

b) De la constitution de l'entreprise jusqu'en 1994, les actionnaires du payeur étaient :

Alain Lavergne, beau-frère de l'appelante, avec 33 1/3 % des actions;

Daniel Lavergne, conjoint de l'appelante, avec 33 1/3 % des actions;

Henri Lavergne, beau-père de l'appelante, avec 33 1/3 % des actions.

c) M. Henri Lavergne est décédé en 1994 et M. Royal Lapointe s'est porté acquéreur de ses actions.

d) Le payeur avait des activités à l'année longue mais connaissait une forte période entre la mi-octobre et la mi-avril de chaque année.

e) Le payeur embauchait généralement deux personnes pour l'exécution des contrats et une personne pour le service de bureau.

f) Le siège social du payeur était situé au domicile de M. Daniel Lavergne et de l'appelante.

g) Au cours des périodes en litige, l'appelante a été embauchée par le payeur pour faire le secrétariat ainsi que la tenue des livres comptables.

h) Plus spécifiquement, l'appelante devait s'occuper des tâches suivantes : préparer les paies, préparer les différents rapports gouvernementaux, calculer et remettre les retenues à la source, faire la tenue des livres, effectuer la facturation et les dépôts et répondre au téléphone.

i) L'appelante travaillait seule dans le bureau du payeur aménagé chez elle.

j) L'appelante n'avait aucun horaire de travail à respecter; elle travaillait généralement de jour mais le faisait occasionnellement le soir et durant les fins de semaines.

k) L'appelante ne travaillait prétendument pas de façon continue, elle aurait travaillé 16 semaines durant la 1ère période, 15 semaines durant la seconde et 15 semaines durant la troisième période.

l) L'appelante prétend qu'elle ne cumulait pas ses heures de travail mais qu'elle cumulait plutôt son travail afin de pouvoir travailler des semaines complètes.

m) Le payeur n'exerçait aucun contrôle des heures réellement travaillées par l'appelante ni sur le travail qu'elle accomplissait; il n'était intéressé que par le produit fini.

n) Au cours des périodes en litige, l'appelante aurait reçu une rémunération basée sur un tarif horaire variant de 7 $ à 8,50 $.

o) Les heures de travail du payeur, consacrées au secrétariat, sont passées de 920 heures en 1994, à 462 heures en 1995 et à 282 heures en 1996 alors que le chiffre d'affaires du payeur est demeuré sensiblement le même au cours de ces années.

p) Durant plusieurs mois, au cours des périodes en litige, il y a eu plus d'heures consacrées au travail de secrétariat que d'heures consacrées au travail de surveillance auprès des clients du payeur.

q) La nature même du travail de l'appelante exigeait une intervention hebdomadaire et même quotidienne (elle devait être disponible pour répondre au téléphone).

r) L'appelante rendait des services bénévolement au payeur en dehors des périodes en litige.

s) L'appelante a perdu son emploi au moment où son conjoint se retirait de la gestion du payeur et alors que le bureau d'affaires du payeur était déménagé de sa résidence à celle de M. Alain Lavergne.

[4] À l'exception des sous-paragraphes 5 k), 5 m), 5 o) et 5 r), tous les autres faits ont été admis, l'appelante s'étant réservée le droit de les compléter et nuancer au moyen d'une preuve testimoniale et documentaire.

[5] Étant donné que la détermination a résulté de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la Loi sur l'assurance-chômage (la “Loi”), le Tribunal doit, dans un premier temps, décider si la discrétion a correctement été exercée.

[6] L'appelante a témoigné. Elle a expliqué avoir travaillé pour la compagnie Les Entreprises Dalin Services Inc. depuis les tous débuts en 1986. Son travail consistait à exécuter les tâches administratives, telles que la préparation des payes et des différents rapports gouvernementaux, la tenue des livres et la facturation. Elle était en outre responsable des calculs et remises des retenues à la source. Elle s'occupait aussi des dépôts et répondait au téléphone. Elle préparait les cédules de travail et accomplissait le travail clérical relié à ces tâches. Elle était responsable et associée aux initiatives promotionnelles dont le but était d'identifier et solliciter de nouveaux clients et de consolider la fidélité de ceux existants, au nombre d'une douzaine selon l'appelante. Dans le cadre de cette fonction précise, elle adressait des lettres et faisait un suivi téléphonique.

