Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990325

Dossier: 97-3655-IT-I

ENTRE :

ROBERT DEMEY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] L'appelant interjette appel d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national ( « Ministre » ) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ). Par cette cotisation, le Ministre a refusé à l'appelant la déduction d'une somme de 9 100 $ qu'il avait réclamée à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement. Le Ministre invoque l'alinéa 60b) et le paragraphe 60.1(1) de la Loi au soutien de ses prétentions.

[2] J'ai entendu le témoignage de l'appelant. Selon un premier jugement de la Cour supérieure du Québec, Droit de la famille, daté du 10 mars 1993 (pièce I-1), l'appelant s'engageait à payer à son ex-conjointe, madame Murielle Hooper, une pension alimentaire pour leurs deux enfants, nés le 4 mars 1975 et le 25 juillet 1976, de 465 $ par deux semaines. Ce montant devait être indexé au coût de la vie annuellement. Par ce jugement, l'appelant acceptait que « tous les impôt[s] provincial, fédéral et autres taxes s'il y a lieu [seraient] aux frais de [l'appelant] » (pièce I-1, paragraphe 4). De même, le paragraphe 14 du projet d'accord annexé à ce jugement (également dans la pièce I-1) indique que :

Les parties verront à communiquer à l'autre tous les documents nécessaires à chacune pour établir la valeur des impôts, taxes, prêts et versements pour leur permettre de faire les calculs exacts nécessités par la présente et de même s'autorise, mutuellement à s'enquérir auprès des personnes habilitées à leur fournir lesdits chiffres et sommes.

[3] L'appelant a dit lors de son témoignage qu'à la suite de ce jugement, il n'avait pris aucune déduction à titre de pension alimentaire et que son ex-conjointe n'avait inclus aucun montant à ce titre dans ses revenus.

[4] Au cours de l'année 1995, la situation financière de l'appelant a changé et il n'avait plus la même capacité de payer.

[5] Il s'est fait conseiller d'engager un avocat afin de présenter un nouveau projet modifiant les paiements de pension alimentaire payables à son ex-conjointe pour leurs enfants. C'est ainsi que les avocats de l'appelant et de son ex-conjointe en sont arrivés à un consentement à jugement le 11 septembre 1996 (pièce I-2). Ce consentement a été entériné par un juge de la Cour supérieure du Québec le 12 septembre 1996.

[6] Par ce consentement à jugement, l'appelant a convenu avec son ex-conjointe qu'il verserait directement la pension alimentaire à ses enfants à compter du 6 septembre 1996. Il fut alors convenu qu'il paierait une pension alimentaire de 87,50 $ par semaine à chacun d'eux, et que cette pension serait imposable pour les enfants et déductible pour l'appelant. Il était également convenu dans ce consentement que tous les montants versés à l'ex-conjointe avant le 6 septembre 1996 devaient être inclus dans les revenus des enfants et déductibles pour l'appelant à titre de pension alimentaire. Des chèques ont été déposés en preuve démontrant que l'appelant aurait versé une somme totale de 5 910 $ à son ex-conjointe du 1er janvier 1996 au 19 septembre 1996 (voir pièce I-3). Les enfants, dans une déclaration écrite, ont reconnu avoir reçu de leur père la somme de 4 550 $ chacun (voir l'alinéa 6 a) de la Réponse à l'avis d'appel, lequel a été admis par l'appelant).

[7] C'est pourquoi l'appelant a réclamé une déduction à titre de pension alimentaire pour un montant de 9 100 $ à l'égard de l'année d'imposition 1996.

[8] L'alinéa 60b) et le paragraphe 60.1(1) se lisaient ainsi au cours de l'année en litige :

60 : Autres déductions.

Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

b) Pensions alimentaires – un montant payé par le contribuable au cours de l'année, en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le contribuable, pour cause d'échec de son mariage, vivait séparé de son conjoint ou ancien conjoint à qui il était tenu d'effectuer le paiement, au moment où le paiement a été effectué et durant le reste de l'année ;

60.1 : Paiements d'entretien.

