Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990112

Dossier: 96-4754-GST-G

ENTRE :

2626-8045 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 12 mai 1998, à Rimouski (Québec) par l’honorable juge P.R. Dussault

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel d'une cotisation, en date du 6 mars 1996, concernant la taxe sur les produits et services (“ TPS ”) pour la période du 1er janvier 1991 au 31 août 1995.

[2] Par cette cotisation, le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) a établi la taxe nette de l'appelante au montant de 15 843,38 $ comprenant un rajustement de 3 609,83 $. Des intérêts au montant de 2 018,89 $ et une pénalité au montant de 1 948,55 $ ont également été cotisés. Le rajustement de 3 609,83 $ résulte des éléments suivants :

- écart entre la TPS calculée et la TPS déclarée provenant de taxes perçues mais non remises du 1er janvier 1991 au 31 août 1995 : 1 751,48 $ ;

- vente d'essence en novembre 1993 : 1 497,54 $ ;

- crédits de taxes sur les intrants (“ CTI ”) inadmissibles concernant des dépenses personnelles : 360,81 $.

[3] L'appelante exploite une station-service et un dépanneur. Madame Denise St-Gelais en est présidente.

[4] Dans son témoignage, madame St-Gelais dit avoir engagé un certain monsieur Roger St-Pierre, détenteur d'un diplôme d'études collégiales en administration pour faire la tenue des livres de l'entreprise sur une base mensuelle. De plus, à la fin de l'année tous les documents pertinents étaient envoyés à un comptable. Madame St-Gelais dit avoir été de bonne foi et s'être fiée à ces personnes concernant les taxes. Toutefois, elle admet que c'est elle-même qui enregistrait à l'ordinateur tant les achats que les ventes ainsi que les CTI. Les taxes applicables étaient aussi enregistrées séparément sauf en ce qui concerne les ventes d'essence à l'égard desquelles le calcul devait être effectué séparément puisque le prix comprenait les taxes applicables. Ma compréhension du témoignage de madame St-Gelais est que c'est monsieur St-Pierre qui était chargé de faire le calcul des taxes et qui l'aidait à faire les déclarations trimestrielles requises.

[5] Selon le témoignage de monsieur Éric Nadeau de Revenu Québec qui a effectué la vérification des comptes de l'entreprise, il a d'abord été difficile d'établir une conciliation entre les taxes déclarées et celles comptabilisées car plusieurs entrées aux livres ne pouvaient être expliquées par madame St-Gelais qui s'en remettait à monsieur St-Pierre.

[6] Selon monsieur Nadeau, la vérification de l'écart entre la taxe déclarée et remise et la taxe due a finalement été faite en fonction uniquement des montants déjà enregistrés à la caisse enregistreuse ou à l'ordinateur en présumant que les montants étaient exacts.

[7] Les montants de taxes perçus étaient inscrits aux livres comptables de l'entreprise. Ainsi, la vérification démontre qu'en 1991 un montant additionnel de 6 409,05 $ aurait été perçu mais non remis. En 1992, un montant de 5 492,61 $ aurait été déclaré et remis en trop. En 1993, un montant additionnel de 5 678,29 $ aurait été perçu mais non remis. En 1994, un montant additionnel de 421,52 $ aurait été perçu et non remis. Enfin, en 1995, un montant additionnel de 5 264,75 $ aurait été déclaré et remis en trop (pièce I-1, pages 6.6 à 6.10). Ainsi, malgré ces variations annuelles somme toute assez importantes en termes relatifs, l'écart total pour la période en litige se chiffre, tel que mentionné plus haut, à la somme de 1 751,48 $.

[8] Le montant de 1 497,54 $ concernant les ventes d'essence se rapporte en réalité à une seule transaction, en date du 16 novembre 1993, avec la société Les Pétroles Irving Inc. au terme de laquelle cette dernière a racheté les stocks d'essence dont l'appelante était propriétaire et a appliqué le montant de l'achat, comprenant les taxes, en compensation des sommes dues par l'appelante. Madame St-Gelais dit n'avoir pas bien compris cette transaction qui n'aurait pas été inscrite aux livres mais pour laquelle la taxe a également été perçue mais, ici encore, non remise.