[7] L'appelante a expliqué que la vocation de la compagnie faisait en sorte que ses activités se déroulaient très majoritairement durant la période hivernale, reconnaissant toutefois qu'il y avait des activités à l'année longue.

[8] L'appelante n'a jamais réussi à expliquer comment et pourquoi les inscriptions au registre des salaires la concernant ne correspondaient pas avec l'exécution de certaines tâches en dehors des périodes en litige. Dans un premier temps, elle a soutenu que certaines factures avaient pu faire l'objet d'une date devancée, de façon à ce que le délai de 30 jours pour le paiement des comptes soit écourté. Cette explication a toutefois perdu de sa pertinence par la preuve de la réalité contraire au niveau de d'autres factures où la date inscrite pénalisait la compagnie en ce qu'un long délai séparait la facturation de la fin des travaux.

[9] Elle n'a pas été en mesure de répondre à des questions précises et importantes quant à l'importance de ses tâches, à la durée de leur exécution et surtout sur la façon dont le tout était encadré. Elle répétait les mêmes réponses vagues et confuses et hésitait de longs moments; ses réponses étaient souvent précédées de longs moments de silence. Fréquemment, elle utilisait les expressions : “Ça a pu arriver”, “Je ne me souviens pas”, “C'est possible” et “J'ai peut-être”. Elle a aussi expliqué que la venue d'un nouvel actionnaire avait été à l'origine de tensions et mésententes quant à la valeur et pertinence de son travail.

[10] Suite à la venue d'un nouvel actionnaire, sa description de tâches fut remise en question à cause des difficultés financières de la compagnie. Elle a finalement perdu son emploi à la suite du déménagement du bureau de la compagnie à la résidence d'un autre actionnaire.

[11] À cet égard, le témoignage d'Alain Lavigne s'est avéré révélateur. D'abord, il a indiqué que la compagnie avait cinq ou six clients, soit la moitié de ceux indiqués par l'appelante. En second lieu, bien qu'il ait justifié la mise à pied de l'appelante par les difficultés financières de la compagnie, il a indiqué que la compagnie avait pourtant aussitôt embauché une autre personne, une certaine Caro, également conjointe d'un actionnaire, et cela, à un salaire supérieur à celui que recevait l'appelante.

[12] De façon générale, l'appelante a témoigné de façon évasive. Plusieurs explications fournies ont été confuses. Nombreuses ont été les questions qui ont été suivies de longs moments de silence, pour aboutir sur des réponses embrouillées et très peu convaincantes. Certes le temps écoulé depuis les périodes en litige pouvait expliquer les difficultés à bien se souvenir. Par contre, il s'agissait d'éléments fondamentaux et précis portant sur les composantes mêmes de sa description de tâches, qui il faut le rappeler, auraient été exécutées à répétition et cela, depuis les tous débuts de la compagnie.

[13] Oublier ou ne pas se souvenir de certains détails peut s'expliquer et se comprendre, mais le fait de ne pas pouvoir décrire les éléments constitutifs de son contrat de travail génère de forts doutes quant à la vraisemblance d'un contrat de louage de services réel et véritable.

[14] En contrepartie, l'intimé a fait témoigner Marc Tremblay. Ce dernier a expliqué le cheminement effectué lors du traitement du dossier de l'appelante. Il a communiqué avec toutes les personnes pouvant lui fournir l'information pertinente; il a obtenu les documents relatifs au travail exécuté par l'appelante. Il a fait une analyse sérieuse, méticuleuse et complète de l'information disponible. Il a complété son étude du dossier au moyen de divers tableaux illustrant, pour une meilleure compréhension, les différentes données consignées aux documents fournis par l'appelante, dont le livre de salaires, les états financiers et la facturation de la compagnie.