(1) Dans le cas où une ordonnance, un jugement ou un accord écrit visé aux alinéas 60b) ou c), ou une modification s'y rapportant, prévoit le paiement périodique d'un montant par un contribuable :

a) soit à une personne qui est, selon le cas :

(i) le conjoint ou l'ancien conjoint du contribuable,

(ii) si le montant est payé en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d'une province, un particulier de sexe opposé qui est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du contribuable ;

b) soit au profit de la personne, d'enfants confiés à sa garde ou à la fois de la personne et de ces enfants,

tout ou partie du montant, une fois payé, est réputé, pour l'application des alinéas 60b) et c), payé à la personne et reçu par elle.

[Les soulignés sont de moi.]

[9] Dans l'affaire La Reine c. Curzi, 94 DTC 6304, le juge Noël alors à la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada disait ceci à la p. 6306 :

L'alinéa 60b) permet la déduction de sommes versées à l'ancien conjoint pour le bénéfice des enfants du mariage. Selon le paragraphe 60.1(1), une somme payée, non pas à l'ancien conjoint, mais au profit d'un enfant dont la garde lui est confiée, est tout de même réputée avoir été payée à ce conjoint de sorte que son caractère déductible est préservé aux fins de l'alinéa 60b).

[10] Dans cette affaire, le juge Noël en venait à la conclusion qu'un enfant majeur ne pouvait être sous la garde de ses parents. En concluant ainsi, il s'appuyait sur les dispositions applicables du Code Civil du Québec et sur une décision du juge Lamarre Proulx de cette Cour dans l'affaire Guardo c. M.R.N., (89-1660(IT)) rendue le 8 janvier 1991. (Cette décision du Juge Lamarre Proulx a été confirmée par le juge Pinard de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada le 23 décembre 1998 (dossier T-1222-91) lequel s'est appuyé sur l'affaire Curzi, supra.)

[11] Le fait que les enfants habitent chez leur mère n'indique pas que la mère en a la garde. Le droit d'habitation n'est pas sous-jacent au droit de garde (voir Droit de la famille - 1920, [1994] R.J.Q. 375 à la p. 378). Ainsi, la pension alimentaire payée directement aux enfants majeurs par l'appelant ne peut être réputée payée à l'ancien conjoint par l'application du paragraphe 60.1(1) et ne saurait donc faire l'objet de la déduction fiscale réclamée par ce dernier aux termes de l'alinéa 60b) de la Loi.

[12] Quant aux paiements faits directement par l'appelant à son ex-conjointe jusqu'au 19 septembre 1996, le jugement de 1993 prévoyait spécifiquement que les impôts payables par l'ex-conjointe sur cette pension étaient aux frais de l'appelant.

[13] Le jugement de 1993 ne prévoyait pas que les montants de pension alimentaire n'étaient pas imposables pour madame Hooper ni déductibles pour l'appelant. La preuve en est la clause du paragraphe 14 de la pièce I-1 citée plus haut. Selon ce jugement, madame Hooper devait inclure les montants reçus à titre de pension alimentaire dans ses revenus. L'appelant devait assumer l'impôt payable par madame Hooper résultant de l'inclusion de la pension alimentaire. Par voie de conséquence, l'appelant pouvait bénéficier d'une déduction aux termes de l'alinéa 60b) de la Loi.

[14] A ce titre, l'appelant avait le droit de déduire en 1996 la somme de 5 910 $ qu'il a versée à son ex-conjointe pour le bénéfice de ses enfants. Ce montant par ailleurs est donc imposable pour l'ex-conjointe pour cette même année.

[15] L'appelant ne pouvait convenir par l'entente de 1996 que les paiements de pension alimentaire seraient imposables pour les enfants et déductibles pour lui, et la Cour supérieure du Québec ne pouvait pas plus entériner cette partie de l'entente puisque cette entente va directement à l'encontre de la Loi qui ne le permet pas.

[16] Pour ces motifs, l'appel est donc admis et la cotisation déférée au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de déduire une somme de 5 910 $ à titre de pension alimentaire pour l'année d'imposition 1996, aux termes de l'alinéa 60b) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mars 1999.

           

J.C.C.I.

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