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Date: 20000613

Dossier: 1999-3149-IT-APP

ENTRE :

GERALD WAYNE JACKMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, J.C.A.

[1] L'avocate de l'intimée demande à la Cour de la libérer de l'engagement qu'elle a pris en Cour dans le cadre d'une requête préliminaire.

[2] Les faits quelque peu inhabituels qui sont à l'origine de la présente affaire sont les suivants.

[3] Un conflit portant sur les années d'imposition 1992 et 1993 opposait M. Jackman et le ministère du Revenu national. L'appelant a donc retenu les services de Thorsteinssons, un cabinet d'avocats, pour le représenter. Le 31 janvier 1996, M. Jackman a adressé au ministère du Revenu national une lettre pour l'autoriser à discuter de ses affaires en matière d'impôt sur le revenu avec “ Kim Hansen ou tout autre membre du cabinet Thorsteinssons ”.

[4] Des avis d'opposition aux cotisations ont été déposés. Les faits deviennent alors un peu troubles à cause des allégations et des dénégations des deux parties. Pour des motifs que j'énoncerai ci-après, je ne crois pas approprié de tirer des conclusions relatives à la crédibilité dans le cadre de la présente demande.

[5] Il semble toutefois que le dossier de l'appelant ait été repris par David Baxter, avocat, et que celui-ci ait négocié avec la division des appels du ministère du Revenu national.

[6] Le 17 avril 1998, Me Baxter a adressé la lettre suivante à M. Gilbert Lee, de la division des appels du ministère du Revenu national :

[TRADUCTION]

Objet : Gerald Jackman : années d'imposition 1992 et 1993

J'ai reçu de mon client l'autorisation d'accepter le règlement que nous avons négocié lors de notre rencontre du 26 mars 1998.

Conformément à ce règlement, je confirme que M. Jackman aura le droit de déduire la totalité des dépenses d'entreprise engagées au cours de l'année d'imposition 1992, de sorte que la perte d'entreprise de 37 084 $ dont il faisait initialement état dans sa déclaration T1 sera admise. Relativement aux dépenses d'entreprise engagées par M. Jackman en 1993, je joins aux présentes un tableau où figurent les dépenses que M. Jackman pourra déduire personnellement conformément au règlement négocié. Selon mes calculs, les dépenses d'entreprise déductibles par M. Jackman dans l'année d'imposition 1993 seront de 26 462,26 $. De plus, en ce qui concerne M. Jackman, le solde de 44 598,28 $ des dépenses d'entreprise engagées en 1993 sera traité comme une avance d'un actionnaire à Windermere North-West Properties Group Inc.

Veuillez me confirmer que les chiffres susmentionnés correspondent à ceux qui figurent dans vos dossiers et envoyer une confirmation écrite des rajustements que vous prévoyez effectuer relativement aux années d'imposition 1992 et 1993 en établissant de nouvelles cotisations supplémentaires à l'égard de M. Jackman.

[7] Une copie de cette lettre, pouvait-on aussi lire, avait été envoyée à M. Jackman. Ce dernier a témoigné qu'il n'avait jamais rencontré Me Baxter et qu'il n'avait pas discuté du règlement avec lui. Il a refusé de confirmer qu'il avait reçu la lettre.

[8]M. Jackman a témoigné que, entre la date de la lettre et le 23 juin 1998, il avait rompu ses relations avec Thorsteinssons pour une question d'honoraires — ils lui réclamaient 14 000 $.

[9] Le 23 juin 1998, Me Baxter a envoyé à M. Jackman la lettre suivante :

[TRADUCTION]

Objet : Nouvelles cotisations supplémentaires pour les années d'imposition 1992 et 1993

Vous trouverez ci-joint une lettre datée du 18 juin 1998 que m'a adressée M. Lee, de la division des appels de Revenu Canada. Compte tenu de nos conversations récentes, je n'ai pas examiné cette lettre dans le détail. Si je ne reçois aucune directive contraire de votre part d'ici la fin du mois, j'informerai M. Lee que vous vous occupez vous-même du dossier et que vous communiquerez directement avec lui. À cet égard, je vous recommande de confirmer que les dépenses engagées en 1993 pour le compte de Windermere North-West Properties Group Inc. seront comptabilisées comme des avances d'actionnaires.

