Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 19990514

Dossier : 97-2942-IT-G

ENTRE :

EDWARD CALB,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 14 mai 1999)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Il s’agit d’appels interjetés à l’encontre de nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 1991 et 1992. Par ces nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national (le ministre) apportait deux ajustements aux frais de gestion déclarés par l’appelant. Le premier consistait à appliquer certaines sommes aux années durant lesquelles l’appelant les avait reçues, plutôt qu’aux années pour lesquelles il les avait déclarées. Le ministre avait en effet conclu que les sommes en question étaient, entre les mains de l’appelant, un revenu d’emploi et non un revenu d’entreprise. L’appelant ne m’a pas paru contester véritablement cette conclusion. Ce qu’il conteste, c’est la décision du ministre d’ajouter au revenu de l’appelant pour 1992 une somme de 2925000$, somme qu’il aurait reçue, à titre de frais de gestion, d’une société lui appartenant en totalité, et qu’il n’avait pas déclarée. Selon le témoignage de l’appelant, ce n’est pas du tout à lui que cette somme a été versée, mais à un certain M. John Lee à qui elle était due à titre d’honoraires ou de commission se rapportant à une opération immobilière. L’appelant affirme aussi que la somme en question a été payée à M. Lee en 1993 et par la suite, non en 1992.

[2] L’appelant est titulaire de diplômes d’architecture et d’urbanisme. Avant 1980, il a acquis de l’expérience en aménagement de terrains en travaillant pour d’autres personnes, et parfois à son propre compte. Depuis 1980, il exploite sa propre entreprise d’aménagement de terrains, surtout dans la région de Newmarket, en Ontario. Chacun de ses projets d’aménagement est exécuté par l’intermédiaire d’une société distincte. Le projet qui nous intéresse ici a été entrepris par la société Tebrik Investments Inc. (Tebrik). Carca Development Inc. (Carca) détient toutes les actions de Tebrik et l’appelant détient toutes les actions de Carca. Carca constitue le canal par lequel l’appelant dirige vers lui-même et d’autres membres de sa famille, surtout sous la forme de frais de gestion, les bénéfices provenant de Tebrik et de ses autres sociétés actives.

[3] Le témoignage présenté par l’appelant concernant la somme en litige se résume ainsi : à l’époque où Tebrik s’occupait d’aménagement de terrains à Newmarket, M. Lee est venu le voir pour lui dire qu’il était en mesure d’obtenir une parcelle (la parcelle W), laquelle était alors utilisée comme ferme forestière mais que des promoteurs convoitaient parce qu’elle laissait présager un bénéfice considérable. M. Lee n’avait pas les fonds nécessaires pour l’acquérir et la développer lui-même, et il s’est offert à l’obtenir pour l’appelant. Selon l’appelant, ils sont arrivés à une entente d’après laquelle, moyennant l’intervention de M. Lee dans l’acquisition de la parcelle W, l’appelant lui verserait 25 p. 100 des bénéfices provenant de l’aménagement de la parcelle, jusqu’à un maximum de 3000000$. Cette somme ne serait payable cependant qu’à la première de deux dates – la date à laquelle 85 p. 100 des lotissements aménagés sur la parcelle seraient vendus et la date à laquelle l’appelant aurait une trésorerie suffisante pour autoriser le paiement. Selon le témoignage de l’appelant, cette obligation était à l’origine considérée comme une obligation de Carca, mais lui et M. Lee décidèrent plus tard, en 1993, que l’appelant assumerait personnellement la responsabilité de la dette et que la somme serait versée non pas en argent, comme on aurait pu le croire, mais de la façon suivante. Lorsqu’il investirait dans des entreprises, l’appelant mettrait la moitié de chaque investissement au nom de M. Lee, jusqu’à ce que le total des investissements inscrits au nom de M. Lee suffise à effacer la dette. L’appelant s’est appliqué ensuite, dans son témoignage, à décrire quatre différents projets dans lesquels il avait investi pour lui-même et pour M. Lee. La part totale de M. Lee dans ces investissements s’élevait, a-t-il dit, à un peu plus de 3000000 $. La preuve de l’appelant était floue en ce qui concerne le bénéfice brut généré par l’aménagement de la parcelle W, mais il a déclaré qu’il était d’environ 12000000$.