[15] Ces tableaux discréditent totalement plusieurs aspects et éléments du témoignage de l'appelante, dont notamment les périodes réellement travaillées, l'importance du travail accompli, la pertinence du salaire versé et la cohérence du temps d'exécution du travail versus les activités de la compagnie.

[16] Pour ce qui est du travail exécuté par l'appelante au niveau de la publicité et promotion, le Tribunal est tout à fait convaincu qu'il a été grossièrement amplifié et exagéré par l'appelante. Cette déduction ressort clairement du peu de détails fournis relatifs à ces activités, de la très faible preuve documentaire produite à son soutien, des nombreuses hésitations de l'appelante, mais aussi de la reconnaissance formelle exprimée par le témoin Lavergne à l'effet que ces initiatives étaient sans effet sur l'essor des activités de la compagnie.

[17] Le fait de répéter plusieurs fois avoir envoyé des agendas à des clients potentiels et certaines lettres circulaires n'a pas pour effet de rendre fondamentale une opération qui objectivement était très marginale et secondaire.

[18] Il est important de rappeler que la compagnie oeuvrait dans un domaine ultra spécialisé avec un potentiel de clients très limité. Lavergne a clairement indiqué que la compagnie desservait tout au plus six ou sept clients contredisant ainsi le témoignage de l'appelante sur un élément assez important, particulièrement pour une personne qui soutient avoir été responsable de tout le travail clérical nécessité par l'opération de la compagnie.

[19] Sur la question de l'évaluation du temps requis pour le travail relié à la publicité et promotion, le Tribunal n'a aucun reproche à formuler à l'intimé quant à sa façon de considérer ou d'évaluer cet aspect du travail de l'appelante. Au contraire, la preuve a largement démontré que l'intimé en avait fait une bonne lecture et en avait apprécié correctement la valeur objective dans le contexte global.

[20] Le principal grief pour disqualifier la qualité de l'exercice du pouvoir discrétionnaire a été le fait que l'intimé n'aurait pas suffisamment donné d'importance au volet “marketing”, ou aux opérations “recherche de nouveaux clients” et aux activités promotionnelles de la compagnie dont l'appelante était responsable.

[21] L'appelante a effectivement souvent répété et insisté sur cette composante de sa description de tâches; elle a, lors de son témoignage, répété très souvent avoir fait parvenir des agendas, participé à des opérations de documentations diverses; elle a indiqué avoir fait certains “mailings” annuels. La preuve documentaire déposée au soutien de cette facette de sa tâche n'a cependant pas été très convaincante, ni déterminante. D'autre part, les nombreuses questions visant à connaître les détails tels que le temps, la durée, la fréquence, la quantité, etc., etc., sont demeurées sans réponses.

[22] D'autre part, l'importance d'une tâche ne doit pas s'apprécier à partir de la répétition verbale et évaluation subjective que l'auteur en fait, mais essentiellement à partir du contenu, de ses exigences au niveau du temps requis pour son exécution et aussi de l'impact, de la nécessité, de l'importance et des conséquences pour et chez le payeur de la rémunération. En l'espèce, la compagnie avait très peu de clients, soit une douzaine selon l'appelante, et six ou sept selon un des actionnaires détenant le tiers du capital-actions. De plus, elle oeuvrait dans un secteur très spécialisé limitant ainsi les initiatives à l'endroit d'une clientèle potentielle de masse.

[23] La prépondérance de la preuve est à l'effet que l'intimé a très judicieusement exercé sa discrétion en prenant en considération tous les éléments et faits pertinents pour lui permettre de conclure. La conclusion retenue est en outre appropriée, raisonnable, légale et cohérente avec tous les faits révélés par la preuve; la preuve a en effet essentiellement consolidé l'analyse effectuée par le responsable du dossier.

[24] Conséquemment, les griefs ou manquements reprochés, dont notamment la dépréciation des tâches reliées à la publicité, ne sont aucunement soutenus par la preuve, dont le fardeau lui incombait. Ces griefs sont en outre tout simplement farfelus et aucunement soutenus par la preuve. Conséquemment, il n'y a pas lieu d'intervenir et l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de septembre 1999.

“Alain Tardif”

J.C.C.I.

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