N'hésitez pas à communiquer avec moi si vous avez des questions à cet égard.

[10]M. Jackman a témoigné que, quelque temps après, un représentant du ministère du Revenu national l'avait menacé au téléphone d'annuler le règlement s'il ne signait pas la lettre de règlement contenant une renonciation à ses droits de déposer une opposition ou d'interjeter appel.

[11] M. Lee, l'agent des appels, a témoigné. Il a nié avoir proféré une telle menace et a affirmé que, à sa connaissance, personne d'autre n'avait pu faire une telle chose.

[12] Quoi qu'il en soit, M. Jackman a signé une renonciation à son droit de déposer une opposition ou d'interjeter appel à condition que le ministère du Revenu national établisse de nouvelles cotisations et lui permette ainsi de déduire les montants de 37 084 $ et de 26 348 $ pour les années 1992 et 1993 respectivement.

[13] Le ministère a établi de nouvelles cotisations en conséquence le 19 octobre 1998. M. Jackman a déposé des avis d'opposition à l'égard des nouvelles cotisations le 11 janvier 1999, faisant valoir qu'il n'avait pas compris qu'il renonçait à son droit d'interjeter appel et que c'est sous la contrainte d'un représentant du ministère du Revenu national qu'il avait signé la renonciation.

[14] Le 18 juin 1999 (cinq mois après le dépôt des avis d'opposition), M. Asher, de la division des appels, a adressé la lettre suivante à M. Jackman :

[TRADUCTION]

Je vous écris en réponse aux avis d'opposition que vous avez déposés le 11 janvier 1999 relativement aux années d'imposition 1992 et 1993. Le 18 juillet 1998, conformément au paragraphe 165(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, vous avez signé un règlement aux termes duquel vous avez renoncé à votre droit de déposer une opposition et d'interjeter appel si de nouvelles cotisations étaient établies pour les années d'imposition 1992 et 1993 afin de vous permettre de déduire des montants supplémentaires. Le 19 octobre 1998, nous avons établi de nouvelles cotisations à l'égard des années en question conformément au règlement. Par conséquent, les avis d'opposition que vous avez déposés ne sont pas valides et nous vous les retournons.

[15]M. Jackman a alors déposé une demande à la Cour en vue d'obtenir une prolongation du délai pour déposer des avis d'opposition.

[16] Lorsque j'ai été saisi de l'affaire, j'ai affirmé :

a)                    que la demande était inutile car M. Jackman avait déposé en temps opportun des avis d'opposition pour les années 1992 et 1993;

b)                    que l'Agence des douanes et du revenu du Canada (“ ADRC ”) avait eu tort de retourner les avis d'opposition à M. Jackman.

[17] L'avocate du ministre s'est régulièrement engagée à faire délivrer un avis de ratification des cotisations, après quoi, M. Jackman pourrait interjeter appel à la Cour, laquelle pourrait alors traiter de la question du droit de l'appelant de déposer une opposition et d'interjeter appel.

[18] J'ai alors rendu l'ordonnance suivante :

[TRADUCTION]

Le requérant ayant déposé en temps opportun un avis d'opposition à l'égard des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992 et 1993;

Et l'avocate de l'intimée s'étant engagée à faire délivrer un avis de ratification en réponse à l'avis d'opposition;

La demande est rejetée.

[19] J'ai rendu cette ordonnance pour le motif que l'appelant avait clairement déposé des avis d'opposition en temps opportun et que, en outre, l'avocate de l'intimée s'était catégoriquement engagée à faire délivrer un avis de ratification.