[4] La réponse de l’intimée à l’avis d’appel éclaire fort peu le raisonnement appliqué par le ministre pour établir la cotisation. Elle indique simplement, en termes laconiques, que, dans l’établissement de la cotisation, le ministre a présumé que l’appelant avait reçu, à titre de frais de gestion, 178750$ en 1991 et 4202400$ en 1992, et que ces sommes constituaient pour l’appelant un revenu tiré d’une charge ou d’un emploi auprès de Carca. Cependant, à mesure que l’instance avançait, il est ressorti clairement que les arguments de l’intimée reposaient sur deux raisonnements distincts. Le premier est que l’appelant avait, durant 1992, soustrait 2925000$ aux ressources de Carca, pour son propre avantage, soit directement, soit via son compte de prêt à l’actionnaire, sous le couvert du paiement d’une dette fictive à M. Lee. Ce raisonnement s’appuierait sur le fait que l’épouse de l’appelant avait acheté en février 1992 une maison au prix de 2950000$. L’idée était que la somme que l’appelant affirmait s’être engagé à payer à M. Lee et qui fut plus tard établie à 2925000$ aurait été utilisée par l’appelant pour payer cette maison. L’appelant a nié cette affirmation dans son témoignage et s’est expliqué sur la source des fonds utilisés pour l’achat de la maison.

[5] L’autre raisonnement est le suivant : la créance de M. Lee était une créance fictive, les investissements faits par l’appelant étaient en réalité faits intégralement pour le propre bénéfice de l’appelant, et l’affirmation de l’appelant selon laquelle il s’était entendu avec M. Lee pour investir au nom de celui-ci afin de régler sa dette envers lui était simplement fausse.

[6] On peut comprendre que le ministre ait mis en doute l’authenticité de l’entente initiale conclue avec M. Lee, et l’engagement ultérieur de l’appelant, évoqué dans son témoignage, de payer M. Lee en effectuant et en détenant des investissements pour le compte de celui-ci. Des documents ont été produits comme preuve : une lettre d’intention signée par l’appelant et par M. Lee, une entente ultérieure, et légèrement plus officielle, conclue entre eux, enfin quatre accords de société ou de copropriété conclus entre l’appelant, M. Lee et leurs sociétés en propriété exclusive. Tous ces documents présentent, d’une manière ou d’une autre, des lacunes qui feraient douter quiconque de leur authenticité. M. Lee n’a pas été appelé à témoigner; on a expliqué qu’il vit maintenant en Floride et qu’il passe la majorité de son temps en Chine. L’appelant n’a pas demandé que son témoignage soit recueilli par commission rogatoire aux États-Unis, même si un tel témoignage est évidemment essentiel pour savoir s’il y a jamais eu entente entre M. Lee et l’appelant. Le témoignage de l’appelant était suspect à maints égards, ne fût-ce qu’en raison de son caractère intéressé. Il m’a semblé que les souvenirs de l’appelant, la connaissance qu’il avait de ses affaires, fluctuaient considérablement, en fonction des réponses qui seraient les mieux à même de faire avancer sa cause. Durant son contre-interrogatoire, il se mettait souvent à couvert en répondant que seul son avocat ou son comptable pouvait répondre à la question. La description qu’il a donnée de ses rapports avec M. Lee, ainsi que les documents qui prétendument ont été signés par lui et par M. Lee, et dont aucun n’a été attesté par des témoins, ne semblent pas concorder avec la réalité des affaires.

[7] L’autre témoin qui a déposé pour l’appelant est M. David Yee, un comptable agréé du cabinet Vottero, Fremes, McGrath et Yee. Depuis 1986, ce cabinet, ou le cabinet qu'il remplace, tient les comptes et prépare les états non vérifiés des sociétés de l’appelant. M. Yee s’est occupé de ce dossier sans interruption depuis cette année-là et il connaît parfaitement les livres des sociétés en question. Selon son témoignage, c’est au début de 1993 que l’appelant a porté à son attention l’accord conclu avec M. Lee. Il lui avait montré une facture qui, lui avait dit l’appelant, avait été envoyée par la société de M. Lee à Carca et qui, à première vue, semblait se rapporter à des services de gestion. Le montant de la facture était de 2925000$. M. Yee a déclaré l’avoir inscrite dans les livres de Carca comme dépense de l’exercice terminé en 1992 et avoir porté la même somme au crédit des comptes fournisseurs. Lorsque l’appelant lui avait dit plus tard en 1993 qu’il s’était personnellement engagé à payer M. Lee, M. Yee avait porté cette somme au débit des comptes fournisseurs et au crédit du compte de prêt de l’appelant.

