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Date: 20000630

Dossier: 98-3839-GST-I

ENTRE :

JON DONALD HUGH KINGSBURY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

POINT EN LITIGE

[1] La question est de savoir si, en tant qu'administrateur de C.P.I. Industries Ltd. (“ CPI ”), l'appelant a une responsabilité en vertu du paragraphe 323(1) de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”) à l'égard du manquement de CPI à l'obligation de verser une taxe nette [taxe sur les produits et services (“ TPS ”)] et à l'égard de pénalités pour les périodes suivantes :

a) 1er août 1994 au 31 octobre 1994;

b) 1er novembre 1994 au 31 janvier 1995;

c) 1er février 1995 au 30 avril 1995.

FAITS

[2] L'appelant était le président, secrétaire et seul administrateur de CPI en 1994 et en 1995. Il a reconnu qu'il était un homme d'affaires d'expérience connaissant les responsabilités inhérentes au fait d'être administrateur et dirigeant d'une société. CPI oeuvrait dans le domaine du remplacement de conduites principales de distribution d'eau et de conduites principales de décharge sanitaire et exécutait des travaux d'entreprise générale pour la ville de Delta. Elle avait obtenu de la Compagnie d'assurance Continental du Canada un CAUTIONNEMENT POUR SALAIRES ET MATÉRIAUX et un CAUTIONNEMENT DE BONNE EXÉCUTION. Elle avait reçu des acomptes incluant de la TPS. L'appelant a affirmé que 10 ou 12 personnes travaillaient pour lui et qu'elles s'occupaient du recouvrement de créances et du paiement de factures. Il a dit que la société avait un service de comptabilité complet et qu'il n'avait pas à s'occuper de cela quotidiennement. Il a admis qu'il savait que CPI était tenue de produire des déclarations de TPS trimestriellement. Au cours du contre-interrogatoire, il ne pouvait dire que CPI n'avait produit qu'en août 1995 des déclarations pour les trois périodes. L'échange suivant a eu lieu au cours du contre-interrogatoire :

[TRADUCTION]

Q. Donc, si je vous dis qu'elles n'ont été produites qu'en août 1995, vous seriez en désaccord avec moi?

R. Je ne serais ni d'accord ni en désaccord avec vous [...]

[3] En réponse à une question qui lui a été posée au cours du contre-interrogatoire quant à savoir ce que CPI faisait avec les acomptes qu'elle recevait, l'appelant a dit :

[TRADUCTION]

R. Des affaires courantes. J'imagine que la paye pour les familles travaillant pour la société était prioritaire. Je ne m'occupais pas de l'exploitation quotidienne. Je ne m'occupais pas des paiements quotidiens. Tout ce que je faisais, c'était... cela passait par tout un système. Nous avions une structure informatique. Cela était approuvé au terme d'un processus faisant appel à trois personnes. Lorsque les factures arrivaient, elles étaient approuvées, elles étaient transmises. Elles étaient payées lorsque des fonds devenaient disponibles. Les sociétés de construction composant avec des retenues de garantie de 10 p. 100 se trouvent parfois à court d'argent; lorsque les sommes finales arrivent, des factures sont payées.

Q. CPI ne mettait pas de côté la partie TPS des acomptes qu'elle recevait à divers moments, n'est-ce pas?

[...]

R. Je n'avais aucun moyen de le savoir.

[...]

R. Les acomptes étaient mis dans... sous le contrôle de... de... simplement dans un compte bancaire général, car il n'y avait aucun compte bancaire spécial pour commencer à mettre des sommes de côté. Tout cela relevait simplement de l'exploitation quotidienne de l'entreprise.

Q. Donc, est-ce que, selon toute probabilité, CPI utilisait la totalité des acomptes, y compris la TPS, pour assurer l'exploitation quotidienne?

R. Parfois oui probablement et parfois non. Cela dépend de la période dont vous parlez.

Q. Eh bien, je parle en particulier de la période allant d'août 1994 à la fin d'avril 1995?

R. À ce stade, il faudrait que je me reporte à la comptabilité; je ne peux pas réellement formuler d'observations là-dessus sans avoir revu tout cela.

Q. Et maintenant, à votre connaissance, est-ce que CPI a déjà versé l'arriéré de TPS qu'elle devait pour les périodes se terminant le 31 octobre 1994, le 31 janvier 1995 et le 30 avril 1995?

R. Les trois sommes, les 44 000 $?

Q. Oui.

R. Je crois comprendre que, lorsque nous avons fermé l'entreprise, cela n'avait pas été payé. [...]

[4] En réponse à une question quant à savoir quel type de système de versement CPI avait, l'appelant a dit que CPI avait un système comptable complet dans le cadre duquel deux personnes du bureau s'occupaient des divers impôts et taxes, y compris la TPS, et faisaient rapport à la chef comptable, Rosemary, qui remplissait et produisait les déclarations de TPS. L'appelant a dit ensuite :

[TRADUCTION]

Ces versements étaient automatiquement effectués en temps opportun, jusqu'à ce que la société commence à être à court d'argent et ne puisse payer. J'imagine qu'ils étaient en attente. Lorsque j'ai été mis au courant, j'ai contacté l'administration fiscale pour lui faire savoir ce qui allait arriver et de qui elle pouvait obtenir les fonds.