[20] Le 17 avril 2000, l'avocate de l'intimée a adressé au greffier de la Cour la lettre suivante :

[TRADUCTION]

J'écris la présente lettre parce que j'ai eu de la difficulté à respecter un engagement ordonné par le juge Bowman.

Le 11 janvier 1999, Gerald Jackman (“ M. Jackman ”) a déposé auprès du ministère du Revenu national (le “ ministre ”) un document ayant le caractère d'un avis d'opposition relativement à une nouvelle cotisation établie le 19 octobre 1998 pour les années d'imposition 1992 et 1993. Le 18 juin 1999, l'Agence des douanes et du revenu du Canada (“ ADRC ”) a retourné l'avis d'opposition auquel il a joint une lettre déclarant que l'opposition était invalide parce que, conformément aux paragraphes 165(1.2) et 169(2.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”), M. Jackman avait, le 18 juillet 1998, signé un règlement aux termes duquel il renonçait à son droit de déposer un avis d'opposition ou d'interjeter appel à l'égard des nouvelles cotisations établies. En réponse à la lettre du 18 juin 1999 de l'ADRC, M. Jackman a, le 24 juin 1999, demandé à la Cour de l'impôt une prolongation du délai prescrit pour déposer une opposition. Il croyait, semble-t-il, avoir déposé son opposition au mauvais endroit. L'ADRC s'est opposée à la demande pour le motif qu'il ne serait pas juste ni équitable dans les circonstances de rendre une ordonnance de prolongation du délai.

L'affaire a été entendue le 10 mars 2000 par le juge Bowman. Ce dernier s'est dit d'avis que l'audition de la demande de prolongation du délai n'était pas la tribune appropriée pour entendre les arguments de M. Jackman relatifs à la dénégation du fait d'un acte. Le juge a affirmé que l'ADRC aurait dû délivrer un avis de ratification à M. Jackman, auquel celui-ci aurait répondu par un avis d'appel. L'ADRC aurait alors pu déposer une requête visant à faire annuler l'appel pour le motif que l'opposition n'était pas valide en vertu du paragraphe 165(1.2) de la Loi. J'ai souscrit au raisonnement du juge à l'audience. Ni lui ni moi ne croyions que la délivrance d'un avis de ratification équivalait à reconnaître la validité de l'opposition de M. Jackman. Le juge a rejeté la demande à la condition que je m'engage à ce que l'ADRC délivre un avis de ratification. J'aurais dû préciser à ce moment-là que je ne pouvais pas m'engager à ce qu'un avis de ratification soit délivré à M. Jackman, que je ne pouvais que m'engager à formuler une demande en ce sens à l'ADRC; je n'ai pas donné cette précision parce que je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait de difficultés.

Le bureau principal des appels de l'ADRC a fait valoir que, en raison du paragraphe 165(1.2), M. Jackman n'avait pas le droit de déposer un avis d'opposition. Par conséquent, sa prétendue opposition était invalide. À leur avis, délivrer un avis de ratification dans les circonstances équivaudrait à reconnaître la validité de l'opposition et donnerait à croire que le ministre a examiné à nouveau les nouvelles cotisations en cause aux termes du paragraphe 165(3). En conséquence, l'ADRC refuse de délivrer un avis de ratification. Cependant, elle souligne que, en dépit du fait que le ministre était d'avis que l'opposition n'était pas valide, M. Jackman lui, estimait clairement qu'elle l'était. Cela étant dit, M. Jackman peut maintenant interjeter appel à la Cour de l'impôt en vertu de l'alinéa 169(1)b) de la Loi pour le motif qu'un délai de 90 jours s'est écoulé depuis la signification de l'“ avis d'opposition ” et que le ministre n'a pas ratifié la cotisation ni établi de nouvelle cotisation. Une fois l'appel de M. Jackman déposé, le ministre sera en mesure de déposer une requête visant à faire annuler l'appel pour le motif que l'opposition n'était pas valide compte tenu du paragraphe 165(1.2). La Cour pourra à ce moment-là entendre les arguments sur la validité de la renonciation et de l'opposition.