[9] Quant au montant de 360,81 $ concernant des CTI jugés inadmissibles, monsieur Éric Nadeau a expliqué, lors de son témoignage, qu'ils se rapportaient à des factures pour des achats personnels et non pour des achats de l'entreprise. Aucune explication n'a été fournie par madame St-Gelais à cet égard.

[10] Seule la pénalité de 6 p. cent cotisée au terme de l'alinéa 280(1)a) de la Loi sur la taxe d'accise (Partie IX – Taxe sur les produits et services) (la “ Loi ”) est contestée. Au terme de l'audition, j'ai proposé d'attendre la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire The Attorney General of Canada and Consolidated Canadian Contractors Inc. (dossier A-445-97) avant de rendre jugement.

[11] Dans cette affaire, le juge Bowman de cette cour avait décidé, suite à un jugement qu'il avait d'ailleurs lui-même rendu en 1993 dans l'affaire Pillar Oilfield Projects Ltd. v. Canada, [1993] G.S.T.C. 49, qu'un contribuable pouvait faire valoir une défense de diligence raisonnable au regard de l'article 280 de la Loi puisque cette disposition édictait une pénalité applicable dans un cas de responsabilité stricte plutôt qu'absolue. La décision dans l'affaire Consolidated Canadian Contractors Inc. (précitée) a fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.

[12] Par un jugement en date du 29 septembre 1998, la demande de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour d'appel fédérale. Au terme de ce jugement, la Cour d'appel fédérale se dit non convaincue que l'article 280 de la Loi donne lieu à une responsabilité absolue et elle affirme que la présomption en faveur d'une responsabilité stricte n'a pas été réfutée.

[13] Suite à cette décision, les parties au présent litige ont été invitées à soumettre des observations additionnelles si elles le désiraient, ce qu'elles ont fait.

[14] L'avocate de l'appelante soutient que la preuve présentée a démontré que celle-ci “ n'avait pas commis de faute, de négligence ou d'omission dans la perception des taxes ”. De plus, dit-elle, elle a pu démontrer sa bonne foi et sa crédibilité tout au long de l'audition. Ainsi, selon elle, l'appelante a été victime de simples erreurs de calcul. Enfin, souligne-t-elle “ l'année qui a fait l'objet des corrections les plus importantes, même si elles étaient somme toute mineures, était l'année 1991, soit lors de l'implantation de ladite taxe ”.

[15] Au soutien de l'argument voulant que l'appelante ait fait preuve de diligence raisonnable, elle ajoute :

Nous vous soumettons que notre cliente faisant en partie sa comptabilité et en ayant confié également celle-ci à un agent de gestion financière, en plus d'avoir fait appel à un bureau de comptable, a pris toutes les mesures nécessaires et elle a donc, fait preuve de diligence raisonnable afin de s'assurer que sa façon de faire et ses calculs étaient conformes à la loi. Elle avait donc pris soin de prendre les informations utiles et pertinentes à l'exercice de son commerce en plus, d'être vérifiée régulièrement par des professionnels.

[16] Essentiellement, l'avocat de l'intimée soutient d'une part que la bonne foi est insuffisante pour établir la diligence raisonnable et d'autre part, que le fait de confier ses affaires à des comptables ou autres mandataires qui ont pu être négligents n'équivaut pas à démontrer la diligence raisonnable. Sur ce dernier point, il s'appuie sur les remarques du juge Bowman dans l'affaire Roberts (K.) v. Canada, [1997] G.S.T.C. 58, où à la page 3 de la traduction française officielle celui-ci écrit :