M. LE JUGE : Lorsque vous avez été mis au courant de quoi?

R. Eh bien, Rosemary m'a dit qu'il y avait de la TPS d'impayée. J'étais un peu étonné.

M. LE JUGE : Quand?

R. Eh bien, vers la fin, quand nous avons décidé... quand j'ai décidé de fermer la société parce qu'il n'y avait pas assez d'argent pour payer les fournisseurs existants et pour terminer le... les contrats exécutés au sein de la société. [...] Donc, elle m'a informé que des sommes étaient dues, et j'ai alors contacté l'administration fiscale chargée de la TPS pour lui faire état des sommes qui étaient dues, pour lui dire par qui elles étaient dues et pour lui dire qu'elle devrait déposer une réclamation contre la société de cautionnement afin d'obtenir ce... d'obtenir ce paiement.

[5] L'appelant a dit que la commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique avait intenté une action contre la société de cautionnement pour recouvrer l'argent qui lui était dû et qu'elle a recouvré cet argent. Il a dit ensuite qu'il se fiait au système comptable que CPI avait mis en oeuvre.

[6] Au cours du réinterrogatoire, l'appelant a dit qu'il avait fait tout ce qu'il pouvait pour recouvrer la TPS pour l'administration fiscale. Il a dit qu'il était au courant de la responsabilité d'un administrateur à l'égard du versement de la TPS. Il a également dit :

[TRADUCTION]

Mais je crois aussi comprendre que, lorsque vous faites tout ce que vous pouvez pour que l'administration fiscale intente une action, car je ne pouvais intenter une action contre la société de cautionnement, je ne peux... je ne pouvais le faire parce que j'étais le propriétaire de CPI. Il fallait que ce soit l'administration fiscale qui le fasse. L'administration fiscale a essayé d'obtenir la retenue de garantie au lieu d'intenter une action. Je pense qu'elle a commis une erreur fondamentale. J'ai essayé de le lui expliquer.

[7] Après avoir souligné à quel point il s'était démené pour convaincre le ministère de chercher à obtenir le montant du cautionnement, l'appelant a témoigné qu'il avait été ruiné, que lui et son épouse avaient perdu leur maison, qu'ils avaient tout perdu et que des jugements représentant plusieurs centaines de milliers de dollars avaient été prononcés contre lui.

ANALYSE ET CONCLUSION

[8] Je comprends bien la situation de l'appelant. Dans le monde réel des affaires, un entrepreneur ayant des difficultés financières est littéralement contraint de payer les employés et les fournisseurs pour rester en affaires. Rien ne saurait être plus compréhensible dans la lutte pour la survie. Cependant, le paragraphe 323(1) de la Loi impose un critère strict. Ce paragraphe se lit comme suit :

Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

(L'italique est de moi.)

[9] Le paragraphe 228(2) dispose qu'une personne doit verser une taxe nette au receveur général :

[...] au plus tard le jour où la déclaration doit être produite,

[10] Il ressort clairement de la preuve que CPI a manqué à l'obligation de verser en temps opportun les sommes requises pour les trois périodes en cause. Ce paragraphe de la Loi ne prévoit aucun pouvoir discrétionnaire pouvant être exercé par notre cour dans le cas d'un tel manquement.

[11] Le paragraphe 323(3) dispose que l'administrateur d'une personne morale n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. Dans l'affaire Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, à la page 155 ([1997] 3 C.T.C. 242, à la page 262), le juge d'appel Robertson disait au sujet du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu [1] :

[...] Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la “compétence” et l'idée de “circonstances comparables”. Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme “objective subjective”.

À la page 156 (C.T.C. : à la page 263), le savant juge disait :

[...] Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

Puis il disait qu'une obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient amener à conclure que les versements posent ou pourraient vraisemblablement poser un problème potentiel.

[12] L'appelant soutenait qu'il avait fait tout ce qu'il pouvait en avisant l'administration fiscale qu'elle pouvait s'adresser à la société de cautionnement pour obtenir le paiement de la TPS. J'accepte sans réserve le témoignage de l'appelant à cet égard. Malheureusement, cela s'est produit après la date à laquelle une taxe nette devait obligatoirement être versée. L'intimée n'était pas tenue de s'adresser à la société de cautionnement en vue de percevoir la taxe, mais, en ne le faisant pas, elle peut avoir contribué à une imposition punitive de taxe, d'intérêts et de pénalités. Aucune explication n'a été donnée pour le compte de l'intimée à ce sujet.

[13] La Cour n'a simplement pas le pouvoir discrétionnaire de déroger à la directive contenue au paragraphe 323(1). Bien que l'appelant ait fait en sorte que CPI paie les employés et les fournisseurs au lieu de verser la TPS, le montant de la TPS devant être versé avait été perçu, mais n'a pas été versé en temps opportun. Comme la société luttait pour sa survie, rien ne pouvait être plus normal que de prendre la décision de payer les employés et les fournisseurs. L'appelant, soit le président et seul administrateur de la société et un homme d'affaires d'expérience, ne peut toutefois, du fait qu'il a payé les fournisseurs et les salariés au lieu de s'acquitter de l'obligation législative de verser la TPS, être considéré comme ayant “ agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement [...] que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances ”. En conséquence, l'appel est rejeté.

[14] L'article 281.1 de la Loi dispose que le ministre peut annuler les intérêts et les pénalités payables en application de l'article 280 — en vertu duquel la pénalité et les intérêts ont été imposés en l'espèce — ou qu'il peut y renoncer. Bien que la Cour ne puisse ordonner au ministre d'annuler les intérêts ou d'y renoncer, elle lui recommande fortement de le faire, dans les circonstances de l'espèce.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2000.

“ R.D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de décembre 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]               Presque identique au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise.

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