Je vous saurais gré d'attirer l'attention du juge Bowman sur cette affaire et de me confirmer s'il me libérera de l'engagement que j'ai pris de faire délivrer un avis de ratification étant donné que M. Jackman peut déposer un avis d'appel sans que cet avis soit délivré. Si le juge refuse, j'aimerais qu'il m'indique ce que je dois faire à partir de ce moment-ci.

Je vous remercie de votre aimable collaboration dans cette affaire.

[21] Les remarques de Me Coombs sont très justes. Puisque le ministre a omis de répondre aux avis d'opposition, M. Jackman a le droit de déposer à la Cour des appels dans le cadre desquels ses arguments relatifs à la dénégation du fait d'un acte pourront être examinés, ainsi que les conséquences de la signature de la lettre au moyen de laquelle il aurait censément renoncé à ses droits d'interjeter appel.

[22] Par conséquent, je libère Me Coombs de l'engagement qu'elle a pris envers la Cour.

[23] Le comportement de Me Coombs tout au long des procédures en l'espèce a été correct, approprié et professionnel.

[24] Les représentants de l'ADRC ont quant à eux agi de manière répréhensible et arrogante. Leur comportement est en outre fondé sur la prémisse erronée qu'en retournant un document qui a été déposé, on efface comme par magie le dépôt de ce document. L'ADRC n'était pas légalement habilitée à retourner l'avis d'opposition déposé et son action constitue une tentative de réécrire l'histoire.

[25] Je commencerai par la lettre du 18 juin 1999, dans laquelle les avis d'opposition sont retournés à M. Jackman.

[26] Cette lettre est une tentative de priver M. Jackman de tout droit de faire déterminer par la Cour la validité de la renonciation qu'il avait signée.

[27] En refusant de respecter l'engagement que Me Coombs avait pris en Cour, l'ADRC a encore une fois tenté d'usurper le rôle de la Cour. En tant que représentant du procureur général du Canada, Me Coombs avait le droit de prendre l'engagement en question. Aux termes de l'alinéa 5d) de la Loi sur le ministère de la Justice, le procureur général est chargé “ des intérêts de la Couronne et des ministères dans tout litige où ils sont parties et portant sur des matières de compétence fédérale ”. L'avocat représentant le procureur général du Canada n'a pas besoin de l'autorisation des représentants du fisc ou de l'ADRC pour régler des questions litigieuses qui sont visées par l'alinéa 5d). Il peut lier le gouvernement du Canada dans ce genre d'affaires.

[28] En tentant d'usurper le rôle de la Cour et en refusant de respecter l'engagement ayant force exécutoire d'un représentant du procureur général du Canada, les représentants de l'ADRC se sont conduits de manière répréhensible.

[29] Dans sa lettre, Me Coombs affirme que le bureau principal des appels de l'ADRC est d'avis que :

[TRADUCTION]

délivrer un avis de ratification dans les circonstances équivaudrait à reconnaître la validité de l'opposition et voudrait dire que le ministre a examiné à nouveau les nouvelles cotisations en cause en vertu du paragraphe 165(3). En conséquence, l'ADRC refuse de délivrer un avis de ratification.

[30] Les motifs invoqués par l'ADRC sont absurdes. Rien n'empêche de fonder l'avis de ratification sur le supposé règlement et la renonciation signée par M. Jackman.

[31] Il y a lieu de souligner que je ne me prononce pas sur l'affirmation de M. Jackman qu'il n'est pas lié par le règlement et la renonciation qu'il a signés. Il me faudrait tirer des conclusions relatives à la crédibilité, ce qui ne serait pas approprié dans le cadre de la présente demande. Tout ce que

je veux dire ici c'est qu'il a droit à ce que l'affaire soit résolue par la Cour et non pas par une bureaucratie arbitraire et trop zélée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juin 2000.

“ D.G.H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de décembre 2000.

Benoît Charron, réviseur

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