[8] Le témoignage essentiel de M. Yee est cependant que, sur la somme de 2925000$ qui intéresse le présent appel, aucun paiement n’a été fait à l’appelant durant 1992, que ce soit directement ou via son compte de prêt à l’actionnaire. L’avocat de l’intimée a fait valoir que les relevés bancaires de Carca pour 1992 ne figuraient pas dans les livres remis au vérificateur du ministre et que cela donnait du poids à son premier raisonnement. Cependant, M. Yee a déclaré avoir mis à la disposition du vérificateur, pendant sa vérification, les dossiers de Tebrik et de Carca, y compris les relevés bancaires de Carca pour 1992. Le vérificateur n’a pas été appelé à témoigner pour réfuter cette affirmation. J’accepte le témoignage de M. Yee selon lequel il aurait été impossible que le présumé paiement fût fait à l’appelant en 1992, directement ou par imputation au compte de prêt, à l’insu de M. Yee, et selon lequel ce paiement n’a pas eu lieu.

[9] M. Yee a aussi produit un relevé des divers paiements que l’appelant a faits au bénéfice de M. Lee sur les ressources de Tebrik et de Carca, au moyen des investissements dont j’ai parlé plus tôt. Certains paiements ont été faits par chèque, d’autres par virements télégraphiques. Certains étaient faits directement aux sociétés dans lesquelles un intérêt était en cours d’acquisition, d’autres étaient faits à M. Lee lui-même, ou à sa société. L’avocat de l’intimée a indiqué que certains ou la totalité de ces paiements pourraient bien être des paiements dont le bénéficiaire était en réalité l’appelant. C'est possible. Ce qui est clair cependant, c’est que tous ces paiements ont été effectués en 1993, 1994 et 1995; le premier porte la date du 20 juillet 1993, et il s'agit d'un investissement dans une société appelée Interpaul. Selon le témoignage de M. Yee, la moitié de ces sommes revenait à M. Lee, et c’est ainsi que M. Yee les a inscrites, en se fondant sur les déclarations de l’appelant. M. Yee n’est pas nécessairement en position de se prononcer avec autorité sur la question du droit de propriété à titre bénéficiaire des investissements; la seule connaissance qu’il en avait lui venait de l’appelant. Cependant, lui, ou d’autres personnes de son cabinet qui travaillaient sous ses ordres, donnaient à la banque les instructions concernant les virements télégraphiques et ils s’occupaient des relevés des comptes bancaires des sociétés. J’accepte le témoignage de M. Yee se rapportant à la date des paiements. De toute évidence, même si l’affirmation de l’intimée à propos de ces paiements est juste, il ne peut s’agir de sommes reçues par l’appelant en 1992. Il s’ensuit que l’appelant doit obtenir gain de cause pour l’année d’imposition 1992 en ce qui concerne la somme de 2925000$.

[10] Cela suffit à disposer des appels dont je suis saisi. Une nouvelle cotisation de l’appelant pour l’année d’imposition 1993, et un appel interjeté ensuite devant la Cour à l’encontre de cette nouvelle cotisation, ne sont pas du domaine de l’impossible, même si trois années se sont écoulées depuis la cotisation initiale. Je ne me prononcerai donc pas sur l’authenticité de la prétendue entente conclue avec M. Lee, ni sur les autres événements qui, selon le témoignage de l’appelant, en ont découlé.

[11] L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 1992 est admis, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l’appelant n’a pas reçu durant l’année d’imposition 1992 la somme de 2 925 000 $ mentionnée dans les présents motifs. L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 1991 est rejeté. L’appelant a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de mai 1999.

« E.A Bowie »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de mars 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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