Dans ce cas-ci, il est vrai que l'appelant a embauché des teneurs de livres pour l'une des périodes en question et qu'il leur a versé des montants qui me semblent excessifs compte tenu du fait qu'ils ont fait preuve d'incompétence et qu'ils n'ont rien fait. Cela pourrait justifier l'introduction d'une action par l'appelant contre eux, mais cela ne veut pas pour autant dire que ce dernier a fait preuve d'une diligence raisonnable. Les comptables sont somme toute des mandataires de l'appelant, et ce dernier est responsable de ce qu'ils ont fait ou de ce qu'ils ont omis de faire. De la même façon que la diligence raisonnable dont font preuve les comptables ou les teneurs de livres d'un contribuable serait imputée à celui-ci et justifierait le retrait de la pénalité, l'absence de diligence raisonnable de la part des comptables ou des teneurs de livres empêche le contribuable de se prévaloir du recours envisagé dans le jugement Pillar Oilfield.

[17] L'avocat de l'intimée s'appuie également sur la décision du juge Bowman dans l'affaire Somnus Enterprises Ltd. v. Canada, [1995] G.S.T.C. 4, dans laquelle celui-ci écrit à la page 4 de la traduction française officielle :

Il faut que le contribuable ait fait des efforts sérieux pour satisfaire, au meilleur de sa connaissance, aux exigences de la loi, en se servant des sources d'information, des installations et des ressources mises à sa disposition.

[18] Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée. La preuve de bonne foi est en deçà du seuil requis pour établir la diligence raisonnable. La différence a d'ailleurs été clairement établie par le juge Bowman de cette cour dès sa décision dans l'affaire Pillar Oilfield Projects Ltd. (précitée). À la page 11 de la traduction française officielle de cette décision, le juge Bowman concluait en ces termes :

Comme je l'ai mentionné ci-dessus, la bonne foi dans le contexte d'erreurs commises involontairement n'équivaut pas à la diligence raisonnable. Cette défense exige la preuve positive que toutes les précautions raisonnables ont été prises pour qu'aucune erreur ne soit commise.

[19] Sur ce point, on peut également se référer aux décisions récentes rendues dans les affaires suivantes :

- Roberts (K.) (précitée);

- SDC Sterling Development Corp. v. Canada, [1997] G.S.T.C. 103;

- Toyota Tsusho America, Inc. v. Canada, [1997] G.S.T.C. 83;

- Lorne Pinel Construction Co. v. Canada, [1998] G.S.T.C. 28.

[20] Mais il y a plus. Au-delà des principes, le présent dossier comporte des éléments qui rendent inacceptable la défense de diligence raisonnable. D'abord, il ne s'agit pas ici d'une situation ayant présenté quelque difficulté particulière quant à l'application même de la Loi, puisque, en réalité la taxe a bel et bien été perçue. Elle n'a tout simplement pas été remise. En effet, les écarts annuels retracés se rapportent en presque totalité à des montants de taxes perçus mais non remis. Madame St-Gelais a bien témoigné qu'elle enregistrait elle-même les achats et les ventes. On sait également qu'elle avait engagé une personne pour faire sa tenue de livres de même qu'un comptable. On a laissé supposer, et l'avocate de l'appelante se base également sur cet élément, que ces personnes seraient en réalité responsables des erreurs relevées lors de la vérification. Pourtant, rien dans le témoignage de madame St-Gelais est de nature à expliquer les erreurs et ni monsieur St-Pierre ni le comptable n'ont été appelés à témoigner sur ce qu'ils ont fait ou n'ont pas fait dans l'accomplissement de leur mandat au regard des exigences de la Loi. Il est assez évident que la tenue des livres ou le système de comptabilité souffrait de déficiences marquées tout au long de la période en litige. Dans les circonstances, on est loin d'avoir apporté une preuve suffisante de diligence raisonnable.

[21] En ce qui concerne les CTI qui ont été refusés, la preuve démontre qu'ils ont été réclamés à l'égard d'achats pour fins personnelles et non dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise. Aucune explication n'a été fournie à cet égard. On ne saurait parler ici d'une preuve de diligence raisonnable.

[22] En conséquence de ce qui précède, l'appel est rejeté avec frais en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de janvier 1999.

“ P.R. Dussault ”

J.C.C.I.

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